vendredi 29 avril 2011

Politiques publiques de santé: lost in management

"Les chaînes de l’humanité torturée sont en papier de ministère." Kafka

Au commencement était le plan de rationnement des soins.

Il fut décidé en haut lieu qu’il fallait réduire les dépenses de santé.

Il fut fait appel aux grands corps de l’Etat et à quelques habiles ingénieurs des grandes écoles

Il fut convenu qu’on utiliserait les méthodes du nouveau management public, incitations par la carotte, le bâton et le contrôle de l’asymétrie d’information selon la « théorie de l’agence ».

Et qu’on vendrait la santé et la protection sociale par appartements.

Mais il fallait d’abord persuader les usagers du bien fondé de cette politique et éteindre toute résistance chez les professionnels par le déploiement d’une ubuesque « sophistique managériale » de calculabilité, de prévisibilité et de rationalisation entrepreneuriale.

Des méthodes de management inappropriées pour n’avoir pas fait leur preuve dans le secteur privé furent appliquées dans le secteur public par des néo-managers semi-habiles au savoir-faire limité et expéditif, formés à disqualifier d'emblée le discours des experts opérationnels, qu'il soient médecins ou non. La novlangue s'installa pour modeler les esprits: la "production des soins" remplaça l'activité porteuse de son propre sens.

La concurrence encadrée par des indicateurs myopes s’édifia sur une conception pervertie de la performance puisqu’elle n’avait plus rien à voir avec les résultats cliniques qui ont du sens pour les équipes de soins.

Pire, ce management conduisit à la désintégration du seul mode d’organisation dont l’efficacité est solidement prouvée : des équipes cliniques stables, formées et motivées, construisant au quotidien une intelligence collective orientée vers la qualité des soins, réalisés en temps opportun, au juste coût, dans un parcours cohérent pour nos patients.

Nous vous convions à un petit voyage en terre kafkaienne:

http://www.lesechos.fr/management/idees-neuves/0201287001249-l-effarant-bond-en-arriere-du-management.htm

Le management peut-il ré-enchanter le monde? France Culture - Du grain à moudre - Le podcast:

2. L'hôpital malade du nouveau management public

L'hôpital public en danger

Bobigny: radiographie d'un malaise

Un hôpital dans la tourmente - Poissy-Saint-Germain

Hôpital sud-francilien - vers la Bérézina?

L'étonnante conception de la HAS et de l'Afssaps
http://www.formindep.org/L-etonnante-conception-de-la-HAS.html

Le burn out chez les médecins

"Si les faits ne cadrent pas avec la théorie, changez les faits." Albert Einstein

vendredi 22 avril 2011

I remember Fred


Dans un terrible break où l’on attendit en vain la reprise du chorus, notre ami Fred Schneider, chirurgien urologue, pianiste, trompettiste, tromboniste, compositeur et arrangeur, leader des « Jazz Passengers Combo», nous a quittés brutalement. Le dernier concert qu’il avait préparé avec cette formation sera donné sous forme d’hommage au Petit Journal Montparnasse, le 2 mai, à l’occasion de la sortie de leur album « Passage ».

Le premier nom du groupe de jazz animé par Fred Schneider fut les « Jazz May Seniors ». Le premier concert du groupe eut lieu le 23 janvier 1993, à la Sorbonne où étudiait son fils Laurent, qui l’avait organisé avec la Compagnie du mois de Mai, d’où ce nom.

J’ai connu Frédéric dans les années quatre-vingt, lors d'un "dîner de patron" à la Salpêtrière. Nous étions alors tous déguisés en mousquetaires. Les patrons, mandarins de l'époque, déguisés en bagnards portant de lourdes chaînes, étaient promenés en charrette de condamnés autour de l'hôpital. Lors du dîner costumé, il avait joué sur scène pour le spectacle du clavecin, et moi du piano.

Nous nous sommes retrouvés bien plus tard au bar du Concorde La Fayette lors de "boeufs" mémorables autour de ce merveilleux pianiste qu'était Aaron Bridgers, qui nous transmettait la mémoire vivante d'Art Tatum, de Duke Ellington et Billy Strayhorn. On y rencontrait notamment Gérald Nassif, un des membres historiques. Frédéric nous a alors invité à des répétitions mémorables dans son appartement de la place de la Porte de Champerret, où il y avait parfois cinq ou six soufflants. Puis le groupe s'est stabilisé et les concerts ont commencé. Les amitiés se sont nouées, cimentées par l'amour de la musique, du jazz et la convivialité généreuse qu'il savait si bien déployer malgré son caractère bien trempé et peu enclin aux concessions. Fred était chirurgien urologue. Sa vision chirurgicale de l'organisation se traduisait bien dans sa manière de gérer nos séances de travail. Mais c'est aussi ce caractère entier et son infatigable dynamisme animé par le souci permanent du bon arrangement, du bon tempo, de la belle couleur sonore, qui poussait chacun de nous à la régularité du travail et des répétitions. Fred savait aussi bien soigner "l'incontinence" expressive des musiciens pisse-notes qui se laissent aller à des chorus interminables. 

A chaque répétition Fred arrivait avec une nouvelle idée en tête, chamboulant le programme du concert et c'est ainsi que nous avons travaillé un nombre incalculable de nouveaux thèmes. Finalement, quelle formidable expérience ce fut, pour nous autres de la rythmique, qui devions sans cesse nous adapter à de nouveaux styles, de nouveaux accompagnements, de nouveaux accords griffonnés à la hâte, de nouvelles sonorités, sous toutes les formes et dans tous les tons. 

Le groupe cherchait depuis longtemps un nom qui lui ressemble. Il l'avait trouvé récemment avec le le formidable "Jazz Passengers Combo" qui conservait la référence à Art Blakey et à ses messengers.

Nous ne sommes que des passagers de la vie, de la musique et du Jazz, parfois en quelque sorte des passagers clandestins, puisque pour beaucoup d'entre nous, nous ne sommes que des amateurs tentant d'être éclairés, même si selon la formule de Malraux "l'art est un anti-destin".

Le passage de Fred fut trop rapide, dans la vie, dans la musique et dans le jazz qu'il aimait tant, cette musique de la nuit, "cette nuit que nous appelâmes jour"*. Il nous manque déjà terriblement.

Jean-Pascal Devailly, son collègue et ami.

Retrouvez les amis de Fred et la musique qu'il aimait tant sur le site "Jazz et plus si affinités"

Site du Jazz Passengers Combo: http://www.myspace.com/jazzmaysenior

Concert hommage du 2 mai - Petit Journal Petit Journal Montparnasse
http://petitjournalmontparnasse.com/jazz/lesjazzpassengerscombosextet-2011_05_02.html

Fred sur le net:
Au Franc Pinot, le premier musicien à prendre un chorus de trombone est Frédéric
http://www.myspace.com/jazzmaysenior/videos/video/53599717

Au Rostand - Fête de la musique


Allusions musicales

*"The night we call it a day"


"I remember you..." http://youtu.be/eayKjJwvNPw

dimanche 10 avril 2011

Veille ubulogique - Pire que le Mediator, les dommages collatéraux du Predator

"L'expertise est un pacte tacite par lequel on s'engage à ne pas dire publiquement ce qu'on pense des règles selon lesquelles on est censé se tromper".
Adapté de Cioran

L'épidémie de Nouvelle Gestion Publique qui déferle aujourd'hui sur notre beau pays de France prend des formes bien différentes selon les climats. Si l'on peu s'étonner de l'engouement des politiques de tout bord pour une doctrine qui n'a guère fait ses preuves à l'étranger en terme d'evidence based management et en particulier dans le champ de la santé, rien n'oblige, selon cette modélisation du management public, à la privatisation, en particulier à celle de pans entiers du système de soins et de l'Assurance Maladie, bref, à l’actuelle vente de l'hôpital public et de la protection sociale par appartements.

Mais en France, ce choix ayant été fait, l'Etat est devenu «prédateur» des hôpitaux publics. Etat prédateur, cela ne signifie pas qu’il vampirise les créateurs de richesse: la formule, chez J. Galbraith, désigne une puissance publique dont les mécanismes d’intervention ont été détournés de leur mission pour servir des intérêts privés. Le cas du géant de l’énergie Enron, de même que celui du lobby des assurances privées anti-sécurité sociale, sont, selon l’auteur, des ingrédients emblématiques de cet État prédateur. Il y reconnaît l’action d’une coalition «composée d’entreprises dont les principales activités lucratives concurrencent les grands services publics de l’increvable New Deal» et «qui cherchent à prendre le contrôle de l’État, pour empêcher l’intérêt public de s’y affirmer».

S’appuyant sur ce constat, J. Galbraith plaide pour une reprise en main de l’action publique.

C'est ainsi la commission d'AMM, l’Accompagnement Managérial du Marché, après sa coupable négligence dans la triste affaire du Mediator, a mis sur le marché français le plus toxique des médicaments, le "Predator", dont les effets risquent d’être bien plus délétères par ses effets sur la mortalité et de morbidité que ceux du Mediator. Ce dernier a pourtant fait la une des médias comme dérive exemplaire d’un management absurde du système de santé. Si cette nouvelle décision ubuesque de mise sur le marché est si dangereuse c'est que le Predator potentialise le caractère pathogène du virus HPST, mutant de la variante française RGPP issue de la souche primitive NGP.

C’est le résultat des travaux d’ingénierie biopolitico-managériale sur le génome viral menés par les « éthiconomes », ces promoteurs du "grand chef-d'oeuvre industriel » conçu par une "énarchie de santé publique" si bien croquée par Bernard Debré et Philippe Even dans leur rapport. Les semi-habiles de la santé numérique ont fait croire à Machiavel que leur rationnement caporalisé devait s’imposer à la raison médicale et lui imposer ses choix tragiques, contre l’intérêt des patients.

Ethiconomie ou sophistique managériale ?

Usagers, élus, professionnels de santé, méfiez vous du Predator !

Je n'aime pas l'hôpital public quand il devient soviétique et n'est plus au service du public.

Je n'aime pas le privé non lucratif quand il n'a plus le souci de l'autre.

Je n'aime pas le privé lucratif quand il pense trop à l'argent.

Et surtout, ce que je n'aimerais pas, c'est une gestion des établissements de santé qui cumule ces trois inconvénients à la fois!

Misanthropus nosocomialis

Sources

Dico de novlangue :

  • HPST : loi hôpital, patients, santé et territoires
  • NGP nouvelle gestion publique (new public management)
  • RGPP révision générale des politiques publiques
  • AMM autorisation de mise sur le marché

Le virus HPST: une nouvelle étiologie du syndrome extrapyramidal - Requiem pour la concertation (fichier pdf avec liens cliquables)
https://sites.google.com/site/ubulogieclinique/humour-1/LevirusHPST.pdf?attredirects=0

L'état prédateur James K. Galbraith, Seuil, 2009, 311 p., 23 € James K. Galbraith - Comment la droite a renoncé au marché libre et pourquoi la gauche devrait en faire autant, Paris, Seuil, coll. « Économie humaine », 2009, 311 p.

http://www.scienceshumaines.com/l-etat-predateur-xavier-de-la-vega_fr_24288.html

« Galbraith montre comment briser l’emprise magique des conservateurs sur les esprits de gauche. » Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie.

Analyses

Sur Mediapart

http://www.mediapart.fr/club/blog/fabien-escalona/070910/contre-letat-predateur

La vie des idées - Etat de l'après-crise

http://www.laviedesidees.fr/IMG/pdf/20100210_galbraith.pdf

La notion d'Etat prédateur

http://www.eauli.net/decouvrir/mots/etat.htm

A ne pas manquer - Naissance de la biopolitique - Cours de Michel Foucault en documents audio téléchargeables en mp3

http://www.lib.berkeley.edu/MRC/foucault/nb.html

Rapport de la mission sur la refonte du système français de contrôle de l'efficacité et de la sécurité des médicaments

http://www.scribd.com/doc/50801924/Rapport-Mediator

Si ce "chef d’œuvre industriel" a échoué c'est parce qu'il a été conçu et dessiné par "l'énarchie de santé publique, marquée du juridisme des grands corps et très loin de réalités du terrain, les malades et des réalités scientifiques les médicament et produits de santé".

Borgstein, dans le Lancet, émet d'autres hypothèses percutantes sur la pathogénie en cause
Les envahisseurs -
Borgstein J. Invasion of the managers. LANCET 2003; 362:256 traduction de J Watine