, est contraint d'accepter un "pacte faustien" négociant la légitimité scientifique contre l'abandon de ce qu'est l'activité médicale à la gouvernance entrepreneuriale. Celle-ci repose sur la diffusion du managérialisme et de la concurrence encadrée dans le secteur public, piliers de la nouvelle gestion publique déployée dans la loi HPST. La financiarisation, la T2A et le financement de la recherche poussent avec la transition technologique à cette radicalisation court termiste de l'hôpital expert, ultra-différencié en tuyaux d'orgue et en mille-feuille
bureaucratique, mais sans les indispensables mécanismes intégrateurs qui doivent être proportionnels à la différenciation de toute organisation.L'offre de soins, dominée par les logique top down de planification ne peut dès lors, hélas par construction, y être la recherche de ce qui est "médicalement justifié", qu'on aborde ce concept selon l'optique de la maladie, de la santé publique ou encore plus largement dans le cadre de la protection sociale. Dans ce modèle, l'offre ne peut être que le résultat d'une sorte de sélection naturelle et compétitive des projets dont le micro et méso management auront assuré la survie, surtout grâce à une technicité opportuniste d'acquisition des ressources. Ce n'est pas la moindre des contradictions de cette bureaucratie concurrentielle. Elle ne cesse de décliner des priorités de santé et d'organisation imposées d'en haut, dans une cécité des besoins induite par la fragmentation et génératrice d'inégalités d'accès aux soins, en particulier pour ce qui concerne les soins périodiques, continus et complexes. Elle se déploie dans la contre-productivité effarante du cadre théorique microéconomique dominant d'une motivation de acteurs qui ne sait attendre le salut que du principe universel de la concurrence. Les nouvelles normes de cet univers de compétition généralisée laissent mourir des activités de soins de proximité ou de recours qui ne seront plus assurées par personne dans de nombreux territoires, faute d'être rentables. Cela se fait à l'insu des politiques publiques, faute d'une vue d'ensemble, d'un consensus suffisant, d'un diagnostic partagé porté par une véritable intelligence territoriale sur le décalage entre ce qui est et ce qui devrait être. Fin du service public hospitalier, dilution de la notion "d'intérêt collectif" dans la vente par appartements de la protection sociale et la déconstruction de la solidarité?
L'hôpital intégré, à un réseau à pilotage décentralisé est fondé sur une vision partagée de la "chaîne de valeur" du soin, du "prendre soin" dans une acception large du terme, qui cherche à concilier modèle médical, modèle protectionnel et modèle de l'activation des plus vulnérables. Non sur cette effroyable gestion des ressources humaines dont nous avons accepté la novlangue, les dogmes et les modèles mentaux, de "l'entreprise de soi" de l'homme-soignant-professionnel de santé compétitif, enjoint à l'auto-structuration en vue d'attitudes de comportements et de compétences conformes aux attentes du management entrepreneurial et de sa nouvelle division du travail.
Ce modèle "intégré" de l'hôpital doit au contraire concilier
clinique, centrée sur la relation médecin-patient dans un système clinique - soins, enseignement, recherche - où elle peut se déployer,
santé publique qui ne peut reposer que sur des évaluations et des indicateurs d'actions collectives bien différents de ceux de la clinique, et
économie puisqu'il faut bien admettre que les ressources sont rares et que l'optimisation n'est pas un vain mot. (Voir intégration des soins -
Contandriopoulos)
Il tend à lutter contre la fragmentation institutionnelle et culturelle (
rapport Larcher page 13), "entre le domaine sanitaire et le domaine social et médico-social". Le rapport se fait beaucoup plus discret sur les causes financières, dont l'aléa moral et la sélection adverse liés à la tarification à l'activité (sélection des patients, réduction des séjours, baisse de qualité des soins, transferts de soins et de charge vers d'autres secteurs, trous dans l'offre de soins) de la fragmentation et de la discontinuité de l'offre, toujours dénoncées, mais jamais réduites, alors que les plaques tectoniques de la protection sociale, l'assuranciel, l'assistanciel et le traitement social des nouvelle "vulnérabilités" ne cessent de s'écarter au détriment de l'accès aux soins.
Graduation géo-démographique des soins - proximité, recours et référence - ouverture des frontières fermées de ce qui est hospitalo-universitaire à ce qui en était exclu, principe de subsidiarité et péréquation des coûts et des profits le long de la chaîne de soins, travail en "réseau de confiance", autonomie respectant les valeurs du soin et imputabilité sur des résultats cliniques partagés entre parties prenantes légitimes des secteurs sanitaires et sociaux, limitation des gradients d'autorité inutiles et stérilisants l'action publique, doivent en être les grands axes.
"Rien d'important ne se définit par ses frontières." E Morin
Mais si "l'autonomie" n'est que le soleil trompeur du nouveau management public, elle devient manipulation et sophistique managériale. L'activité médicale poursuit des buts, adopte des règles, cherche à promouvoir des valeurs. Les buts définissent en général l'objet d'une activité. Les résultats cliniques à long terme, attendus par les médecins, les soignants en général, et qui donnent sens à leur action pour les patients angoissés qui leur font confiance, ne sont pas les objectifs attendus par le management, dictés par l'ingénierie financière conséquence de la religion du pseudo-marché institué par l'Etat. La logique gestionnaire devenue toute puissante ne laisse comme seule marge de manœuvre que les moyens pour satisfaire ses propres objectifs, et encore a-t-on de plus en plus affaire à des contrats d'objectifs sans garantie de moyens. Cette autonomie-leurre justifie que les acteurs, soignants et soignés, enjoints à s'auto-déterminer, à devenir entrepreneurs d'eux-mêmes, à se concevoir et se comporter comme "centre de profit" tout en travaillant leur "employabilité", sont conduit en réalité à intérioriser la norme managériale en s'imaginant libres. En l’absence d'atteinte des objectifs du management, ils seront jugés, dans la reddition de comptes (accountability), seuls responsables de leur échecs.
2. Sophistique managériale, manipulation et bureaucratisation des esprits - comment expliquer que les médecins se soient si aisément convertis à la novlangue du vocabulaire entrepreneurial.
La nouvelle raison du monde - Pierre Dardot et Christian Laval
3. Ubulogie de l'encadrement
Je vous invite à parcourir les textes de
Marie-Claire Chauvency qui explore le nouveau management hospitalier avec le regard des cadres et la lecture que permet un solide arsenal conceptuel.
Les réformes hospitalières et leur impact sur l'encadrement infirmier
"Je définis la cour un pays où les gens
Tristes, gais, prêts à tout, à tout indifférents,
Sont ce qu'il plaît au Prince, ou s'ils ne peuvent l'être,
Tâchent au moins de le parêtre,
Peuple caméléon, peuple singe du maître,
On dirait qu'un esprit anime mille corps ;
C'est bien là que les gens sont de simples ressorts."
Les obsèques de la lionne - La Fontaine
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