samedi 29 septembre 2012

Propositions du Mouvement de Défense de l'Hôpital Public - E = MC²


1. Message du Pr. Bernard Granger adressé aux médecins des hôpitaux au sujet des nouvelles propositions du MDHP


Chers collègues,

Vous trouverez ci-jointes les propositions du MDHP pour l’hôpital public, signées par un grand nombre d’entre vous, de nombreux collègues des autres CHU, d’hôpitaux généraux ou psychiatriques. Ce texte est à diffuser le plus largement possible.

Nous avons demandé cette semaine un rendez-vous à la ministre des Affaires sociales et de la Santé pour développer devant elle nos arguments.

En voici les principaux points :

- une modulation de la tarification en fonction du type d’établissements,
- une limitation du champ d’application de la tarification à l’activité,
- un objectif national des dépenses d’assurance maladie permettant de répondre aux besoins et d’assurer une qualité des soins satisfaisante, en particulier grâce au maintien des emplois soignants,
- une gestion décentralisée selon un principe de subsidiarité,
- la recherche du juste soin au juste coût,
- le développement des activités ambulatoires,
- la fin de l’empilement actuel d’évaluations procédurales bureaucratiques,
- une rééquilibration de la gouvernance hospitalière (une direction administrative, une direction médicale, et dans les CHU une direction pour l’enseignement et la recherche),
- une organisation hospitalière guidée par la logique soignante et centrée sur les services,
- un effort d’investissement suffisant, sans partenariat public-privé, dont l’expérience a montré la nocivité, pour conserver un système hospitalier digne de notre pays.

Le Parisien du 28 septembre a consacré la une et huit pages de son magazine à cet appel (voir articles ci-joints). Vous lirez avec un intérêt tout particulier les témoignages terribles rapportés en dernière page de ce dossier. Ils montrent à quel point la prise en charge des patients s’est dégradée, à la limite du supportable. Nous sommes loin du monde de Bisounours décrit par la propagande institutionnelle payée à prix d’or auprès d’agences de communication ou autres prestataires extérieurs.

Amitiés et bon courage.

Bernard Granger.

Le Parisien du 28 septembre 

Hôpital: le cri d'alarme
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2. Le Texte et des réactions sur le site de Dominique Dupagne




3. E = MC², ou le pari de la confiance



Nous avons à plusieurs reprise appelé sur ce blog à libérer les hôpitaux et le système de soins français en général de l'infantilisation managériale qui les mine. Elle ne conduit qu'à la paralysie et au désespoir ce tous ceux, médecins, autres soignants, autres professionnels de santé enfin, qui tentent encore de se dévouer aux malades. La réforme de la gouvernance est aujourd'hui une impérieuse nécessité.

Il faut d'urgence redonner aux professionnels, aux élus, aux managers et aux usagers une juste place dans les processus de décision, au niveau de gouvernance où leurs connaissances sont effectivement structurantes. Gardons nous de cette fausse transparence, de cette "démocrature" sanitaire toute d'agences bureucratiques et de concurrence encadrée. Les médecins et les paramédicaux doivent pouvoir de nouveau organiser les soins en équipe, au contact du public, loin des faux ingénieurs de soins qui ne savent que cloisonner les professions et détruire les compétence d'équipes au nom de modèles industriels. Ces modèles inadaptés mais imposés "d'en haut" confondent chaîne de montage et soins à une personne dont l'état et l'évolution sont si souvent marqués par l'imprévisibilité et l'incertitude. Non qu'il n'y ait pas quelques process industriels à identifier à l'hôpital, surtout en terme de logistique, ni un certain nombre de prise en charges simples et standardisables, aisées à codifier et à tarifer. Mais cette différence capitale liée à "l'intrant" humain des activités de soins nécessite réactivité et apprentissage en équipe. Stabilité, compétences collectives et motivations sont la garantie de la qualité et de la sécurité des soins, loin des balivernes des cost-killers et des des sociétés de conseil quand ils ne savent que vanter la flexibilité, la mutualisation et la dé-professionnalisation (poly-compétence). Cessons de cacher la sous information permanente des acteurs dont on écarte les compétences d'organisation des soins derrière la fausse transparence des grand-messes powerpoint et  des simulacres de concertation. Cessons de nommer rationalisation ce qui n'est que le rationnement aveugle le plus souvent maladroit et contre-productif. Cessons de cultiver les gaps dans les parcours de soins, les talents d'incompétences exacerbés par nos organisations en lieu et place des compétences clés, faute de savoir les assembler et d'aggraver chaque jour l'amnésie organisationnelle. Cessons de gaspiller l'argent public en fausse qualité "Bisounours", si chronophage pour des équipes exsangues sommées de mettre les croix dans les cases du contrôle externe. Ce reporting exponentiel qui détourne des soins ce qui reste de"cadres de santé" n'est plus qu'une mascarade destinée à masquer l'absence critique de la mesure d'une vraie qualité des soins. Celle-ci a son prix quand on veut bien ne pas la mépriser et la nier avec une telle arrogance. Ubu c'est bien le pouvoir absurde, sans contre-pouvoir.

Sachons enfin renouveler les réseaux de confiance selon une formule pourtant classique en bon management, le vrai, celui qui fait de l'homme une fin et non un moyen ou une "ressource humaine".

E = MC²: L'efficacité humaine est le produit de la Motivation au travail par les Compétences et la Culture de l'organisation, dont celle de la communication et de la gestion des connaissances.
Anderson donne la véritable formule de la performance, bien différente de celle de l'OCDE et de la LOLF
Ability  level * Mental state = Performance
Reconnaissance au travail , Autonomie des pratiques professionnelles au niveau des collectifs de travail et Participation effective aux processus de décision, sont les éléments essentiels de cette équation dans les organisations soignantes.


Mais nous avons cassé un système de compétences hospitalières lentement acquis au fil des ans pour cette sinistre application française du Nouveau Management Public et ce triste modèle managérial de la carotte des leurres marchand et du bâton des indicateurs myopes.

Pour ceux qui aiment le jazz

E= MC² c'est bien sûr la formule si célèbre d'Einstein, mais c'est aussi le titre d'un merveilleux album de Count Basie. Retrouvons ce chef d'orchestre historique dans cette vidéo:
Le nouveau directeur de la loi HPST, seul "patron de l'hôpital", ce grand architecte des soins et des filières va-t-il disparaître?
Sous cette forme là, bien seul en effet face à ce qui reste de la communauté médicale, nous le regretterions presque...


mardi 4 septembre 2012

Lexique 'pataclinique* des effets pervers de la performance publique en santé


* La ‘Pataclinique est la connaissance systématique des effets des solutions imaginaires en santé.

"Je ne crois aux statistiques que lorsque je les ai falsifiées moi-même" Winston Churchill

" Il y a trois sortes de mensonge, le mensonge, le fieffé mensonge et les statistiques" Benjamin Disraeli (cité par Mark Twain) 


La chaîne de la performance publique (voir aussi les modèles de l'OCDE)




Quelques effets de la "performance publique"

Loi de Goodhart: « toute mesure qui devient un objectif cesse d’être une mesure ». 

Effet Goodhart ou effet « tableau de bord »: l’ inversion des fins et des moyens

L’effet tableau de bord consiste à déplacer l’ensemble des efforts sur les indicateurs mesurés au détriment des dimensions de la qualité qui ne contribuent pas à l’allocation de ressources pour une unité de production ou un acteur. La distinction entre qualité et non qualité ne se fait plus sur ce qui compte pour les professionnels, mais entre ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas. Exemples : la Durée Moyenne de Séjour (DMS), la mesure de consommation des solutés hydro-alcooliques et pour l’université les g et h factors et le classement de Shanghaï. Le balanced scorecard est supposé limiter ces effets désastreux.

Effet « bidouille »: la spirale de la défiance

C’est la tendance des unités et organisations à arranger les données pour améliorer leur bilan. Cela va de l’optimisation bien conduite à la triche pure et simple, en passant par le surcodage licite ou « agressif ». Cette pratique est aussi vieille que le contrôle de gestion. Exemples le DRG creep ou surcodage en T2A. L’effet bidouille conduit à croissance exponentielle des contrôles externes et du reporting (surveiller et punir).

L'effet  « boite de Pandore » : la division machiavélique

Il consiste pour une coalition politico-médiatique hégémonique à accuser d'un mal qu'elle a produit et dont elle tente de se dédouaner une partie d'une coalition jugée dangereuse pour en faire un bouc émissaire. La coalition visée s'épuise en luttes fratricides et ses défenses seront alors aisément enfoncées par les "réformateurs", sur les sujets qui ne sont pas au devant de la scène médiatique. Exemple: la mise à l'agenda officiel des notions de "déserts médicaux" et les "dépassements d'honoraires" permet de contraindre le débat public à poursuivre le chemin de la coercition incitative dans l'esprit de la loi HPST.
Cette exacerbation permanente par l'Etat des conflits hobbesiens entre juridictions professionnelles est une méthode internationale promue par l'OCDE pour ajuster les dépenses publiques. Elle est toutefois plus qu'ailleurs et pour de nombreux auteurs, une composante majeure du "mal français" et de la "société bloquée". Elle conduit à faire du système de soins un "réseau de défiance" et de concurrence par des leurres marchands dans une chimère faite d'incitation gestionnaire et de coercition technocratique. Elle désintègre toujours plus les soins au lieu de les intégrer.

Effet « mirage »

La production de données construit une représentation de la réalité en boucles autoréférentielles entre la technostructure qui maîtrise l’information et sa diffusion aux acteurs et le sommet stratégique. Il s’agit du mécanisme par lequel le sommet stratégique finit par prendre « la carte pour le territoire », en oubliant les croyances fondatrices et les modèles qui ont sous-tendu la construction du système de données. Le seul moyen de réduire l’effet mirage est d’aplatir la pyramide de l’organisation. Exemples : le PMSI, l’effet des sept niveaux d’organisation de l’AP-HP.

Effet « pharaon »

Les difficultés inhérentes à la gestion par les résultats entraînent le désintérêt du régulateur pour la finalité du service public face à l'obsession des coûts. Il recours alors aux méthodes les plus expéditives notamment la planification budgétaire et la gestion axe sur les résultats court-termistes, renonçant à une réforme partagée avec les parties prenantes. Exemples : expansion de la bureaucratie du « tout incitatif » dans la loi HPST, asphyxie des hôpitaux sous Ondam fermée.

Effet « pont de la rivière Kwaï »

Un groupe d’acteur engagé dans un projet qui lui tient à cœur tend à le mener à terme même s’il s’avère que le projet est inapproprié ou trop coûteux. A rapprocher de l’effet paquebot qui relève des promoteurs Exemples : le catalogue des actes (CSARR) en SSR, la construction de la T2A en psychiatrie.

Effet « paquebot »

Le sommet stratégique ne parvient guère à remettre en cause la poursuite d’un projet quand des investissements importants lui ont été consacrés. Il faut une décision politique pour l’infléchir. Exemples : la certification des établissements de santé, la T2A en SSR, la mobilisation d'acteurs sur la version 2 d’Actipidos, logiciel obsolète et sans doute incompatible avec le nouveau SI à l'AP-HP.

Effet Pygmalion 

Effet qui conduit à l’immobilisme avec l’effet paquebot et l’effet Pont de la rivière Kwaï. La construction d’un système d’évaluation des résultats suscite toujours un amour immodéré et aveugle de la part ses créateurs. Il est donc souvent illusoire de leur demander de l’abandonner pour un autre.

Effet Parkinson

Dérivé de la loi du même nom, il s’agit de la tendance à l’hypertrophie progressive du personnel dédié à l’évaluation au détriment des opérationnels dans les organisations soumises à la gestion par les résultats.

Effet Illitch : "Au-delà d'un certain seuil, l'efficacité humaine décroît, voire devient négative."

La poursuite de résultats trop exigeants produit l’effet inverse de ce qui est désiré. Le managérialisme va ainsi très souvent à rebours des objectifs affichés.

Effet « poudre à éléphant »

Décrit par Paul Watzlawick, il consiste à persister dans l’utilisation d’un indicateur inutile, chronophage et coûteux au prétexte qu’il a empêché un mal hypothétique que personne n’a jamais vu.

Effet « en U »

Dans le cadre d’un paiement des employés et/ou d’unités à la performance (P4P), sont mécontents à la fois les employés les plus « vertueux » mais aussi les moins productifs. Le P4P finit par détériorer la coopération au sein des équipes et entre unités, et ces tensions nuisent à la performance en détériorant l’état d’esprit au travail. Mais bien plus grave est l’effet de prophétie auto-réalisatrice.

Effet de « prophétie auto-réalisatrice » ou effet «rational fool »

C’est un des effets les plus pervers de la gestion par les résultats quand elle prend l’aspect de la concurrence par comparaison. Fondée sur la modélisation par l’économie de la santé des médecins en "idiots rationnels" (Amartya Sen), calculateurs et égoïstes, la concurrence finit par induire les comportements individualistes prévus par la théorie. Ceux-ci nuisent aux comportements coopératifs et altruistes entre soignants et entre unités opérationnelles, indispensables à la qualité des soins.

Effet « papillon » ou « non infaillibilité du système prévisionnel »

L’introduction d’un indicateur, en modifiant les comportements opportunistes non pris en compte, peut entraîner de proche en proche une variation, évoluant comme l'exponentielle du temps écoulé, de l’ensemble du système. Exemple : dans le contexte de la dérégulation systématique des conditions techniques de fonctionnement, censées être remplacées par des indicateurs de performance,  les indicateurs liés au projet de « Libération de surfaces non indispensables au fonctionnement des Groupes Hospitaliers » (AP-HP) entraîne la prédation par effet d'aubaine des locaux de rééducation fonctionnelle, entre autres, ou la promotion sans garde-fous par les directions en mille-feuille de ratios “maltraitants” aux yeux des soignants.

Effet « paratonnerre »

C’est un système d’indicateurs qui permet aux problèmes réels de traverser l’organisation sans laisser de traces quand elle n’a pas de solution tout en montrant qu’elle s’en occupe. Créer une commission ou une nouvelle fonction remplit souvent cette fonction. Exemple : le thème de la « précarité » est l’arbre qui cache la forêt des déterminants psycho-sociaux de la santé, des motifs d'hospitalisation et des nouvelles demandes de soins (maladies chroniques, vieillissement et handicap).

Effet « bouc émissaire » ou fusible

Certaines professions ou fonctions occupent une place de choix, à chaque étage de l’organisation, pour justifier les erreurs radicales des pompiers pyromanes, de la déviance du management et des processus de décision. A l’hôpital c’est l’interne en médecine dans l’unité, pour l’administration c’est le cadre paramédical de pôle, pour la sécurité sociale ce sont les médecins assoiffés d’argent et les malades irresponsables et hyper-consommateurs. Exemple : la construction artificielle du « trou de la sécu ».

Effet Peter et sa variante de Dilbert

Les entreprises nomment souvent les incompétents là où l’on pense qu’ils feront le moins de dégâts. Ils sont souvent affectés aujourd’hui aux postes dédiés à la qualité. Joint aux effets “papillon” et “Parkinson” cet effet explique la dégradation rapide de la performance de nombreuses structures de soins. Pas d’exemple particulier, cette loi est universelle. Mais certains convertis, devenus croyants de la nouvelle doxa, engagent des sommes extravagantes auprès de l'ANAP, ce qui engraisse les cabinets de conseil (voir Canard enchaîné du 29 août). En réalité il semble que l'on ait guère le choix d'échapper à ce racket coordonné par l’État et les ARS. Il y a aussi de faux croyants qui sont des managers de transition, en charge de restructurations à la hache.

Effet Solow

L’informatique est sans doute utile mais l’excès de confiance dans le système d’information conduit à l’hypertrophie exponentielle du reporting et de groupes de travail déconnectés du réel. Cela mène à l’accroissement des effets mirages, à la perte de vue du travail réel et des conditions possibles de l’amélioration de la performance. Ceci conduit à dire qu’on voit les ordinateurs partout sauf dans les statistiques de productivité. Exemple les palmarès du Point. Il n'y a pas de domination plus efficace que celle qui peut s’autoriser d’une opinion publique « informée » (au sens de mise en forme) par les croyances que diffusent conjointement médias et pouvoirs publics.

Effet Knock: la confusion des objectifs dans la performance publique

« L'administration par objectif est efficace si vous connaissez les objectifs. Mais 90% du temps vous ne les connaissez pas ».Peter Drucker
Les objectifs doivent être définis avec les parties prenantes dans une vision partagée des résultats. Exemple : en termes de résultats (outcome) vise-t-on l’outcome pour le patient, du point de vue clinique, l’outcome sous forme d’indicateurs jugés pertinents pour une population observée du point de vue de la santé publique, ou encore du point de vue des ‘impacts’ socio-économiques définis par la nouvelle hégémonie des sciences sociales érigée en théorie de la performance publique? L’effet Knock asservit la médecine, qui s’occupe des vrais malades et de ceux qui risquent à coup sûr de le devenir, au mythe de la construction du bien être aseptisé et rationnel qui s’occupe des biens portants. Exemples: les "médicamenteurs", le "trouble dysphorique du lundi matin" et la promotion officielle de la 'patamédecine à l'AP-HP.
Un calcul savant de coûts d'opportunité alors qu'on compte les draps et les seringues dans des unités vides de soignants?

Mise à jour du 29 septembre 2012: retrouvez tous les effets sur:
https://sites.google.com/site/ubulogieclinique/liste-des-effets-patacliniques

Effet Hobbes - MIntzberg

L'asphyxie des établissements de soins sous Ondam fermée transforme le système en "arène politique" au sens de Mintzberg. Chaque acteur, chaque structure est entraînée dans une lutte pour la survie et l'acquisition des ressources de plus en plus rares. Cette guerre de tous contre tous s'accompagne d'une course au lobbying pour mettre à l'agenda politique des priorités de santé publiques puis récupérer les enveloppes fléchées qui en descendent. Voir la dia jointe.

Effet Granger ou effet "mille-feuille »

L'invisibilité du travail réel et de la qualité des soins croit proportionnellement à l'épaisseur de la pyramide managériale dont les effets brejneviens sont bien décrite par bernard Granger. Quelques dias
Prend son meilleur effet joint à l'effet "boite-à-oeufs" de cloisonement des profession par la gestion des ressources humaines et l'effet "tuyau d'orgue" entre les disciplines médicales et paramédicales.
A du être bien et longtemps travaillé par les crânes d'oeuf pour porter ses fruits dans la décomposition des soins observée dans certaines grandes pyramides des soins de santé, car les professionnels ont spontanément tendance à coopérer dans l'intérêt des patients. Fonctionne en synergie avec l'effet Pierru et l'effet Belorgey : lire l'hôpital en sursis (Granger et Pierru)

Effet Grimaldi ou « viol éthique »

Cet effet décrit par André Grimaldi explicite la rationalisation managériale et pouvourvilienne de l'intériorisation des choix tragiques. Celle-ci enjoint aux "producteurs de soins" de financer les malades non rentables par les malades rentables, conduit à la suppression occulte car non captée par le système d'information des prises en charge de malades "non rentables". Le viol éthique est aussi décrit comme double relation d'agence pour le médecin: dans la théorie de l'agence il est à la fois agent du patient (premier principal)  qui lui a fait confiance et agent de l'administration (second principal) devant qui il est imputable des dépenses et de sa contribution à la santé publique dont le directeur tire sa légitimité. Lié à l'effet Watzlawick. Schéma du portefeuille d'activités cliniques - Double relation d'agence

Effet Galbraith ou effet de "filière inversée" dans les verticalités de groupes


La régulation par les incitatifs incite avant tout les technocratie intermédiaires à s'adapter au modèle de production imposé. Sans garde-fous pourtant prévu par les modèles de yardstick competition, l'optimisation de la fonction de production des GHM conduit à des accords collusifs et des restrictions verticales de circulation des patients (filières internes). Notons au passage que cet effet explique l'impasse actuelle de l'organisation et du financement des Soins de Suite et de Réadaptation (le secteur des soins post-aigus français).

« Celle-ci (la capacité de recomposition) a été parfois mise en avant pour justifier le statut spécifique de l'AP-HP. De fait, le mode d'organisation fédératif est porté par son temps. Il rejoint les perspectives portées par la Fédération Hospitalière de France d'une "stratégie de groupe" pour l'hôpital public alors que les regroupements se généralisent, que ce soit au sein de l’hospitalisation privée à but lucratif (la Générale de Santé...) , des hôpitaux mutualistes (les 51 établissements du groupe hospitalier de la Mutualité française), ou des établissements de soins de suite et d'hébergement médicalisé pour personnes âgées (le groupe Korian et ses 36 établissements en Île-de-France, la Fondation Caisse d'épargne pour la Solidarité). Vont s'y ajouter prochainement les Communautés hospitalières de territoire (CHT) promues par le loi HPST (Hôpital, patients, santé et territoires) du 21 juillet 2009 et qui devraient regrouper dans les territoires de santé, en Île-de-France comme ailleurs, les établissements publics de santé.» *"L'AP-HP" par Marc Dupont et Françoise Salaün Ramalho, collection Que sais-je, PUF, page 123 et 124


Effet Pierru ou de prophétie auto-réalisatrice en santé


Si l'on prend le médecin pour un idiot rationnel ou un idiot utile, il finit par se comporter en idiot rationnel qui maximise ses intérêts à la carotte (modèle néo-libéral) ou en idiot utile qu'on mène au bâton et au formatage intellectuel (modèle bureaucratique).


Effet La Boétie- Marcel Aymé - Milgram


Le médecin aime par dessus tout le confort intellectuel, est soumis à l'autorité et sélectionné pour cela, est intolérant à l’ambiguïté et fuit la dissonance cognitive, il adhère donc spontanément au culte des sciences de l'action publique qui le mènent inéluctablement à la servitude volontaire.

La Boétie: discours sur la servitude volontaire
Marcel Aymé: le confort intellectuel
Expérience de Milgram

Effet Belorgey ou « transmutation de la valeur en coût »

Explicite la dissociation entre conception et exécution dans la gestion par les résultats et le blues du clinicien en "technicien supérieur de santé". Cette dissociation managérialiste, clé de la LOLF, sous-tend une dissociation entre prix et valeur du soin: tout problème de moyens centré sur la valeur du soin au sens de sa qualité pour le professionnels est transmuté en problème d'organisation centré sur son coût selon les ingénieurs auto-proclamés du soin. Il faut donc pour le régulateur construire un modèle fictif de résultat porté par l'action publique qui fera le pendant du modèle de paiment pour en masquer le caractère aveugle. Corollaire, tout médecin demandant des moyens sera remplacé par un médecin qui promet des résultats sur des indicateurs myopes. Voir dia sous ce lien

Effet Freidson

Dissociation, décrite par le sociologue américain, de la profession médicale sous l'action du Nouveau Management Public en trois parties: nouvelle configuration négociée pour la médecine scientifique pour l'application d'une EBM totalement dévoyée car vouée à une standardisation industrielle? Celle-ci légitimera les process mis en place par des cadres experts et l'émergence d'un nouvelle élite la médecine gestionnaire liée aux NTIC et cliniciens de base devenus simples exécutants (voir effet Belorgey).

Effet Abbott

Effet utilisé par les réformateurs pour réguler en le manipulant, un marché concurrenciel des "professions de santé". La concurrence porte sur les juridictions professionnelles mais aussi sur le terrain par le contrôle des enveloppes fléchées selon l'effet Hobbes -Mintzberg. Il s'agit d'une concurrence des médecins entre eux d'une part, entre eux, les paramédicaux mais aussi les 'patamédecines non remboursées d'autres part. Le régulateur jour sur "l'inférence" qui correspond à la part implicite la plus procédurale (habiletés et connaissances tacites) des métiers et y applique sa propre rationalisation managériale.

Abbott appuie son analyse des marchés et juridictions professionnelles sur le constat aristotélicien que la nature a horreur du vide, dans l'univers des professions comme ailleurs.
permet de déployer le modèle bisounours du lean appliqué en santé et la ré-ingénierie des professions: flexibilité, mutualisation et déqualification / déprofessionalisation.
La prochaine étape est la fusion de la GRH des médecins et paramédicaux. Rêve de fer.

Effet Shleifer - Pouvourville ou de la concurrence régulée sans garde-fous


Les incitatifs et la concurrence encadrée favorisent l'Intégration verticale d'entreprise sous la forme de "verticalités de groupes" par "ententes collusives", trusts, quasi-trusts et restrictions verticales induites par la T2A. Le régulateur sincère devait se méfier de ces filières orientées production comme de la peste au lieu de les encourager. 
Les restructuration souhaitée par les régulateurs des pseudo-marchés n'a en effet rien à voir avec les modèles d'entreprises intégrées promues par les fédérations de managers de santé pour survivre à la T2A.
La filière "SAU centrée" est aujourd'hui ce qui domine la logique des grands regroupements hospitaliers. Celle-ci est directement issue des préconisations technocratiques de créer des verticalités de groupes dans les hôpitaux publics en cherchant à singer Korian ou la Générale de Santé. Cette filière qui privilégie la fonction de production des GHM et le bed management à courte vue contrarie la logique d'intégration régionale des agences par multiplication des effets pervers non régulés, car ils auraient peut-être pu l'être, de la concurrence régulée (aléa moral et sélection adverse induits par le modèle des contrats incomplets):
  • Sélection de patients, évitement des malades plus lourds (consommation de ressources réelle) n'est pas le plus facile dans le secteur hospitalier public, mais le refus de s'engager vis à vis de l'agence sur certains types de patients (exemple refus de développer des SSR "système nerveux" sans modèle de financement viable) est possible, même si c'est contre performant, d'abord pour la seule "fluidité" sans parler de la "pertinence" des orientations en aval de l'aigu.
  • En revanche segmentation des séjours, baisse de qualité des prestations, transfert de soins et de charge à l'aval, filières centrée sur les besoins de production de l'amont (GHM), trust et restrictions verticales des filières (exemple: l'interdiction au SSR spécialisés d'un GH de prendre les AVC du territoire mais non originaire du GH, au grand dam de l'ARS...)
Effet Korzybski ou quand la carte est prise pour le territoire

Nous décrivons ici les composantes de l'effet mirage pour leur contribution à la construction de la réalité.
La carte se construit à la fois au niveau micro-systémique (clinique) , méso (technocratique)  et macro (politique).
creaming = sur-fourniture de soins pour les patients à bas risques,
dumping = exclusion des patients à hauts risques,
skimping = diminution de l'intensité des soins, sous fourniture de soins
upcoding = codages opportunistes,
collusion = accords contractuels ou absorption / fusion, intégration verticale en vue de monopoles
vertical restraints = intégration verticale amont-aval qui porte pleinement ses fruits en segmentant les
séjours entre aigu et post-aigu (filières de type industriel induites par la régulation et souvent
antagonistes des réseaux réels, une clé pour l'analyse du secteur post-aigu ou SSR tel que "segmenté"
en France).
lobbying = pressions sur les modes d'organisation , de financement et les réglementations, sur la catégorisation des besoins par l'action publique et sur la définition des priorités de santé publique (fléchages mis à l'agenda politique)


“Tout homme bien portant est un malade qui s’ignore.” Jules Romain


Médecine et politique

L'équilibre entre médecine et politique a toujours été précaire. Ces deux arts ont en commun, selon Aristote, qu'ils sont à la recherche de raison (teknè) et que la bonne pratique y est à elle-même sa propre fin (praxis). Face à l'incertitude radicale à laquelle ont confrontées les décisions des "gens de métier", il développe le concept de prudence (phronesis). Les nouveaux sophistes, oubliant toute prudence, ont presque réussi à prendre le contrôle politique de la médecine grâce aux sciences sociales. L'économie de la santé, les nouvelles sciences de gestion et de l'action publique, sont parvenues à faire de la performance publique une théorie du changement social, en vue de la construction de l'homme nouveau et du Bien-être. Cela a été possible par l'extension sans limites de la rationalisation des activités sociales, fondée sur le mythe généralisé de la calculabilité et de la prévisibilité. En d'autres termes la "cage d'acier" de Max Weber se referme aujourd'hui sur la médecine.
Ces sciences inexactes, largement dominées il est vrai par l'économie orthodoxe, ont favorisé l'hégémonie d'une bureaucratie scientiste fondé sur la combinaison chimérique de deux mythes: celui de la gestion par objectifs avec la LOLF, et celui des leurres marchands avec les vertus supposées de la tarification à l'activité.
Avec la mutation de l’État social en État stratège et régulateur, le risque que nous devons affronter est celui d'un effondrement rationalisé, au nom des "coûts d'opportunité", de cette part de la médecine liée à une protection sociale solidaire. Nos patients en pâtissent déjà beaucoup trop. Plus généralement c'est celui du sacrifice sur l'autel de l'utilitarisme d'une médecine humaniste qui fait de l'homme une fin avant d'en faire un moyen, une "ressource humaine", objet d'un "retour sur investissement". Quelle est la fonction de cette nouvelle coalition anti-médicale? Déployer un rideau de fumée et d'imposture scientifique pour favoriser la faisabilité politique de l'ajustement. Machiavel permet au Prince de promettre plus qu'il ne peut tenir. Les ficelles sont grosses; Machiavel n'est plus ce qu'il était. Il mobilise contre nous jusqu'aux charlatans et la 'patamédecine, vieille recette millénaire de l'anti-médecine pratiquée par les sophistes.
Nous avons grand besoin des sciences sociales tout comme de l'histoire et de la philosophie, parce qu'elles nous apportent la "critique sociale". Que ferions nous sans Weber, Bourdieu, Freidson, Castel, Pierru, Belorgey pour interroger nos évidences? Nous savons qu'en matière de santé il y a loin de la carte au territoire. Il faut savoir créer des menaces pour attirer les fonds. La sociologie de l'action publique nous enseigne comment se construisent les problèmes de santé publique, comment ils en viennent à la mise à l'agenda politique sous l'influence de déterminants économiques et sociaux, dans le jeu complexe de coalitions qui tentent de parvenir à l'hégémonie. Il faut dans l'idéal réunir 3 conditions:  un "air du temps", un état favorable du système normatif / prescriptif, une coalition d'acteurs suffisamment unis et enfin une population cible susceptible de se reconnaître et d'appuyer ces acteurs. Celui qui peut dessiner la "carte" se rend maître de l'allocation des ressources. Mais prenons garde aux deux visages des sciences sociales. La science positive de l'action publique détermine aujourd'hui les "coûts d'opportunité" et dit du haut de son expertise ce qui doit être alloué à la santé ou à d'autres secteurs. Halte au constructivisme scientiste des sciences humaines, trop humaines, lorsqu'elles ne savent que développer l'art d'ignorer les malades mal défendus au nom d'un prétendu management rationnel (managed care) au service du rationnement et des fausses promesses!

Webographie



1. Loi de Goodhart


2. Pour en finir avec le P4P

When financial incentives do more good than harm: a checklist BMJ 2012; 345 doi: 10.1136/bmj.e5047 (Published 14 August 2012) Cite this as: BMJ 2012;345:e5047
http://www.bmj.com/content/345/bmj.e5047

3. Médecine et performance publique

4. Les mensonges de l’économie de la santé

5. Guide de décomposition organisationnelle



6. Sociologie de l'action publique