dimanche 25 août 2013

Pour un système de soins accessible, solidaire et... efficient. Signons la pétition pour sauver la "sécu"


Voici un appel en faveur de la sécurité sociale et contre le passage insidieux et progressif à une prise en charge par les assurances dites « complémentaires » des dépenses de santé assurées encore pour l’instant, en majorité, par la solidarité nationale. Les comparaisons internationales montrent qu'un système à payeur unique est moins coûteux en termes de dépenses administratives, plus juste et plus accessible (1). Masquer le rationnement des soins en rationalisation par des "experts" au service des coalitions dominantes conduit, dans l'ignorance des parties prenantes, à l'actuelle "démocrature sanitaire", car il implique, au delà des incantations officielles, toujours plus de déni de citoyenneté et de dépossession démocratique. Par ces méthodes de gouvernance, qui sont autant de "mythes rationnels" au service d'élus qui promettent toujours plus qu'ils ne peuvent tenir, les apprentis sorciers de l'action publique ne savent que rendre le système toujours plus inefficient, toujours plus injuste et toujours moins respectueux des libertés réelles, à rebours des objectifs affichés.

Les signataires de cet appel, publié par le Parisien, rassemblent des hommes politiques de tous les horizons et de nombreuses personnalités. Diffusez-le largement.

Il est possible de le signer à l'adresse suivante: 
Pour signer l'appel

(1) OCDE 2010, “Améliorer le rapport coût-efficacité des systèmes de santé”, OCDE Département des Affaires Économiques, Note de politique économique, no 2.
"Les coûts administratifs sont généralement plus élevés dans les pays où l’assurance privée prédomine."
"..., les pays où les inégalités sont les plus faibles en matière de santé tendent aussi à afficher un meilleur état de santé moyen, comme c’est le cas en Islande, en Italie et en Suède. "
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POUR UN DEBAT PUBLIC SUR LA SANTE

Les Français dépensent 12 % de la richesse nationale (PIB) pour se soigner, comme les Hollandais, les Suisses, les Canadiens ou les Allemands. La Sécurité sociale a eu pour ambition pendant un demi-siècle de permettre aux malades d’être soignés sans qu’il ne leur en coûte (trop) tout en cotisant en fonction de leurs ressources. Depuis une décennie, au lieu de renforcer la lutte contre les dépenses injustifiées et de donner un nouvel élan au service public de l’assurance maladie, le choix a été fait de transférer progressivement la prise en charge des soins courants (c'est-à-dire hors hospitalisation et hors affections de longue durée ALD) vers les assurances dites « complémentaires » (mutuelles, institutions de prévoyance et assureurs privés à but lucratif). Aujourd’hui, la Sécurité sociale ne rembourse plus qu’environ 50 % des soins courants et bien moins encore pour les soins d’optique, dentaires et d’audioprothèses. Si l’on poursuit dans cette voie, la protection sociale ne prendra bientôt plus en charge que les patients les plus démunis et les malades les plus gravement atteints.

Nous sommes en train de passer, sans débat démocratique, d’une logique de prise en charge solidaire pour tous à une logique d’assistance pour les plus pauvres et d’assurance pour les plus riches.

Or les assurances complémentaires sont :

- moins égalitaires, leurs tarifs varient selon la « gamme » des prestations remboursées et sont plus élevés pour les familles et les personnes âgées,

- moins solidaires, le plus souvent leurs primes n’augmentent pas en fonction des revenus des assurés

- plus chères, leurs frais de gestion dépassent souvent 15 % des prestations versées, contre moins de 5 % pour la Sécurité sociale.

De plus, les contrats collectifs d’entreprise, réservés à certains salariés, bénéficient d’exonérations d’impôts et de cotisations sociales, qui coûtent aujourd’hui plusieurs milliards d’euros à l’Etat et à la Sécurité Sociale, et demain plus encore à la faveur de l’accord national interprofessionnel (ANI) de 2013, quoi que l’on puisse penser de cet accord par ailleurs.

Les usagers et les professionnels de santé se mobilisent pour arrêter cette dérive qui sonne le glas de notre Sécurité sociale universelle et solidaire, et contribue à creuser les inégalités sociales de santé. Nous demandons que s’ouvre un large débat citoyen, suivi d’un vote solennel de la Représentation nationale, sur le choix entre le financement des dépenses de santé par la Sécurité sociale ou par un assureur privé dit « complémentaire ».

Appel lancé à l’initiative de François Bourdillon, Mady Denantes, Anne Gervais , Bernard Granger, André Grimaldi, Anne Marie Magnier, Martial Olivier-Koehret, Frédéric Pierru, Didier Tabuteau.
Signé par :

Dr Marie Laure ALBY, médecin généraliste, Paris

M. Paul ALLIES, professeur de droit, Montpellier

Mme Christine ANDRE, économiste, ancienne directrice de recherche au CNRM

M. Michel ANTONY ancien président de la coordination de défense des hôpitaux et maternité de proximité ( CDHMP)

Mme Aline ARCHIMBAUD, sénatrice

Pr Patrick AUBOURG, CHU Kremlin-Bicêtre

Pr Isabelle AUQUIT-AUCKBUR CHU, Rouen

Pr André BARUCHEL, CHU Robert Debré, Paris

M. Philippe BATIFOULIER, économiste, maître de conférences, Paris Ouest

M. Olivier BEAUD, professeur de droit, Paris

Pr Jacques BELGHITI,CHU Beaujon, Clichy

Pr Patrick BERCHE, doyen de la Faculté de médecine de Paris 5

Pr Jean François BERGMANN, CHU Lariboisière, Paris

Dr Olivier BERNARD, ancien président de Médecins du Monde

M. Michel BORGETTO, professeur de droit, Paris

Pr Pierre BOUGNERES CHU Kremlin-Bicêtre

Dr François BOURDILLON, CHU Pitié Salpêtrière, Paris

M. Jacques BOUVERESSE, philosophe, professeur honoraire au Collège de France

Pr Marie Germaine BOUSSER, CHU Lariboisière, Paris

M. Yves BUR, ancien député

M. Francis BUTON, politiste, chargé de recherches au CNRS, Montpellier

Dr Rony BRAUMAN ancien président de Médecins sans Frontière (MSF)

Dr Julien CABATON président de l’inter syndicat national des chefs de clinique assistants

M. Alain CAILLE, sociologue, professeur, Paris

Mme Marie-Line CAL, économiste, maître de conférences, université de Bordeaux

Pr Loïc CAPRON, président de la CME de l’APHP

Pr Yves CATONNE, CHU Pitié Salpêtrière

Mme Nathalie CHABANNE députée

M. Jean CHARBONNEL ancien ministre du Général de Gaulle

M. André CHASSAIGNE député

Pr. Franck CHAUVIN, CHU Saint Etienne

M. Pierre CHAUVIN, épidémiologiste, directeur de recherches à l’INSERM

Pr Olivier CHOSIDOW, CHU Mondor, Créteil

M. Pierre CONCIALDI, économiste

M. Gérard CORNILLEAU,OFCE, Directeur adjoint au département des études

M. Daniel COSTANTINI, ancien entraîneur de l’équipe de France masculine de handball

Mme Annick COUPE ,porte parole nationale de l’Union syndicale Solidaires

M. Edouard COUTY, Président FHF Rhône-Alpes

Pr Bertrand DAUTZENBERG, Président de l’office français de prévention du tabagisme

Pr Bernard DEBRE, député

Mme Florence DELAY, écrivaine, membre de l’Académie française

Pr Pierre DELION, CHRU Lille

Dr Mady DENANTES, médecin généraliste, Paris

M. Jean-Paul DOMIN, économiste, maître de conférences, université de Reims

Mme Brigitte DORMONT, économiste, professeur, université Paris Dauphine

Dr Dominique DUPAGNE, médecin généraliste, Paris

M. Nicolas DUPONT-AIGNAN, député

Dr Laurent EL GHOZI, Président de l’association « Elus, Santé Publique et Territoires »

Dr Hector FALCOFF, médecin généraliste, Paris

Pr Didier FASSIN, anthropologue, Institute for advanced study Princeton

Pr Alain FISCHER, CHU Necker, Paris, professeur au Collège de France

M. Alain FLAJOLET, ancien député

Mme Sophie FOUCHER, Présidente de l’Union nationale et syndicale des sages-femmes

Dr Irène FRACHON, CHU Brest

Mme Jacqueline FRAYSSE, députée

Mme Maryse GADREAU, économiste, professeur émérite, université de Bourgogne

Dr Jean Luc GALLAIS, médecin généraliste, Paris

Pr Noël GARABEDIAN, CHU Necker, Paris

M. Marcel GAUCHET, philosophe

M. Hervé GAYMARD ,ancien ministre

Mme Susan GEORGE, écrivaine

Dr Claire GEORGES-TARRAGANO, CHU Saint Louis, Paris

Dr Anne GERVAIS, Vice-présidente de la CME de l’APHP

Mme Claudine GILLANT ,infirmière, Présidente de l’URPS infirmières Lorraine

Dr Jean GODARD médecin généraliste, Haute Normandie

M. Gaétan GORCE, sénateur

Pr Bernard GRANGER, CHU Cochin, Paris

Pr André GRIMALDI, CHU Pitié Salpêtrière, Paris

Mme Bernadette GROISON secrétaire de la FSU

M. Jérôme GUEDJ, député

M. Rodolphe HALAMA, Délégué général du Lien

Dr Virginie HALLEY DES FONTAINES, MCUPH, Paris 6

M. Hervé HAMON, écrivain

M. Jean-Marie HARRIBEY économiste Université de Bordeaux

M. Patrick HASSENTEUFEL, politiste, professeur université de Saint Quentin en Yvelines

Mme Françoise HERITIER, anthropologue, Professeur honoraire au Collège de France

Mme Béatrice HIBOU, politiste, directrice de recherche au CNRS, Paris

Mme Gisèle HOARAU, Cadre supérieur de Santé, Pitié Salpêtrière

Dr Gladys IBANEZ, médecin généraliste, Paris

M. Gérard JORLAND, philosophe, directeur d’études à l’EHESS

M. Eric JOUGLA, épidémiologiste, INSERM, Kremlin-Bicêtre

M. Jacques JULLIARD, historien, essayiste

Mme Florence JUSOT, économiste, professeur, université de Rouen

M. Jean-Pierre KAHANE, mathématicien, membre de l’Académie des Sciences

Pr Marcel Francis KAHN, CHU Bichat Paris

Dr Tania KHARITONOFF, CH Dax

M. Chaynesse KHIROUNI, député

M Jean LABIB, producteur de cinéma

M. Robert LAFORE, professeur de droit, IEP Bordeaux

Pr Thierry LANG, épidémiologiste, CHU Toulouse

Mme Hélène LANGEVIN-JOLIOT, physicienne, Directrice de recherche honoraire au CNRS

Pr Véronique LEBLOND, CHU Pitié Salpêtrière, Paris

M. Jean-François LEGUIL-BAYART, politiste, directeur de recherche au CNRS, Paris

Dr Evelyne LENOBLE, CH Sainte Anne, Paris

M. Daniel LE SCORNET ancien président d’une fédération mutualiste

M. Emmanuel LOEB ,Président de l’ISNI (Inter syndicat national des internes)

Dr Anne Marie MAGNIER, professeur de médecine générale, Paris 6

M. Noël MAMERE, député

Pr Jean Paul MARIE, CHU Rouen

Pr Christophe MARGUET, CHU Rouen

Dr François MARTIN, CH Dreux

Pr Alain Charles MASQUELET, CHU Saint-Antoine, Paris

Dr Didier MENARD, médecin généraliste, président du Syndicat de la médecine générale

Dr Marie Christine MEYNARD ,médecin généraliste ,Paris

Pr Jean-Philippe METZGER, CHU Pitié Salpêtrière, Paris

M. Alain MILON, sénateur

Pr Jean-Louis MISSET, CHU Saint-Louis, Paris

Dr François MORVAN CH Pontoise

Pr Marie Rose MORO, CHU Cochin, Paris

Pr Guy MOULIN, Président de la conférence des présidents des CME de CHU

Mme Françoise NAY présidente de la CDHMP

Dr Martial OLIVIER-KOEHRET, médecin généraliste

M. Pierre PASCAL ancien directeur des ministères de la Santé et du Travail

Dr Anne PERRAUT-SOLIVERES, Directrice de la revue Pratiques

M. Dominique PESTRE, historien des sciences, directeur d’études à l’EHESS

Dr Georges PICHEROT, CHU Nantes

Dr Jean François PINEL CHU Rennes

M. Patrice PINELL, sociologue, directeur de recherches à l’INSERM, Paris

M. Frédéric PIERRU, sociologue, chargé de recherches au CNRS, Lille

M. Robert POUJADE, ancien ministre

Mme Claude RAMBAUD, Présidente du Collectif inter-associatif sur la Santé (CISS)

M. Gérard RAYMOND, Secrétaire Général Association Française des Diabétiques

M. Michel ROCARD, ancien Premier Ministre

Mme Barbara ROMAGNAN, députée

Dr Antoine ROUX Hôpital Foch Suresnes

M. Thomas SANNIE, Président de l’association française des hémophiles

Pr Didier SICARD, ancien Président du Comité National d’Ethique

Mme Evelyne SIRE-MARIN, ancienne Présidente du Syndicat de la Magistrature, vice présidente du TGI de Paris

M. Jean Louis SPAN président de la Fédération des petites et moyennes mutuelles(FDPMM)

Dr Nicole SMOLSKI, CHU Lyon

M. Bruno SPIRE, Président de AIDES

M. Henri STERDYNIAK, Coprésident des économistes atterrés

M. Didier TABUTEAU, responsable de la chaire Santé de Sciences Po Paris

M. Bruno THERET, économiste, directeur de recherche émérite au CNRS

Dr Serge TISSERON, psychiatre, Paris

Pr José Alain SAHEL, Hôpital des XV-XX, Paris

Pr Laurent SEDEL, CHU Lariboisière, Paris

Pr Jean Paul VERNANT, CHU Pitié Salpêtrière, Paris

M. Olivier VERAN, député

Pr Bernard VIALETTES, CHU La Timone, Marseille

M. Laurent VISIER, professeur de sociologie, Université Montpellier1

M. Pierre VOLOVITCH, économiste, Observatoire de l’environnement mutualiste

M. Henri WEBER, député européen

M. Patrick WEIL, historien et politologue

Mme Peggy WIHLIDAL, déléguée générale, Soins Coordonnés

Webographie: intégration ou dés-intégration verticale des soins?










Faut-il avoir peur de l'intégration des soins?

OCDE 2010, “Améliorer le rapport coût-efficacité des systèmes de santé”, OCDE Département des Affaires Économiques, Note de politique économique, no 2.
"Les coûts administratifs sont généralement plus élevés dans les pays où l’assurance privée prédomine.")
"..., les pays où les inégalités sont les plus faibles en matière de santé tendent aussi à afficher un meilleur état de santé moyen, comme c’est le cas en Islande, en Italie et en Suède. "

jeudi 15 août 2013

Rémunération des médecins et intégration des soins


Hello, happy accountables!

"La médecine, c'est ingrat. Quand on se fait honorer par les riches, on a l'air d'un larbin ; par les pauvres, on a tout du voleur." Louis-Ferdinand Céline

"La théorie, c'est quand on sait tout et que rien ne fonctionne. La pratique, c'est quand tout fonctionne et que personne ne sait pourquoi. Ici, nous avons réuni théorie et pratique : Rien ne fonctionne... et personne ne sait pourquoi !" Albert Einstein

"Ça n´est pas ce qu´on fait qui compte,
C´est l´histoire, c'est l'histoire 
La façon dont on l´raconte
Pour se faire valoir." Yves Duteil

Rémunération des médecins et organisation des soins

J'ai déjà dit à plusieurs reprises que les usagers devraient se méfier de la stratégie du bouc émissaire utilisée par un Etat providence quand il se transforme sans l'avouer en Etat prédateur. Nous avons cité ces boucs émissaires: le médecin en "idiot rationnel", calculateur égoïste de l'économie classique et passager clandestin des établissements de santé, le directeur d'hôpital incapable de gérer un argent qui n'est pas le sien (corporate governance), l'usager en crétin gaspilleur d'argent public et surmédicalisé, qu'il faut inciter à moins consommer par des restes à charge croissants, enfin l'élu local, obsédé de conserver son hôpital local au détriment des calculs savants de coûts d'opportunité fait par les experts du haut. Les usagers seraient bien avisés avant une hospitalisation, même si l'intégration croissante des "filières" avant tout guidées par la libération accélérée des lits ne leur laisse guère de choix, de se détourner des "palmarès d'hôpitaux" pour se renseigner davantage sur des indicateurs simples: les véritables compétences disponibles, l'expérience des équipes et les temps de soins disponibles au regard des effectifs alloués par le management, la principale variable d'ajustement laissée aux directeurs par notre ubuesque adaptation française de la "compétition régulée".

La question obsédante du lien entre l'organisation des soins, leur qualité, leur accessibilité, leur efficience et la rémunération des médecins est relancée par cet article du monde:

L'intérim à l'hôpital, un tabou qui coûte cher - LE MONDE - 12.08.2013
(Voir aussi:  Médecin mercenaire ? "Il n'y a rien de honteux à cela")

Dans ce que j'ai pu lire sur la rémunération et les motivations des médecins, dans la littérature française et internationale, parmi les écrits qui me semblent les plus sensés émergent ceux de Glouberman dont voici un extrait, en bleu au dessous de la première référence. Ce qui est dit des médecins peut bien entendu s'appliquer aux autres professionnels cliniciens, et je n'ai pas dit "de santé", tant il est urgent de distinguer les soins de santé réels de la "grande santé" conceptualisée par l'action publique et ses calculs de "coûts d'opportunité".

Dans les écrits américains sur les recompositions hospitalières, considérant l'intégration verticale et horizontale de l'offre de soins, le paiement des médecins par un "salaire" est considéré comme une méthode d'intégration économique et industrielle parmi d'autres. Considérée comme telle, débarrassée du langage "bisounours" et idéologique de la rhétorique managériale qui nous accable au quotidien, elle n'a pas fait ses preuves, que ce soit en termes d'accessibilité, d'efficience ou de qualité des soins. "Nothing worked" en quelque sorte. Pourtant certains "réseaux intégrés" fonctionnent bien ça et là, mais comme il est très difficile de comprendre pourquoi et comment ils ont émergé "d'en bas", ils ne peuvent être décrétés ni reproduits "d'en haut" (Kaiser Permanente, Geisinger, Réseau de la Mayo Clinic etc.)

Si le modèle de statut des médecins des Hôpitaux était remis en cause en France, et je ne suis pas certain, bien qu'il soit obsolète, que ce soit si urgent tant on risque une dé-professionnalisation galopante et la destruction des compétences clés aujourd'hui si évidente dans l'usage immodéré des mercenaires médicaux et paramédicaux, il me semble, au risque d'en choquer certains, que s'il fallait abandonner le système de rémunération actuel, je préférerais être payé selon des marqueurs d'activités clés, certes très imparfaits, que sont "l'acte" ou le "cas traité". De bons "marqueurs" des procédés de travail, certes de durée variable, mais qui font sens pour l'activité clinique ne valent-ils pas mieux que ces indicateurs d'activités qu'on a reconstruites artificiellement comme "objets de coûts", avec l'aide de marchands de données trop souvent démunies de cohérence médicale et de cabinets de conseil, grassement payés pour prétendre extraire des une cartographie des "processus" de nos boites noires hospitalières? Ne sont-ils pas davantage porteurs de sens qu'une fausse performance (P4P) définie par des indicateurs myopes au service d'une politique de rationnement des soins?
Bien sûr, loin de la compétition encadrée de tous contre tous, qui nous incite aujourd'hui à ne pas coopérer pour survivre, cela ne se conçoit que dans un hôpital enfin ouvert sur son territoire, un hôpital qui serait dirigé, et non plus seulement "géré", par ses parties prenantes légitimes. Cet hôpital partenaire de son territoire et des soins de premier recours, acteur d'un réseau de confiance décentralisé, serait enfin capable de mettre en place des moyens d'intégration complémentaire aux effets de silos inhérents à la différenciation des activités.

Le rideau de fumée, l'appareil idéologique chargé de dissimuler ce rationnement inégal, qui renonce aux principes d'universalité et de solidarité, c'est la "bureaucratie concurrentielle" et infantilisante mise en place par le New Public management ("pensée managériale de marché" selon André Grimaldi, "déconcentralisation" selon Frédéric Pierru, la bureaucratie divisionnelle selon Henry Mintzberg, fondée sur la standardisation des "résultats")
Les débats actuels interrogent nos évidences face au paradoxe du médecin hospitalier, "employé de l'hôpital", technicien de santé que certains voudraient entièrement soumis à une business strategy elle même sous la coupe d'une corporate strategy, versus "profession libérale à l'hôpital" qui utilise des moyens mis à sa disposition sous contrat, respectant des normes de comportement définies à l'extérieur (déontologie, état de l'art), recherchant avant tout l'intérêt individuel du patient qui lui fait confiance, tout en acceptant la reddition de comptes que suppose une responsabilité populationnelle. Mais attention, il s'agit bien là d'une "double relation d'agence". Deux conceptions des liens entre médecine et politiques publiques s'affrontent, entre humanisme et utilitarisme.

Incompatibilité entre humanisme médical et utilitarisme des politiques publiques

« Les agents de l'Etat ont pour but principal de satisfaire leur utilité, c'est à dire de servir leurs intérêts personnels dans le cadre de certaines limites institutionnelles et ensuite seulement se préoccupe de la politique que l'opinion attend d'eux. » Gordon Tullock. Le marché politique: analyse économique des processus politiques.

« Ils sont toujours sans hésitation en faveur du développement des institutions dont ils sont les experts. » Hayek à propos des experts.

« On dit qu’une action est conforme au principe d’utilité, quand la tendance qu’elle a d’augmenter le bonheur de la communauté l’emporte sur celle qu’elle a de le diminuer. » Jeremy Bentham

« Agis de telle sorte que tu traites l’humanité aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre, toujours comme une fin, et jamais simplement comme un moyen » Kant.
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Webographie

1. Sholom Glouberman. Les risques associés à la déstabilisation des systèmes complexes. (Commentaire d'un article d'André Pierre Contandriopoulos)

"La façon dont les médecins sont rémunérés pourrait ne pas être aussi importante que le montant et la stabilité du revenu." 

"Le changement du mode de rémunération des médecins s'appuie sur l'hypothèse que ceux-ci cherchent toujours à maximiser leur revenu c'est à dire qu'ils se comportent toujours comme des agents économiques rationnels. Les économistes empiriques ont commencé à mettre en doute la notion que de tels stimulants économiques classiques fonctionnent universellement. Il demeure certain que dans le cas des médecins, des preuves substantielles montrent qu'ils n'opèrent pas. Une étude de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE, 1990) laissait croire que, dans la plupart des pays de l'OCDE, le revenu des médecins se trouvait dans une plage étroite allant de trois à cinq fois le revenu national moyen. Cela correspond à la conclusion répandue que les médecins travaillent jusqu'à atteindre un revenu cible et qu'il s'attendent à avoir le train de vie de la classe moyenne supérieure. Lorsque le changement de leur mode de rémunération menace la sécurité de leur mode de vie, ils réagissent férocement ou trouvent d'autres modes de rémunération. Toutefois lorsque leur mode de vie reste stable et assuré, d'autres valeurs prédominent. Contandriopoulos reconnait lui-même les valeurs profondes auxquelles répondent les médecins comme le puissant désir d'agir au mieux pour leurs patients, de maintenir leurs connaissances et leurs habiletés à un haut niveau de compétence, d'utiliser l'équipement et les procédures les plus à jour, etc. Ces valeurs l'emportent souvent sur le revenu une fois les niveaux visés atteints."

2. Integrated Delivery Networks: A Detour On The Road To Integrated Health Care? en pdf
L'économie doit être critiquée à partir de l'économie et je vous conseille vivement cet article. Les fusions d'hôpitaux et réseaux moins "hiérarchiquement" intégrés ne sont qu'une variante des mécanismes industriels d'intégration verticale et horizontale, qui relèvent plus de croyances et d'anticipations illusoires des stratèges et managers que de données factuelles. Allergiques au management ou à l'économie s'abstenir, mais je vous le conseille. Suite sur la page Qui a peur de l'intégration des soins?

3. The core competence of the corporation Hamel et Prahalad (pour identifier les véritables produits de l'hôpital)

4. Voir la Page aporétique sur la rémunération des médecins

5. Will disruptive innovation cure healthcare?
(stratégie du choc?)


6. L'art d'ignorer les pauvres. John Kenneth Galbraith (en contexte de rationnement...) Voir aussi: IMPACT DES INEGALITES SUR LA CROISSANCE : LE ROLE DES RATIONNEMENTS FINANCIERS

« Le pouvoir étatique n'est jamais aussi habile à resserrer son étreinte sur la société civile que lorsque qu'il feint de l'émanciper des autorités qui font de l'ombre à la sienne.» Bertrand de Jouvenel - « Du pouvoir »