dimanche 7 juillet 2013

La rationalisation du rationnement ou le Nouveau Management Public réinventé par la Sécu


« Pour chaque problème, il existe une solution simple, évidente, et fausse », Henry Louis Mencken.


Dominique Dupagne, auteur de "la revanche du rameur", et animateur du site atoute.org, a tout dit et bien dit sur les effets pervers des mauvais indicateurs dans son dernier message sur la loi de Goodhart et son adaptation par Campbell, mais je me permets, ayant découvert une parfaite illustration de la loi de Mencken qu'il cite au début de son article, d'en rajouter un peu.
(on lira aussi avec profit le numéro du Tagète de Marcel JB Tardif consacré à la loi de Goodhart)

L'article de Marianne cité ci-dessous est une parfaite illustration de la loi de Mencken citée par Dupagne :

La Sécu peut rester la meilleure des assurances-maladie si... (Elie Arié)

1. Le problème : comment rationaliser le rationnement ?


« La concurrence entre financeurs  (à ne pas confondre avec la concurrence entre producteurs de soins) est  non seulement fortement inégalitaire, mais aussi plus onéreuse qu’un  financement public : c’est donc le plus mauvais de tous les systèmes. »
« En effet, selon les événements du jour, tout est prioritaire à tour de rôle, ce qui fait qu’en fin de comptes, plus rien ne l’est.»
« Sachant le coût proprement vertigineux des techniques et des traitements qui se profilent dans l’avenir immédiat, sachant le vieillissement heureux de la population et l’accroissement des exigences de qualité, il est malhonnête de laisser entendre qu’on pourra assurer tous les soins pour tout le monde à tout moment. »
« Car si le vrai  débat tourne autour de la régulation de l’offre par des mécanismes qui ne sont pas des mécanismes de marché mais par des mécanismes de rationnement, il ne peut pas être énoncé car ce dernier terme est politiquement tabou. »

2. Et la fausse solution : la technocratie pseudo-marchande du New Public Management

« L’avantage des mécanismes de marché c’est qu’ils contraignent les décideurs au mouvement, sous peine de mort institutionnelle. Puisque le marché, pour des raisons qui tiennent à la justice sociale, ne peut être le mécanisme dominant de régulation, il importe d’imaginer des systèmes de « sous-marché », ou de mise en concurrence efficace (sans sortir d’un financement public) par la transparence des performances et de l’efficacité de l’utilisation des moyens alloués, et sa large diffusion auprès des assurés : parce que des mécanismes de rationnement ne peuvent être acceptés que s’ils sont expliqués.»

3. Mon commentaire

Le rationnement n’est pas une idée nouvelle, le Nouveau Management Public, que l’auteur porte aux nues sans toutefois le citer, non plus. En santé il n’a fait la preuve que de sa capacité à démotiver les acteurs par des faux marchés et une réingénierie néo-taylorienne dénués de sens. Partout, c’est le déploiement de hiérarchies pléthoriques et opaques chargées séparer la prétendue conception par des experts et l’exécution des soins, l’explosion d’un reporting exponentiel d’indicateurs destinés au contrôle et à la régulation. Conçus sans les partie prenantes dans le cadre d’une budgétisation par objectif et de la gestion axée sur les résultats (LOLF), ils ne disent rien de la qualité des résultats selon les professionnels et les usagers : « l’outcome », non « l’output » simple résultat de sortie de système, ni « l’impact » inféré sur la « santé-Bien être » d’une population par les sciences trop peu exactes de l’action publique. Ce beau modèle de gestion des « idiots rationnels » par les incitations crée une guerre de tous contre tous pour l’acquisition des ressources rationnées. Il transforme les organisations de santé en « arène politique » au sens de Mintzberg, contre-performante et à rebours des objectifs affichés, le juste soin au juste coût. Nous invitons M. Elie Arié à passer 24 heures avec les équipes cliniques, au contact du public qu’elles servent.

Le « choix de société » ne se limite pas au choix des experts. Selon Hayek, « Ils sont toujours sans hésitation en faveur du développement des institutions dont ils sont les experts. » Les erreurs radicales de cette « pensée managériale de marché », selon l’expression d’André Grimaldi, ne conduisent qu’à alimenter la spirale de la défiance, à accélérer la baisse tendancielle du taux de motivation et l’exit des soignants et à détruire les noyaux de compétences individuelles et collectives, le cœur des micro-systèmes cliniques qui formaient le véritable « avantage compétitif » de l’organisation de nos soins de santé.

Webographie

Elie Arié : Cardiologue, enseignant à la chaire d’Economie et de gestion des Services de santé au Conservatoire national des Arts et métiers, Elie Arié est également l’auteur de nombreuses fictions et d’ouvrages sur la santé.

2. Dominique Dupagne. Pourquoi l’évaluation/rémunération sur indicateurs ne marche pas. De la Critique de Lucas à la Loi de Goodhart

3. Numéro du Tagète de Marcel JB Tardif consacré à la loi de Goodhart

4. Lexique 'Pataclinique des effets pervers de la performance publique en santé

5. Marchandiser les soins nuit gravement à la santé Journal du MAUSS
6. Frédéric Pierru: Napoléon au pays du Nouveau Management Public

7. Gérard de Pouvourville: régulation et coordination du système de santé (septembre 2000)
"Le rationnement intelligent suppose de rechercher avec les professionnels des moyens d’information qui permettent de savoir si l’on a, ou non, exclu de façon injustifiée des personnes du système de soins, et de pouvoir alors modifier les règles. "

8. Citations d'Henry Mintzberg sur la politique dans les organisations