dimanche 16 novembre 2014

Le managérialisme en "santé au public", ou comment faire réaliser de mauvais soins par des gens bien

Loi de santé : appel à la résistance


Hello, happy accountables!

« Nous devons être jugés sur des résultats. C’est le sens des décisions que j’ai prises récemment sur les statistiques mensuelles. Nous devons entrer dans la culture du résultat avec tout ce que cela suppose de risque et d’inconfort . » (Discours de Nicolas Sarkozy, ministre de l’Intérieur, de la Sécurité intérieure et des Libertés locales, adressé aux responsables territoriaux de la Gendarmerie nationale, vendredi 5 juillet 2002)

« La réforme de la gestion publique passe par le développement d’une nouvelle culture, celle du résultat . » (C. Sinnassamy, Le Figaro, 23 juin 2005)


La managérialisme: une fonction de production avant tout contre productive



Pourquoi la loi de santé suscite-t-elle tant de réactions hostiles? Est-ce encore une fois le désolant spectacle des noces de l'incompétence technocratique et des collusions d'intérêt, comme pour l'incroyable ingénierie du Développement Professionnel Continu à la française? Loin de sortir de cette culture du résultat et d'incitation de l'idiot rationnel, la future loi de santé risque de promouvoir une santé malade d'une double hémiplégie, d'une part celle du néo-managérialisme hégémonique, arrogant et auto-vérificateur issu des organismes internationaux et qui a abouti à la LOLF et d'autre part la paralysie intellectuelle de nos élites sclérosées, incapables d'arrêter les paquebots technocratiques les plus dévastateurs, même s'il sont été conçus il y a trente ou quarante ans avec les modèles d'hier, quand les apprentis économistes de santé croyaient que l'offre de soins induisait mécaniquement la demande.

Voir sous ce lien les réactions hostiles à la loi de santé

La guerre que doivent mener les soignants, les élus, les usagers et avant tout les managers eux-même, contre le managérialisme est une guerre mondiale (définitions sous le lien). Rappelons qu'ils forment la "bande des quatre" qu'on a jeté en pâture à l'opinion, les coupables de dépenses jugées disproportionnées par les experts. Sans aucune preuve que des "histoires de chasse" et d'habituelles brebis galeuses habilement montées en généralité par la propagande, on généralise la défiance envers les professionnels,  on ne parle que d'overuse induit et de sur-consommateurs, et nos entrepreneurs de morale, nos ingénieurs en éthique publique, qui envahissent les agences pour nous accabler de platitudes, s'empressent d'oublier l'inertie clinique, la sous consommation, l'underuse qui s'aggrave d'autant plus vite que les parcours de soins réels sont toujours plus chaotiques, avec des ruptures de prises en charge marquant l'arrêt pur et simple de certains soins pourtant indispensables.
Ce management généralisé, appliqué à toutes les sphères privées ou publiques n'est peut-être qu'une "stratégie du choc" destiné à sidérer les acteurs à des fins d'ajustement des dépenses publiques, et l'on peut toujours voir un ennemi derrière l'ennemi au risque de se perdre en conjectures. Une attitude lucide me semble être de promouvoir une résistance sans faille qui parvienne à "nommer les choses" que nous voyons au quotidien, contre la doublepensée engendrée par la sacralisation résignée et soumise de la novlangue des textes français. 

Ce qu'il faut sans cesse rappeler, notamment par les lectures de Robert Locke, c'est que le managérialisme est avant tout contre-productif, à la fois en termes de qualité et de maîtrise des coûts, du moins dès qu'on cesse de penser à court terme. La nécessité, inhérente au managérialisme en santé, de construire des modèles de processus et de résultats myopes, fondés sur des impacts supposés à long terme sur la "santé bonheur" (OMS), tel qu'il est pratiqué au Québec, en Angleterre ou en France, n'ont aucun sens pour les acteurs qui, eux, pensent à l'outcome, le résultat pour le patient qui leur a fait confiance. La budgétisation par objectifs et la gestion par les résultats aussi mécaniquement plaquées sur un système de santé paralysent toute organisation créatrice d'innovation et de connaissances, au prix de la baisse tendancielle du taux de motivation et de la véritable qualité. Nul n'est contre l'efficience, à condition d'une définition partagée des objectifs et des résultats intermédiaires qui comptent. Comme le disait Einstein et comme le savent aussi les bons managers, ce ne sont pas toujours ces produits clés de l'organisation qu'on peut compter.

Pourquoi la réforme du NHS ne fonctionne pas: l'importance de comprendre comment de bonnes personnes offrent de mauvais soins


Nous attirons l'attention de nos lecteurs vers ce livre en anglais publié en ligne.
L'auteure tente une généalogie de la gidouille des réformes du NHS qui rejoint de très près nos analyses du managérialisme et de ses avatars dans le système français. Il nous semble salutaire de promouvoir une ubulogie comparée entre les réformes du NHS et notre future loi de santé. Celle-ci apparaît beaucoup plus comme un couronnement de la loi HSPT, dans la droite ligne du managérialisme issu de la LOLF - comment pourrait-il en être autrement sauf à reconsidérer les fondamentaux de la budgétisation par objectifs et la gestion par les résultats - que comme la refonte promise face à des soignants désemparés, démotivés, humiliés, qui ne continuent à y voir que perte de sens et triomphe de la iatrogenèse  technocratique.

Les cinq facteurs du cercle vicieux

Au deuxième chapitre, Valérie Iles décrit les facteurs d'un cercle vicieux qui affecte la nature même des soins de santé:
  1. La révolution digitale
  2. La culture de l'audit
  3. Le triomphe de la raison et du managérialisme
  4. Le changement dans la nature de l'action publique 
  5. Le rôle de l'anxiété

"With the dominance of market principles in public services, leadership has increasingly shifted to those who do not perceive or understand gift economies. This is a new phenomenon. Previously management teams in health care included numbers of historians and philosophers, and others from the liberal arts and humanities, as well as members of the professions themselves. No longer, and as a result the lens through which health care leaders see the service is now that of the economist working within an audit culture. This is a point worth emphasizing: the very way that healthcare leaders conceive of health care has changed. The language may stay the same but it means something different. Words which have one meaning in a world that has an understanding of and commitment to human, non-market values take on a different meaning when seen through the cynical self interested lens of the economist."


Quelques définitions du managérialisme



Définition de Linda Rouleau

Idéologie qui veut étendre les principes de la gestion à toutes les sphères de la vie sociale et humaine. Le managérialisme prône la gestion rationnelle des entreprises et l'imitation de leur pratique dans toutes les sphères de la vie sociale et privée. Linda Rouleau: théorie des organisations. On notera la proximité de cette définition de celle donnée par certains auteurs au "néo-libéralisme" (Bourdieu, Pierru et même Foucault).

Définition de Robert Locke

Managerialism: What occurs when a special group, called management, ensconces itself systemically in organizations and deprives owners and employees of decision-making power (including the distribution of emoluments) – and justifies the takeover on the grounds of the group’s education and exclusive possession of the codified bodies of knowledge and know-how necessary to the efficient running of organizations. – Locke 1996

Nous vous invitons à compléter cette lecture par d'autres définitions sous ce lien



Servitude volontaire des médecins et iatrogenèse managériale


Plus les médecins seront persuadés qu'il faut laisser le management à des managers professionnels et qu'il faut simplement revenir au temps où "l'intendance suivait" la cavalerie médicale au prix de quelques concessions à la culture du contrôle et du résultat, plus ils s'en remettront au grands prêtres de la gestion des statistiques et de l'information, et plus vite ils seront écartés de l'arène politique par les nouveaux monopoles. Ces monopoles internes ou externes sont nés de la multiplication des couches de la pyramide bureaucratique avec l'apparition de nouveaux satrapes marginaux-sécants et fragmenteurs des réseaux réels en mondes virtuels.
En position de bridging le marginal-sécant peut choisir d'appuyer son pouvoir sur la force des liens faibles entre mondes de l'organisation. Le cloisonnement du système de soins et des parcours, aggravé par les pôles hospitaliers sans pouvoir de gestion et une intégration purement verticale à des fins économiques, multiplient ces positions et les barrages à la communication transversale, horizontale et verticale, entre soignants, entre structures, entre les professionnels, les managers et les tutelles. Le managérialisme, loin d'apporter les mécanismes de coordination complémentaires de la différenciation ne sait qu'aggraver les effets des "tuyaux d'orgue" disciplinaires, des "boite à œufs" professionnelles qui ne doivent pas se toucher, de la concurrence entre établissements et de mille-feuilles hiérarchiques toujours plus épais.

Burt Ronald S. (1995), « Le capital social, les trous structuraux et l'entrepreneur », Revue française de sociologie, XXXVI-4, octobre-décembre, pp. 599-628


Ces nouveau dignitaires, Trissotins de l'information, Knocks de la santé parfaite et autres Diafoirus du Bien-être, nous les avons imprudemment laissé émerger et ils s'auto-légitiment par les boucles auto-référentielles issues des catégories de leurs modèles erronés. Ces modèles de santé sont avant tout malades de ne pas savoir définir les objectifs ni les processus de soins médicaux tout en prétendant le contraire. Ah les ingénieurs de santé! Ah les petits maîtres de l'information et de la quantophrénie médicale, toujours en faveur de plus de professionnalisation... du codage, au nom de la "gestion des risques. Ils n'ont de cesse de se multiplier, tout comme les experts sont, selon Hayek, toujours partisan de l'expansion des institutions dont ils sont les experts. C'est la loi de Parkinson d'expansion du travail administratif, mais elle se fait à moyens constants au détriment des postes soignants, de la qualité et de la sécurité des soins.
Inquiétant: à l'ATIH, les DIM eux même-semblent aujourd’hui avoir largement perdu le pouvoir au profit des statisticiens. Le monde des idées se reproduit en vase clos, il n'a plus besoin du réel.

Inscription, prescription, sanction : Les « entre-faire » d'une norme dans le processus d'informatisation du dossier de soin Anne Mayère, Vasquez Consuelo, Bazet Isabelle, Roux Angélique (page 8 du document "Communiquer dans un monde de normes")


Les praticiens de base qui tentent de s'impliquer au delà d'une simple succession de tâches standardisées et postées dans laquelle les managers ne veulent plus voir que le travail d'un "employé" dont ils modèlent les "compétences" à leur gré, il en va de même pour le Pr. des universités "de base" en charge d'une unité de soins, vivent au quotidien l'humiliation, l'intimidation, la dissimulation voire le mensonge institutionnel.  Ils vivent l'arrogance injurieuse et intrusive d'une chaîne de commandement qui a asservi et managérialisé l'encadrement paramédical, ils vivent l'inaccessibilité croissante à l'information, ils vivent la déresponsabilisation dans l'organisation des soins, dans les projets et dans la gestion de l'établissement, ils vivent enfin l'absence de délibération et de participation aux processus de décision. L'enquête des intersyndicales de praticiens sur les pôles a bien montré tout cela, que nous savions déjà.

Ce bullying management vient d'un management décomplexé qu'on a déchargé de la responsabilité des besoins de soins, aujourd'hui transférée aux agences, et dont la seule mission reste de rationner sous forte pression budgétaire mais sans garde-fous des soins low cost qui impliquent pour les soignants le sacrifice du complexe, par essence incertain et difficile à valoriser en termes de coûts, au "rentable" facile à analyser et à tarifer. 

Management by bullying - La corruption organisationnelle


On se contente de ferrailler sur la représentation médicale au niveau institutionnel et la nomination des chefs, ce qui est certes important, mais on laisse aller comme un chien crevé au fil de l'eau tout ce qui concerne les "opérations" (la clinique, la coordination réelle des chaînes de soins complexes), laissant détruire les compétences réelles, celles qui émergent d'équipes stables , formées, motivées et dotées d'un minimum de possibilité d'auto-organisation. Mais qu'y-a-t-il de commun entre la vision des "opérations" et de la coordination des "parcours de soins" par le chirurgien, l'interniste, le radiologue, l'anesthésiste, le gériatre, le psychiatre? J'abuse du terme "réel" tant le management construit sans cesse des représentations destinées à enfumer le "travail réel" et les théories d'usage dans leur décalage avec le "prescrit", les théories professées et imposées par l'idéalisme armé du modèle d'en haut.

Ce que tue le management axé sur les résultats c'est l'innovation, l'adaptabilité, la créativité, le rôle clé des hérétiques dans l'organisation dès lors qu'on sait les écouter (Crozier, Christian Morel...). Porté par l'illusion qu'on peut construire un échelle de Jacob et accéder à la vérité à partir des Big Data, voilà qu'il réhabilite la vieille chaîne absolutiste: savants-ingénieurs de la société / gardiens / travailleurs de la République de Platon au détriment de trois principes beaucoup plus propices à l'émergence de soins de santé performants: auto-organisation / diversité* / interdépendance.
*Diversité: j'ajoute incertitude radicale, contingence, délibération des parties prenantes, pluralisme, savoir-comment et pas seulement savoir-quoi, gestion du "chaos" (ou complexité) quand manque à la fois valeurs partagées et certitudes.


Si les médecins français restent frileux dans leurs revendications sur la gouvernance c'est parce leurs organisations représentatives ne parviennent pas réellement à admettre que le modèle de gestion axée sur les résultats conduit inévitablement à la démédicalisation du système de santé et à notre transformation en techniciens de santé. La division médicale fait que nous ne parvenons pas, contrairement à d'autres pays, à "nommer" une base de revendication qui serait de l'ordre de la lutte pour la responsabilité médicale au service d'un public, contre la dé-professionnalisation, contre la démédicalisation managériale, pour la reconnaissance des "pratiques prudentielles" (j'évite ici pour ne froisser personne la notion de "profession libérale à l'hôpital") et la nécessaire autonomie des médecins, tant pour la qualité que l'efficience, ce qui suppose d'avoir défini la chaîne de résultats et les possibilités (ou impossibilités) de son évaluation. 


Machiavel régulateur sait bien jouer entre les organisations soignantes, entre celles

  • qui jouent la culture de l'outsider, anti-mandarinale et l'appel à la "démocratie sanitaire". Mais contrôlée comment? Inévitablement par les résultats, pardi, le tour est joué, et la gouvernance par les incitations et le flicage est bien installée!
  • et celles qui au lieu de se demander ce qu'il faut faire se positionnent sur l'échiquier en fonction d'intérêts stratégiques à court terme et/ou en voulant passer pour le gentil réformiste, avec les limites si bien décrites par Crozier face à l'Etat Raminagrobis (ou "prédateur").

Se tromper d'ennemi ou mal le définir (confusion entre mondialisation des marchés, néolibéralisme, managérialisme et ses avatars liés à la sclérose intellectuelle des élites françaises) conduit à ne pas mesurer le poids du management par les résultats dont les modèles sont bien "alignés" en pleine continuité entre OCDE, UNESCO, OMS, LOLF, gestion publique de la santé. La stratégie d'ajustement et de promotion de la servitude volontaire chez les résistants potentiels ("au changement") a été décrite il y a bien longtemps et est appliquée sans faille! ("La faisabilité politique de l'ajustement - Cahiers de politique économique OCDE 1996")


Crozier et le management


Rappelons que pour MIchel Crozier:

« Une organisation bureaucratique serait une organisation qui n’arrive pas à se corriger en fonction de ses erreurs et dont les dysfonctions sont devenues un des éléments essentiels de l’équilibre » (Michel Crozier)

« L'autorité absolue et arbitraire est maintenue dans son principe et comme dernier et rassurant recours, mais elle est rendue inoffensive par la centralisation qui l'éloigne et la stratification qui protège l'individu contre elle. »

(Variante: "Tout est contrôlé mais rien n'est sous contrôle." François Dupuy)

« On ne se parle pas de bastille à bastille, de donjon à donjon, même si l'on organise ce simulacre de rencontre qu'est le dialogue social tel qu'il est pratiqué par tous les gouvernements, de droite comme de gauche et par toutes les organisations patronales et syndicales. Lorsqu'il a voulu entreprendre la modernisation de l'administration publique, Michel Rocard, par exemple a fait une erreur stratégique majeure. Il a choisi comme priorité le développement du dialogue social. Ce faisant, il donnait l'impression de vouloir obtenir des syndicats qu'ils échangent des éléments traditionnels de protection que constituent souvent des règles anachroniques contre une participation au management. Cette démarche pouvait donner à penser que les employés, les fonctionnaires et leurs syndicats étaient les premiers responsables des blocages et de l’inefficacité de l'administration publique alors que la responsabilité première est celle du management. »

« Dans une société comme la notre paralysée par les cloisonnements hiérarchiques et catégoriels, le dialogue social a épuisé toutes ses vertus. Un tel système, en apparence participatif et démocratique, est en fait bureaucratique et oppressif car il entrave la communication et transforme le parler-vrai en langue de bois. » La crise de l'intelligence - Essai sur l'impuissance des élites à se réformer" publié en 1995 par Michel Crozier


On peut reprocher à Crozier, qui se décrit d'ailleurs, un peu désabusé, comme le "sociologue de service", de ne pas être assez loin dans la critique sociale et d'être resté dans la posture du transgresseur contrôlé bien décrite par Bourdieu. 

C'est qu'il y a en santé la micro-gidouille (la destruction de la clinique), la méso-gidouille (le rôle autonome de la technocratie au niveau institutionnel) et la macro-gidouille au niveau sociétal (l'action publique dans un contexte de mondialisation des technologies du bonheur).

Question à nos sociologues "macro" qui se mouillent beaucoup plus que Crozier dans la critique sociale: pourquoi le terme de "managérialisme", si présent dans les écrits anglo-saxons et francophones hors l'hexagone est-il si absent des textes "français de France"? J'ai ma petite idée mais je crois qu'il convient de distinguer "managérialisme" et "Nouveau Management Public". 

Il serait néanmoins trop facile, avec les néo-platoniciens du managérialisme et leurs mutins de Panurge, éternels cocus des réformes de santé qui les soutiennent sur le mode du dialogue défini plus haut par Crozier, autant voire plus complètement par Bourdieu avec son couple habitus/champ, de penser que le Nouveau Management Public est le synonyme de "néolibéralisme", mais qu'une fois dépouillé de sa composante entrepreneuriale, le positivisme scientiste porté par la connaissance des plans du "grand architecte" et par les programmes de ses ingénieurs-économistes de la santé-bonheur pourrait enfin triompher.

Liens utiles sur la gestion par les résultats et critiques du managérialisme

1. Le management axé sur les résultats (GAR/RBM)

Approche de la programmation, de la gestion et du suivi axés sur les résultats (GAR/RBM) telle qu’elle est appliquée à l’UNESCO Principes directeurs Bureau de la planification stratégique


Guide pratique de la LOLF Comprendre le budget de l’État Édition juin 2012 - Cellule communication de la direction du Budget 

Lexique de la gestion axée sur les résultats (Québec)

Note: tous les modèles de performance ne placent pas efficacité et efficience de la même manière que ci-dessus. Certains modèles font état de résultats intermédiaires. L'outcome fait référence à un modèle systémique [ input - process - output - outcome] et l'impact socio-économique d'un programme à un modèle de causalité.
Il y a donc confusion des concepts entre théorie des organisation et théories de l'action publique. La notion "d'impact" permet de promouvoir une rationalité politique à dire d'experts fondée sur les "inférences causales".


Schéma: Gestion par les résultats: la chaîne d'imputabilité


Les cadres de référence OCDE et LOLF (guide pratique de la LOLF)
LA DÉMARCHE DE PERFORMANCE : STRATÉGIE, OBJECTIFS, INDICATEURS Guide méthodologique pour l’application de la loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001 (LOLF)


Schéma: Gestion par les résultats: la chaîne d'imputabilité

Mesure des performances pour l'amélioration des systèmes de santé - Document OMS - EuropeA confronter au modèle du système socio-sanitaireL'un des problèmes les plus ardus de "l'imputabilité" est l'attribution et la causalité des variations de performance dans les modèles.

La France bonne élève de l'OCDE


Quelque éléments critiques


« les dispositifs de management modifient les comportements, mais aussi les manières d'être, agissant ainsi comme des méthodes de conduite de soi » Anne et Eric Pezet dans « La société managériale ». 

« de telles méthodes ne mènent-elles pas inévitablement le service public à contracter les pathologies bien connues des anciennes administrations soviétiques, fondées à la fois sur les objectifs et sur la terreur ? » (Hood, 2005). A propos du New Public Management.

Culture du résultat et pilotage par les indicateurs dans le secteur public Stéphanie Chatelain-Ponroy Samuel Sponem Maîtres de conférences au Conservatoire National des Arts et Métiers

Hoopes, James. "MANAGERIALISM: ITS HISTORY AND DANGERS". The Historical Society. Retrieved 5 November 2012.

Word for Wednesday: managerialism (definition)

In particular, managerialism and neoliberalism are at one in their rejection of notions of professionalism. Both managerialists and neoliberals reject as special pleading the idea that there is any fundamental difference between, say, the operations of a hospital and the manufacturing and marketing of soft drinks. In both cases, it is claimed the optimal policy is to design organisations that respond directly to consumer demand, and to operate such institutions using the generic management techniques applicable to corporations of all kind.
The main features of managerialist policy are incessant organisational restructuring,,sharpening of incentives, and expansion in the number, power and remuneration of senior managers, with a corresponding downgrading of the role of skilled workers, and particularly of professionals.

The Rise of Managerialism

Reform of finance education in US business schools: An historian’s view Robert R. Locke [University of Hawaii, USA] Copyright:Robert R. Locke, 2011

Managerialism and the demise of the Big Three Robert R Locke [Emeritus, University of Hawaii, USA] 

Out went measurement, in came references to the three principles that characterize the efficient “operation of all natural living systems in the universe (Johnson & Bröms: 73): 
  • 1. Self-Organization: Creative energy continually and spontaneously materializing in self-organizing forms that strive to maintain their unique self-identity. …. 
  • 2. Interdependence: Interdependent natural systems interacting with each other through a web of relationships that connects everything in the universe, relationships, which express the essential nature of reality everything exists ‘in the context of something else’) 
  • 3. Diversity: resulting from the continual interaction of unique identities always related to one another.”

Confronting Managerialism How the Business Elite and Their Schools Threw Our Lives Out of Balance Robert R. Locke and J.-C. Spender

Payment by results or payment by outcome? The history of measuring medicine JOURNAL OF THE ROYAL SOCIETY OF MEDICINE Volume 99 May 2006

LE NOUVEAU MANAGEMENT PUBLIC ET LA BUREAUCRATIE PROFESSIONNELLE Florence Ganglof

Dépasser un managérialisme insoutenable - Christophe Dunand

"Comme l'a souvent dit Vincent de Gaulejac, tout effort de résistance est confronté au risque d'épuisement. Les fédérations professionnelles dans les différents secteurs sociaux (... ) ont rarement la capacité à mener ce genre de combats. Les syndicats, divisés, n'ont pu remettre en question la progression du managérialisme. (...) nous avons souvent été étonnés par la position adaptée voire soumise de certains jeunes étudiants. Ce qui indigne certains étonne à peine les autres." 
"Le managérialisme ne peut être freiné de l'intérieur."

Et bien sûr:


Textes de Frédéric Pierru

L'hôpital en réanimation

Page ubulogique sur le NMP

Le managérialisme : un vieux débat




samedi 8 novembre 2014

Innovation disruptive et projet de loi de santé: Knock à la Harvard Business School

La faisabilité politique de l'ajustement des dépenses de santé


« La "médicalisation" de la société, avec l’avènement d’une cléricature de la thérapeutique et la volatilisation de la maladie dans un milieu corrigé, organisé et sans cesse surveillé, constitue, depuis l’avènement des États modernes, les deux modèles extrêmes entre lesquels schématiquement s’organise le débat public sur les politiques de soins (de santé). » Marc Brémond ("Peut-on parler d'une politique de soins?") 

« Les frontières du système de soins doivent s’estomper pour se fondre dans les autres systèmes du système de santé, pour pouvoir parler véritablement de système de soins de santé. Le financement des soins est à présent soumis à des contraintes de « coût d’opportunité » Marc Brémond


L'action publique en quête des business models d'Harvard


Pour ceux qui n'auraient pas perçu les liens étroits entre la future loi de santé et les modèles économiques (traduction acceptable de business model dont il ne fat pas abuser) de Clayton Christensen, de la Harvard Business School, célèbre pour ses travaux sur l'innovation disruptive en santé, nous publions ce diaporama intitulé:

 Innovation disruptive et projet de loi de santé: Knock à la Harvard Business School


Ouvrir le diaporama dans une nouvelle fenêtre

N'y-a-t-il pas une incompatibilité majeure entre d'une part le principe du "tout incitatif" promu par les économistes standard et par lequel les politiques publiques ont persuadé les citoyens de les laisser mener les médecins - entendre l'ensemble des professions soignantes - par la carotte et le bâton, et d'autre part le principe d'innovation disruptive qui prétend maîtriser la "destruction créatrice" de Schumpeter dans un marché sous tension. Ce marché, qu'il ne faut pas diviniser, et qui n'est pas efficient partout, a fortiori s'il n'est pas ou mal régulé, ne peut le faire sans laisser l'autonomie nécessaire aux compétences clés pour se recombiner et inventer de nouvelles "propositions de valeur". Mais quand on a dit "valeur", on n'a encore rien dit!
Apollon et Dionysos n'en ont pas fini d'être à l'origine de la tragédie sanitaire.

Knock a gagné, mais il n'est plus médecin!


"Tout homme malade est un bien portant qui s'ignore."

On reconnaîtra là l'inversion de la formule célèbre du Dr. Knock. Elle pourrait résumer la prévention triomphante qui prévaut dans le projet de loi de santé. Ah, si ce pauvre malade avait bénéficié de la prévention, de la promotion de la santé, de l'éducation thérapeutique! Ah s'il avait été convenablement empouvoiré, responsabilisé, pro-activé par les nouveaux ingénieurs des attitudes et des comportements que le "principe de prévention" porte au nues? Il ne serait pas tombé malade, aux prix de dépenses de santé à un fric fou, que ce mauvais citoyen irresponsable aurait pu éviter. On dépenserait si peu avec une bonne prévention. 

Nul ne peut être contre la prévention et les vaccins sont là pour nous rappeler ses succès. Mais voilà, où sont les preuves de la pertinence de l'extension du tout préventif au détriment des fonds dédiés aux soins curatif? D'où vient l'arrogante certitude qu'on peut remplacer les médecins généralistes par de nouveaux métiers de proximité? Les spécialistes par des généralistes upgradés par les nouvelles technologies et les vieux "magasins de solutions hospitalières" par des spécialistes new look? Le care, oui, mais que vaut-il sans le cure, si l'on asphyxie les soins curatifs habilement diabolisés derrière le terme de "bio-médico-techniques"?

Qui n'a pas un proche pouvant témoigner de la dégradation générale du système de soins français, quel que soit le secteur, en établissement public, privé lucratif ou non, en médecine libérale, dans le secteur médico-social.

Si le discours dégoulinant d'empathie sur la prise en charge globale et sur l'intégration des "parcours de soins" ne sert qu'à réduire le périmètre des soins relevant de la protection sociale solidaire et à promouvoir l'angélique intégration par les complémentaires santé, ce discours n'est-il pas que la pure manifestation d'une extension indéfinie du domaine de la manipulation (Marzano)?

Quelle evidence based management pour soutenir ce rouleau compresseur du tout préventif au détriment du curatif, du tout incitatif, à la promotion de la 'Patamédecine par l'Etat et bientôt du déremboursement des "mauvais malades" enfin reconnus comme responsables d'un malheur que le vice a produit? Et ces comportements et attitudes "à risques", ne sont-ce pas déjà des maladies, plutôt des pré-maladies que les épidémiologistes, lecteurs experts des déterminants génétiques, psychologiques et de l'environnement social "nommeront" comme ils l'entendent. L'overuse, la sur-consommation la demande induite du crétin rationnel vers le crétin irresponsable et gaspilleur sont partout dénoncées par la propagande et ses grands ou petits succubes. Trop peu, comme Gérard Reach, dénoncent l'inertie clinique, l'underuse, la sous-consommation de soins et d'aides de tous eux qui n'ont souvent même plus les habiletés sociales pour accéder à des soins et services auxquels ils ont droit!
Malade, fais gaffe à ton système de soins! Citoyen, fais gaffe à tes aides si tu es dépendant!

Les profils à risques seront dès lors estampillés comme pathologiques et classés comme tels dans les nosologies officielles, comme la dernière version du DSM. 

Des traitements seront proposés par l'industrie pharmaceutique comme pour le "syndrôme dysphorique prémenstruel" ou son double humoristique, le "trouble dysphorique du lundi matin". Ah les coûts de la santé! Ah, ceux des nouveaux métiers! Ceux de la 'Patamédecine et du charlatanisme! Ceux de la médecine défensive! Ceux de fausses maladies et de médicaments inutiles (voir maladies à vendre). Ceux du bullshit management!

On retrouve bien ici confirmée la formule initiale de Knock: 

"Tout homme bien portant est un malade qui s'ignore."
Knock ou le triomphe de la médecine - Jules Romain.

Marché, Etat et professions


Nous avons renoncé dans ce blog à identifier un complot machiavélique qui gouvernerait clandestinement les politiques d'ajustement internationales promues par diverses organisations à travers le prisme méthodologique du Nouveau Management Public.
Comment en effet nommer ce mal? Néo-libéralisme, jacobinisme entrepreneurial, pensée  managériale de marché?
Il y a cependant un idéalisme néo-libéral armé et un idéalisme néo-managérialiste de l'action publique qui se combinent en un étrange patchwork idéologique. Ce puzzle doctrinal variable d'un pays à l'autre produit du malheur, une inaccessibilité croissante aux soins de première nécessité, faute de bien nommer les choses dans une extension indéfinie de la novlangue filandreuse de "l'intégration". 
Il y a des choses qui sont autrement qu'elles ne devraient être, qu'on prétend inévitables quand elles sont contingentes et pourraient être autrement qu'elles ne sont. C'est bien ce qui définit la nécessité du débat politique quand "l'expertisme" généralisé tend à le confisquer en nommant nécessité ce qui relève un peu de l'incompétence, un peu de la domination et sans doute beaucoup du développement inégal.

Ce qu'il faut considérer ici, c'est comment les politique publique de santé françaises tentent maladroitement de s'inspirer tout en le cachant de modèles d'affaires issus d'une culture économique et politique bien différente de la notre. On peut se demander si les modèles de Harvard, discutables en eux-même, qu'il s'agisse de ceux de Michaël Porter (la chaîne de valeur, la filière intégrée, les cinq forces de l'entreprise), de Christensen (l'innovation disruptive) ou des autres, ne sont pas ici instrumentalisés à des fins d'ajustement et de sidération des acteurs. L'objectif est avant tout le rationnement des soins remboursés par la solidarité, la dé-professionnalisation qui vise la mise en oeuvre rapide de soins low cost par un management mis sous contrôle et l'inaccessibilité croissante de soins pour les classes moyennes, qu'on aura habilement masquée derrière le cache-misère des filets de sécurité pour les plus vulnérables. Ceux-ci sont d'ailleurs le plus souvent de l'ordre du droit formel plus que de celui des libertés réelles.

Nous continuerons progressivement à traduire les modèles en français. La faisabilité politique de l'ajustement des dépense de santé relevant de la solidarité nationale s'appuie aujourd'hui sur trois piliers qui sont autant de mythes rationnels:

  1. Le mythe de concurrence efficiente (rendue efficiente par la régulation)
  2. La rationalisation managériale de la fonction de production du bien-être (tout est "entreprise" de soi ou des autres, une "boite noire" que la systémique peut ouvrir et ordonnancer)
  3. La spirale de la défiance envers les professionnels, modélisés en idiots rationnels calculateurs égoïstes, décrits comme inducteurs de demande de soins par les "économistes standard" (en fait co-inducteurs avec les patients irresponsables)
Nul ne peut être contre l'entreprise, mais une entreprise fait des propositions de valeur. Quand on a dit valeur on n'a encore rien dit. La valeur de l'actionnaire n'est ni celle du manager, ni celle du patient, ni celle du médecin qui reste l'avocat de son patient tant qu'il n'est pas soumis à des injections paradoxales d'agence par lesquelles il est sommé de servir les indicateurs aussi myopes qu'insignifiants (voir Christian Morel: la roue de la perte de sens).

Le principe de prévention et ses 5 paradoxes


« La prévention s'est donné pour mission d'éduquer l'homme pour qu'il ressemble davantage au calculateur autonome et rationnel, soucieux d'optimiser ses conduites afin de préserver son espérance de vie. C'est en cela que le culte contemporain de la santé est une utopie et non une idéologie: pour reprendre la distinction opérée par Kark Mannheim en 1929, non seulement l'utopie ne crée pas la réalité telle qu'elle est, mais elle contribue à changer le monde pour qu'il lui ressemble. Et changer l'homme, c'est une utopie autrement plus ambitieuse que l'obtention d'une "santé parfaite".»

 Moatti et Peretti-Watel: "Le principe de prévention"

Quel usage font donc aujourd'hui les politiques publiques de la prévention à l'heure de la rationalisation du management public, du rationnement des soins et de l'extension du modèle de l'entrepreneur de soi, calculateur et hyper-rationnel? Les pourfendeurs de ce qu'ils nomment "néolibéralisme" sont parfois surprenants de naïveté dans leur soutien d'un Etat prédateur et régulateur.

Il faut lire le livre de Jean-Paul Moatti et Patrick Peretti-Watel. On verra néanmoins que la solution proposée pour gérer les paradoxes bien décrits dans le livre est, préconisation assez classique des sciences sociales, la démédicalisation et la refonte de la prévention par création de nouveaux métiers dédiés. Car après en avoir bien décrit les dangers, les auteurs ne présentent pas d'autre modèle que la ré-ingénierie des attitudes et des comportements. Par les experts des sciences sociales?
Encore un exemple de la difficulté de prescrire un bon traitement même après un assez bon diagnostic. En résumé cinq paradoxes avant tout d'ordre moral et politique sont signalés par les auteurs:
  1. La course effrénée pour repousser les limites de la mort
  2. La tyrannie de l'expertise (les entreprises de morale ont aussi leurs cabinets e conseil!)
  3. Le spectre de la privation totale (homo medicus)
  4. Les effets contre-productifs
  5. La moralisation délétère

Quelques avis sur l'origine de la gidouille sanitaire


Les économistes contre la démocratie par Jacques Sapir (Alternatives économiques)

L’amour de la servitude chez certains économistes, ou comment la politique économique peut tuer la démocratie (chapitre d'introduction)

Pourquoi les économistes classiques ne comprennent pas les défauts du système qu’ils promeuvent ? (Blog)

L’origine de la crise : le monétarisme et école de Chicago (Blog)



Webographie; l'innovation de rupture en général






L’INNOVATION À L’EPREUVE DES PEURS ET DES RISQUES OFFICE PARLEMENTAIRE D'ÉVALUATION DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES RAPPORT sur L’INNOVATION À L’EPREUVE DES PEURS ET DES RISQUES 24 janvier 2012

UN PRINCIPE ET SEPT AMBITIONS POUR L’INNOVATION Commission sous la présidence d’Anne Lauvergeon. Commission installée par le Président de la République en avril 2013 - Médecine individualisée par 33 à 45

Innovation de rupture en santé


1. Will disruptive innovation cure healthcare? C. Christensen harvard Business review sept. oct. 2000

2. L’innovation disruptive dans les systèmes de santé

3. Disruptive innovation in integrated Care Delivery Systems

4. Evolution future des services de santé : analyse de quelques tendances plausibles Auteur : F. Paccaud

"Il faut noter qu'une partie des réformes des services de santé ne vise pas à sortir ces services du giron de l'Etat,44 mais plutôt à introduire des mécanismes qui miment une situation de marché à l'intérieur même de l'Etat."

"Mais le marché libre peut susciter des concentrations monopolistiques : c'est d'ailleurs ce que montrent les Etats-Unis où des groupes d'assureurs ont racheté des pans entiers du système de soins. Dans cette perspective, ces concentrations peuvent conduire à la mise sous tutelle des professionnels des soins dans le cadre de structures privées,52,53 achevant ainsi une longue transformation des professions soignantes."


5. Rationnement des soins Article de F. Paccaud (il faut appeler un chat un chat!)

6. Epineux partage des rôles entre les professions de santé Le Monde du 22 octobre 2014


La pyramide des besoins du médecin revisitée par la propagande managérialiste