jeudi 1 janvier 2015

Loi de santé: Marisol Touraine ou la faisabilité politique de l'ajustement

La logique de l'Etat prédateur

Bonne et heureuse année à tous!

« Avec les moyens actuels de publicité, une opinion ou une doctrine peut être lancée comme un produit pharmaceutique quelconque. » Gustave Le Bon 1924

« Les grands groupes peuvent rester inorganisés et ne jamais passer à l'action même si un consensus sur les objectifs et les moyens existent. » Mancur Olson

Le sous titre d'un livre de James K. Galbraith intitulé "l'Etat prédateur", paru en 2009, était le suivant:
"Comment la droite a renoncé au marché libre et pourquoi la gauche devrait en faire autant".
Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie, y ajoutait ce commentaire: « Galbraith montre comment briser l’emprise magique des conservateurs sur les esprits de gauche. »

Force est de constater que cette description de la dégénérescence ploutocratique de l'Etat providence vers une "république-entreprise" au service des intérêts de coalitions agissant en "prédateurs" vis-à-vis des institutions existantes convient parfaitement à l'analyse de la loi de santé.  "Il ne s’agit pas d’une lutte entre « l’État » et le « marché », comme l’illustre le secteur de la santé." Les principales activités lucratives de ces prédateurs, soutenus par l'Etat, concurrencent en tout ou partie les grands services publics. "Il n’est pas question de rendre ce dernier en totalité au privé, mais de trouver des solutions institutionnelles permettant de maximiser les profits des entreprises pharmaceutiques et des compagnies d’assurances privées." (Galbraith)

Quels sont les objectifs principaux de la loi de santé? Soumettre le médecin pour mieux rationner sans en avoir l'air et vendre la "sécu" par appartements pour augmenter en douce le reste à charge et passer à un régime commercial de protection sociale, le managed care de réseaux intégrés de soins sous l'emprise des assurances privées.


Je me suis permis de détourner un dessin de www.viedecarabin.com pour en faire une analyse partageable entre les divers modes d'exercice de la médecine. Cela peut encore être amélioré.

Que ceux qui partagent un peu cette vision lisent l'excellent blog de Christian Lehmann
De quoi Marisol Touraine est-elle le nom? (à lire absolument)
 

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Loi de santé: l'unité manquée des médecins, CQFD


1. Fédérations d'établissements et médecins n'ont pas la même stratégie


2. Le silence des agneaux

D'après cet article du Figaro, seuls les urgentistes, les libéraux et les cliniques prives sont hostiles à la loi de santé


L'inaction des médecins des établissements tend à accréditer la thèse de la promotion d'un "hospitalo-centrisme" public par un gouvernement de gauche voulant "casser" le privé.
Cette vision du Figaro, certes critiquable et idéologique, témoigne tout de même des risques inhérents à l'inaction des hospitaliers et à la division des médecins.

Hors force est de constater que ce sont tous les secteurs de la médecine qui sont visés. Le principal travail de réingénierie low cost, les principales économies (voir sous ce lien la répartition annoncée des "efforts" et écoutez les propos des économystificateurs de "C dans l'air"), notamment par la déshospitalisation et le transfert de fonds des soins curatifs vers la prévention, voire la 'patamédecine, visent principalement l'hôpital.

La "marchandisation", non comme fantasme politique, mais selon la définition claire des textes européens, avec les risques que cela comporte au regard du Droit européen, ceux du passage d'un régime dit "fondé sur la solidarité" à un régime dit "économique", est un bon moyen de baisser les investissements de l'Etat et de masquer le rôle du régulateur central de la concurrence encadrée derrière des agences pseudo-indépendantes.

La vente de la "sécu" aux complémentaires santé - par tranches de salami comme dirait Didier Tabuteau - montre bien que la classique lecture droite / gauche ne convient pas. 
C'est l'analyse des outils idéologique économiques et managérialistes du Nouveau Management Public qui convient, et pourquoi les marchés politiques les achètent en contexte d'ajustement.


3. L'arrogance méprisante des experts et des pompiers pyromanes

"C dans l'air": les médecins en colère

Un médecin, Jean-Paul Hamon, affronte seul une palanquée d'experts auto-proclamés qui savent tout en lisant des rapports et en appliquant des modèles. L'auteur de "la démocratie sanitaire" reste prudent sur la loi de santé, prompt tout de même à prôner une réforme systémique globale vue d'en haut. Le journaliste du "Point", François Malye, est épouvantable, pontifiant en grand donneur de leçons à l'hôpital sur son inorganisation abracadabrante et aux libéraux sur leur corporatisme archaïque. Le plus difficile à comprendre c'est que le discours du CISS, toujours pour plus de flicage et plus de contrôle par l'administration quoique il en coûte, s'appuie pour soutenir la loi sur la mutualité d'Etienne Caniard! Le bon argument contre le TPG n'est pas la demande induite et inflationniste, comme le signale Tabuteau, c'est la théorie des coûts de transaction, qui exploseront dans l'usine à gaz actuelle des multiples régimes obligatoires et complémentaires. 86 opérateurs gèrent 14 régimes obligatoires, et l'on compte 698 organismes d'assurance-maladie complémentaire fin 2011 (rapport IGF / IGAS septembre 2013).


Un chiffre intéressant donné par Jean-Paul Hamon (FMF): 0,3 salariés - notamment secrétaires - par médecin libéral en France contre 2,4 en moyenne européenne. Pourquoi une telle différence?
D'autres chiffres étonnants sont donnés par Didier Tabuteau, sur l'extravagant coût de gestion des "complémentaires santé" au regard du fait que ce coût correspond à peu près au montant du "trou de la sécu" (7 milliards d'euros)! Voici pour s'en convaincre quelques éléments du rapport IGF IGAS.

Extrait du rapport intitulé: "Les coûts de gestion de l'assurance-maladie."  IGF-IGAS septembre 2013

Comment expliquer cette politique de promotion des complémentaires qui va manifestement à contre sens de l'evidence based policy? La faisabilité politique de l'ajustement ne suffit pas, il faut intégrer à l'explication de ce sacrifice de soins de santé accessibles et solidaires la loi d'airain de l'oligarchie telle que Galbraith nous la décrit. Le désengagement de la "sécu" au profit des complémentaires nous confronte à un certain nombre de risques: 

  • La réduction progressive des soins relevant de l'AMO avec la distinction délétère entre soins "courants" mais indispensables qui seront considérés comme de "confort" (cas de l'optique et des soins dentaires) et les soins de première nécessité, alors qu'il faut déterminer par des choix politiques ce qui relève de la solidarité nationale et ce qui n'en relève pas.
  • Le renoncement croissant à des soins courants considérés comme non prioritaires et non couverts par les complémentaires low cost
  • La tentation de sélection des mauvais risques et les frais de recherche des données de santé pour opérer cette gestion optimale des risques, avec ce que cela implique pour le secret médical
  • Les frais de gestion, de publicité etc. induits par la concurrence
  • L'obligation des patients de choisir sur de listes préétablies de praticiens qui, eux, perdront en autonomie de prescription.

4. Soumettre le médecin pour contenir la dépense, puis désengager la sécurité sociale et augmenter la part du remboursement complémentaire


On confrontera ici deux texte d'inspiration bien différente mais dont une partie de l'analyse est commune.


Pourquoi nous demandons le retrait de la loi de santé (UFML)


"Le noeud Gordien de la loi est donc là : soumettre le médecin pour contenir la dépense, puis désengager la sécurité sociale et augmenter la part du remboursement complémentaire. Ainsi, le but est de faire de la médecine, en quelques mois, une profession dont le remboursement par la sécurité sociale deviendrait minoritaire permettant de lever l'obstacle à son entrée dans les réseaux de soin."

5. Pour sortir de l'économystification de la santé: quelques mises à jour

Steve Keen: l'imposture économique
Recension 2 - Recension 3 - Recension de Jean Gadrey


L’État prédateur. Comment la droite a renoncé au marché libre et pourquoi la gauche devrait en faire autant. James K. Galbraith, Paris, Seuil, 2009, 311 pages