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jeudi 18 avril 2013

Tarification à l'activité: des effets pervers d'une concurrence administrée mais non régulée



La T2A restera la règle, selon la DGOS titre Le Quotidien du Médecin du 18/04/13

Deux diaporamas de synthèse

  • Financement hospitalier pour les nuls
  • T2A, concurrence régulée & technocratie sanitaire


  • "La T2A restera la règle et l’essentiel des ressources continuera de dépendre« du nombre et de la nature des actes et des séjours réalisés »,confirme Jean Debeaupuis*. Quant aux missions d’intérêt général (MIGAC) et autres activités d’urgence, elles bénéficieront toujours d’une dotation forfaitaire."
    *Jean Debeaupuis est à la tête de la Direction générale de l'offre de soins (DGOS).

    Le dernier rapport sur la tarification à l'activité est un nouveau sommet d'indulgence et permet de justifier 3 tendances lourdes de nos politiques publiques de santé.


    1. le rationnement des soins que permet une T2A mal régulée et sous enveloppe fermée (Ondam)
    2. L'absence de réforme de la gouvernance à laquelle pourraient être associée d'autres modèles de financement, la T2A n'ayant jamais fait ses preuves en dehors du cost-killing à court terme qu'elle permet.
    3. L'absence de mise en place des garde-fous qu'impose tout système de concurrence par comparaison. Quelques nouvelles incitations gestionnaires à la coopération serviront de cache misère à l'indigence de la régulation.

    Zeynep Or (Irdes), Julia Bonastre (IGR, Institut Gustave Roussy), Florence Journeau (IGR, Institut Gustave Roussy), Clément Nestrigue (Irdes)

    Ce rapport sur la tarification à l'activité, un de plus, est très modéré quand aux effets pervers de la T2A telle qu'elle est déployée en France. Il reste très favorable à la doxa réformatrice et à sa rhétorique managérialiste. C'est que notre nomenklatura sanitaire n'a pas compris que dans "concurrence régulée" il y avait "régulée". Ainsi, si la restructuration par les pseudo-marchés est attendue au profit de ceux qui parviennent à réduire les coûts, et si la puissance du système de paiement impose de déréguler les normes techniques de fonctionnement, le modèle ne peut théoriquement fonctionner que si le régulateur veille à ce que le pseudo-marché reste le plus proche possible d'un marché entre compétiteurs autonomes. Ceux-ci, pour des activités jugées similaires, sont confrontés à une entreprise fantôme (shadow firm) considérée comme de performance moyenne.


    Filières inversées vs filières territoriales



    Pourquoi les rapports sont-ils si indulgents pour les modèles des "réformateurs"?


    « Ils sont toujours sans hésitation en faveur du développement des institutions dont ils sont les experts.» Hayek à propos des experts.

    « Le groupe dominant coopte des membres sur des indices minimes de comportement qui sont l’art de respecter la règle du jeu jusque dans les transgressions réglées de la règle du jeu : la bienséance, le maintien. C’est la phrase célèbre de Chamfort : « Le grand vicaire peut sourire à un propos contre la religion, l’évêque rire tout à fait, le cardinal y joindre son mot (1). » Plus on s’élève dans la hiérarchie des excellences, plus on peut jouer avec la règle du jeu, mais ex officio, à partir d’une position qui est telle qu’il n’y a pas de doute. L’humour anticlérical de cardinal est suprêmement clérical. »   Pierre Bourdieu

    Les médecins face au Nouveau Management Public

    Pourquoi le médecins, les usagers et les élus acceptent-ils sans broncher la T2A la plus bête du monde? D'où nous vient cette appétence pour la servitude volontaire?
    Pour reprendre une question chère à Hannah Arendt: "Comment cela a-t-il été possible?"
    Je classe les comportements des médecins en quatre catégories idéales-typiques selon leur rapport à la grande gidouille soviético-marchande qui nous accable (le Nouveau Management Public):


    • Les compradores ou "matons de Panurge" (selon Philip Muray) qui croient religieusement aux vertus du modèle. Ils sont appuyés par les nouveaux chiens de garde médiatiques. 
    • Les transgresseurs contrôlés définis plus haut par Bourdieu. 
    • Les mutins de Panurge (selon Philip Muray), intellectuels organiques acquis au modèle dominant mais qui donnent l'illusion d'un débat politique. 
    • Les résistants parmi lesquels je classe ceux qui demandent seulement les précautions les plus élémentaires contre les comportements opportunistes prévus par le modèle. 
    Ce rapport sur la T2A se situe au niveau "transgression contrôlée", au regard du petit nombre d'activités examinées et des indicateurs choisis qui permettent aisément d'inférer que le système n'est pas si mauvais. La méthode est classique. La critique est très superficielle au regard des effets bien connus d'une concurrence régulée quand on la déploie sans aucun garde-fou consistant. Je les rappellerai donc jusqu'à ce que vous les ayez compris. Chacun de ces effets est observé sur le terrain mais nous ne disposons guère des grandes sources d'informations qui permettraient d'en tirer des statistiques. C'est la force de l'opacité volontaire du système d'information. La doxa considère ces effets pernicieux comme trop exceptionnels pour remettre en cause le système. Dans ce cadre, pour paraphraser Alfred Jarry, l'inventeur de la 'Pataphysique, il convient de s'intéresser de toute urgence à ces "exceptions exceptionnelles" aux yeux des réformateurs, afin de sortir du vérificationnisme et de l'infalsifiabilité des leurs impostures scientifiques. En France les données de santé sont soit inaccessibles (sécurité sociale), soit accessibles à titre trop onéreux (PMSI). Nous déclinons ici ces effets 'patacliniques selon les niveaux d'organisation et les principes de la théorie de l'agence: asymétrie des contrats et de l'information entre "principal" et "agent", aléa moral et sélection adverse.

    Niveau micro-économique (réactions aux incitations de l'agent micro-économique: le médecin certes, mais pas seulement lui, puisqu'il ne maîtrise plus l'organisation des soins)


    Le médecin est d'ailleurs largement ignoré par la déclinaison française de la théorie économique de l'agence, puisqu'il devient un technicien aux ordres des "experts" de la technostructure hospitalière (loi du 31 juillet 1991). Le principal est le gouvernement, l'agent est le directeur d'établissement et le superviseur est l'agence régionale de santé.

    - sélection des groupes de patients rentables


    - segmentation des séjours


    - sélection adverse des groupes de patients non rentables


    - sur-codage


    - transfert de soins et de charges vers l'aval


    - baisse de la qualité non évaluée des prestations (cost-killing)


    Note: nous n'abordons pas ici la relation d'agence entre le malade et son médecin, mais le médecin est bien en pratique un "agent double" à la fois du management et de son patient, objet d'une abondante littérature sur les injonctions paradoxales.



    Niveau méso-économique (réactions aux incitations de l'agent-manager et adaptation des technocraties intermédiaires)


    - portefeuilles d'activités réduits aux case-mix rentables sans considération pour les besoins réels des territoires. On peut citer le refus de signature de contrats pour les activités jugées non rentables à court terme comme dans l'exemple des SSR "système nerveux" dans le secteur public francilien. L'ARS, le superviseur selon le modèle, prétend à tort pouvoir contrôler ces déviances.


    - lobbying pour une segmentation institutionnelle des séjours dans l'exemple de la construction du secteur administratif des SSR, soins de transition après production des GHM aigus.


    - accords collusifs entre producteurs de soins, entre superviseur (ARS) et agents (établissement) etc.


    - constitution de verticalité de groupes (trusts et quasi trusts visant la constitution de monopoles territoriaux et l'intégration verticales; exemple: Groupe Korian, Générale de santé, Groupes Hospitaliers publics.


    - restrictions verticales, permises par les absorptions / fusions, sous forme de filières par "fonction de production" et non filières territoriales intégrées voulues par le régulateur; exemple catastrophique des AVC en Ile-de-France, où les logiques de filières territoriales et celles des niveaux de soins requis en réadaptation percutent de plein fouet les logiques court-termistes de certains grands Groupes Hospitaliers.


    - utilisation des Dotations Annuelles Financières et autres enveloppes forfaitaires (MIGAC etc.) comme variables d'ajustement opaques faute de participation des médecins aux processus de décision et à la gestion.


    - destruction de la qualité des soins par mauvais usage des concepts suivants par la gestion des ressources humaines:
    • flexibilité (déstabilisation des équipes par confusion entre métier et fonction, insécurité des soins), 
    • polycompétence (déprofessionnalisation, déqualification et destruction des compétences) et 
    • mutualisation (économies d'échelles non pertinentes car déconnectées de toute évaluation de la qualité).

    Niveau macro-économique (les illusions du principal et du "tout incitatif")

    - utilisation de la tarification comme mode d'ajustement des dépenses publiques sous enveloppe fermée, dans le cadre de programmes d'ajustement structuraux (Ondam, LOLF)

    - confusion (volontaire?) entre case-mix et performance des établissements de santé


    - restrictions de l'analyse de la qualité des soins, suppression des garde-fous en termes de conditions techniques de fonctionnement et négation de la régulation professionnelle, jugées contre-productives par rapport à la puissance restructurante attendue de la T2A (notion de puissance des systèmes de paiement prospectifs)


    - logique verticales, top down de priorités de santé publiques, percutant par les fléchages politico-médiatiques et leurs enveloppes forfaitaires les verticalités managériales et territoriales. Cela aboutit sans guère de cohérence à la réduction des enveloppes dédiées à l'activité, d'où la "course à l’échalote" pour les établissements et au lobbying pour les groupes de pression, au mépris de la réponse aux besoins de soins réels qui émergerait d'un véritable intelligence territoriale


    - et avant tout, possibilité d'une mauvaise définition de la "firme virtuelle" à laquelle sont comparées des activités jugées "similaires", mise en concurrence régulée (cause de l'impasse des SSR en France), mauvaise conception des groupes de malades et des échelles de coûts.



    J'en oublie c'est sûr. Mais si on relit les défenseurs du modèle de yardstick competition, notamment Shleifer, il faut, loin de l'angélisme managérial français, fliquer, surveiller et punir la première cible du modèle de l'agence, le directeur d'hôpital. Mais, cette spirale de la défiance dont nous sommes les premières victimes parce qu'elle nous empêche de soigner, est-ce bien ce que nous voulons?




    Le petit "technicien supérieur de santé" asservi au nouveau modèle de fonction de production de l'hôpital, lui, sera incité par le "paiement à la performance", et l'on ne doute pas un instant après cette courte démonstration 'pataclinique que le système d'indicateurs choisi sera parfait, conforme à la qualité des soins selon les professionnels et à l'intérêt des patients.



    Ce qui est extraordinaire, c'est que nous autres médecins, soignants en général, usagers et élus, nous ayons été à ce point conditionnés par les discours dominants de l'anti-médecine et du rationnement des soins, que nous ne savons plus envisager les effets pervers des systèmes de paiement que sous l'aspect des comportements opportunistes qu'ils induisent chez les médecins, ces calculateurs égoïstes, chez les usagers, toujours jugés irresponsables et sur-consommateurs et chez les directeurs, incapables selon Adam Smith de gérer un argent qui n'est pas le leur. Mais qui les envisage chez les politiques lorsqu'ils promettent plus qu'ils ne peuvent tenir? Qui les décrit s'agissant des payeurs publics ou privés? Qui enfin y pense chez les régulateurs (ARS). Qui les prévient chez les managers intermédiaires des technostructures?

    A-t-on déjà oublié Galbraith et Mintzberg?


    Voir les diaporamas de synthèse:



    Esculape nous tienne en joie.





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