Servitude 2.0: quand le constructivisme social rencontre la responsabilité sociale des entreprises
« Je ne cesse de le répéter depuis deux ans : nous les Entrepreneurs, nous pouvons être à ce siècle encore tout jeune, ce que les instituteurs ont été à notre IIIè République. L’école était chargée de former le citoyen, c’est à l’entreprise aujourd’hui de lui apprendre le nouveau monde. Les instituteurs étaient les messagers de l’universel républicain, les entrepreneurs sont aujourd’hui les porteurs de la diversité de la mondialisation. Les instituteurs détenaient la clé de la promotion populaire. Nous, les entrepreneurs, nous sommes les moteurs de l’ascension sociale. Comme eux, nous devons contribuer à rendre le monde lisible. » Laurence Parisot. (L’entreprise comme nouveau modèle éducatif : quels enjeux, quelles conséquences ?)
Les documents :
1. Le manager intermédiaire ou la GRH mise en scène. Anne Dietrich
2. Gestion par les compétences et nouvelles formes d’organisation du temps et de l’espace. Valérie Devos Laurent Taskin.
Le commentaire :
Cet article bien documenté décrit la cadre du management intermédiaire et comporte une analyse critique intéressante de la gestion des ressources humaines. Il nous laisse aussi sur notre faim et nous amène à nouveau au constat que ces concepts s'appliquent toujours très mal aux organisations hybrides, «professionnelles», par nature très décentralisées horizontalement et verticalement comme l'hôpital ou l'université. Il s’agit de celles où, au sens de Mintzberg, les professionnels sont les experts.
Pour juger du bon usage des outils du management dans les systèmes de soins, il faut distinguer les finalités de rationnement «d'en haut» de l'habillage rhétorique manipulé par les «professionnels de l'Etat-providence», en quelque sorte « de droit divin ».
- La Gestion des Ressources Humaines (GRH) défend les objectifs du top management en prétendant défendre les employés. Elle vise à internaliser le contrôle de la notion de «compétence» en l'asservissant à la notion de performance interne (outputs myopes) et en la faisant échapper à toute régulation extérieure (aux organisations professionnelles entre autres).
- Le contrôle de gestion défend les objectifs du top management en prétendant défendre les « payeurs » et/ou les contribuables qui sont éventuellement en amont. Le modèle, toujours arbitraire, des « objets de coûts » détermine le découpage des « activités » consommées par la « production » et ce découpage détermine la réingénierie des compétences. En comptabilité "il n’y a pas de faits, il n’y a que des interprétations", selon le mot célèbre de Nietzsche.
- La bureaucratie de la qualité top down défend les objectifs du top management en prétendant défendre les usagers, d'où «l'effondrement tranquille de la qualité» (Daniel Lozeau).
Nous avons vu que le management intermédiaire est une des cibles principales du Nouveau Management Public. Les comportements des managers intermédiaires, je pense ici à nos directeurs d'hôpitaux, était prévisible dès lors qu'on en a fait les seuls patrons de l'hôpital mais sous les incitatifs d'agence doublé d’un système hiérarchique.
Le mal qui accable le système de soins, qui détruit aujourd'hui les compétences, la qualité qui compte souvent très éloignée de celle qu’on compte, les motivations et partant l'attractivité, ne vient donc pas uniquement du management, ensemble d'outils qui peuvent être bien ou mal utilisés, mais des politiques macro-économiques et de la «régulation» macro. Elles mettent les managers sous «incitatifs» (HPST a été décrite comme une loi du «tout incitatif») et écartent comme des gêneurs les médecins de la gestion, de la conception même des «activités», en ignorant au risque de les détruire toutes les habiletés organisationnelles, les vraies compétences clés, à la fois collectives mais aussi très largement liées aux disciplines d'exercice, concept dont je concède qu’il reste à préciser. Peut-on nous accable davantage de ce counter-evidence management? Nul ne peut être contre la performance, mais c'est le modèle de performance publique et son mode de contrôle qu'il nous faut interroger.
Il s'agit dans la corporate governance ou gouvernance d'entreprise de protéger les payeurs contre un management jugé irresponsable d'un argent qui n'est pas le sien, idée ancienne déjà présente dans l'œuvre d'Adam Smith. Appliqué à l'action publique ce paradigme impose de construire un «modèle de production». Celui-ci est double, composé du modèle de Fetter de « l'usine à soins », intégré à un modèle «d'impacts» économique et sociaux construit par les sciences sociales à partir du modèle de santé «tout politique» de l'OMS. Celui-ci ne peut conduire qu'à une explosion de l'utilitarisme et à ses inférences politiques. Rien ne permet d'affirmer qu'elle peut être conduite par petite une caste de clercs aristocratiques qui échapperaient miraculeusement aux lois des marchés politiques et s'arrogeraient le monopole du Bien commun. C'est ainsi que le service public de droit divin, dont le principe théocratique d'infaillibilité est issue de l'ancien régime et du droit canon, s'autodétruit à grande vitesse, se fait prédateur de lui-même, certes aidé par le vrai marché qui se régale de ses dépouilles.
Les modèles orthodoxes "macro" étant ce qu'ils sont, guidés par une raison instrumentale hautement limitée, c'est alors que le méso-management ajoute ses propres défaillances en créant des faux besoins, de la sous- qualité fumigène, de la contre-efficience et du non-sens, comme Drucker, Galbraith, Mintzberg et bien d'autres l'ont dénoncé. Mintzberg a toujours suggéré qu'on associe les «professionnels» qui connaissent intimement les «méthodes», les habiletés procédurales, à la gestion. Nulle autorité omnisciente, même soutenue par un reporting 2.0 maquillé en démocratie horizontale et en innovation disruptive, ne garantit celle des experts d'en haut conte des parties prenantes bonnes à asservir, à surveiller et à punir. Je suis plutôt partisan d’un payeur unique et contre la vente par appartements de la protection sociale aux assureurs mais s’il est sans doute souhaitable de réduire le bicéphalisme entre « sécu » et DGOS, n’oublions pas que ce n’est qu’une toute petite partie du problème. On ne peut guère améliorer l'efficience , elle qui serait supportée par un modèle pluraliste, sans en remettre en cause ni les modèles mécanistes descendants ni la gestion macro-économique.
Le problème du méso-management est soit complètement ignoré, soit trop considéré comme la source exclusive du mal quand il faudrait incriminer l'Etat-machine de droit divin à la française et le mythe des pseudo-marchés régulés qu'il utilise actuellement comme arme de destruction massive des microsystèmes cliniques, mais... au profit ou par l'intermédiaire du libre marché? Rappelons-nous l'Evangile selon Sainte-Laurence cité en préambule. Dans la «guerre des dieux» de Max Weber, quel est celui qui se cache derrière la «sainte» et parle par sa bouche? Certainement pas Esculape.
La T2A, a fortiori en laissant libre, voire en encourageant si ce n'est en rendant «obligatoire» (dernières propositions de la FHF) la constitution de collusions et trusts de survie qui limitent d'emblée les effets théoriques de «compétition régulée», a montré qu’elle n'était qu'un moyen de mettre la gestion des hôpitaux «à portée des caniches», pour mieux rationner les soins, en écrasant toute résistance du sens de l'action de la part des professionnels, mais certainement pas un triomphe du marché. Le mythe du marché efficient n'était qu'un prétexte.
La solution? Interdire l'opium aux intellectuels, arrêter de croire au père Noël de la République de Platon, aplatir le Mille-feuille et tenter de se mettre à l'intelligence territoriale en y incluant par exemple et entre autres les professionnels de l'hôpital, les vrais, pas les MBA!
Webographie sur la GRH et la fabrication des compétences
1. Quelques définitions et citations à propos des compétences
2. De la fabrication des compétences
3. A. DIETRICH (2002) «Les paradoxes de la notion de compétence en gestion des ressources humaines», Economie et Sociétés, série Sciences de Gestion, n° 31 (nécessite un compte SCRIBD; sinon voir référence 9: Didier Cazal et Anne Dietrich)
4. Où en est le paradigme corporatiste ?
5. La logique de compétence. Stéphane Haefliger
6. Les enjeux de la logique de compétence. Jean-Pierre Durand
7. Incitations comportementales et environnement - centre d'analyse stratégique
8. Connaissances et compétences - Education le chantier en ruine
9. COMPETENCES ET SAVOIRS : ENTRE GRH ET STRATÉGIE ?
10. La performance comme dispositif de gestion ou la construction sociale de l’insignifiance. Jean-Luc Metzger. en pdf: http://www.cairn.info/load_pdf.php?ID_ARTICLE=RES_134_0263
et
http://www.cairn.info/revue-reseaux-2005-6-page-263.htm
11. L’ensorcelante ambiguïté de « savoir, savoir-être et savoir-faire «. Jean-Jacques Guilbert
12. LES APPROCHES CRITIQUES DE LA « RESPONSABILITE SOCIALE DE L’ENTREPRISE » ET LEURS RETOMBEES OU « RESPONSABILITE SOCIALE DES ENTREPRISES ? »
13. Savoir, Savoir-faire et savoir-être : repenser les compétences de l'entreprise. Thomas Durand
14. Exigences de qualité et nouvelles formes d'aliénation. Sami dassa, Dominique Maillard
15. Savoir-être et compétences (1/2 et 2/2) mercredi 16 janvier 2008, Charlène Durand
16. Matthew J Czarny1, Ruth R Faden, Jeremy Sugarman.Bioethics and professionalism in popular television medical dramas. J Med Ethics 2010;36:203-206
http://jme.bmj.com/content/36/4/203.short?q=w_jme_current_tab
17. Crise de confiance et crise de vocation - une lecture sociologique de la crise hospitalière. Frédéric Pierru
http://jme.bmj.com/content/36/4/203.short?q=w_jme_current_tab
17. Crise de confiance et crise de vocation - une lecture sociologique de la crise hospitalière. Frédéric Pierru
- 1. Les oubliettes et la substitution par un nouveau buzzword plus "glamour"?
- 2. La récupération
- 3. L'adoption d'un nouveau paradigme?
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