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dimanche 27 juillet 2014

Public versus privé selon l'ATIH - Machine de guerre idéologique et appareils idéologiques de santé


Salut, heureux imputables!

« Les hommes qui habitent les pays démocratiques, ont donc souvent des pensées vacillantes ; il leur faut des expressions très larges pour les renfermer. Comme ils ne savent jamais si l'idée qu'ils expriment aujourd'hui conviendra à la situation nouvelle qu'ils auront demain, ils conçoivent naturellement le goût des termes abstraits. Un mot abstrait est comme une boîte à double fond ; on y met les idées que l'on désire, et on les en retire sans que personne le voie.» Tocqueville

Thinks tanks de santé et politique du salami

Il convient de situer ce rapport dans une campagne de propagande bien orchestrée par des appareils idéologiques de santé bien huilés.

La prise en charge, deux fois plus chère à l’hôpital qu’à la clinique, selon l’ATIH (Quotidien du médecin)

Selon Bernard Granger, "L'analyse du Quotidien du médecin ne précise pas qu'il s'agit du coût moyen de la prise en charge des pathologies (GHM) médicales et chirurgicales, mais qui ne sont pas les mêmes pathologies ! Les comparaisons GHM par GHM fournies dans ce rapport montrent des écarts beaucoup plus faibles. La page 93 (annexe 5) montre que le privé est concerné par 697 GHM et le public par 2072 GHM . Il faut également préciser que les missions de l'hôpital public et celles des établissements privés ne sont pas les mêmes."
C'est le modèle de la comptabilité hospitalière, et le management qui en découle qui sont vicieux, mais il faut prendre le temps de le démontrer. 
Ainsi mal pensée, mal organisée et mal financée, notre très bureaucratique "machine à guérir" et à se foutre de l'assistance publique ne peut que s'autodétruire.
Le nouvel enjeu en santé est cure et care à la fois et non pas cure contre care, soins contre social, différenciation technique contre intégration des soins en prétendant faire le contraire!
N'oublions pas Tocqueville: en période de disette, l'art de l'ajustement consiste à séparer les "malheurs immérités" à "assurer" des "infortunes que le vice a produit", à "assister".

L'ATIH est-elle indépendante ? (FHF)

Question faussement naïve de la FHF qui s'applique à toutes les agences pseudo-indépendantes derrière lesquelles les politiques publiques dissimulent les choix tragiques de l'ajustement structurel. Les politiques y imposent des modèles économiques, les experts les habillent de mathématiques pour en faire des modèles médico-économiques et l'ATIH enveloppe le tout de statistiques, à la recherche du "business model unique".

3 doses de contrepoison intellectuel





Les faux amis de l'hôpital français


Le déclin hospitalier français Frédéric Bizard. Economiste - Enseignant à Sciences Po Paris

Beaucoup de bonnes choses dans ce texte, qui commence bien mais qui finit mal, parce que les économistes et politiques  de régulation "macro" ignorent avec la superbe arrogance propre aux experts français que le modèle de comptabilité et de performance hospitalière: 
  • 1. est intrinsèquement et opérationnellement faux parce fondé sur une vision managérialiste, l'imposture de l'organisation scientifique par le "couple infernal intégration-processus" selon François Dupuy. Il ne capte pas les véritables processus clés de l'hôpital  ("the core competence of the corporation"). Les modèles de coûts construisent des modèles d'activités ubuesques, guidés par les business models artificiels qu'ils ont engendré (Activity Based Costing), bien différents entre public et privé.
  • 2. est structurellement incapable de capter le coût des déterminants "médico-sociaux" de l'hospitalisation par construction des GHM sur une fonction de production purement curative. La neutralité tarifaire est en France une baliverne inacceptable au regard des missions de l'hôpital et de la réalité des motifs d'admissions des malades à l'hôpital.
  • 3. ne peut supporter le paiement à la performance dès lors que les indicateurs myopes, d'output à courte vue n'ont aucun sens pour les opérationnels au regard de leurs motivations intrinsèques. Ils ne peuvent les conduire qu'au désespoir et/ou à l'exit.
  • 4. que tous ces remèdes à la mode, fondés sur des concepts filandreux et répétés jusqu'à la nausée après des diagnostics justes voire même brillants par les chiens de garde ne reposent sur aucune evidence based policy! "Entre autres, rendre autonome la gestion des hôpitaux publics, repenser nos modèles hospitaliers, extraire l'Etat du pilotage opérationnel du secteur hospitalier et installer une démocratie sociale moderne, respecter la neutralité tarifaire dans le financement, utiliser le mode de rémunération à la performance..." Assez!!

21 milliards d'économies à trouver sur la Sécurité sociale : quelles pistes pour maîtriser les dépenses sans trahir l'esprit de l'Etat-providence

Attention, cet article soutient le managed care à la sauce hollandaise. L'Institut Montaigne et Bébéar ne sont pas loin. (Plus sur l'Institut Montaigne)

En finir avec la corporate governance et l'infantilisation managériale qu'elle induit
Médecine privatisée vs. "Obamacare"

« La responsabilité sociétale de l’entreprise est d’accroître ses profits » Milton Friedman

Ce qui est intéressant ici, c'est que les docteurs refusent, à juste titre, de dissocier exécution et conception. De fait il faut savoir articuler marché des besoins, des talents et des payeurs. Mais une telle autonomie ne peut-elle se concevoir dans le cadre d'un service "not for profit"?
Citer cet article après avoir mis en avant Jean-Pierre Escaffre et sa critique de la marchandisation assurantielle, que nous partageons d'ailleurs pour beaucoup d'entre nous, peut paraître provocateur ou inconséquent. Néanmoins, il est incontestable que notre modèle de technocratie pseudo-marchande est incapable de faire se rencontrer les besoins, les compétences clés, l'organisation et les financements; là dessus la critique des libéraux contre les défaillances de la bureaucratie sanitaire restent fondamentalement justes.

D'un autre coté, critiquer la T2A et ses GHM par "cas" à court terme pour proposer d'enfermer les malades dans des "groupes homogènes de parcours", nouveau rêve des actuaires des assurances cachées derrière les think tanks qui les portent aux nues, c'est tomber de Charybde en Scylla. Dans tous les cas on individualise le risque, au profit des assureurs qui veulent prendre de le contrôle de l'organisation et des compétences, inévitablement au nom de process de production qui dissocient conception et exécution.

Le parcours est la nouvelle arme idéologique des assureurs! Le parcours est le nouveau concept attrape-tout de l'action publique, nul n'étant défenseur de parcours chaotiques.

Ce qu'il faut c'est restaurer confiance, responsabilité et liberté au niveau des micro-systèmes cliniques, au contact du public. Cela n'exclue pas, au niveau "méso" des départements à taille humaine, à délégation réelle et dont la conception serait enfin cohérente avec ses micro-systèmes. L'ennemi n'est pas la T2A qui n'est qu'une très mauvaise clé de répartition, mais beaucoup plus fondamentalement la direction par objectifs top down (macro), les gestion par les résultats (méso) qui a justifié l'organisation divisionnelle en pôles et la comptabilité basée sur l'activité qui reconfigure les processus sur des modèles de coûts séparant par construction ce qui relève de l'assurantiel et de l'assistantiel (micro) engendrant ainsi cynisme et désarroi pour les acteurs du soin.

Si nous sortons à la fois du culte de l'Etat scientiste jacobin et de la divinisation du marché efficient, il vient qu'il faut guérir notre système de la maladie managériale décrite par François Dupuy dans "Lost in management". Elle touche tout autant institutions publiques et entreprises privées: le reporting contre-performant par ses coûts et sa chronophagie et les redoutables effets de la loi de Goodhart, l'obsession du risque comptable, le couple infernal intégration-processus, la médecine actuarielle dénoncée par Skrabanek ("la fin de la médecine à visage humain").

Il faut peut-être avant tout comprendre que vouloir en même temps fixer arbitrairement des enveloppes globales de protection sociale et mesurer les coûts de prestations définies comme "pertinentes" selon les payeurs, ne peut fonctionner que sur des modèles de production et de "résultats" construits non en fonction des besoins (ou de la "demande" perçue par les professionnels si on préfère ce terme) mais en fonction des contraintes imposées à l'action publique par l'ajustement en contexte de rationnement. C'est pourquoi définir la santé de façon holistique et new age comme bien-être économique et social permet de passer la main des professionnels opérationnels aux experts des politiques publiques.

Changer de logiciel


Dans sa dernière édition, The Economist commente les effets de la crise financière de 2008 sur les dépenses de santé des pays de l'OCDE : ralentissement de la croissance des dépenses de santé, qui repartent à la hausse depuis 2010, les dépenses privées plus que les dépenses publiques, mais sans atteindre (encore) le taux de croissance d'avant la crise (voir diagramme ci-dessous). Ce ralentissement des dépenses a eu des conséquences variables mais souvent négatives sur l'état de santé des populations.


Esculape vous tienne en joie

mercredi 23 juillet 2014

Rationnement et triage en médecine

Rationnement et triage appliqués aux AVC


« Votre doute peut devenir une qualité si vous l’éduquez. Il doit se faire connaissance, il doit devenir critique. (…) Exigez des arguments ; attentif, conséquent, agissez de la sorte dans chaque cas en particulier ; et le jour viendra où il cessera d’être destructeur pour devenir l’un de vos meilleurs travailleurs – peut-être le plus intelligent de tous ceux qui travaillent à bâtir votre vie ».  Rainer Maria Rilke (cité par Sophie Crozier)

La question est traitée par Sophie Crozier dans cette belle thèse que je me permets de qualifier d'ubulogique dès lors qu'elle contribue à la généalogie de la gidouille managérialiste en santé. On note en effet 61 occurrences du mot "rationnement" et 46 du mot "triage". Vous qui entrez ici, préparez vous à quitter le pays des bisounours de la santé publique.


"Mais l’implication des citoyens dans les choix faits et le souci de transparence a ses limites, car en réalité, les micro et macro-rationnement sont choisis pour qu’ils soient acceptés par la population. Ils sont fondés sur des valeurs non controversées (mais pas toujours justifiées en terme d’utilité) avec le souci que les contraintes soient le moins visibles possible et perçues comme limitées et rares par les citoyens. "

Cette réflexion doit être  étendue aux SSR et à l'ensemble des "parcours". La question est traitée par Sophie à partir de la typologie des patients  de la conférence de 2008 sur l'orientation des AVC. Conférence d’experts avec audition publique.(1)
Cette typologie, calquée sur les autorisations de 2008, ne pose pas la question essentielle du rationnement de la réadaptation (2), ni celle de la pertinence des paramètres d'orientation. Ces questions sont étroitement liées à la segmentation des soins post-aigus en France marquée par l'occultation des logiques de réadaptation face à la logique de fluidité des filières. 

La fin ou à tout le moins le recul majeur du paradigme de réadaptation apparaît intimement liée en France à la mise en cause du modèle national de la solidarité qui se traduit par une fragmentation croissante entre soins et social, entre cure (méthodes de diagnostic et de traitement des maladies) et care (continuité des soins adaptée aux nouveaux déterminants de santé), entre différentiation technique et intégration des "parcours". Cette dernière étant de plus en plus orientée, sous couvert de défragmentation, vers une marchandisation au profit des assureurs privés par la "politique du salami" qui détruit lentement la "sécu" en augmentant inégalités d'accès aux soins et reste à charge (Tabuteau). Malheureusement le monde du handicap, acquis aux modèles anglo-saxons de l'autonomie, a contribué à ce recul en opposant le concept de "réadaptation" jugé obsolète et fleurant trop la "bienfaisance" à celui de "participation" inspiré du modèle du self anglo-saxon. Nous avons évoqué cette question et les répercussions en matière d'accès aux soins dans l'article sous ce lien.

Pourtant les organisation internationales plaident, contre cette vision dichotomique, pour un modèle paradoxal à la fois intégratif et participatif de la santé, le seul moyen de ne pas tomber dans les travers du workfare (opposé du welfare), de ce "consumer empowerment" qui devient illusoire pour ceux qui n'ont pas les capabilités (Amartya Sen) pour s'insérer dans le grand terrain de jeu de l'entreprise de soi et des autres et qu'on promet, après les avoir culpabilisés et rendus responsables de des "infortunes que leurs vices ont produit" (Tocqueville) au filets de sécurités ordo-libéraux.

Partout à l'étranger où l'on cherche à rendre ces critères plus robustes se pose la question du conflit entre "medical necessity" (indications selon les assureurs, règles du contrôle externe, logique des payeurs) et "medical appropriateness" (logique des cliniciens) 

La question éthique du rationnement et du triage, si elle est pertinente en réanimation et en UNV, ne l'est pas moins en aval, comme le souligne fort bien Sophie Crozier.
  • Qui bénéficiera d'interventions dédiées à l'amélioration fonctionnelle en situation de ressources rares et de redéfinition des contours de la protection sociale? Comment gérer la difficulté d'évaluer le potentiel d'amélioration fonctionnelle ou pronostic fonctionnel? Qui bénéficiera plutôt de soins et d'accompagnement dédiés essentiellement à la "dépendance"? L'organisation et le financement des soins sont alors bien différents.
  • En quoi la prévision des séjours longs, l'évitement des "impasses hospitalières" et les nouvelles pratiques de bed management  industriel dans un système hyper-fragmenté modifie les décisions d'orientation et l'organisation des soins?
  • Comment les business models ont entraîné la reconfiguration des filières de soins post-aigus (diaporama CALASS Rennes 2013)
  • La plupart des pays étrangers (3) ont segmenté leurs soins post-aigu selon les finalités médicales principales de prise en charge, la France les a segmenté selon les catégories médicales de l'aigu, la distinction entre polyvalent et spécialisé, mal définie, ne repose pas sur cette clé de spécification des activités. Réforme du PMSI SSR et poursuite de la spécification des activités restent essentielles.
  • Je joins un diaporama sur le potentiel d'amélioration fonctionnelle (4); la réflexion peut s'appliquer à toutes les disciplines intervenant en SSR et pas seulement à la mienne.

1. Situation cliniques selon la conférence de 2008 sur l'orientation des AVC.

 Cinq situations cliniques sont décrites et des critères et propositions formulés pour :
− Les AVC sévères (hématome ou infarctus massif avec ou sans craniectomie, accident 
du tronc cérébral et « locked-in syndrom », malformation vasculaire compliquée) ;
− Les patients à orienter vers le SSR spécialisé en affections neurologiques ;
− Les patients à orienter vers les SSR non spécialisés ou spécialisés en affections de la 
personne âgée polypathologique dépendante ou à risque de dépendance ;
− Les patients à orienter vers le domicile ;
− Les patients à orienter vers un EHPAD

On voit dans cette conférence, comme souvent en France, que les textes définissent les concepts dès lors hypostasiés, et que le raisonnement fonctionne en boucle auto-référentielles autour des autorisations SSR. les enceintes mentales construites au niveau "macro" semblent infranchissables.

2. Définition internationale de la réadaptation (OMS - banque mondiale)
« un ensemble de mesures qui aident des personnes présentant ou susceptibles de présenter un handicap à atteindre et maintenir un fonctionnement optimal en interaction avec leur environnement .»

3. Système étrangers (raccrochons notre pays au monde!)

International casemix and funding models: lessons for rehabilitationTurner-Stokes et al. Clin Rehabil 2012 26: 195   -   Télécharger en pdf

Modèle de détermination des coûts de revient des usagers (patients) référés dans un programme de réadaptation en déficiences physiques (Coulmont, Roy, Fougeyrollas) 2004

USA

Quality and Outcome Measures for Rehabilitation Programs Carl V Granger, MD; Chief Editor: Rene Cailliet, MD (en pdf )

Development of Function-Related Groups Version 2.0: A Classification System for Medical Rehabilitation - Stineman et al. Health Serv Res. Oct 1997; 32(4): 529–548.

Canada

Méthodologie de regroupement des patients en réadaptation

Institut canadien d'information sur la santé - Rehabilitation Patient Group (RPG) Grouping Methodology and Weights

Méthodologie de regroupement GPR et pondérations des coûts en réadaptation

4. Quelle place pour le potentiel d’amélioration fonctionnelle ?

Esculape vous tienne en joie

mercredi 16 juillet 2014

Nouvelle loi de santé: extension du domaine de la bureaucratie et destruction de la solidarité

Autisme de l'action publique et micro-économie de la santé


« Le management n'est pas une technique neutre mais une activité indissolublement liée à la politique, aux politiques publiques, aux droits et aux enjeux de la société civile. Il est toujours sous-entendu par des valeurs et/ou des idéologies. » Christopher Pollitt et Geert Bouckaert « Public Management Reform, a Comparative Analysis », 2004. Cité par Claude Rochet

« La nouvelle santé publique, loin d'être neutre au plan des valeurs sur lesquelles elle s'appuie, s'inspire des valeurs de rationalité et d'efficience qui fondent l'intervention planifiée et justifient une technocratie du savoir (Gordon, 1991), tout en flirtant avec les mouvements idéologiques et sociaux qui les critiquent. » Raymond Massé 

« Dieu se rit de ceux qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes. » Bossuet


Ce qu’il faut retenir du projet de loi de santé de Marisol Touraine


Loi de santé: une version intermédiaire passée au crible

Présentation des orientations du projet de loi de santé : intervention de Marisol TOURAINE

Loi de santé : la colère gagne les praticiens hospitaliers qui n’excluent pas un mouvement en septembre


Les 4 points de crispation: Gouvernance contre les pleins pouvoirs aux directeurs - L’attractivité des hôpitaux oubliée - Les praticiens remplaçants, une « rustine » - Contre la constitution forcée des groupements hospitaliers de territoire

Managérialisme et théorie de l'idiot rationnel



La nouvelle loi de santé est marquée par la remarquable stabilité des enceintes mentales qui paralysent toute évolution du système de soin depuis des décennies. Aucune remise en cause substantielle de la très soviétique loi HPST n'est attendue. Cette loi donne pourtant pouvoir de vie et de mort sur des activités de soins à des directeurs soumis à des agences pourtant dépourvues des moyens d'évaluer les besoins territoriaux.
Il ne faut guère espérer non plus de réforme importante de cet ersatz de départements hospitaliers à la française, les "pôles" qui auraient nécessité de très profondes réformes. Après de multiples réunions de concertation et les rapports qui en sont issus, la montagne a accouché d'une souris. Les conditions de fonctionnement des pôles à la française, souvent trop gros, parfois multisites et contre-productifs, assemblés souvent de façon obligatoire et à la hâte, sans cohérence médicale et donc sans pilotage fonctionnel,  ne semblent pas devoir beaucoup changer, au désespoir des chefs de services et responsables d'unités, et ce malgré les enquêtes aux résultats désastreux quant à la participation et la circulation de l'information. Mais les conférences de présidents de CME, de chefs de pôles et les fédérations en ont minimisé les défauts.
On ne résout pas les problèmes avec les modes de pensée qui les ont créé, ni avec ceux qui en ont bénéficié.
La doxa n'a pas changé. L'efficience doit toujours naître de la rationalité managériale, des économies d'échelle permise par les nouveaux trusts obligatoires que sont les GHT. On ne rétablit pas le service public hospitalier mais un "machin" à coordination technocratique, peu ou pas médicalisé nommé Service Public Territorial de Santé. Les Départements d'Information Médicale (DIM), déjà menacés dans leur autonomie, dépendront de niveaux hiérarchiques ou nulle commission médicale ne pourra plus les protéger. Loin de "débureaucratiser" on aggrave encore la lourdeur effroyable et l'épaisseur de la pyramide sanitaire. On se gargarise de quelques mesures de prévention comme source miraculeuse d'économies substantielles et des "parcours", qui vont, après les "réseaux", réenchanter le paysage socio-sanitaire. et ses pratiques professionnelles. Comme si personne n'y avait pensé avant, à défragmenter, à décloisonner, alors que cela remonte au moins à l'époque on l'on a pensé le secteur psychiatrique. Personne n'avait non plus pensé à faire des lettres de sortie pour les malades quittant ou entrant à l'hôpital. De qui se moque-t-on?

Mais les pompier pyromanes n'ont eu de cesse de dresser les acteurs les uns contre les autres dans une guerre de tous contre tous, par une série de réformes qui, depuis les années soixante dix, ont aggravé la fragmentation institutionnelle, temporelle, culturelle et financière entre hôpitaux soins de ville et secteur de l'action sociale/médico-sociale. 

On enfume le vide abyssal de cette loi par une démagogie en direction des usagers, avec un peu de lutte contre les dépassements à l'hôpital, quelques filets de sécurité, le tiers payant et les actions de groupe, tout cela pour mieux masquer la destruction de la solidarité, l'augmentation vertigineuse du reste à charge et des inégalités réelles d'accès aux soins à rebours des incantations officielles. Il s'agit surtout de masquer le transfert scandaleux de l'organisation et du financement des "parcours" aux assurances privées à qui on vend la solidarité nationale par "tranches de salami" (Tabuteau). 

L'ère du vide


Ce prêchi-prêcha indigeste est à l'image des rapports qui l'ont précédé. Cet assemblage hétéroclite de vent, de démagogie, de "nouveaux métiers" digne d'un inventaire de Philip Muray et de novlangue digne de l'holistique new age ne doit pas nous empêcher de mesurer l'essentiel. Les "boucs émissaires" n'ont pas changé. Ce sont toujours le médecin calculateur égoïste, le manager exécrable gestionnaire d'un argent qui n'est pas le sien, l'élu local inculte en santé publique tout obsédé de ses administrés et de son hôpital et enfin l'usager irresponsable aux comportements à risque, qui ne pense qu'à surconsommer (overuse) des soins qui sont induits par l'offre selon l'économie orthodoxe. 
Curieusement on ne voit guère les propagandistes de la "démocratie sanitaire" mettre en avant des modèles économiques de sous-consommation (underuse) et de mésusage des soins (misuse) alors que c'est bien le constat alarmant des soignants au quotidien, ceux qui pourraient décrire le caractère de plus en plus chaotique des parcours réels, faits d'abandon de suivi et de renoncements aux soins.

La fausse solution, itérative, redondante et monotone tombe, toujours la même, toujours portée par la spirale de la défiance mais habillée de quelques nouveaux oripeaux de novlangue: faire la guerre à outrance à ces résistants au changement par l'innovation disruptive, par la répétition ad nauseam du dernier buzzword pas encore usé jusqu'à la corde, le "parcours" qu'on va décliner en supply chain management - entendre surtout réduire les temps de passage aux urgences et les temps d'hospitalisation en aigu et en SSR, par le contrôle de gestion, la comptabilité par activité, par la fermeture d'enveloppes financières jugées inutilement surdimensionnées, par le reporting, par la bureaucratie caporalisée, par la "déconcentralisation" (Pierru) qui paralyse les acteurs en les éloignant des processus de décision et d'information, la délation numérique des conflits d'intérêt (Sycophante 2.0 ?), par les incitatifs insignifiants, par la gestion fondée sur des indicateurs myopes, par la réduction de toute initiative décentralisée, de toute délégation réelle de gestion aux gens qui savent faire fonctionner des choses qu'ils connaissent intimement.

L'ubulogie clinique: pour la vigilance critique et l'ingérence organisationnelle


La première étape de l'ubulogie clinique, que nous définissons comme généalogie des régulations absurdes en médecine, est de mettre en évidence les trois grandes sources d'imposture scientifique que sont la rationalisation managériale, le régime de vérité sur la santé "Bien-être" et la microéconomie de la santé. Ces boites à outils peuvent bien sûr être objet de discours scientifiques, mais ce qui en fait un instrument d'imposture sont avant tout instrumentalisés dans des jeux de pouvoirs par des coalitions aux intérêts complexes et des appareils idéologiques de santé. Nous pensons qu'il s'agit de trois systèmes de "mythes rationnels" irréductibles l'un à l'autre, en premier lieu la maîtrise calculable du risque, en second lieu l'efficience supposée des incitations de "l'idiot rationnel" pour produire l'intérêt général et enfin la "grande santé" comme Bien-être économique et social et comme finalité de la politique. Le puzzle doctrinal qui associe managérialisme, économisme orthodoxe et cet holisme socio-sanitaire se combine de façon variable aux niveaux micro, méso et macro de la gouvernance publique. Rationalité marchande, bureaucratie managériale et "biopolitique", trois piliers de la nouvelle gestion publique en santé, ne peuvent sans doute pas être réduits à une seule et même logique. Chaque pays décline ainsi sa propre version du New Public Management.

La seconde étape de la démarche ubulogique est d'expliquer pourquoi, malgré l'évidence de la supercherie pseudo-scientifique qui sous tend les politiques publiques de santé, jusqu'au contrôle par les appareils idéologiques d'Etat de la définition de la santé, de sa "fonction de production" et des ses "résultats", les acteurs continuent à faire comme s'ils ne savaient pas qu'on leur présente des simulacres de réalité à des fins de rationnement. La nouvelle santé publique, support idéologique de la fonction de production du Bien-être, de la culpabilisation de la victime du "workfare", de l'intériorisation de la contrainte par le "consumer empowerment" et de la construction utilitariste du risque est le système de valeur qui sous-tend la rationalité des nouvelles politiques publiques de santé.
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La question est donc de savoir pourquoi cette réalité de second ordre, socialement construite, leur convient. Pourquoi les parties prenantes des systèmes de santé, ces classes théoriques, qui ne sont que potentielles, à commencer par les médecins, entre autres "professionnels de santé", ne se constituent-elles pas en classe comme groupe mobilisé en vue d'objectifs communs? Éternelle question qui fait l'objet du dialogue entre Gramsci et Marx, au delà, des stratégies de "faisabilité politique de l'ajustement" ainsi que des travaux des sociologues et anthropologues qui tentent de les dévoiler.

La webographie présentée ci-dessous commence par la critique de la théorie de "l'idiot rationnel" par Sen et par quelques autres textes clés. La critique des postulats fondateurs de la micro-économie de la santé, sous sa forme orthodoxe, pourrait éviter bien des bavardages mathématiques inutiles. Qui sont-ils censés tromper et à quelles fins?

Webographie

Textes en anglais



3. The market of lemons. George Akerlov (nos corps sont-ils des voitures d'occasion?)



Textes en français

Micro-économie







8. Micro-économie de la santé au Québec

Santé publique, action publique, économie et biopolitique

1. “La santé publique comme nouvelle moralité.” Raymond massé

2. « Pas de philosophie, SVP, nous sommes des managers» Claude Rochet

3. Du calcul économique à l'évaluation organisationnelle des politiques de santé Sophie Béjean et Maryse Gadreau

4. Les formes contemporaines de la biopolitique Thibault Bossy et François Briatte

5. Les sources libérales de la biopolitique Jérôme Lamy

6. Le bio-pouvoir aujourd’hui. mardi 15 mai 2012, par Nikolas Rose, Paul Rabinow
"Dans ce contexte, il est bon de se rappeler que la médecine est peut-être le site le plus ancien où l’on peut observer le jeu de la vérité, du pouvoir et de l’éthique en relation à un sujet ou aux possibilités du bien, ou, comme le disaient les Grecs, de la vie bonne."
7. Biopolitique, utilitarisme et libéralisme John Stuart Mill et les Contagious Diseases Acts Vincent Guillin Dans Archives de Philosophie 2010/4 (Tome 73)

8. L'économique face à la santé

Cette thèse montre comment l'Économique intègre la santé dans son corps théorique alors que l'économie de la santé peut être considérée comme une sous-discipline organisée de l'Économique. Il s'agit plus précisément de documenter cette étape du raisonnement économique où l'économiste doté d'un corps théorique et de méthodes économiques doit y incorporer l'objet étudié, ici la santé. Deux questions de recherche sont posées : 1) quelles sont les interactions entre l'Économique et la santé dans l'élaboration de théories économiques et 2) quels sont les choix de pratique qui se posent à l'économiste à cette étape du raisonnement économique où il intègre la santé aux théories économiques ? La réponse ne peut se faire que par une bonne connaissance de la santé. La première étape de cette thèse consiste donc à réunir et articuler des connaissances multidisciplinaires sur la santé. La santé est d'abord saisie au niveau individuel et est vue comme un lien normatif entre l'individu biologique et l'individu psychosocial. Elle est ensuite interprétée comme une norme collective et l'on voit une santé en quête d'État. On examine alors quel a été le traitement de la santé en économie de la santé. On constate que l'Économique a retenu certaines dimensions de la santé comme l'incertitude, les externalités et l'asymétrie d'information. Mais en même temps, elle a imposé une dimension économique à la santé en l'interprétant parfois comme une fonction de production ou une variable économique. Enfin, au niveau méthodologique, il apparaît que l'économiste fait des choix de pratique dont quatre ont été développés dans cette thèse : 
1) le choix d'une conception particulière de la santé, 
2) un choix éthique qui porte aussi bien sur les fins poursuivies par l'individu et par la société que sur un critère particulier d'allocation des ressources dépendant de la conception de la santé retenue, 
3) un choix entre l'orthodoxie économique et la multidisciplinarité quant aux dimensions de la santé retenues, et 
4) le choix d'un certain niveau de réalisme des hypothèses sur la santé.




Dans notre prochain billet, nous analyserons la nouvelle division de la DGOS en sous directions et en bureaux