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samedi 16 janvier 2016

Intégration gestionnaire et gouvernance des politiques publiques de santé à l’ère néolibérale


« Le joli mot de "gouvernance" n'est qu'un euphémisme pour désigner une forme dure de domination politique » Jürgen Habermas

« La gouvernementalité est un concept élaboré par Michel Foucault afin de rendre compte des différentes techniques de domination exercées sur les autres et sur soi-même. La gouvernementalité va désigner la manière de gouverner les hommes afin qu'ils se gouvernent eux-mêmes comme on veut qu'ils se gouvernent. »
Extension du domaine du management

« les formulations néolibérales faisant une référence œcuménique aux communautés locales ont atteint un tel point qu’elles sont vues comme une victoire en faveur de la décentralisation et de l’autonomie au lieu d’être considérées comme une euphémisme cynique du démantèlement progressif de l’Etat providence » (Marden, 2003)" 


Les mythes cachés de la loi de santé: populisme bureaucratique, orthodoxie des soins de santé primaire et bucolisme paramédical


Nous savons bien pourquoi les médecins se suicident, libéraux ou salariés, cliniciens de base ou professeurs des universités. Rapidement énoncées, les causes de ce qui conduit du désenchantement au désespoir se résument en sur-administration et spirale de la défiance, défaut de reconnaissance au travail confinant à l'humiliation injurieuse et à l'infantilisation managériale, évaluation intrusive et sous information combinées à l'asservissement croissant à des indicateurs myopes déconnectés des finalités des soins, exclusion des processus de décision qui les concernent, suppression de toute autonomie dans la définition des besoins et de l'organisation des programmes de soins dont ils sont les experts. C'est un sentiment d'absurdité, de perte de sens institutionnalisée, qui se combine à un sentiment d'absence totale de reconnaissance, parfois de l'oeuvre d'une vie entière, et qui finit parfois par devenir insupportable. Hélas, le concept de « souffrance au travail » permet d’individualiser les causes, d’évacuer les déterminants économiques et sociaux en déterminants psychologiques relevant d’une approche individuelle. Celui de « maltraitance » permettra d’accuser quelques lampistes maladroits et "harcelants". S’il y a bien sûr des situations individuelles à traiter, des maltraitances institutionnelles à combattre et des chefaillons pervers narcissiques à circonscrire, le problème principal, c'est de savoir si le management participatif et son extension à la gouvernance des politiques publiques de santé sous la forme d’un développement participatif territorialisé par les « agences » sont le problème ou la solution.

L'opposition classique entre libéraux et républicains, qui prend trop souvent la forme d'une querelle de fous selon Marcel Gauchet,  ne permet pas de rendre compte de la remarquable continuité existant entre la loi HPST et la nouvelle loi de santé. Dans la loi HPST, les libéraux voient l'hôpital-entreprise enfin libéré des "flâneries bureaucratiques" des salariés grâce au libre marché, tandis que les républicains y voient l'hyper-marchandisation néolibérale. Dans la nouvelle loi de santé, les libéraux ne voient que l'hyper-administration centralisée et la iatrogenèse managériale, quand les républicains y voient le triomphe du développement participatif à partir des soins de proximité, celui de la démocratie sanitaire et de l'accessibilité égale aux soins. Cela ne se résume pas à un débat droite - gauche car il y a toujours eu une droite dirigiste et planificatrice  et une gauche jacobine-libérale, à commencer par Le Chapelier. Pour sortir de l'impasse il faut sans doute en revenir aux penseurs de 1968 tels que définis par Luc Ferry et Alain Renaut, notamment Foucault et Bourdieu et à leurs successeurs. Le sociologue et l'archéologue du savoir permettent de penser le néolibéralisme et le managérialisme au sein d'un même paradigme de "gouvernementalité". Nous y ajoutons quelques anthropologues moins connus.


Apport des anthropologues: mondialisation, ajustement et techniques de rationnement des soins


Nous empruntons le terme de "déconcentralisation" au sociologue et politiste Frédéric Pierru. C'est un processus par lequel sous une apparence de décentralisation le contrôle hiérarchique du sommet stratégique ne fait que se renforcer sous couvert de contrôle des coûts, de la rationalisation des processus, de la gestion des risques, voire de la "qualité" et de "l'éthique". Rappellons que Pierru rejoint Bourdieu dans sa vision du néolibéralisme: "...le néo-libéralisme ne saurait en aucune façon être assimilé au moins d'Etat. Il est au contraire une rationalité politique originale qui confère à l'Etat la mission de généraliser les relations concurrentielles et la forme entrepreneuriale y compris et surtout au sein de la sphère publique." Frédéric Pierru
Ce terme de déconcentralisation doit être rapproché de l'idéal-type des organisations divisionnelles de Mintzberg fondées sur la standardisation des résultats. La "gouvernance" renvoie au terme ambigu de régulation, à la fois régulation par l'état et autorégulation systémique où les individus et les "firmes" (les entreprises) doivent se conformer au principe de concurrence efficiente. Le paternalisme économique appelle une réingénierie sociale centrale des formes collectives de l'action, afin que les "acteurs" soient conformes à ce qu'en attend la théorie des rationalités limitées et des incitations (Mintzberg).

A l'heure d'une globalisation tantôt présentée comme nécessaire et sans alternative au rationnement des soins ("TINA") ou au contraire contingente, qui pourrait être autrement qu'elle ne se déploie ("TATA"), l'analyse des politiques coloniales et post-coloniales de santé par les anthropologues permettent de voir comment les techniques managériales importées des pays colonisateurs ont d'abord été expérimentées en terrain colonial, puis dans les pays ex-colonisés sous l'influence des organisations internationales après la seconde guerre mondial, pour enfin être importées dans les pays développés lorsqu'ils ont été soumis à la contrainte des programmes d'ajustement structurels. Tout un arsenal de concepts présents dans les déclarations d'Alma-Ata et la charte d'Ottawa, fondés sur le constat d'un nouvel ordre économique mondial, est ainsi appliqué par les politiques publiques de santé dans le nouveau contexte néomanagérial-néolibéral. Cette approche permet de mieux percevoir la continuité des réformes des politiques de santé derrière les oripeaux politico-médiatiques derrière lesquels se déguisent les partis qui les ont promues pour masquer le rationnement et la destruction de la solidarité: pseudo-libération du marché derrière la loi HPST et pseudo-égalitarisme derrière la nouvelle loi de santé.

Le populisme bureaucratique: Jean-Pierre Chauveau


L'orthodoxie des soins primaires: Bernard Hours

La santé publique entre soins de santé primaires et management Bernard Hours - A lire absolument +++ et à rapprocher de:


Le bucolisme paramédical: Michel Foucault, incontournable pour ses approches de la gouvernementalité, de la biopolitique et de l'ordolibéralisme évoquait aussi les risques du bucolisme médical

Le bucolisme paramédical est soutenu par l'innovation de rupture de Clayton Christensen. Il annonce la disruption des anciens modèles économiques de la médecine par les nouveaux modèles économiques de santé numérique. Il est aussi soutenu par le mythe de "l'inversion du triangle d'allocation des ressources" des soins curatifs vers les soins de santé primaires, mythe fondé sur le double détournement 
1. de la "thèse de McKeown" (généralisation des hypothèses d'inefficacité des soins curatifs sur les indicateurs de santé) et
2. de l'Evidence Based Medicine dans sa version pervertie et néo-managériale où elle légitime l'industrialisation par l'organisation scientifique du travail, le déremboursement de ce qui n'est pas pertinent au regard des RCT et la conception de la médecine comme science appliquée à la main des ingénieurs de santé. Cette vision est incontestablement présente dans la campagne de promotion actuelle des "soins de santé primaires" et la 'Patamédecine non remboursées sauf par les mutuelles, dans la version orthodoxe critiquée par les anthropologues (équivalent du rôle des tradipraticiens dans les modèles post-coloniaux).
McKeown et David Sackett , chers au "Docteur du 16", valent mieux que cela et doivent se retourner dans leurs tombes!

Crise de la médecine ou crise de l’antimédecine ?

Analyse critique des liens entre santé publique et globalisation: Didier Fassin

Pour poursuivre un survol anthropologique critique des politiques publiques de santé lire aussi  aussi Raymond Massé en lien avec la critique du principe de prévention par Moatti et Peretti-Watel

Néomanagérialisme et néolibéralisme


Les quelques textes présentés ici permettent mettre en lien les différentes approches du New Public Management et les liens étroits entre 

Béatrice Hibou ("la bureaucratisation du monde à l'ère néolibérale")

Extension du domaine du management ; néomanagement et néolibéralisme*

« Par sa connexion avec le néolibéralisme le management se convertit en une forme, insuffisamment identifiée, de gouvernementalité globale. Quels éclairages peuvent nous apporter les sciences humaines sur les conséquences de cette extension du discours managérial pour chacun d'entre nous, que nous soyons étudiant, salarié, militant associatif ou patient ? Pourquoi le discours du néomanagement s'est-il imposé aussi facilement ? Quelles conséquences pour la démocratie ? »

Lire l'avant propos +++ (en pièce jointe)

« La gouvernementalité est un concept élaboré par Michel Foucault afin de rendre compte des différentes techniques de domination exercées sur les autres et sur soi-même. La gouvernementalité va désigner la manière de gouverner les hommes afin qu'ils se gouvernent eux-mêmes comme on veut qu'ils se gouvernent. »

Burn-out : plus d'un médecin sur deux dit souffrir d'épuisement professionnel Anne Bayle-Iniguez 15.01.201

Février 2014 Note socio-économique La gouvernance en santé au Québec (plus ça change, plus c'est pareil partout mais avec des spécificités nationales)

La construction dite néolibérale des nouveaux collectifs (comme "firmes" issues à la fois des dynamiques de changement d'en haut et d'en bas) ne peut faire l’économie d’une critique des concepts d'empowerment, du « développement participatif», de l'activation des personnes vulnérables, de l’intégration gestionnaire des « parcours de santé », des soins de santé primaires dans leur version orthodoxe. Il convient de lire les anthropologues critiques de l'utilisation des technologies coloniales de gouvernance de la santé, d'abord utilisées dans les pays pauvres et/ou ex colonisés où l'on a initialement importé des modèles technocratiques constructivistes avant de les instrumentaliser chez nous en vue de l'ajustement / rationnement des soins. Notons que le « parcours » est la traduction angélique du business process ou chaîne de valeur qui sera gérée par les assureurs dirigeant les nouveaux réseaux de santé intégrés. La déconstruction de la solidarité liée à l’ajustement international fait que ces pseudo-chaînes de valeurs intégreront de moins en moins une vision médico-sociale de l’outcome dans les « super-T2A » « au parcours » (bundled payments ou paiements par "épisodes de soins"). Mettant les opérateurs en concurrence sur des modèles économiques artificiels – des unités d’œuvre comptables - fondés sur des parcours étriqués et déconnectés d’une finalité qui fait sens, on ajoutera toujours plus de machins de « coordination d’appui aux soins » pour des activités qu’on a désintégrées.

Le Néolibéralisme : Destruction du collectif et atomisation de l’humain


« Le but, poursuit Bourdieu, étant d’arriver à une armée de réserve de main-d’œuvre docilisée par la précarisation et par la menace permanente du chômage. Cela amène à des situations de détresse extrême qui donne lieu à un stress irréversible qui peut amener à l’autodestruction, il n’est que de se souvenir du feuilleton des suicides de France Télécom. Pour Pierre Bourdieu, le libéralisme est à voir comme un programme de «destruction des structures collectives» et de promotion d’un nouvel ordre fondé sur le culte de «l’individu seul mais libre». Le néolibéralisme vise à la ruine des instances collectives construites de longue date par exemple, les syndicats, les formes politiques, mais aussi et surtout la culture en ce qu’elle a de plus structurant et de ce que nous pensions être pérennes. »

L'essence du néolibéralisme - Le Monde diplomatique (Pierre Bourdieu)




Gouvernementalité néomanagériale et positivisme scientiste 

Farouchement opposé à la colonisation et à son constructivisme technocratique et irénique, Clemenceau s’opposa à Jules Ferry qui déclarait :

« Je répète qu’il y a pour les races supérieures un droit parce qu’il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures. » (Discours devant la Chambre des députés, 28 juillet 1885).

Clemenceau lui répondit en ces termes :

« Les races supérieures ont sur les races inférieures un droit qu’elles exercent et ce droit, par une transformation particulière, est en même temps un devoir de civilisation. Voilà, en propres termes, la thèse de M. Ferry et l’on voit le gouvernement français exerçant son droit sur les races inférieures en allant guerroyer contre elles et les convertissant de force aux bienfaits de la civilisation. Races supérieures ! Races inférieures ! C’est bientôt dit. Pour ma part, j’en rabats singulièrement depuis que j’ai vu des savants allemands démontrer scientifiquement que la France devait être vaincue dans la guerre franco-allemande, parce que le Français est d’une race inférieure à l’Allemand. Depuis ce temps, je l’avoue, j’y regarde à deux fois avant de me retourner vers un homme et vers une civilisation et de prononcer : homme ou civilisation inférieure ! [...] Je ne veux pas juger au fond la thèse qui a été apportée ici et qui n’est autre chose que la proclamation de la puissance de la force sur le Droit [...] » (Discours devant la Chambre des députés, 30 juillet 1885)

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