La T2A en question?
Alors que la tarification à l’activité (T2A) à 100% couplée aux enveloppes fermées et aux injonctions d’agence continue à asphyxier les hôpitaux publics français, dans l’attente de l'abracadrabrantesque convergence tarifaire entre public et privé et de l’accouchement au forceps de la T2A en Soins de Suite et de Réadaptation, la littérature internationale laisse espérer une évolution dans les modes managériales relatives aux paiements prospectifs.
Aux USA les effets délétères du fee-for-service commencent à faire envisager d’autres modèles de rémunération du service médical rendu. La managed competition entre les différentes étapes de la chaîne de soins et entre les différentes structures à un moment donné de la chaîne favorise en effet des parcours de soins de plus en plus fragmentés et incoordonnés, avec des surcoûts, des sur-fournitures, des sous-fournitures de soins, des gaps dans la continuité des soins à l’origine de pertes de chance inacceptables, voire d’augmentation de la mortalité au décours des soins post-aigus (Ottenbacher). Le résultat clinique, l’outcome, ce qui reste le plus difficile à évaluer, en pâtit, surtout pour les maladies chroniques et rien n’incite les acteurs à travailler en réseau en vue de ce résultat final (value driven health care).
Le constat quotidien des professionnels c'est que dans le système français, fragmenté par les lois de 1970 et 1975, entre secteur sanitaire et secteur de l'action sociale et médico-sociale, entre le champ des personnes âgées et celui des personnes handicapées, entre l'assuranciel "déconcentré" et l'assistanciel "décentralisé", les effets de "gap", de trous structuraux dans les parcours s'en trouvent démultipliés par rapport à ce qui est déjà régulièrement observé à l'étranger.
Le rapport suivant dresse la liste des effets négatifs du fee-for-service et évoque de nouvelles pistes orientées vers la valorisation de la "chaîne de valeur" et de l’intégration des soins. La volonté de favoriser des logiques de financement centrées sur l'outcome dans les maladies et états chroniques handicapants et quel que soit l'âge en est le fil conducteur:
Creating payment systems to accelerate value-driven health care: issues and options for policy reform Harold D. Miller Pittsburgh Regional Health Initiative September 2007
http://www.commonwealthfund.org/Publications/Fund-Reports/2007/Sep/Creating-Payment-Systems-to-Accelerate-Value-Driven-Health-Care--Issues-and-Options-for-Policy-Refor.aspx
http://www.commonwealthfund.org/Publications/Fund-Reports/2007/Sep/Creating-Payment-Systems-to-Accelerate-Value-Driven-Health-Care--Issues-and-Options-for-Policy-Refor.aspx
Le rapport complet: Cliquer ici
Différents modèles de substitution ou d'aménagement du fee-for-service sont proposés aux USA et dans d’autres pays. S’ils se situent toujours dans le cadre du paiement prospectif et font toujours référence au concept d’imputabilité dans les ACO (Accountable Care Organizations), et à la rémunération à la performance (voir schéma du NRHI), la concurrence encadrée n’est plus l’horizon indépassable de la construction d’un système de soins qui conjugue accessibilité, efficacité économique et qualité des soins tout en incitant les acteurs à travailler en réseau.
On envisage ainsi (liste non exhaustive):
- le paiement par épisodes de soins en couplant soins aigius et post-aigus (bundling),
- le financement global ( !) rénové et articulé aux nouvelles technologies de l’information,
- de nouveaux modèles pluri-compartimentaux de paiement des cliniciens,
- la capitation, somme d’agent à répartir pour une population donnée,
- le paiement à la trajectoire des soins, du premier recours à l’insertion sociale pour les maladies chroniques.
Ainsi alors qu’aux USA le paiement à l’épisode de soin (bundling) combinant aigu et post-aigu est à l’étude, la société savante américaine de Médecine Physique et de Réadaptation (AAPM&R) insiste sur trois précautions préalables pour un système visant à ce que chaque patient ait accès en temps opportun aux prestations de réadaptation qu'il requiert au regard de l'état de l'art:
1 Des expériences pilotes avant le déploiement d’un système de financement qui pourrait réduire la qualité des soins (par exemple en conditionnant trop l’organisation post-aigue à la pathologie causale et/ou en lissant les prises charge en post-aigu au détriment des réadaptations intensives et complexes, la fluidité prenant alors le pas sur la pertinence des programmes de soins. Toute ressemblance avec le système français est ici volontaire, le caractère structurant de la réadaptation intensive, si présent à l'étranger et pas seulement aux USA, a été purement et simplement supprimé en France lors des réformes des SSR en 2008...
2 L’exploitation complète des résultats des systèmes existants pour le financement du secteur post-aigu.
3 L’obtention de données partagées qu’il s’agisse de données cliniques, de coûts, de parcours de soins et d’outcome.
Les médecins français devraient bien s’en inspirer dans la recherche de l’accessibilité aux données, aux inférences statistiques et aux interprétations qu’elles engendrent. Accepterons nous encore longtemps d’être « incités » par des manipulations d'agence, comme les « idiots rationnels » que l’économie de la santé prend pour postulat quand elle modélise les motivations des médecins? Si nous autres, professionnels, ne nous occupons pas de management et de tarification, le management et la tarification s’occuperont de nous!
Un changement de paradigme ?
Pourquoi cet échec du fee-for-service était-il prévisible ? Parce qu’on prend les médecins, les usagers et les managers pour des « idiots rationnels » selon l'expression d'Amartya Sen dans un champ d’activité ou le souci de l’autre, le "métier" et la combinaison des savoirs en équipe sont au moins aussi importants que le calcul égoïste et rationnel supposé par la théorie classique.
La fabrique de l'idiot rationnel en médecine
Dans son essai Ethique et économie , devenu un classique, Amartya Sen dénonce la théorie économique néo-classique de l’agent rationnel dénué de dimensions morales, culturelles et affectives, comme théorie de « l’idiot rationnel », l’agent humain considéré du seul point de vue de ses motivations économiques.
« Pourquoi l'économie orthodoxe a-t-elle tant recours aux mathématiques ?
Parce que son hypothèse fondatrice est que la société est une mécanique constituée d'individus qui se comportent comme des automates calculateurs rationnels et égoïstes, ou d'idiot rationnels, c'est-à-dire de gens qui passent leur vie à tout calculer en termes d'avantages monétaires, et qui n'ont ni liens sociaux, ni histoire, ni règles collectives, ni valeurs. » Guy Minguet (sociologie du travail et de l’emploi)
Dis, c'est quoi la Rand corporation?
Le think tank qui conseille les administrations publiques (Center for Medicare & Medicaid Services où ont été expérimentés les paiements à l'activité)
Le think tank qui conseille les administrations publiques (Center for Medicare & Medicaid Services où ont été expérimentés les paiements à l'activité)
A Theory of Yardstick Competition Andrei Shleifer The RAND Journal of Economics, Vol. 16, No. 3. (Autumn, 1985), pp. 319-327.
Yardstick competition vs. individual incentive regulation: What the theoretical literature has to say? Eshien CHONG
The market of lemons - George Akerlov Cliquer ici (théorie de l'agence et asymétrie d'information dans les contrats)
L'antidote
Amartya Sen. Des idiots rationnels, critique de la conception du comportement dans la théorie économique" (pp. 88-116), in Ethique et économie, Paris, PUF, 1987.
http://www.scribd.com/doc/7259984/Sen-Rational-Fools-a-Critique-of-the-Behavioral-Foundations-of-Economic-Theory
http://www.scribd.com/doc/7259984/Sen-Rational-Fools-a-Critique-of-the-Behavioral-Foundations-of-Economic-Theory
«L'homme purement économique est à vrai dire un vrai demeuré social. La théorie économique s'est beaucoup occupée de cet idiot rationnel, drapé dans la gloire de son classement unique et multifonctionnel de préférences. »
Amartya Sen
Amartya Sen
“The overall success of the firm is, to a large extent, a public good from which there is a common benefit, to which all contribute, and which is not divided up into little parcels of person-specific rewards, strictly linked with each person’s respective contribution. And this is precisely where motives other than narrow self-seeking become critical for productivity.” Amartya Sen
Et ensuite?
Il est notoire que les autorités publiques sont aujourd'hui informées des limites de l'approche du public choice qui fonde le Nouveau Management Public et sa déclinaison française la RGPP. En témoigne ce rapport de l'IGAS:
Rapport de l’IGAS sur la rémunération des médecins à la performance - 2008
http://integeco.u-bordeaux4.fr/acte.pdf
http://integeco.u-bordeaux4.fr/acte.pdf
Le rapport de l'IGAS est conscient des limites inhérentes à l'économie classique quand elle est appliquée aux motivations des médecins et des usagers. Pourquoi donc persiste-t-on dans l’erreur au mépris des données probantes de l'evidence based management et de la littérature internationale ?
Irait-on jusqu’à nous prendre pour des idiots irrationnels ?
Webographie
The End of Fee-for-Service Medicine? Proposals for Payment Reform in Massachusetts
NEJM | July 29, 2009 | Topics: Cost of Health Care, Medicare and Medicaid
http://healthpolicyandreform.nejm.org/?p=1247
Trends in Length of Stay, Living Setting, Functional Outcome, and Mortality Following Medical Rehabilitation - Kenneth J. Ottenbacher, PhD, OTR; Pam M. Smith, DNS, RN; Sandra B. Illig, MS, RN; Richard T. Linn, PhD; Glenn V. Ostir, PhD; Carl V. Granger, MD JAMA. 2004;292:1687-1695. NEJM | July 29, 2009 | Topics: Cost of Health Care, Medicare and Medicaid
http://healthpolicyandreform.nejm.org/?p=1247
http://jama.ama-assn.org/cgi/content/full/292/14/1687
Post-acute care bundling plans - Cherilyn G. Murer
(Cet article évoque les bundle à l'étude entre court séjour et psot-aigu et les propositions de l'AAPM&R)
« What Is Value in Health Care? » de Michael Porter - New Engl. J. Med. 2010. 363: 26; 2477-2481
Article cité dans l'épilogue du livre de Laurent Degos: santé pour sortir des crises?
http://healthpolicyandreform.nejm.org/?p=13328
http://www.nejm.org/doi/pdf/10.1056/NEJMp1011024?ssource=hcrc
Article cité dans l'épilogue du livre de Laurent Degos: santé pour sortir des crises?
http://healthpolicyandreform.nejm.org/?p=13328
http://www.nejm.org/doi/pdf/10.1056/NEJMp1011024?ssource=hcrc
Site du NRHI (Network for Regional Healthcare Improvement - Pittsburgh):
Incentives For Excellence: Rebuilding rebuilding the healthcare payment system from the ground up.
http://www.nrhi.org/downloads/ROOTS_Incentives_For_Excellence.pdf
Proposals for Improved payment Systems
http://www.nrhi.org/proposals.html
Incentives For Excellence: Rebuilding rebuilding the healthcare payment system from the ground up.
http://www.nrhi.org/downloads/ROOTS_Incentives_For_Excellence.pdf
Proposals for Improved payment Systems
http://www.nrhi.org/proposals.html
Effects of Pay for Performance on the Quality of Primary Care in England - N Engl J Med 2009; 361:368-378
http://www.nejm.org/doi/full/10.1056/NEJMsa0807651#t=articleTop
http://www.nejm.org/doi/full/10.1056/NEJMsa0807651#t=articleTop
cet analyse est à voir de près car il pourrait aboutir vers une solution permettant aux Français de faire face à leurs frais de santé qui ne cessent d'augmenter de jour en jour
RépondreSupprimerChristelle