jeudi 13 janvier 2011

Ré-ingénierie et fragmentation - une tentation ancienne - Joseph-Ignace Guillotin, la médecine, l'hôpital, la santé publique et la précarité

"Il y a des hommes malheureux. Christophe Colomb ne peut attacher son nom à sa découverte; Guillotin ne peut détacher le sien de son invention". Victor Hugo

On relèvera dans ces extraits relatifs à l'oeuvre de Guillotin les tensions qui nous occupent au quotidien et s'exprimaient déjà l'époque entre:
- modèle médical et social des "problèmes de santé" (pourquoi La Rochefoucauld-Liancourt s'est-il opposé à Guillotin sur le comité de santé alors qu'il l'a soutenu sur bien d'autres combats? - Voir histoire du Comité de Mendicité)
- juridictions professionnelles contrôlées par l'Etat versus libéralisation sans contrôle des diplômes (fermeture des facultés, liberté de toutes les professions en 1793 à mettre en lien avec les thèses de Milton Friedman)
- clinique et santé publique

Guillotin et la santé publique

Le 12 septembre1790 il propose la création d’un Comité de Santé, qui devait avoir pour mission de s’occuper de tout ce qui est relatif à l’enseignement et à la pratique de l’art de guérir, des établissements salutaires dans les villes et les campagnes et spécialement de tous les objets qui peuvent intéresser la salubrité publique; » mais sa motion, d’abord adoptée, finit par être rapportée, deux jours après, grâce aux efforts de La Rochefoucauld-Liancourt.

Guillotin, la médecine et les hôpitaux

"Le 15 septembre 1793, la Convention Nationale, sous prétexte d'égalité, ferma toutes les Facultés de France et proclama la liberté de toutes les professions. A la Convention, A. de Fourcroy fait adopter le décret du 14 frimaire an III (4 décembre 1794) qui réglemente les études médicales mais non leur sanction et laisse les professions médico-pharmaceutiques dans le chaos. Le danger était tel que Guillotin se joignit à Cabanis, Pinel et Fourcroy pour obtenir le rétablissement des écoles de Santé. Michel-Augustin Thouret est nommé directeur de l'Ecole de Paris et en 1795, à nouveau, un enseignement est dispensé."Médecine et Chirurgie, deux branches de la même science", sont réunies et enseignées aux "élèves de la Patrie".

"Le 7 frimaire an III (27 novembre 1794), le chimiste Antoine-François de Fourcroy, successeur de Marat comme député et membre du Comité d'instruction publique de la Convention, lira à la tribune un rapport portant réorganisation de l'enseignement de la médecine (le rapport reprenait un grand nombre des propositions de Guillotin). Une partie de la loi du 10 mars 1803 transformera les propositions de Guillotin en réformes, réformes sur lesquelles vit en grande partie la médecine aujourd'hui."

"La création du conseil de salubrité du département de la Seine le 18 messidor an XI (7 juillet 1802) permit à l’administration de disposer d’un organisme de consultation stable. Les communes doivent à présent pourvoir à l'alimentation en eau potable des habitants et doivent dresser la liste des établissements "insalubres et dangereux" (parmi lesquels on trouve les boucheries, les équarrisseurs, les abattoirs, les manufactures de produits chimiques ou les mines, les tannages et teintureries). Les communes doivent également porter assistance aux pauvres et gérer les hôpitaux - d'où la nomination aujourd'hui encore du maire de la ville comme président du Conseil d'administration de l'hôpital local - et distribuer des secours et des médicaments aux indigents. Les communes sont tenues d'avoir des médecins à leur service, chargés d'informer le préfet de l'état de santé de la population, des épidémies et des épizooties."

"Le rôle de Guillotin dans l'histoire de la médecine ne s'arrête pas là. L'idéologie sociale irraisonnée de l'époque provoqua une crise au sein de la médecine hospitalière au profit d'une médecine libérale dans laquelle des individus mal formés distribuaient des soins inconsidérés."

"Pour "réparer l'état de sûreté publique compromise depuis 1789", Guillotin fonde la toute première Académie de médecine de France, chargée de poursuivre les travaux de la Société royale de médecine et d'éclairer la science sur toutes les questions d'hygiène publique. Avec des confrères parisiens réunis le 27 septembre 1804, ils fondent l'Académie de médecine de Paris. La première séance se tient en octobre. On trouve autour de Guillotin : Bourru, Desessartz, Sédillot, Léveillé, Legallois et Bosquillon. Le baron Antoine Portal fait également partie des membres; il sera à l'origine du déclin de cette première Académie de médecine. Après le sacre de Napoléon, le 2 décembre 1804, on décide de substituer le nom d'Académie Impériale de médecine à celui d'Académie de médecine. L'Académie de médecine se réunit dans la chapelle désaffectée de la congrégation des pères de l'Oratoire, elle s'occupe de tout ce qui peut contribuer aux progrès de l'art de guérir, elle est mentionnée dans l'almanach impérial en 1808, dans lequel elle signale l'adhésion d'un total de 382 membres . Le 31 décembre 1807, s'appuyant sur de futiles prétextes, Bosquillon démissionne; en 1810, elle est mentionnée comme Société Académique de médecine, Portal claque la porte entraînant avec lui Sédillot et crée une nouvelle Société en juin 1811, le Cercle Médical. Désormais Portal n'a qu'un but : détruire l'Académie de médecine de Guillotin. Les deux sociétés coexisteront jusqu'en 1819 (cinq ans après la mort de Guillotin). Le 20 décembre 1820, Louis XVIII, à la demande de son premier médecin, le baron Antoine Portal, crée l'Académie royale de médecine (chargée de continuer les travaux des trois sociétés : la Société Royale de Médecine, l'Académie Royale de Chirurgie et la Société de la Faculté de Médecine), pour rassembler l'élite des médecins et des chirurgiens français."

"Par ailleurs la fin de l'Empire verra le début de l'utilisation des statistiques dans le domaine de la médecine."

Source
et

Comité de mendicité vs comité de salubrité? Larochefoucauld-Liancourt
"Le 12 septembre 1790, Guillotin avait obtenu la création d'un comité de salubrité ou de santé, conmposé de seize médecins : Liancourt fit décider par décret que ce comité ne priverait le Comité de Mendicité d'aucune de ses attributions."

Voir aussi Tocqueville, le libéralisme et le paupérisme
Intéressant, mais point de vue "ultralibéral" sur la question, à modérer

Comité de mendicité (essai de synthèse)
"A la révolution Française, suite aux travaux des philosophes (note: notamment Rousseau qui fait du "mal" le résultat d'une histoire sociale), la valeur de Justice remplace celle de Charité. Les droits de l'Homme de 1789 proclament le droit au bonheur, sur terre déjà et non plus seulement au paradis, après la mort. La réflexion qui se poursuit en arrive à affirmer que chacun a le droit de disposer des moyens pour vivre, quel que soit son état et son âge. Ce n'est plus au riche, par l'intermédiaire de l'Eglise, à gagner son salut par son action charitable. La responsabilité de la pauvreté n'est plus attribuée à un Dieu créateur ou au pauvre lui-même. Elle devient le résultat d'un mauvais gouvernement. C'est donc l'Etat qui, par des lois, doit assurer la sécurité de chacun et procurer à tous la subsistance. Ces lois protègeront les démunis et leur reconnaîtront un statut de citoyens, égaux non par la naissance ou la nature mais par le droit.
Les secours seront distribués par une organisation publique, selon une méthode rationnelle, après rassemblement et analyse des faits. Enfin, selon les capacités de chacun, on fournira soit du travail soit une aide matérielle."

Conclusion aporétique
Les tentations de ré-ingénierie socio-sanitaires de l'époque et les tensions qui l'accompagnent sont évoquées dans "naissance de la clinique" de Michel Foucault qu'il faut bien entendu lire avant ses incontournables cours sur la naissance de la "biopolitique".
( Les cours sur la naissance de la biopolitique sont téléchargeables en version audio sous ce lien).
Tout est déjà en débat à l'époque - principe de bienfaisance contre principe d'autonomie - régulation managériale vs professionnelle, marchande, démocratique - modèle médical vs modèle social - cure et care - modèle intégratif vs participatif - recherche d'une "troisième voie" - et absence de modèle consistant de la fameuse complexité bio-psychosociologique devenue ainsi objet de tous les lobbyings. Mais ce modèle impossible, dont l'impossibilité même s'explique selon certains par la "théorie du chaos", hors des situations médicales simples et standardisables par les modèles industriels, c'est aussi la place du jugement professionnel et de "ce que sait la main" dans les situation de contingence, d'incertitude radicale que nous rencontrons au quotidien.

Il n'y a rien de si difficile à distinguer que les nuances qui séparent un malheur immérité d'une infortune que le vice a produit." Alexis de Tocqueville

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