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dimanche 2 décembre 2012

La T2A, peut-être, mais pas à n'importe quel prix.


Iatrogénèse managériale et aveuglement collectif

"Les portes de la charité sont difficiles à ouvrir et dures à refermer." Proverbe chinois

Présentation - Les auteurs:  Bernard Granger - Frédéric Pierru


La sophistique managériale en action

"Je ne crois aux statistiques que lorsque je les ai falsifiées moi-même." Winston Churchill

D'après une dépêche APM du 30 novembre 2012, les conclusions de l'enquête menée pour la FHF par l'ancien Directeur de la Politique médicale de l'AP-HP, Jean-Yves Fagon, montreraient que "La mise en œuvre de la tarification à l'activité (T2A) n'aurait pas eu d'effets délétères sur la qualité des prises en charge". On sait que le FHF est très favorable à la T2A, parce que celle-ci a permis de renforcer le contrôle exercé par les "nouveaux patrons de l'hôpital" sur la profession médicale par l'intermédiaire des centres de coûts, les pôles. Il est vrai, à leur décharge, que ces nouveaux patrons sont aussi les nouveaux fusibles des "agences", à l'heure où les directions sont enjointes par la nouvelle chaîne de commandement des hôpitaux de faire tenir par tous les moyens les enveloppes dans le cadre contraint de l'Ondam. L'application actuelle de la T2A, sous une des formes les plus intégristes de la religion des pseudo-marchés et des incitations, associe ainsi un cost-killing irresponsable par des "restructurations" de plus en plus démédicalisées et déconnectées des besoins territoriaux, l'infantilisation managériale des soignants et l'explosion ubuesque du reporting de résultats aussi myopes qu'inutiles. Il faut bien sûr ds indicateurs mais construits sur une qualité qui a du sens pour les professionnels, pour les usagers et pour les payeurs, et pas seulement pour ces derniers. Mais hélas, il ne s'agit ici que de rationaliser le rationnement, selon les modèles de performance publique de l'OCDE et de la LOLF, en gardant la maîtrise du discours politico-médiatique. La construction de la réalité sanitaire et des inférences des disciplines qui la composent repose aujourd'hui sur la légitimité scientifique des grandes "orientations de santé publique". Qui peut être contre? Mais quels  niveaux de preuves, quel evidence based management, peuvent donc afficher ces grands programmes descendant de politiques publiques sans pilote, qui promettent plus qu'elles ne peuvent tenir. Tout se passe comme s'il s'agissait en fait d'une arène où les coalitions diverses se battent pour attirer les fonds. Aucune organisation humaine ne pourrait résister à une telle incurie bureaucratique, qui tente de se dissimuler derrière la vacuité de la propagande officielle et la multiplication des niveaux de la pyramide. Il a été abondamment dénoncé, notamment par Robert Holcman lui même directeur, que la seule variable d'ajustement qui reste est la qualité des soins et notamment par le biais des suppressions de postes permises par la dérégulation professionnelle. (son intervention au sénat en 2008).

Soulignons quelques passages de la dépêche APM reflétant la sophistique du salut par la T2A:
 "Le groupe a envoyé un questionnaire aux établissements de santé publics afin de mener une analyse "vue de l'intérieur" (une telle vision irénique de "l'auto-évaluation", cela ne s'invente pas NDLA) pour compléter les nombreuses évaluations plutôt financières déjà réalisées.

Il a conclu à une hausse du dynamisme des hôpitaux (cf. APM CBPKU002) et, sous réserve d'analyses plus précises, qu'il n'y avait pas eu d'effets négatifs sur la qualité des prises en charge, a rapporté Jean-Yves Fagon.

Il a écarté le risque d'un taux de réadmission plus élevé en se fondant sur des données allant de 2008 à 2010. "Toutes prises en charge confondues, il semble que le taux de réadmission dans les deux semaines suivant la première admission ait une légère tendance à la baisse entre 2008 et 2010", a-t-il montré."

Il est urgent de faire connaître aux usagers et aux élus que ces conclusions vont à rebours des constats quotidiens des cliniciens et des malades, même si à juste titre ils font encore confiance à leur hôpital. Elles témoignent d'un aveuglement coupable et prémédité de la part de nos gestionnaires. Leur persistance dans l'erreur la plus radicale est désarmante, à l'heure où les SSR, dans l'attente de leur propre modèle de tarification, voient s'effondrer la qualité des soins et le financement de la plupart de leurs prises en charges spécialisées et complexes sous la pression croissante des effets pervers d'une T2A en aigu non réellement régulée et d'une gouvernance hospitalière absurde.

Lost in management: quand l'hôpital se fout de la charité
(mais aussi de l'assistance)


La T2A peut peut-être être utilisée en l'absence de modèle parfait de financement des hôpitaux, mais en sortant de toute urgence de la politique de l'autruche liée à la fausse évaluation de la qualité. Le trio T2A sans limites, fausse qualité et gouvernance caporalisée, cette dernière déployant le cost killing le plus inapproprié à l’organisation soignantes assisté des millions d'euros inutilement dépensés pour les semi-habiles de l'ANAP, ne cesse d'effondrer la qualité des soins aux yeux des professionnels. Ils sont de plus en plus désenchantés et désespérés de ne plus rien pouvoir opposer à l’incurie en étant démunis de tout contre-pouvoir face à une iatrogenèse managériale toujours plus arrogante, sans doute parce toujours plus autoritairement dirigée d'en haut. Les cadres hospitaliers, médicaux ou non médicaux, ont aujourd'hui essentiellement pour fonction le contrôle de gestion et la rationalisation du rationnement aux yeux des agents alors que plus personne ne les croit.

« Tout le monde ment et tout le monde sait que tout le monde ment». «Tout est contrôlé et rien n'est sous contrôle. » La maladie du management de l'hôpital français, peut se lire selon Crozier, Dupuy, Pierru, Belorgey, Kervasdoué ou selon Mintzberg. C'est un grand corps malade avant tout de son management, lui-même dénaturé par sa régulation macro-économique. Voilà que se déploie une improbable gestion néo-taylorienne des plus simplistes de la santé par les "process", qui séparent toujours plus le cure et le care, la différenciation et l’intégration des soins, quand les malades sont de plus en plus chroniques et en nécessitent l'intrication de plus en plus étroite. Les malades ignorés par le système d'information induisent inévitablement une loi de Pareto où 20% des cas complexes induisent 80% des dysfonctionnements du système, à la fois en termes de qualité des soins et d'efficience. Les tuyaux d'orgue de la bureaucratie "brejnévienne" du siège de l'AP-HP multiplient l'aveuglement sur un sujet qui est souvent beaucoup mieux appréhendé dans des hôpitaux à taille humaine. Cela explique qu'un ancien directeur de la politique médicale puisse prolonger une vision aussi étriquée de la question dans un sens souhaité par la FHF.

Didier Castiel a bien montré la multiplication rapide des "sorties sauvages", c'est à dire organisées sans pérennité des systèmes de soins et d'aides, depuis la mise en place de la T2A en aigu. Cela est mis en évidence par la forte tendance à l'égalisation des durées de séjour entre malades "simples" et "complexes" à classification T2A égale. Les malades "complexes" sont définis par des éléments d'autonomie fonctionnelle, psycho-sociaux et environnementaux précis, éléments qui ne sont jamais captés par le système d'information. Les conséquences de ces sorties mal préparées, bien connues des cliniciens de ville comme des hospitaliers qui suivent les patients à long terme, sont catastrophiques notamment pour les maladies chroniques, les personnes âgées et handicapées. L'aveuglement des intégristes de la T2A sans garde-fous en France, en particulier de ceux qui se prétendent "solidaires" et défenseurs de l'hôpital public, tient essentiellement à cette dissimulation permanente que ne doit pas occulter les "gesticulations" cache-misère sur la seule "précarité", la participation très encadrée des usagers et l'accès à des droits qui restent purement formels. 

Voilà en quelque sorte comment "l'hôpital se fout de la charité" en se prétendant toujours le haut lieu de "l'assistance" républicaine censée s'y substituer. Le problème, dit la doxa gestionnaire, doit être externalisé vers les soins de ville et vers le secteur de l'action sociale sans que personne ne se soucie du réalisme de ces externalisations, ou encore vers les impayables "coordinateurs de filière" ou autres professionnels du nouveau « PRADO » et de SOPHIA. Les professionnels et les patients devraient bien se méfier "du nouveau visage de la sécu" tant il témoigne d'une vision déformée et idéologique du comportements des acteurs. Ces nouveaux professionnels, ces incitateurs plus ou moins coercitifs à la coopération imaginés par les actuaires et statisticiens de la "sécu", viendraient des agences pour nous aider à orienter les patients, ce qui nous ne sommes pas censés savoir-faire, après il est vrai nous en avoir supprimé de plus en plus les moyens pour mieux nous reprocher de ne pas savoir le faire! De qui se moque-t-on? Il est aisé alors d'accuser l'hôpital d'un centrage trop bio-médico-technique pas assez "holistique" comme le martèle l'antienne de formation des cadres hospitaliers. Les pompiers pyromanes du système de soins sont en train de nous bâtir à grande vitesse un système de régulation soviétique qui va totalement à rebours des objectifs affichés (Kervasdoué).

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Parcours de soins, SSR et vision urgento-centrée des filières


Les SSR sont donc aujourd'hui restructurés principalement du fait du poids écrasant sur l'aigu des malades pour lesquelles ces sorties "à la hussarde", liées à la l’impossibilité croissante d'assembler les savoir-faire de coordination médico-sociale précoce que l'hôpital a pensé à tort pouvoir externaliser, restent humainement et/ou juridiquement impossibles. Les sorties et orientations en SSR sont de fait de plus en plus dépendantes de l'autorité des directeurs financiers, par devers les médecins et travailleurs sociaux, qui n'ont plus guère la main, surtout que de nouveaux logiciels permettent d'imposer les malades en repérant les places disponibles en aval, sans toutefois s'appuyer sur une classification robuste d'orientation des patients en fonction de leurs besoins. La fluidité prend donc inévitablement  le pas sur la pertinence des orientations et des soins, avec pertes de chances et dysfonctionnements en cascades.

Quoiqu'en disent les agences, l'asymétrie d'information qui permet la sélection des malades rentables par le privé est incontrôlable, même par les nouveaux "machins" logiciels type Trajectoire, du fait du PMSI lui-même, la seule classification des patients aujourd'hui vraiment "utilisable". Hélas, construite sur le modèle de "l'usine à soins" elle reste donc aveugle aux déterminants non purement médicaux des séjours longs (Castiel, Escaffre, Odier, Devailly, Josse...)

Cet effondrement des SSR, confrontés à l'abîme créé par les dispositifs législatifs et réglementaires successifs entre sanitaire et médico-social, personne ne veut le voir. Pourtant, les gaps et étapes limitantes critiques qu’il induit, les transforme de plus en plus en une nouvelle "défectologie" qu’on croyait pourtant définitivement disparue, avec des lits de « médico-social » déguisés. Cette double fonction de soins spécifiques et d'hébergement avec poursuite de soins en attente d'insertion sociale n'est pas étrangère à l’impasse actuelle du futur modèle de T2A en SSR. Il se produit sous l'action conjuguée:

1. De l'asservissement mont-aval en filières poussées des urgences (ou "filières inversées" selon la production de l'amont dans une vision urgento-centrée) par segmentation des séjours. 

2. Exclusion concomitante dans le nouveau modèle SSR des compétences médicale spécifiques du champ en 2008, favorisée à l'époque par la FHF déjà sous la contrainte de l'asphyxie de l'aigu,

3. Captation de la DAF SSR de façon totalement opaque par les directions comme variable d'ajustement de l'aigu, régulation tout aussi opaque par les ARS

4. Dérégulation folle des ratios, voir les "ratios SSR" de l'AP-HP!

Bien entendu l’explosion de venues aux urgences par effondrement de soins de premier recours et le fait que l’hôpital soit souvent devenu le généraliste des pauvres (Kervasdoué) et plus largement des personnes en perte d’autonomie est la première leçon à tirer pour ne plus concevoir des parcours de soins et la pertinence des soins selon un modèle linéaire commençant aux urgences.

Toute personne qui s’intéresse un peu au financement des hôpitaux et qui n'est pas un adversaire absolu d'une T2A qu'on pourrait toujours imaginer comme plus "intelligente", sait les risque d'une T2A à 100%, sous enveloppe fermée et sans aucun garde-fou étaient déjà parfaitement connus dans la littérature internationale avant l'implantation en France

De plus, la fracture socio-sanitaire entre "déconcentration" des soins relevant de l'Assurance-Maladie et "décentralisation" du secteur de l'action sociale interdit par construction au système français d'analyser convenablement les déterminants de l'hospitalisation pour cause de guerre permanente et bureaucratiquement induite à la fois entre enveloppes financières, entre institutions mises en concurrence et entre prérogatives des services déconcentrés et des collectivités locales (personnes âgées et handicap) . Ce point clé du rapport Larcher n'est évidemment pas réglé par les ARS.

La T2A ainsi dérégulée, démédicalisée et sous Ondam fermée est en l'état actuel une machine à détruire l'hôpital public. Elle met en péril un système de soins accessibles et solidaires


Le dernier livre de Bernard Granger et Frédéric Pierru (l'hôpital en sursis") montre parfaitement comment et pourquoi quelques intégristes de la ré-ingénierie de la santé, nommés les "réformateurs", ont inventé la T2A la plus bête du monde et aussi la plus "dérégulée" en terme de conditions techniques de fonctionnement, ceci bien entendu dans l’idolâtrie béate de la puissance de restructuration qu'on lui suppose.

Cela a conduit très directement à l'exclusion des médecins de la gestion (au nom de la "résistance au changement") et à la fausse autonomie des "pôles". Ceux-ci sont considérés comme "centres de coût" dans une perspective essentiellement comptable, excluant tout management médical au sens noble du terme, avec l'objectif de casser les services comme collectifs de soins, et non comme des "centres de résultats". Ceux-ci auraient eu une véritable délégation de gestion, peut-être réellement utile, hors les pôles PIM PAM POUM montés de force dans une logique militaire et sans aucune cohérence médicale. Cette acception du pôle aurait été tout de même plus cohérente au moins avec les effets bénéfiques attendus d'un modèle de concurrence par comparaison. Qui peut être contre une comparaison intelligente et stimulante dès lors qu’elle est maniée par des professionnels qui en connaissent les limites?

Voici que quelques apparatchiks acquis à l'idéologie des semi-habiles de « l'éthiconomie » réformatrice nous accablent à nouveau de leur naïveté gestionnaire. Ubuesque cécité et iatrogenèse managériale assurée.

De trop nombreux collègues, brillantissimes dans leurs spécialités, croient avoir une vision d'ensemble, par ignorance de ce qu'ils ne voient pas. Ils ne comprendront pas, face aux alternatives illusoires par lesquelles gestionnaires savent trop bien les piéger, entre la peste et le choléra, que si l’on veut faire entrer les déterminants de l'hospitalisation dans les catégories purement médicales du modèle de Fetter (DRG) et de notre PMSI français, on ne peut sortir que du grand chapeau des data ce qu'on y a mis. Signalons que le PMSI-SSR, modèle exclusivement français, très critiqué à l’étranger pour son incohérence, est une usine à gaz bien pire que le PMSI de l'aigu. Mais le paquebot est bien lancé sur son erre, comme sans doute le système de la psychiatrie. "Hôpital Titanic"?
Comme dit Einstein, ceux qui ont créé les problèmes ne peuvent pas les résoudre, et, pire il y a irréversibilité de certaines configurations de pouvoirs gestionnaires et d’agence sans pilotes que ces problèmes ont créé.
Ces heuristiques de disponibilité et leurs boucles auto-référentielles "bien huilées" dans l'arrogance de leur cohérence interne ne peuvent produire que des pertes de chances en terme "d'outcome". Celles-ci ne sont bien entendu pas évaluées quand notre système "qualité" se contente de misérables indicateurs de processus et de quelques de résultats myopes de "sortie de système" (output). Il faut croire que selon nos grands ingénieurs de la réforme, une véritable mesure de résultats selon les cliniciens limiterait trop la puissance des systèmes de paiement, de même qu'une approche de la performance en terme d'état d'esprit au travail*.

Zeynep Or est beaucoup plus critique que les conclusions de l'enquête qui semble ignorer la littérature française et internatinale sur le sujet.

"Zeynep Or, directrice de recherche à l'Institut de recherche et de documentation en économie de la santé (Irdes), a par ailleurs fait part de son analyse de la littérature sur l'impact de la T2A sur la qualité aux Etats-Unis et en Europe et déploré qu'il n'y ait toujours pas d'étude d'impact en France.

En se fondant sur des données de la période 2002-09, elle a relevé une baisse de la durée moyenne de séjour et une tendance à l'augmentation des réadmissions à 30 jours pour plusieurs pathologies, contrairement à ce qui ressort globalement de l'étude de la FHF à deux semaines entre 2008 et 2010."

Les taux de réadmissions des malades, un des garde-fous les plus évidents hors du monde des "bisounours" ne sont qu'un des multiples moyens de mesurer l'impact des sorties sauvages et de penser une T2A qui pourrait être à visage humain. En dehors de ces réadmissions, personne ne mesure non plus l'impact désastreux en terme d'outcome d'une sortie mal préparée qu'il s'agisse de soins au domicile ou de réinsertion dans une structure médico-sociale. Zeynep Or est une spécialiste de la T2A, mais comme tous les "experts" elle se doit de pratiquer ce que Bourdieu nomme "la transgression contrôlée". Comme un cardinal peut s'autoriser à rire d'un bon mot contre l'église, l'expert sait critiquer un modèle pour mieux le faire adopter à la demande de l'establishment qui l'emploie. Si brillants soient-ils, ces experts ne sont jamais réellement indépendants. Retenons toutefois du message de Zeynep Or que continuer en France avec un tout T2A sans aucune étude d'impact réel serait la porte ouverte à une chute catastrophique de l'accessibilité et de la qualité des soins.

Petit rappel élémentaire des effets pervers d'un T2A trop dérégulée (Robert Holcman citant les fondamentaux de la littérature internationale)
  • Déformation du case-mix par amélioration du codage (gain en exhaustivité) ou par surcodage (pratiques déviantes)
  • Segmentation des séjours
  • Réduction des durées de séjour, sortie précoce des patients vers le domicile, transfert rapide vers l’aval (SSR, RF, HAD)
  • Sélection des patients pour écarter les cas les plus lourds
  • Sur-fourniture ou sous-fourniture de soins
Source : RobertHolcman: la tarification dans les établissements de santé

Reprenons notre place de professionnels dans la gestion du système de santé. Le modèle du jacobinisme par comparaison d’indicateurs a montré son inefficacité dramatique.

La T2A, pourquoi pas, en considérant pour chaque activité la durée adéquate de "l'unité de paiement", l'acte parfois, la journée pondérée par les ressources consommées ou le séjour (choix difficile en SSR pour les raison évoquées plus haut et psychiatrie, deux secteurs qui sont très hétérogènes), un épisode de soins plus long peut-être, mais qui gérerait alors l'enveloppe forfaitaire, le gate-keeping et le case management échappant alors aux cliniciens opérationnels ? Les assurances privées? Quelles preuves dans la littérature de ce managed care et de ces bundled payments par épisodes de soins qui protègent avant tout les payeurs, quand on voit que les Américains sont parfois soignés par tirage au sort par des médecins bénévoles et que les Pays Bas ont sorti la réadaptation de la base des soins remboursés?

Dans le cadre contraint de la tarification actuelle par paiements prospectifs et du "modèle de production" de l’hôpital imaginé par Robert Fetter, c'est la typologie des problèmes cliniques et des profils de patients pris en charge du point de vue des médecins qui doit guider le choix de l'unité de paiement pertinente pour les groupes iso-coûts. Ceci se conçoit en termes de la prévisibilité que l’on peut avoir ou non de la consommation de ressources dans le cadre de programmes cliniques qui dépendent dans leur définition des compétences médicales qui les organisent. D'où l'impossibilité radicale d'exclure les médecins cliniciens et leurs disciplines d'un modèle d'ingénierie scientifique du travail de soins. Même le modèle de Fetter recherche au moins en principe la congruence des logique médicales et gestionnaires et non des groupes homogènes purement gestionnaires construit sur des échelles de coûts mélangeant des prunes et des mirabelles comme en SSR, sans logiques cliniques, bannies a priori parce que d’emblée jugées inutiles et corporatistes. La France est bien capable de faire pire que la Rand Corporation qui a conçu la yardstick competition.

L'invisibilité du travail réel


Le travail de soins n'a de sens pour les professionnels qu'en fonction de l'intérêt individuel du patient et du résultat à long terme de leurs intervention. Nous avons évoqué le besoin de garde-fous aux sorties sauvages potentiellement induites par la T2A, mais il faut aussi se soucier des pertes de chance liées  aux malades en perte d'autonomie qu'on ne sort plus des lits faute d'aides soignants dans nos établissements, à l'oubli stupéfiant des savoirs soignants par la désorganisation tragique des équipes de soins. La flexibilité, la mutualisation et la polyvalence sont souvent utiles pour peu qu'on ne détruise pas les compétences clés. Mais elles sont déployées ici dans une vision industrielle simpliste qui fait fi de tous les coeurs de compétences, ceux qui différencient les savoirs collectifs construit entre "praticiens réflexifs". Ces compétences collectives construites en équipes sont autant d'avantages compétitifs aujourd'hui en perdition. Au lieu d'intégrer ces savoirs professionnels précieux, mais ignorés par nos nouveaux bureaux des méthodes, car au moins à 80 % implicites, on dé-professionnalise à outrance tout ce qui ne peut être formulé sous forme de procédures mécaniques et explicites. Les dégâts de ce pauvre management sont incalculables. Ainsi en est-il entre autres domaines de tout ce qui concerne la prévention des complications de l'alitement prolongé. Où trouve t-on encore des arceaux de pied de lit, des malades paralysés qui ont les pieds calés à angle droit ne serait-ce que par un traversin, des sondes urinaires fixées dans les règles enseignées aux infirmières, qui n’entraînent pas de tractions délétères sur l’urètre à la moindre fausse manœuvre  Où peut encore être organisée la lutte systématique contre la perte d'autonomie de malades quand la sortie quotidienne de leur lits est primordiale? Que dire de la lutte contre les rétractions musculaires, si handicapantes, par les mobilisations qui s'imposent alors que le méthodes de lissage des ressources humaines par suppression des postes vacants suppriment les postes de masseurs-kinésithérapeutes des établissements?

Effectifs suffisants dans des équipes stables, formées et motivées = vies sauvées et handicap évité.

Et que dire des malades peu habiles pour se mouvoir dans un système de soins de plus en plus hostile dès qu'il y a une anicroche, que personne n'accompagne plus quand ils sont perdu dans une jungle socio-sanitaire inextricable. "C'est pas moi c'est l'autre dit l'hôpital public". Entendre "cela ne dépend pas de mon enveloppe financière". Voilà comment se délite la médecine à visage humain quand on abandonne toute régulation professionnelle. Qui s'en soucie dans le court-termisme ambiant? Les cancérologues d'Avicenne savent qu'il faut souvent hospitaliser pour bilan certains malades qui, sans cela, ne pourraient gérer seuls leur parcours de soins ni bénéficier des examens et traitements  nécessaires. Voilà qui n'est pas pris en compte quand on regarde le monde de trop haut. La carte n'est pas le territoire.

Loi de Goodhart: "Toute mesure qui devient un objectif n'est plus un mesure"

Il est plus que temps, pour nous autres médecins, non de "s'indigner" mais de "'s'ingérer" dans cette gestion délétère, pour que l'organisation des soins reprenne une direction qui ait un sens.

*Pour Anderson (2004), la performance est le produit des compétences par l'état d'esprit au travail. Modèle beaucoup plus efficace pour gérer le "changement" dans les entreprises


"Il y a trois sortes de mensonges, le mensonge, le sacré mensonge et les statistiques."
Benjamin Disraeli cité par Mark Twain.



vendredi 4 mai 2012

Health-Pride: les nouveaux métiers de la santé publique


"Le médecin n'est pas au service de la science, de la race ou de la vie. C'est un individu au service d'un autre individu, le patient. Ses décisions se fondent toujours sur l'intérêt individuel." Théodore Fox, ancien rédacteur en chef du Lancet

Petits détournements de textes...

Les nouveaux métiers de la santé publique

"Un bataillon d’agents de coordination des réseaux ouvre la marche, suivi presque aussitôt par un peloton d’accompagnateurs de personnes vulnérables, puis arrivent en rangs serrés les compagnies d'actuaires des risques financiers, de soignants polycompétents, d’agents d’ambiance, d’adjoints à la qualité, de coordinateurs de filières, de formateurs à l'éducation thérapeutique, de psycho-esthéticiens, d'agents de saisie médico-économique, d'agents d'éthiconomie appliquée, d’agents de médiation, de commissaires à la démocratie sanitaire , d’agents de promotion de la santé et j’en passe énormément. Ferme le cortège un petit groupe hilare d’accompagnateurs de personnes dépendantes placées en institution, talonné par des cadres experts en organisation des soins et des conseillers à la performance en direction des hôpitaux désorientés. Musique. 
Vers le ciel d’azur s’envolent des ballons, un camion-grue déguisé en sapin de Noël s’élance en grondant, la foule massée des deux côtés de l’avenue applaudit sauvagement, le monde retrouve enfin sa base. Le handicap est rassuré, la vieillesse respire. Le Tissu Social en cours de réparation frémit d’aise, les réjouissances ne font que commencer. Non non non, il ne s’agit pas d’une parade des arts de la rue, il s’agit des nouveaux métiers de la santé, réunis dans un rassemblement imaginaire tel qu’il pourrait se présenter à l’occasion d’une fête géante, une sorte de , je  sais pas moi, une sorte d’Halloween à l’échelle nationale, une Love-Parade en plein Paris, une Health-Pride mais oui pourquoi pas ?! Une Health-Pride. 
Quel besoin, dans ces conditions, pour l'énarchie de santé publique, de chercher à bricoler une nouvelle thématique, un projet, des propositions originales et crédibles ? Pour séduire qui ? Les médecins, les directeurs ou les élus d’avant ? Ceux qui auraient ricané à l’idée de se balader dans un concept soutenu par une idée, elle-même suspendue à une théorie ? Ils n’existent déjà presque plus. Le réaménagement abstrait du territoire est en train de forger son peuple ainsi que ses nouveaux matons de Panurge. "



Contre l’insurrection managériale de marché

"Un pouvoir insurrectionnel s'est établi en médecine par un pronunciamento gestionnaire.

Les coupables de l'usurpation ont exploité la passion des cadres de certains établissements, fédérations et associations, l'adhésion enflammée d'une partie de la population et de certains élus qu'égarent les craintes et les mythes, l'impuissance des médecins submergés par la conjuration.

Ce pouvoir a une apparence : un quarteron de ministres ayant pour doctrine gouvernance d'entreprise, gestion administrative des résultats, concurrence encadrée et privatisation. Il a une réalité : un groupe d'économistes et de grands commis de l'Etat, partisans, ambitieux et fanatiques, acquis aux principes de l'Ecole de Chicago. Ce groupe et ce quarteron possèdent un savoir-faire expéditif et limité. Mais ils ne voient et ne comprennent la médecine et la santé que déformées à travers leur frénésie de rationalisation managériale de marché. Leur entreprise conduit tout droit au rationnement des soins et à un désastre national.

Car l'immense effort de redressement de la santé et de l'hôpital public, entamé depuis le fond de l'abîme, affermi grâce aux acquis du Conseil national de la résistance en matière de santé et de protection sociale , mené ensuite jusqu'à ce qu'en dépit de tout la victoire sur de nombreuses maladies fût remportée, l'autonomie professionnelle garantie, la solidarité nationale instaurée, notre rang au dehors pour la reconnaissance de notre médecine renforcé, tout cela risque d'être rendu vain, par l'aventure odieuse et stupide des nouveaux ingénieurs de la santé. Voici le service public vaporisé, la solidarité défiée, l'efficacité de notre médecine ébranlée, notre prestige international abaissé, notre place dans l'organisation des soins, de l'enseignement et de la recherche compromis. Et par qui ? Hélas ! Hélas ! Par des hommes dont c'était le devoir, l'honneur, la raison d'être, de promouvoir un système de soins accessible, solidaire et fait de juste soin au juste coût"

Médecins, soignants, directeurs, usagers, élus ! Voyez où risque d'aller la santé en France, par rapport à ce qu'elle était en train de devenir.

Il est difficile hélas, de détourner un discours de Charles de Gaulle sans l'alourdir un peu... 

Commentaire: Machiavel est-il plus avisé qu'Hippocrate?


"La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité. Préambule de 1946 à la Constitution de l'organisation mondiale de la santé (OMS)."

Notons d'emblée, comme l'a si bien relevé Petr Skrabanek, brillant éditorialiste du Lancet et auteur de "La fin de la médecine à visage humain", que cette définition suppose l'identité de la santé publique et de la politique entendue comme "art de rendre les peuples heureux" depuis Aristote.

La santé publique est une noble science. Elle étudie l'épidémiologie, les déterminants de santé des populations et les méthodes permettant d'améliorer la santé des populations. Nul ne peut être contre la santé publique. Mais la santé publique est toujours en tension avec la clinique, en d'autres termes avec la médecine qui s'occupe avant tout de l'intérêt individuel du patient. L'objectif de la santé publique est le bien commun, celui du médecin est d'abord le bien du patient qui lui a fait confiance. La santé publique risque aussi un extrémisme scientiste et constructiviste, prompt à modeler et régenter les attitudes et les comportements, dès lors qu'elle tend à se définir comme « activité organisée de la société visant à promouvoir, à protéger, à améliorer et, le cas échéant, à rétablir la santé de personnes, de groupes ou de la population entière. » Cette tension irréductible entre Hippocrate et Machiavel, entre médecine et politique est une réalité internationale qui est souvent gommée par notre tradition jacobine. Les dernières décennies, la prise de contrôle politique de la maîtrise des dépenses de santé a entraîné l'accélération considérable, à des fins de propagande, de la confusion des concepts entre santé publique et politique (tarte à la crème d'une "démocratie sanitaire" et de "machins" d'agence qui n'ont jamais autant exclu les parties prenantes en prétendant les associer). Les liens entre clinique et santé publique sont aujourd'hui réglés par l'évolution des politiques publiques de santé, elles-mêmes très largement déterminées par l'analyse des risques financiers.

La médicalisation excessive de la société pour les uns (Jules Romain, Illitch, Foucault), la "fin de la médecine à visage humain" pour les autres (Petr Skrabanek et autres anti-Knock) sont les deux visages d'une même crainte, la prise de contrôle de la décision médicale sous couvert de la notion "d'imputabilité" envers les populations, mais avant tout des finances publiques et de la rationalité managériale pour l'orienter en fonction d'injonctions de nature gestionnaire.

Nul ne peut contester que le médecin, mais cela s'applique aux autres professionnels de santé, s'il reste avant tout au service du patient, doit aussi prendre en compte dans sa pratique un certain degré d’imputabilité des dépenses qu'il ordonne de fait, tout en gardant farouchement l'autonomie de sa décision médicale. Celle-ci doit rester, et c'est cela que les malades et les élus doivent comprendre de toute urgence, libre de la double "relation d'agence" (dans la théorie de l'agence il est à la fois l'agent du patient et en même temps celui soit du directeur de son établissement soit directement de l'organisme payeur pour les professionnels libéraux. Celles-ci l'obligent à intérioriser des choix tragiques faits au niveau politique et à trahir la confiance de son patient. C'est hélas l'effet de systèmes de paiements comme la T2A et il seront inévitablement aggravés par le P4P le pay for merformance dont on sait qu'il n'a nulle part fait ses preuves et qu'il ne peut qu'aller dans le sens de cette effroyable  prophétie auto-réalisatrice pour économistes de la santé semi-habiles qui est de transformer le médecin en idiot rationnel. 

Machiavel n'est pas plus avisé qu'Hippocrate. La science sur laquelle s'appuient les politique publiques de santé est trop humaine. Elle repose sur des modèles peu sûrs, sur des données bâties selon ces modèles, sur des statistiques et des interprétations dont les heuristiques sont celles de la disponibilité des données et des paradigmes du modèle même qui les a produites. Ainsi les boucles auto-référentielles sont-elles multiples, et la sagesse pratique d'Aristote s'impose plus que jamais pour justifier l'autonomie de décision des équipes cliniques au contact du public. Ces systèmes micro-économiques sont le lieu de la conciliation de la qualité des soins et de l'efficience, le seul qui peut combiner le sens de l'action, ce que sait la main, le souci de l'autre individu qui est là, qui est angoissé et qui souffre en même temps que celui du bien commun.

Cela dit, reste à organiser l'intelligence territoriale et collective entre les parties prenantes, qui dépend de la subtile synergie entre le "let it happen" et le "make it happen".

samedi 27 mars 2010

Halte à l'euthanasie bureaucratique des SSR - La production administrative du handicap

Menaces sur l'accès aux soins de réadaptation, la prévention et l'accompagnement précoces du handicap, quel que soit l'âge.

"Toute activité orientée selon l'éthique peut être subordonnée à deux maximes totalement différentes et irréductiblement opposées : l'éthique de responsabilité ou l'éthique de conviction." Max Weber

L'hôpital français sombre chaque jour un peu plus dans une barbarie tranquille. Les soins de ville, l'accompagnement et les soins dans le secteur de l'action sociale suivent ce même mouvement. L'incoordination et les effets de la fragmentation s'accroissent quand tous les rapports les dénoncent, sous les effets paradoxalement conjugués des défaillances du pseudo-marché introduit artificiellement par le financement à l'activité et de l'omniprésence de la bureaucratie étatique et tentaculaire qui s'étend sur le système de soins.

De façon incompréhensible les acteurs et les usagers tolèrent des réductions d'effectifs et des perturbations de l'organisation clinique qui produisent au quotidien et pour une population de plus en plus touchée par les maladies chroniques, de plus en plus âgée et handicapée, iatrogénie, précarisation fonctionnelle, sur complications, sorties sauvages non préparées, institutionnalisation inappropriée, et un désenchantement croissant doublé d'une souffrance incrédule pour les professionnels. Les soignants dont sommés de passer sans broncher de l'agir au faire, et de l'œuvre qui a du sens dans la durée, au travail séquentiel qui n'en a plus (Hannah Arendt: "La condition de l'homme moderne").

" Que s'est-il passé? Comment cela s'est-il passé? Comment cela a-t-il été possible?"
Telles sont les questions sur la généalogie du mal et la banalité de son acceptation qu'Hannah Arendt ne cesse de poser. Le plus curieux est que, nous dit Hannah Arendt, la plupart de acteurs sont au courant de ce qui se passe et ne sont pas réellement victimes d'un lavage de cerveau. Les erreurs persistantes et les décisions absurdes ne sont pas réservées aux systèmes totalitaires. Une fois la décision prise d'en haut, divers mécanismes individuels et collectifs vont la faire inexorablement descendre dans l'organisation du système de santé. L'intolérance à l'ambiguïté, l'évitement des "dissonances cognitives" et les routines défensives sont alors des mécanismes bien connus qui conduisent à rationnaliser les dysfonctionnements les plus invraisemblables et à l'acceptation croissante et résignée de la normalisation de la déviance dans les organisations.

Le secteur des soins de suite et de réadaptation (SSR) a un handicap supplémentaire considérable par rapport au court séjour. Non seulement il doit absorber de plein fouet la logique de rationement des dépenses à peine masquée par une pseudo-rationalisation gestionnaire et des indicateurs myopes, non seulement il doit subir les règles d'une bureaucratisation hiérarchique qui supprime l'indispensable autonomie et la régulation professionnelle des médecins, et au delà de tous les professionnels, règles qui cloisonnent d'ailleurs les "métiers" en boite à oeufs qui ne doivent surtout pas se toucher là où il faudrait assembler les compétences, non seulement ce secteur est plus que jamais victime de l'invisibilité à court terme des résultats de santé quand il s'agit de prévenir le handicap à moyen et long terme, donc hors de la vue d'une logique comptable trop fragmentée, mais, pour couronner le tout, il est victime d'une ingénierie qui n'est même pas freinée par le garde-fou encore puissant que les disciplines aiguës tentent de maintenir au regard de la réorganisation des soins de courte durée.

Le pouvoir de "réingénierie" en SSR est donc dominé par quelques auto-experts au savoir faire limité et expéditif , souvent les mêmes qui officient dans les agences régionales, certains "gros" établissements de santé et dans les agences ministérielles, "marginaux sécants" de l'information médicale, des statistiques et de la santé publique, appuyés sur les "boules de cristal" tant vénérées des directions, de "l'information médicale", c'est à dire aujourd'hui un ensemble de billevesées tirées d'une analyse du PMSI sorti de son rôle d'outil médico-économique.
Trop jaloux de la zone d'incertitude et de contrôle que ce pouvoir d'oracle leur confère vis à vis des managers, ce ne sont surtout pas eux qui vont solliciter l'avis des cliniciens, surtout en SSR et en particulier en Ile-de-France ou leur avis est si peu considéré, en dehors de rapides consultations lors de réunions d'enregistrement brouillonnes de projets déjà quasiment verrouillés sans ces parties prenantes essentielles, et dont les compétences sont pourtant très fortement "structurantes".

Aussi ces nouveaux cadres intermédiaires de la technostructure n'hésitent-ils pas à parer de tous les attraits cette simple heuristique de disponibilité à l'origine de décisions absurdes, décisions justifiées par des traitements statistiques, obscurcis de novlangue gestionnaire pour en cacher l'inconsistance et que l'on ne daigne plus expliquer aux nouveaux tacherons de la médecine jugés incapables d'en comprendre les subtilités.
Ce traitement de données approximatives, gardées inaccessibles de peur que des parties prenantes légitimes qui y auraient accès n'en contestent les interprétations, permet à ces improbables commis de la nouvelle gestion publique de tenter de nous faire croire que l'on a pu à partir de leur analyse:
- évaluer les besoins de soins d'aval en fonction des diverses modalités d'hospitalisation ou de soins ambulatoire et ce avant même les nouvelles autorisations,
- quantifier de façon idéale des orientations de "groupes de patients" définis pourtant par pathologies aiguës, et sans considération pour la complexité besoins de soins curatifs et/ou réadaptation; vers de nouveaux types de SSR définis par les décrets de 2008, dont on a à peine défini les missions (sans même avoir défini les groupes homogènes de patients en fonction des soins requis et en tenant compte de leur coût) ,
- les financements congruents aux besoins, alors qu'aucun garde-fou ne vient limiter les réductions d'effectif et de moyens dans les nouvelles activités définies par ces mêmes décrets,
- plaquant enfin là dessus, et c'est le comble, des règles verticales et n'en doutons pas bientôt autoritaires et contrôlées par "l'agence" de circulation dans des "trajectoires". Ces filières, conçues dans leur version française de réseaux définis "d'en haut", ne tiennent compte ni des contraintes économiques des établissements ni donc des comportements opportunistes induits par une tarification inadéquate faute d'avoir été capable de construire une modélisation de la rémunération du service rendu.
Ainsi a-t-on vu dans le 93, à l'annonce lors du déploiement du programme AVC, de tarifs avantageux comparés à ceux de la province pour la rééducation neurologique, et dans un contexte immobilier plus attractif que dans d'autres département, se multiplier de façon invraisemblable les autorisations par l'ARHIF de petites structures SSR privées, qui pour la plupart sélectionnent les patients les moins "lourds" en particulier au regard des difficultés de réintégration sociale, laissant toute la complexité médico-sociale à la charge du secteur public hospitalier, sans qu'aucun incitatif ne puisse venir contrarier cette tendance.
Tous ces comportement artificiellement induits et contraires aux valeurs partagées du soin vont hélas contre l'impérieuse nécessité de coordination médico-sociale précoce et de la constitution réseaux locaux ville hôpital médico-social "voulus d'en bas", à pilotage décentralisé, et dédiés au maintien au domicile (ou dans le meilleur lieu de vie possible).

Paradoxalement, c'est le système de financement qui transforme le comportement des acteurs en "calculateurs économiques" par un mécanisme bien connu de prophétie autoréalisatrice. Faute de modèle coût-qualité, les SSR se transforment en "marché des voitures d'occasion" ou chacun pourra prétendre face à l'agence réaliser des soins qu'il ne réalise pas au regard des données probantes de l'état de l'art. Ceux qui prétendent le contraire et que le systèmes actuels de "certification" sont efficaces pour trier les bonnes prises en charge et les prises en charge "casseroles" sont invités à mettre les pieds dans les unités de soins et à regarder avec nous dans le moteur des SSR sans avoir peur du cambouis.
Il est urgent de réclamer un accès beaucoup plus large et "démocratisé" aux données de santé et en particulier les bases SSR anonymisées régionales.

Que se passe-t-il réellement en Ile-de-France pour les personnes à risque de perte d'autonomie, qu'elles soient âgées ou plus jeunes mais à risque de handicap? Les patients de gravité moyenne en terme de limitations fonctionnelles n'accèdent plus aux soins requis par leur état, faute de garde-fous sur les moyens nécessaires au regard de l'état de l'art (pensons aux très nombreux AVC, sclérose en plaques..). Quand il faudrait 3 heures de rééducation et qu'on peut à peine en fournir une, quand il n'y a plus assez d'aides-soignants pour un minimum d'accompagnement aux patients en perte d'autonomie, les progrès sont lents, le risque de précarisation fonctionnelle s'accroit et les séjours s'allongent. Il en est de même lorsque les assistants de service sociaux sont sacrifiés comme d'autres prestations de support non immédiatement urgentes aux exigences à courte vue des systèmes de financement à l'activité. Les patients nécessitant des soins continus et complexes accèdent souvent beaucoup trop tard, au prix de handicaps surajoutés qu'on aurait pu éviter, aux rares plateaux techniques encore à même de pratiquer une réadaptation intensive et pluridisciplinaire (blessés médullaires , traumatisés crâniens graves et autres cérébrolésés complexes).Enfin les patients les plus vulnérables et à la plus forte complexité médico-sociale, celle qui n'est pas "rentable" dans les tarifs actuels, se voient refusés à toutes les étapes d'un système d'aval dont les acteurs ont été artificiellement transformés en calculateurs égoïstes et luttant pour leur survie économique. Les nouvelles règles de ce jeu morbide sont hostiles aux plus faibles, aux plus "graves", aux plus dépendants, aux moins habiles pour se pouvoir dans une jungle de plus en plus hostile aux personnes atteintes de maladies ou états chroniques handicapants. Mais cette manipulation des incitations par la concurrence n'assure pas non plus les malades "rentables" de la possibilité de soins de qualité, faute d'indicateurs qui garantiraient les moyens de la structure qui les accueille et le temps nécessaire à leurs soins. Voici ce qu'on voit, que le PMSI ne voit pas, et que la tarification induit.

Résistons à cette entreprise de "désinformation" médicale grossière. Ne cherchons pas plus loin l'origine de l'actuelle production administrative du handicap, du désarroi voire du désespoir croissant des équipes de soins, et de la maltraitance involontaire qui est infligée aux patients, surtout les plus vulnérables d'entre eux, qui est si insupportable aux soignants eux-mêmes. Sans réaction rapide des professionnels des usagers et des élus, cette baisse tendancielle de la qualité des soins s'abattra sur tous les usagers du système de santé même ceux qui sont aujourd'hui considérés comme "rentables", faute de réelle évaluation de la qualité des soins par les faux indicateurs gestionnaires.
Pour les personnes confrontées à une maladie chronique et/ou une perte d'autonomie et requérant un dispositif intégré de prévention, de soins curatifs, de réadaptation et d'accompagnement social, quelle que soit l'origine de leur problème de santé et à n'importe quel âge, elles seront victimes si l'on n'y prend garde à une insuffisance croissante et hélas programmée de moyens que ni les médecins ni les autres soignants n'ont plus le pouvoir de dénoncer.

Cessons enfin de laisser croire à la population que les soins peuvent être organisés par quelques ingénieurs formés à l'organisation scientifique du travail, appuyés par des statisticiens de la santé et les chaînes de commandement quasi militaires déployées par la loi HPST. En mettant ainsi en place son "tout incitatif" et ses pseudo-marchés organisant une concurrence acharnée entre des acteurs transformés en calculateurs économiques elle rend impossible toute co-construction partagée, sur les valeurs du soin et de la solidarité, entre professionnels, usagers, managers et élus, de ce que le marché ne peut régler seul et qui relève de services non marchands d'intérêt général. Nous autres médecins cliniciens connaissons nos patients, leurs besoins, dans l'environnement des territoires où nous exerçons, comment nos équipes fonctionnent, par transactions informelles, coopération et collégialité beaucoup plus que par procédures explicites et hiérarchie prescriptive. Encore faut-il que les gestionnaires laissent les organisations professionnelles de cliniciens accéder à l'information, et leur laisse ainsi la possibilité de confronter leurs analyses et interprétations aux oukazes tirés de ces entrepôts de données si peu partagés (bases SSR régionales anonymisées par exemple). Les canadiens parlent d'initiative de démocratisation des données, c'est essentiel. Nous savons aussi comment optimiser les programmes de soins, avec les autres soignants, les managers et les usagers, la qualité et l'économie n'étant antinomiques que lorsque les méthodes de management et de financement sont mauvaises.

"Il y a trois sortes de mensonges, le mensonge, le fieffé mensonge et les statistiques." Mark Twain cité par Disraeli

Bref kit de défense webographique


Perte de sens, désarroi, baisse tendancielle de la qualité des soins et souffrance au travail au quotidien: le 20 mars dernier, France Culture a consacré le magazine de sa rédaction au "malaise à l'hôpital" :
LE MAGAZINE DE LA REDACTION 20.03.20.mp3

Interviews de chefs de pôles, cadres de pôles, IDE, aides-soignants de l'hôpital Avicenne Réactions de jean de Kervasdoué et Laurent Heyer
Pour télécharger le podcast
http://itunes.apple.com/fr/podcast/le-magazine-de-la-redaction/id300710447?i=81692279

Accès aux soins de réadaptation et handicap Jean-Pascal Devailly – Laurence Josse CHU Avicenne Bobigny - (manuscrit accepté des auteurs) En pdf liens de webographie directement cliquables
https://sites.google.com/site/systemedesoinsethandicap/planifier-organiser-et-financer-la-readaptation/acces_readaptation_handicap_JPD_LJ.doc?attredirects=0&d=1
Manuscrit accepté des auteurs - Paru dans gestions hospitalières n° 492 - janvier 2010

Menaces sur la qualité des soins et la prévention du handicap
https://sites.google.com/site/systemedesoinsethandicap/home

Réingénierie des SSR: kit de survie
https://sites.google.com/site/systemedesoinsethandicap/reingenierie-des-ssr-kit-de-survie#TOC-Quelques-liens-essentiels

Solidarités, précarité et handicap social. Sous la direction de Didier Castiel, Pierre henri bréchat. Préface de Didier Tabuteau Couverture - Commande - Plan de l'ouvrage

Aurait-on pu faire autrement? En finir avec l'usine à gaz du PMSI-SSR
https://sites.google.com/site/systemedesoinsethandicap/organisation-et-financement-de-la-readaptation#TOC-Autres-exp-riences-et-r-flexions-in

Pourquoi détruire l'hôpital public? ON NE NOUS DIT PAS TOUT ! POURQUOI DETRUIRE CE QUI MARCHE Par André Grimaldi, Thomas Papo et Jean-Paul Vernant 26/03/2010
https://sites.google.com/site/ubulogieclinique/florilege-des-auteurs/pourquoi_detruire_hp.doc?attredirects=0

Les décisions absurdes - Christian Morel ("Les décisions absurdes sont une oeuvre collective")
lien 1 ; Fiche de lecture ; Petit guide de survie en groupe de travail ; Genèse de la perte de sens

La réforme de la gestion publique et ses paradoxes : l’expérience britannique par Colin TALBOT http://www.cairn.info/load_pdf.php?ID_ARTICLE=RFAP_105_0011

Deux textes de Claude Rochet (Aix-Marseille) qui a inspiré le titre de ce billet
Sortir du processus d'euthanasie bureaucratique de l'état ; LOLF et changement de paradigme