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samedi 18 décembre 2021

L'AP-HP à la dérive: lettre au Président de la République,


L'assistance Publique-Hôpitaux de Paris traverse une situation particulièrement difficile, en premier lieu en raison des difficultés de recrutement des personnels non médicaux et du manque d’attractivité de l'institution. Cela entraîne des fermetures de lits en nombre élevé et des pertes de chances parfois dramatiques pour les malades.


Par la lettre ci-jointe au président de la République, rédigée par Xavier MARIETTE, Jean-François HERMIEU, François SALACHAS et Bernard Granger, les signataires tentent d'alerter les pouvoirs publics sur cette situation jamais connue jusqu’à maintenant.


La crise ne se limite pas à l'AP-HP où cette lettre a déjà été signée par plus de 2000 médecins du CHU francilien. 


Monsieur le Président de la République,

L’état moral, organisationnel et budgétaire de l’Assistance Publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP) est au plus bas. Les personnels sont découragés et beaucoup démissionnent, y compris certains des meilleurs responsables médicaux. D’attractif, le CHU francilien est devenu répulsif. Il ne remplit plus sa mission de façon satisfaisante, malgré le dévouement et la qualité scientifique de notre communauté hospitalière.


En 2019, la « nouvelle AP HP » a été mise en place. Pour faire face à ses mauvais résultats budgétaires, la direction générale a instauré un nouveau découpage des structures intermédiaires. Les pôles, rebaptisés départements médico-universitaires (DMU) sont passés de 128 à 76, les groupes hospitaliers, rebaptisés groupes hospitalo-universitaires (GHU) de 12 à 6. La création de ces mastodontes ingouvernables a entraîné les effets que les plus lucides d’entre nous avaient prévus : des dysfonctionnements et un désordre supplémentaire dans une institution qui en comptait déjà beaucoup.


Comme anticipé, cette réorganisation qui n’a fait que créer des strates supplémentaires inutiles n’a pas amélioré les résultats financiers. Les prévisions budgétaires optimistes effectuées par le siège de l’AP-HP ne se sont pas réalisées. Le gouvernement a été contraint de renflouer les caisses du CHU francilien, comme il doit le faire au niveau national.


La seconde réforme de la direction de l’AP-HP a été la réduction du temps de travail quotidien des équipes soignantes dans le but de diminuer le nombre de jours de réduction du temps de travail (RTT) et d’économiser du personnel. La conséquence en a été de raccourcir les phases de transmission entre les équipes, de perdre le sentiment d’appartenance à un service et de dégrader les conditions de travail.


Une politique de recrutement archaïque visant à retarder au maximum les embauches, ainsi que des conditions de travail de plus en plus difficiles font qu’actuellement des centaines de postes de soignants ne sont pas pourvus. En conséquence, des lits sont fermés dans une proportion jamais vue, jusqu’à près de 20 %. Les soignants sont de plus en plus souvent contraints de refuser des soins médicaux et chirurgicaux, dont certains sont pourtant urgents et vitaux.


La bureaucratie est en perpétuelle extension. C’est un mal ancien, systémique. Il ne sera pas combattu par ceux qui le répandent. Se multipliant un peu plus chaque année, les exigences règlementaires multipliant un peu plus chaque année, les exigences règlementaires tatillonnes, voire absurdes, ainsi que les injonctions paradoxales ruissellent des ministères vers les agences régionales de santé, puis inondent tous les recoins de l’hôpital. Les « managers » présents dans toutes les strates inutiles multiplient tracasseries, réunions rapports sans intérêt, procédures irrationnelles, demandes abusives, commissions et sous-commissions à propos de n’importe quel sujet. Cette culture du chiffre, du blabla et des « process » sape le moral des hospitaliers les plus impliqués dans leur vocation, celle de soigner. Elle éloigne les soignants des malades et les pousse à quitter l’hôpital. Est-il normal de perdre bientôt autant de temps à justifier ce que l’on a fait que de consacrer du temps à le faire ? Est-il normal de compter dans nos structures 30% de personnels administratifs de plus qu’en Allemagne ?


Il y a près de quarante ans, il a été décidé de restreindre le nombre de médecins formés dans une logique comptable terrible : moins il y aura de médecins, moins il y aura de dépenses de santé. De plus, la politique hospitalière menée depuis plus de quinze ans a été caractérisée par les restrictions budgétaires et le néo-management qui sont en grande partie à l’origine du quasi-effondrement de l’hôpital public. La crise du COVID19 n’en est pas responsable. Elle a été au contraire l’occasion de retrouver du sens au métier des soignants. Pendant la première vague, les médecins et les soignants ont pris les rênes de l’hôpital en harmonie avec les administratifs qui leur ont donné les moyens nécessaires pour s’organiser et faire face. Mais le monde administratif d’avant a resurgi dès la première vague passée et a précipité le découragement des soignants. Le mal qui nous ronge était là bien avant le COVID-19, comme les hospitaliers en ont averti l’opinion publique et les responsables politiques, notamment depuis 2009 et la funeste loi Hôpital, Patient, Santé et Territoires (HPST) qui donnait tout pouvoir au directeur avec comme seule mission la maitrise des coûts.


Devant cette dégradation, votre gouvernement a répondu par des mesures financières, mais aussi par des mesures législatives certes prudentes mais qui permettent désormais aux hôpitaux de s’organiser comme ils le souhaitent. En donnant suite à cette demande, martelée depuis des années, il a suscité un espoir. Encore faut-il que les communautés hospitalières se saisissent de cette opportunité.


Il serait bon de rétablir une organisation simplifiée autour des fondamentaux que sont le service, l’hôpital et l’université. Toutes les structures intermédiaires doivent être remises en question, car elles paraissent souvent inutiles, gaspillent des ressources de plus en plus rares et nous distraient de l’essentiel. C’est selon ce schéma que l’APHP a vécu ses plus grandes heures.


Mais, cela serait peine perdue si on ne revient pas sur les restrictions budgétaires et le virage gestionnaire des années 1980, qui génèrent des conflits éthiques, une obsession comptable, une maltraitance managériale et soignante, sans parler du harcèlement et des suicides, et pour finir d’immenses pertes de chance pour les malades.


Il faut retrouver le respect de l’autonomie professionnelle, un management participatif associant les soignants. L’administration et la règlementation doivent être réduites au strict nécessaire, et se remettre au service des soins.


Il faut qu’au sein du service hospitalier, redevenu la base de l’organisation de l’hôpital, nos jeunes collègues puissent retrouver l’attrait pour la recherche, indispensable pour leur épanouissement et pour que l’AP-HP demeure le plus important centre de recherche médicale en France.


Dans le cadre de mesures d’urgence, Il faut mettre en œuvre une plus large autonomie des services, notamment dans la constitution des équipes de soins. Il doit revenir au chef de service et au cadre paramédical de déterminer les ratios de personnels non médicaux nécessaires pour la prise en charge des patients, de définir les fiches de poste de ces derniers, de garantir leurs horaires et leurs conditions de travail. On peut de cette façon redonner à l’hôpital son attractivité, et rétablir la confiance dans un management de qualité, respectueux des personnels et des patients. C’est la condition sine qua non d’un recrutement dont l’urgence est dictée par les conditions sanitaires.


Chaque jour de retard pris dans cette restauration de la capacité des services hospitaliers à remplir leurs missions aura des conséquences dramatiques sur la santé de nos concitoyens, dont vous serez en partie comptable. Vous avez l’opportunité de libérer cette fameuse « belle énergie » que vous aviez louée lors de la première vague, promettant alors un changement de paradigme et des moyens nouveaux. Le monde du soin attendait beaucoup du discours de Mulhouse. Il est aujourd’hui découragé, sans perspective et en colère.


Face au désespoir hospitalier, la poursuite de la politique en cours depuis au moins une décennie serait pire que tout. Cette politique a échoué. Nous voulons des réformes profondes qui en prennent le contrepied. La médecine hospitalière doit retrouver son sens et son enthousiasme, assurer le progrès médical et répondre aux besoins des malades. Pour cela, elle doit être ré-humanisée.


Nous vous prions, Monsieur Le Président, d’agréer l’expression de notre haute considération.

dimanche 11 juillet 2021

Initiation à l'ubulogie clinique: articles clés pour changer de référentiel






Introduction à l'ubulogie clinique


Nous empruntons le terme d’ubulogie à l’historien Pascal Ory qui l’a proposé dans le journal Le Monde du 4 octobre 1979 (« Pour une ubulogie »). Il s’agissait, en référence à l’œuvre d’Alfred Jarry, d’explorer la dimension absurde de régimes dictatoriaux de Centrafrique. Appliquée à la régulation des systèmes de santé, l’ubulogie clinique peut être définie comme la généalogie des référentiels de l'action publique en santé, sous leur aspect cognitif, prescriptif et performatif. Il s'agit de comprendre pourquoi certains mythes rationnels aboutissent à des décisions absurdes et à des pratiques parfois désastreuses allant à l'inverse des objectifs affichés par les politiques publiques. Le premier article de ce florilège est celui de Philippe Bezes qui refuse une approche univoque soit par la clé du néolibéralisme soit par celle de la rationalisation. Il y a des référentiels et chacun est un patchwork idéologique, et leurs modalités d'application s'inscrivent dans le chemin de dépendance de chaque pays.

La pièce d’Alfred Jarry, Ubu Roi, renvoie au caractère apparemment irrationnel des stratégies absurdes qui conduisent les acteurs au cynisme et au désarroi. Partout les systèmes de santé sont soumis à une réingénierie dans laquelle les uns voient le triomphe de la rationalité gestionnaire et d'une gouvernance technocratique et les autres le triomphe du profit dans une version néolibérale. Aux yeux des usagers, des soignants et de nombreux managers de santé, les décisions qui président à cette réingénierie, les réformes néo-managériales et la novlangue incantatoire qui les soutiennent témoignent d'une déconnexion  croissante entre le prescrit et le réel, entre qualité des soins et modèle de production des soins, y compris en termes de performance des organisations. L'économie industrielle est soumise à des contraintes 

Valérie Iles pose ainsi la question clé de cette généalogie du sentiment de l'absurde à propos du NHS: comment peut-on contraindre des soignants consciencieux et soucieux d'autrui à pratiquer de mauvais soins, les poussant de plus en plus souvent au désespoir et parfois au suicide?

L'Ubulogie clinique peut donc être définie comme la généalogie des stratégies absurdes en santé, et la 'Pataclinique comme l'étude systématique des effets des solutions imaginaires en santé. Voici une vingtaine d'articles clés, et plus si affinités, pour susciter la vigilance critique et l'ingérence organisationnelle.

Néanmoins, il convient d’être prudent face au constat de l'absurde. Si la crise de l'intelligence collective semble souvent plus féconde pour expliquer la crise des référentiels de santé publique que la théorie du complot, derrière les injonctions paradoxales, les décisions et stratégies en apparence absurdes, la généalogie peut déceler les affinités électives entre les différentes formes du Nouveau management public et les stratégies internationales d'ajustement. Elle peuvent aboutir de façon inéluctable à enfermer les parties prenantes dans la cage d’acier de Max Weber. Voir cet autre lien et encore ici.


Le 21 mars 2020: les Editions Raisons d'Agir et les auteurs ont décidé de rendre accessible gratuitement l'ouvrage co-rédigé ​par 
A propos des réformes de l'hôpital public, 2019.

Articles fondamentaux

Action publique et politiques publiques de santé


Le new public management Entre rationalisation et marchandisation ? Philippe Bezes, Christine Musselin

BRINGING THE HEALTH CARE STATE BACK IN Les embarras politiques d’une intégration par fusion : le cas des Agences Régionales de Santé
Frédéric Pierru et Christine Rolland Revue française de science politique 2016/3 (Vol. 66).

Les systèmes de santé entre conceptualisation économique et reconceptualisation politique Convergences européennes et traductions nationales.
Patrick Hassenteufel

Où va le management public? Par Maya Bacache-Beauvallet, 20/01/2016

Napoléon au pays du New Public Management L'exemple de la « déconcentralisation » de la politique de santé - Frédéric Pierru Savoir agir 2010

LE MANDARIN, LE GESTIONNAIRE ET LE CONSULTANT
Le tournant néolibéral de la politique hospitalière Frédéric Pierru - Le Seuil - Actes de la recherche en sciences sociales 2012/4 - n° 194 Texte en pdf

Sociologie des professions


HOSPITAL INC.Les professionnels de santé à l'épreuve de la gouvernance d'entreprise Frédéric Pierru

New Public Management et professions dans l’État : au-delà des oppositions, quelles recompositions ? New Public Management and professions in the public administration: Beyond opposition, what new patterns are taking shape? Philippe Bezes, Didier Demazière, Thomas Le Bianic, Catherine Paradeise, Romuald Normand, Daniel Benamouzig, Frédéric Pierru et Julia Evetts

INTERVIEW DE FLORENT CHAMPY À L'OCCASION DE LA PARUTION DE "NOUVELLE THÉORIE SOCIOLOGIQUE DES PROFESSIONS" - Autre entretien

Une nouvelle étape dans la sociologie des professions en France - Nadège Vézinat

En anglais mais incontournable:
Archives ouvertes: New public management and professionals in the public sector
Philippe Bezes, Didier Demazière, Thomas Le Bianic, Catherine Paradeise, Romuald Normand, Daniel Benamouzig, Frédéric Pierru, Julia Evetts

A rapprocher de: Why Reforming the NHS Doesn’t Work The importance of understanding how good people offer bad care Valerie Iles


Economie de la santé


Réformer l’hôpital comme une entreprise. Les errements de trente ans de politique hospitalière (1983-2013) Jean-Paul Domin

Monopole mutualiste versus concurrence dans le secteur de la prévoyance complémentaire. Retours sur un débat méconnu (1983-1985) Jean-Paul Domin
Dans Revue Française de Socio-Économie 2021/1 (n° 26), pages 67 à 86 (attention pas en texte intégral)

Le professionnel et le "système" : l’intégration institutionnelle du monde médical Daniel Benamouzig Frédéric Pierru

Le marché de la santé et la reconstruction de l’interaction patient-médecin 2012 Philippe Batifoulier

Concurrence par comparaison et transformations quasi-marchandes. L’hôpital public aux prises avec la Tarification à l’activité Pierre-André Juven

La tarification à l’activité (T2A) à la française Entretien avec Brigitte Dormont, Propos recueillis par Frédéric Pierru (attention pas en texte intégral)

De quoi la T2A est-elle le nom? Jean-Claude Moisdon (attention pas en texte intégral)

Sciences de gestion


Managing the myths of Healthcare Henry Mintzberg - Ici: La bureaucratie professionnelle

Vers un appauvrissement managérialiste des organisations de services humains complexes ? Alain Dupuis, Luc Farinas. Nouvelles pratiques sociales Volume 22, numéro 2, printemps 2010, p 51-65 Pratiques sociales et pratiques managériales : des convergences possibles ?

Lean production et modèles de valeur Une approche régulationniste par le travail

Gouvernance et fusions d’établissements sociosanitaires Alain Dupuis et Luc Farinas et Louis Demers


Santé publique


Les Français moins soignés par leurs généralistes : un virage ambulatoire incantatoire ? Pierre-Louis Bras



Les mythes du management James Marsh

ACTIVITÉS ET PROCESSUS, MODÉLISATION GESTIONNAIRE ET COMPORTEMENTS DES ACTEURS Lucien Véran

Comment expliquer la présence d'organisations à but non lucratif dans une économie de marché?: l'apport de la théorie économique Bernard Enjolras

“La santé publique comme nouvelle moralité.” Raymond Massé

Managing Government, Governing Management​. Henry Mintzberg​

GÉRER LES SOINS DE SANTÉ ET LE TRAITEMENT DE LA MALADIE Sholom Glouberman et Henry Mintzberg HEC Montréal - Gestion 2002/3 - Vol. 27 pages 12 à 22 - Article en pdf (N'est plus hélas en accès intégral!) Cet article est une synthèse de plusieurs articles en anglais de Glouberman et Minztberg consacrés au systèmes de santé

La bureaucratie professionnelle Henry Mintzberg. Ce chapitre est extrait de "Structures et dynamique des organisations"

Why Reforming the NHS Doesn’t Work The importance of understanding how good people offer bad care Valerie Iles



Sélection d’articles en ligne, par auteur

dimanche 18 avril 2021

Quand ONDAM et T2A s'emmêlent: la régulation fictive de la machine à guérir


A propos de la note de Pierre-Louis Bras intitulée
"Comment le Covid transforme le débat sur les dépenses de santé"

La fiction de l'ONDAM - Une régulation sans pilote

Figure 1: le trilemme des politiques de santé


La note de Pierre-Louis Bras pour Terra Nova est remarquable. Quelqu'un qui est considéré comme un expert du système ose poser la question de la régulation et de son incapacité actuelle à définir les besoins, la réponse adaptée et donc une ONDAM technique qui soit autre chose qu'un enfumage politique.
  • La régulation rationnelle et scientifique a tout son intérêt mais elle est aujourd'hui balbutiante: son modèle - à partir d'un modèle causal des déterminants de santé on décrit et on mesure les besoins et on planifie une offre qui va répondre à la demande qu'on définit sans les utilisateurs ni les professionnels - est aujourd'hui incapable de fonder les besoins en raison.
  • La régulation par le marché a peut-être certains intérêts mais a beaucoup trop de défaillances pour constituer le modèle fondamental de régulation.
  • La régulation professionnelle qui défend d'être la seule capable d'allier poiesis (production) et praxis (sens ou valeur de l'action qui est de répondre aux besoins... ou bien à la demande?)
  • La régulation par les partie prenantes pourrait s'approcher de la démocratie, sans y adjoindre d'adjectif polluant, qui prendrait en compte autant que de besoin le point de vue des usagers et des associations. Mais personne pour le moment ne sait comment faire pour trouver un équilibre.

Toujours les mêmes querelles depuis la révolution française

Pourquoi ne peut-on jamais surmonter ce trilemme fondamental état, marché et professions et pourquoi rejoue-t-on sans cesse les débats aporétiques de la scène révolutionnaire?
  • Parce que pour le moment tout le monde parle de besoins de santé comme s'ils allaient de soi alors que nous ne sommes pas capables aujourd'hui d'articuler le champ de la santé publique avec celui de la médecine - ou de la clinique - pour inclure les professionnels du soin individuel - qui applique(nt) des savoirs abstraits à des cas concrets dans des pratiques prudentielles.
  • Parce qu'on continue la surenchère politico-médiatique dans le "plus global que moi tu meurs"," plus biopsychosocial que moi tu meurs", "plus défenseur que moi des malades chroniques, des vieux, des malades mentaux, des handicapés, du care, des fragiles, des vulnérables, des mourants, tu meurs...
  • Nos pauvres plans de santé publique se résument à 4 ou 5 priorités issues du lobbying, inévitable certes, mais qui ne s'appuie sur aucun jeu de données robuste.
Figure 2: à la recherche de la valeur des soins de santé


Les fonctions de l'hôpital: les composantes de la valeur des soins

Un vide abyssal saute aux yeux dès qu'on aborde la question des besoins, c'est l'absence d'un système d'information doté de catégories consistantes.

Robert Fetter, inventeur de la T2A aux USA, était un spécialiste de la production des entreprises et son approximation de la fonction de production de l'hôpital était grossière. Face à une définition purement curative de la fonction de l'hôpital, décrétant que les fonctions sociales et d'hébergement n'existaient plus, comment aurait-il pu inventer le contraire de ce qu'on lui prescrivait? Mais personne n'a fait évoluer son modèle depuis un demi-siècle. Voila bien le Bullshit management!

Cela donne le sentiment que le diviser pour régner des stratégies politiques d'ajustement est à l'ouvrage! Mais gardons nous de toute théorie du complot.

Pour sortir de ces querelles de cour de récréation, il faudrait se mettre d'accord sur la valeur du soin individuel (la clinique) et comment la concilier avec l'intérêt collectif et la soutenabilité en contexte de rationnement. Le système national de santé britannique (NHS) a tenté de définir cela en verbes d'action autrement dit par les finalités ou composantes de la valeur des soins pour les bénéficiaires:
  • Ne pas mourir prématurément
  • Bénéficier de soins au long cours pour améliorer la qualité de vie
  • Récupérer ou préserver un niveau de fonctionnement optimal
  • Avoir une expérience positive des prestations et des soignants
  • Bénéficier de traitements et de soins dans un environnement sécurisé et éviter les pertes de chances
Il est évident que les composantes n'ont de sens que reliées aux autres et pourtant on continue à nous faire croire qu'on produit des groupes homogènes de diagnostics?
Nos technocrates à courte vue ont voulu faire coller la segmentation temporelle des séjours - courts, moyens et longs - aux fonctionnalités de la valeur des soins.
  • L'hôpital aigu c'est le soin curatif: la machine à guérir (depuis 1940) , 
  • Les SSR c'est la réadaptation 
  • Les soins de ville, les soins chroniques en sanitaire ou médico-social, c'est pour l'art d'accommoder les restes, ces besoins dont on a décidé qu'ils ne faisaient pas partie du modèle de valeur de l'hôpital! Ubuesque!
Une prestation qui a du sens, doit répondre simultanément aux cinq fonctionnalités approchées par le NHS
Les professionnels au contact des patients et en tenant compte de leurs attentes organisent les soins en combinant ces fonctions, non selon des flux de travail abstraits et myopes définis par la production des résultats proposés par le contrôle de gestion.

Ne cherchez pas plus loin pourquoi nos médecins, soignants et managers lucides sont si désespérés, fuient et pourquoi l'on observe un telle baisse continue du taux de motivation, exponentielle depuis l'épidémie COVID.

Machines à guérir: de la régulation aux pseudo-marchés

En 1977 Georges Canguilhem publie dans le journal Le Monde un article intitulé "Les machines à guérir". Relions cette analyse à celle de Pierre-Louis Bras dur la régulation.

Pour renouveler le cadre conceptuel des soins de santé, il faut considérer d'un même regard la régulation macro du système de santé, sa gouvernance et le modèle de production prescrit pour les activités au niveau microéconomique. Il est indispensable d'articuler l'absence de pilotage politique du bateau ivre avec l'absurdité de la T2A à la française
Cette articulation passe par la gouvernance définie par la loi HPST, pour le moment à peine modifiée à la marge. "L'argent suit le patient" est le dogme appliqué au nouveau management public des soins de santé individuels, mais pour quel service? Personne ne le sait puisque les prestations hospitalières ne se limitent en rien à la guérison d'une maladie aigue ou aux soins d'une maladie chronique malgré le credo de la "machine à soigner", introduit dès 1940. Quel est donc le produit que l'argent doit suivre? Quelles données a-t-on pour le savoir? Pour l'anticiper?

La réponse n’est pas de nature logique, elle est politique.

Les apories de la régulation marchande valent aussi bien pour les apories de la régulation démocratique ce que confirme bien l'approche néolibérale aux sens de la concurrence régulée par l'état. L'asymétrie d'information se conjugue au risque avéré de faire monter l'usager dans le système comme bras armé du régulateur comme le client est le bras armé de l'actionnaire (François Dupuy: la faillite de la pensée managériale). Comment éviter une transparence illusoire quand c'est une opacité croissante que nous constatons à notre niveau de petits techniciens de santé ? Qui gardera les gardiens des données?

Un système, en utilisant une métaphore organique, a des boucles d'autorégulation inconscientes que la régulation consciente ne peut jamais compenser si elles sont détruites, comme dans la maladie de Parkinson où la pyramide de commandement du mouvement volontaire s'épuise à ramer contre un système nerveux où toute fluidité du mouvement a disparu.

La régulation professionnelle a certes au niveau macro ses limites corporatistes au sens négatif du terme, celui de la défense excessive des intérêts catégoriels.
Mais ce que détruit surtout le pilotage par les coûts au niveau macro, et les pseudo-marchés au niveau micro, c'est la régulation professionnelle au niveau des coopérations micro-systémiques: au contact du patient que servent nos équipes et au niveau de l'organisation des soins (cure et care) puisque les logiques professionnelles conditionnent l'organisation des soins de façon radicalement différente de la logique managériale portée par le triple dispositif ONDAM-LFSS / gouvernance post-loi HPST / T2A. Cette trilogie ne peut que conduite à exclure la logique professionnelle des trois niveaux macro, méso et micro-systémiques.

Tout ça apparaît très simplement en mettant bout à bout organisation professionnelle de Mintzberg, le second Eliott Freidson, celui du professionnalisme que Frédéric Pierru et Florent Champy nous ont fait découvrir, les pratiques prudentielles fondées sur la sagesse pratique, les compétences clés de l'économie de la connaissance quand une régulation d'apprentis sorciers ne la détruit pas.

Le mythe de la compétition efficiente a la vie dure

Le mythe du pseudo marché qui tend miraculeusement vers la firme parfaite est une religion dont les croyants sont légions et qui permet de gober la fiction de l'ONDAM. L'effondrement de l'hôpital, des soins en ville et dans le secteur médico-social, accentué par l'épidémie, a-t-il fait litière de la yardstick competition que Michaël Porter tente de ressusciter sous forme de value based competition. Le mythe de la compétition efficiente en santé a la vie dure.

Mais si on n'y croit plus, alors on commence à se poser des questions, comme Pierre-Louis Bras, sur la définition des besoins, sur les effectifs nécessaires, sur le niveau de rémunération nécessaire, sur la qualité de vie au travail, sur les investissements. Peut-être (accès d'optimisme) que le moment COVID nous amène au bord d'un changement?

Comment a émergé la machine à soigner à l'opposé des besoins des malades et de la transition sanitaire?

S'agissant de "machine à soigner" il faut essayer de comprendre comment et pourquoi la fonction sociale et d'hébergement de l'hôpital s'est trouvée niée dans les objectifs prescrits, alors qu'elle reste bien réelle dans les objectifs opérationnels cure et care des soignants. Attention ici aux idéologies professionnelles amplifiées par certains politiques: on trouve autant de médecins care que d'infirmières purement cure ou d'assistantes sociales croyantes dans la fonction de production purement curative de l'hôpital. Cela dépend non seulement des disciplines médicales et des professions mais peut-être surtout des conditions et modes d'exercice.

Résumer la fonction de l'hôpital à guérir et soigner est une absurdité

Les auteurs sérieux, même Jean de Kervasdoué, l'introducteur célèbre du PMSI de la T2A en France, savent que résumer la fonction de l'hôpital à guérir et soigner est une absurdité et qu'il faut valoriser les autres fonctions qui sans cela sont des" OVNI": des objets de valorisation non identifiés. Cela permet d'aborder notamment les différences de fonction entre public et privé.
Une fois définies les fonctions: pourquoi pas celles du NHS et de l'OCDE (nomenclature fonctionnelle de l'ICHA, le système international des comptes de la santé) jusqu'à ce qu'on trouve mieux dans la littérature, n'importe quel MBA, même tombé du nid, sait qu'il faut les valoriser pour bien rendre le service.

La France ne considère pas, faute de système d'information, la fonction de réduction des incapacités: cela concerne pas seulement ma discipline mais bien entendu la gériatrie, la psychiatrie, au delà, toutes les disciplines et professions qui s'occupent de maladies chroniques susceptibles d'entrainer des limitations fonctionnelles à risque de handicap. Difficile de comprendre pourquoi. Essayons.

Entre 1940 et 1970 s'est élaborée la prescription de l'hôpital "machine à soigner". La loi Boulin de 1970 et lois de 1975 sur le handicap et le médico-social qui la suivent constituent une clé pour la séparation des soins et du social. L'Etat régulateur surfait-t-il alors sur l'anti-médecine d'Ilitch et la fin du grand enfermement de Foucault qui aboutira au "nouveau moyen âge psychiatrique"?

Le handicap considéré comme problème social et politique (état plus que processus) s'est transporté dans le champ médico-social, bientôt décentralisé, celui des "français du département" avec les lois de décentralisation. Notons que l'approche gérontologique a gardé une vision plus médicalisée (paternaliste pour certains) mais relativement intégrée du handicap de la personne âgée alors que pour les moins de 60 ans la vision démédicalisée a été prédominante, dans le but de laisser les orientations sous contrôle des associations et des familles et non à une vision médicale sous contrainte gestionnaire.
De ce fait les dysfonctionnements des parcours issus du dispositif législatif et réglementaire sont très différents selon l'âge; mais au fait, quand est-ce qu'on est vieux? A 60 ans?
Son coté sanitaire, la "perte d'autonomie" temporaire ou définitive s'est trouvée rayée des radars, du PMSI et des systèmes d'information du monde prescrit, alors que les épidémiologiste tentent d'analyser les incapacités dans la population (limitations fonctionnelles et restrictions d'activité), mais sans aucune connexion avec la trilogie rationaliser, planifier, contrôler qui guide notre NMP en santé et légitime l'ONDAM.

Filières inversées: le cercle vicieux

En revanche dans le monde réel il fallait bien organiser des "filières" pour mettre la poussière médico-économique sous le tapis, pour réduire les lits aigus et répondre fit à un T2A curative.

Tout était en place pour forcer le système à construire des "filières inversées", guidées par les contraintes de production de l'amont et non par les besoins personnalisés du patient, exactement comme Galbraith père le décrivait dans "le nouvel état industriel".

Comme le problème social et d'hébergement restait bien réel il a été externalisé sur les SSR, peut-être sur la psychiatrie qui gère à la fois son aspect aigu et post-aigu, non sans conflits.

Ceci empêche en permanence la détermination et la valorisation des fonctions des SSR, entre intégration verticale par l'aigu en flux poussés et différenciation des activités spécialisées qui seraient adaptées aux "besoins" à supposer qu'on sache les déterminer de façon un peu plus objective.

Imaginez un ingénieur à la fois suffisant et insuffisant qui concevrait d'en haut le système de santé: il aboutirait peut-être à la confusion de la segmentation temporelle des parcours et celle de fonctions de l'hôpital
- L'hôpital aigu s'occupe de traiter la maladie et de soigner au minimum pour produire des GHM; ce minimum vu de gestionnaire ne plait guère aux soignants, qui fuient.
- Les SSR, secteur aussi confus qu'exubérant est de plus en chargé de "dégager" les questions sociales et d'hébergement et ce quelle que soit la discipline d'autorisation
- La "ville" et le secteur médico-social sont censés accommoder les restes, les fonctions de la santé auxquelles on a de moins en moins répondu en amont du fait même de cette modélisation ubuesque. La ville est censée et un secteur social et médico-social bunkérisés sont censés mettre en place un système de soins et d'aide pérenne, étroitement intriqué aux politique d'accompagnement du handicap, bref tout ce dont on a prescrit à l'hôpital de ne pas s'occuper. CQFD. Cercle vicieux autobloquant.

La machine à soigner: une fiction dangereuse

La machine à soigner est avant tout un fantasme d'ingénieur Shadock au service d'un système politique qui cultive l'art d'ignorer les malheureux, les vieux et les handicapés.
Près de 50 ans après Fetter on n'a quasiment rien trouvé depuis pour améliorer son modèle centré sur le diagnostic? Paresse intellectuelle? Immobilisme français?
Serait-ce excessif de parler d'un nouveau moyen-âge sanitaire à force d'ignorer résolument et contre l'évidence les questions sociales?

Voilà pourquoi quand j'entends des perdreaux de l'année de la performance et autres "coordinateurs de parcours" et grand prêtres des dispositifs d'appui à la coordination nous donner des leçons sur le care, la responsabilité collective, la qualité déconnectée de tout moyen et la bientraitance, la moutarde me monte au nez.

Les composante de la valeur des soins sont inséparables de celles de l'accompagnement social

Tous les pays ont des problèmes de frontière quand il s'agit de tracer les nuances subtiles qui séparent malades et malheureux. Il suffit de lire les analyses sur les définitions et la comparabilité qui accompagnent les statistiques de l'OCDE.
Néanmoins, pour reconstruire l'hôpital, il faut simultanément reconstruire les soins de ville mais aussi l'action sanitaire et sociale.

Soigner les gens pour les laisser sans soins ni accompagnement après, mais aussi avant dans un cycle de maladies et conditions chroniques, ne peut conduire qu'à des résultats médiocres et désespérants pour les soignants comme pour les travailleurs sociaux.

Pour revenir sur la grande fragmentation française, citons Pierre Gauthier:

« L’action sanitaire et sociale, une transmission en danger », Empan, 2015/4 (n° 100), p. 15-23. Url : https://www.cairn.info/revue-empan-2015-4-page-15.htm

"le paysage sanitaire et médicosocial a été empoisonné pendant au moins vingt ans par le jeu combiné des lois Boulin du 31 décembre 1970 et « sociale » du 30 juin 1975, coupant le champ des politiques hospitalières du champ médicosocial. Cette dichotomie était directement inspirée par le souvenir honteux laissé par la prise en charge des personnes handicapées dans les hospices et les hôpitaux psychiatriques. Mais à la longue elle a conduit à des conflits négatifs de compétence dont furent victimes des catégories entières de malades qui relevaient à la fois de soins et d’un accompagnement social : malades mentaux stabilisés, personnes victimes de traumatismes crâniens, autistes. Je n’hésite pas à dire que les retards pris dans notre pays dans ce dernier domaine lui sont directement imputables (au-delà de la prévalence excessive d’une approche doctrinale). Cette coupure, peut être inévitable au début mais devenue perverse et gravement nuisible, a été abrogée progressivement dans les textes à partir du milieu des années 1990, puis dans une des ordonnances Juppé. On peut craindre que cette coupure, abrogée dans les textes, subsiste dans les têtes malgré l’affirmation très forte du principe de la fongibilité asymétrique qui ne peut que « doper » le secteur médicosocial (...)"

20 ans seulement? Gauthier semble ici très optimiste. Ni la loi HPST ni la "déconcentralisation", comme la nomme si bien Frédéric Pierru, n'ont rien changé à la fragmentation institutionnelle, financière et culturelle dénoncée par les rapports (dont le rapport Larcher) qui ont conduit à la création des ARS.

Nous ne pouvons que partager ce constat de Gauthier, y compris la prévalence excessive de l'approche doctrinale!

lundi 22 mars 2021

COVID et Casse du siècle: l'évolution des lits hospitaliers depuis 1980


Ce message concerne l'évolution des lits hospitaliers depuis 1980. Le diamètre du tuyau hospitalier est plus que jamais un problème majeur. A la lecture de ces chiffres, il est tentant d'adhérer au titre de Pierru, Juven et Vincent: "La casse du siècle."

Il faudrait étudier en parallèle les réductions d'effectifs aboutissant à des ratios de soignants qui rendent impossible le fonctionnement les lits encore ouverts et ont aussi réduit la flexibilité d'adaptation face à l'épidémie. 
Il faut aussi considérer la fragilisation des compétences collectives d'équipe, un des points aveugles de la nouvelle gestion des RH. Cette gestion par les coûts du personnel qui confond métier et fonction détruit les compétences clés et engendre des difficultés croissantes pour travailler en équipes stables et formées. Cela entraîne notamment l'impossibilité de prendre en SSR des patients trachéotomisés mais non ventilés, ce qui était autrefois possible et qui retentit sur toute la fluidité en amont. Prétendre coordonner d'en haut des équipes asphyxiées qui ont perdu la possibilité de coopérer en bas relève de la pathologie d'un management trop exclusivement soumis aux logiques financières.

"Dans notre pays, la densité de lits d’hôpitaux est passée de 11,1 lits pour 1000 habitants au début des années 1980 à 6,0 en 2017, soit -46 %, presque une division par deux sur cette période de 37 ans. Jean Gadrey

Le désastreux plongeon des capacités hospitalières depuis les années 1980 : comparaisons internationales JEAN GADREY (figure 1)
https://blogs.alternatives-economiques.fr/gadrey/2020/04/01/le-desastreux-plongeon-des-capacites-hospitalieres-depuis-les-annees-1980-comparaisons-internationales





Pour ceux qui aiment les sources: le tableau de la banque mondiale utilisé par Jean Gadrey qui montre l'évolution des lits hospitaliers français/1000 personnes depuis 1980
https://donnees.banquemondiale.org/indicator/SH.MED.BEDS.ZS?end=2019&start=1961

Le fichier Excel avec la France surlignée en jaune ligne 80:
https://www.syfmer.org/wp-content/uploads/2021/03/API_SH.MED_.BEDS_.ZS_DS2_fr_excel_v2_2070119.xls

Analyse par secteur: court séjour, SSR, SLD et psychiatrie


Il convient d' analyser plus finement ce qui s'est passé par secteur: court séjour, SSR, SLD et psychiatrie

Entre 2003 et 2018, 72 000 lits ont été supprimés au nom d'un virage incantatoire qui a été plus hospitalier qu'ambulatoire: "l'hôpital est devenu le généraliste des pauvres" (Jean de Kervasdoué). La dés-hospitalisation à marche forcée s'est hélas accompagnée de déserts médicaux et de restes à charge croissants qui ont aggravé les conditions d'accessibilité, et dégradé la qualité des soins ambulatoires et à domicile.


Entre 2003 et 2018: réduction de 468 000 à 396 000 lits d’hospitalisation à temps complet

Les Français moins soignés par leurs généralistes: un virage ambulatoire incantatoire?

La courbe générale par secteur de 1980 à 2008




Synthèse personnelle: pourquoi il faut changer de modèle





samedi 30 mai 2020

Ségur de la santé : en finir avec le grand désenchantement des professionnels de santé?


"...le néo-libéralisme ne saurait en aucune façon être assimilé au moins d'Etat. Il est au contraire une rationalité politique originale qui confère à l'Etat la mission de généraliser les relations concurrentielles et la forme entrepreneuriale y compris et surtout au sein de la sphère publique." Frédéric Pierru.





La faute à Voltaire ou à Rousseau?


D'où vient le grand blues de l'hôpital, aujourd'hui sur le devant de la scène au risque de masquer les questions clés qui se posent à notre système de santé quel que soit le secteur et le mode d’exercice ? 

Les questions fondamentales relatives à la gouvernance de l'hôpital et du système de santé n'ont pas changé, les mêmes schémas de pensée reproduiront très vire les mêmes effets si l'on y prend garde.

Faut-il se limiter à éteindre le feu dormant de la "gilet-jaunification" de l'hôpital par un énième replâtrage centré sur le capacitaire en lits aigus et la rémunération, certes indispensables ? 

Faut-il centrer la réflexion sur l'hôpital aigu quand l'effondrement stupéfiant des soins ambulatoires, à domicile et dans le secteur médico-social n'est pas encore évalué dans ses impacts économiques, sanitaires et sociaux ? 

Ne faudrait-il pas plus profondément chercher à lutter contre le grand désenchantement de la santé, bien au-delà de l’hôpital ? 

1. Est-ce la faute à la T2A ou au paiement à l'acte ? N’est-ce pas le plus commode des boucs émissaires pour ce qui n’est qu’un mode d’allocation de ressources certes en silo, très mal ficelé et sous enveloppe fermée ? 

2. Est-ce la faute au rationnement inavoué et inégalitaire par une technocratie au service de l'ajustement, qui prétend fonder en raison l'ONDAM, le mythe du trou de la sécu et justifier l'effroyable fragmentation conceptuelle, institutionnelle et financière de notre système de santé ? 

3. Est-ce la faute à la gouvernance publique et la mise en oeuvre du Nouveau Management Public, qui déploie un système de performance inconsistant, depuis la LOLF, ses missions, programmes et actions jusqu’aux indicateurs myopes servant de tableau de bord aux activités cliniques ? N'induisent-ils pas désespoir et perte de sens ? Est-ce la faute aux pseudo-marchés administrés selon André Grimaldi et Frédéric Pierru ? 

4. Est-ce enfin la faute de la rigidité de la bureaucratie wébérienne, au service de ses agents et paralysée par des statuts qui empêchent de gérer enfin l'hôpital comme une entreprise (Guy Vallancien, Gérard Vincent...). Bref sommes-nous allés assez loin dans le NMP ou faut-il continuer? 

Du meilleur diagnostic des failles d'un système sans doute polypathologique et aux multiples défaillances fonctionnelles viendra sans doute le moins mauvais traitement, qui pour le moment n'apparaît pas encore à l'horizon. 

Les quatre axes du Ségur de la santé 


En appelant de ses vœux la tenue d’un « Ségur de la santé », le chef de l’Etat a détaillé les quatre « piliers » sur lesquels devra reposer le futur plan : 

· Revalorisation des carrières et développements des compétences et des parcours professionnels à l’hôpital et dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) ; 

· Plan d’investissement et réforme des modèles de financement ; 

· Mise en place d’un système plus souple, plus simple, plus en proximité, en revalorisant le collectif, le sens de l’équipe et l’initiative des professionnels ; 

· Mise en place d’une organisation du système de santé fondée sur le territoire et intégrant hôpital, médecine de ville et médico-social. 

Comment faire pour que cela ne soit pas qu'un coup de com?


Pour refonder la santé et sortir du grand désenchantement qui nous accable; il faut d'abord remettre en cause le modèle  de performance publique d'où procède le gouvernement à distance par des indicateurs dénués de sens. Il faut dans le même temps réformer les concepts fondamentaux qui définissent les finalités principales du système de santé en s'appuyant sur les avancées internationales. Il ne peut y a voir de pilotage acceptable et démocratique sans système d'information alignant les besoins de santé, les moyens mis en oeuvre et la reddition de comptes sans laquelle notre système restera médiéval, organisé et financé à l'étiquette, au pouvoir d'influence et au lobbying.

Il nous faut pour cela une réforme des nomenclatures fonctionnelles et institutionnelles sans lesquelles aucun modèle de financement cohérent ne pourra voir le jour.

On peut s'inspirer de l'OMS, organisation qu'il ne faut certes pas idolâtrer, mais dont le rejet par Donald Trump la rend soudain plus sympathique. Les stratégies ou finalités fondamentales d'un système de santé qui nécessitent chacune une budgétisation, une planification de l'offre, l'allocation des ressources et un système d'information et de reddition de comptes sont les suivantes:
  1.          Promotion de la santé
  2.           Prévention : indispensable, mais attention au mythe du transfert de fonds des soins vers la prévention, ou inversion du triangle d'allocation des ressources.
  3.           Soins curatifs : diagnostiquer et traiter les maladies 
  4.           Réadaptation : optimiser activités et participation selon projet de vie des personnes
  5.           Soins palliatifs
  6.           Soutien social en termes d’assistance à la vie autonome et de soutien à l’inclusion sociale.

Webographie sur le Ségur de la Santé : 















samedi 6 juillet 2019

Généalogie de la pensée managériale de marché


“Dans la philosophie, la religion, l’éthique ou la politique, deux et deux peuvent faire cinq, mais quand le chiffre un désigne un lit, un médecin, une infirmière ou un kinésithérapeute, deux et deux doivent faire quatre”. Adapté de George Orwell, 1984


Lectures d’été - Les origines de la pensée managériale de marché 


Je conseille en premier lieu ce petit livre sur le système américain que je viens de dévorer en deux jours. Trois autres livres complètent utilement la réflexion dans cette sélection d’ubulogie clinique en vacances. 

1. Comprendre la politique de santé aux États-Unis Janvier 2019 Élisa Chelle Marc Smyrl (Préface)


Les questions qui se posent aujourd'hui à notre système de santé, sur l'accès aux soins en termes territorial et financier, sur l'aménagement du territoire, sur la couverture par les assurances santé et sur la régulation de ce qui est plus un patchwork pointilliste qu'un véritable système intégré se sont posées au moment de la réforme Obama. Elles se posent à nouveau quand Trump essaie avec difficulté de revenir sur ses avancées, notamment l'extension incontestable du pourcentage de la population couverte par les assurances. 

Crise des urgences, impasses hospitalières, impasses de l'organisation et du financement en aigu, en SSR, en ville et dans le secteur médico-social, parcours chaotiques, aggravation des inégalités d'accès aux soins et de santé, en particulier pour les personnes atteintes de maladies chroniques, les personnes âgées dépendantes, les personnes requérant de la réadaptation, tout particulièrement quand à ces situations s'ajoute la précarité qui majore le risque vital et le risque de handicap. Même si la fragmentation institutionnelle et financière est différente les problèmes ne sont pas si différents. Il y a plus de convergences que de divergences.


2. LA CASSE DU SIÈCLE À PROPOS DES RÉFORMES DE L’HÔPITAL PUBLIC . Pierre-André Juven, Frédéric Pierru et Fanny Vincent.


Ces deux livres complémentaires nous aident à comprendre les méfaits d'un scénario américain tourné par un metteur en scène anglais dans un village gaulois. La genèse de ce qu’André Grimaldi appelle la pensée managériale de marché, d’autres la bureaucratie libérale, tient davantage à des affinités électives entre coalitions d’acteurs confrontés aux contraintes et opportunités de l’ajustement des dépenses de santé qu’à une stratégie coordonnée, même si les organisations internationales et l’économie globalisée jouent un rôle important. Il y a donc une spécificité française.

Ainsi s’est constituée une doxa managérialiste où le mythe de la concurrence efficiente (inhérente à la culture de la régulation américaine) se conjugue à celui de l'organisation technocratique du travail de soins (mise en scène anglaise) et à celui de la régulation par les incitations (jusque dans les comportements à risque ou "nudge"). Ainsi naissent les pseudo-marchés régulés par l'état. Les choix de nos politiques de santé en quête d'ajustement sont présentés comme la solution unique, sans alternative possible. Ils conduisent au rationnement inégal des soins, délétère pour les patients, ubuesque et désespérant de perte de sens pour les professionnels. 

La mise en scène de la concurrence régulée, ou "divin marché" en santé, repose sur la définition de résultats de production myopes, inventés aux USA pour maîtriser les dépenses par un paiement prospectif par cas. La rationalisation des fonctions de production n’a su définir que des résultats court-termismes, insignifiants pour les acteurs. La T2A prospective par cas a du sens pour certaines prestations mais sa construction est trop étiopathogénique et curative. Elle est inadaptée aux nouveaux besoins de santé en modélisant l'hôpital comme usine à soins, ou machine à guérir. Ces modèles de productions simplistes et anachroniques ont pour résultat, par un phénomène de prophétie auto-réalisatrice, de transformer les acteurs en producteurs de GHM, ces groupes homogènes de malades qu'ils sont censés produire. 

Il ne s'agit donc pas ici, contrairement à la rhétorique ​managérialiste ​du changement, de mentalités soignantes résistantes qu'il faudrait changer ​grace à​ l'éducation conçue par les savants "d'en haut" et par la pédagogie des incitations. Il s'agit au contraire de changer les rapports de production qui nous transforment en idiots aux rationalités limitées, conformément aux modèles économiques aussi dominants qu'aliénants de la neuro-économie orthodoxe. Ce modèle s'autojustifie en permanence par infalsifiabilité et vérificationnisme. Tout est toujours expliqué par le modèle. Dans la réalité les soignants font tout ce qui est encore possible pour protéger l'intérêt individuel des patients, ce qui a toujours été leur première motivation intrinsèque, la bête noire des manipulateurs d'incitations qui rêvent d'y substituer des motivations extrinsèques.  

Appliquer uniformément et partout le paiement à l’acte qui ignore l'épisode de soins et toute activité intellectuelle des soignants, ainsi que la T2A actuelle qui ignore les finalités réelles de soins, respectivement en libéral et à l'hôpital, en aigu, bientôt peut-être au secteur des SSR, secteur post-aigu le plus hétérogène du monde dans ses fonctions avec 26% des lits hospitaliers français, est un déni de santé publique. C'est la maladie infantile, le trouble envahissant du développement des systèmes d'information, de comptabilité, de gestion, de financement et de régulation en santé.

Mieux conçues, fondées sur une fonction de production épousant les finalités d’épisodes de soins pertinents pour les payeurs et signifiants pour les cliniciens, associées à d'autres mécanismes en compensant leurs inévitables faiblesses, les classifications en groupes homogènes de patients peuvent toutefois permettre une allocation des ressources plus juste que le financement à l'étiquette, historique, injuste et souvent contre-performant. Mais il faut une vision d'ensemble et un pilotage politique pour surmonter la société bloquée, la crise de l'intelligence collective, notre mal français.

3. La sociologie des professions Par Florent Champy, 2012


Les sociologues américains face à l’évolution du système de santé ont redéfini la place et la nécessité d’une logique professionnelle dans la régulation des systèmes de santé. A lire absolument.


4. Managing the Myths of Health Care. Henry Mintzberg 2017


Pour interroger les mythes et les échecs prévisibles du nouveau management public appliqué à la santé.

Pour aller plus loin: 15 articles pour s'initier à l'ubulogie clinique
https://sites.google.com/site/ubulogieclinique/quinze-articles-pour-s-initier-a-ubulogie-clinique


samedi 9 février 2019

Rationalisation, perte de sens et souffrance dans les hôpitaux


La cage d'acier de la rationalisation


Voici, par Bertrand Pauget et al., une critique de la rationalisation des activités hospitalières qui apporte un éclairage sur la perte de sens et la stupéfiante capacité du système à faire pratiquer des soins de qualité de plus en plus médiocre par de braves gens qui en souffrent. Ne pouvant donner de la voix, ils en sont réduits à une loyauté désabusée et passive ou à l'exit, parfois sous des formes dramatiques.

Cela complète parfaitement l'approche de Mintzberg par les mythes de la santé dans une vision ou il faut voir plus de continuité que de ruptures, ainsi que l'approche de la souffrance au travail de Christophe Dejours, de Vincent de Gaulejac et bien sûr de Frédéric Pierru pour ne citer qu'eux.

La loi Touraine de 2016 et la STSS "Ma santé 2022" poursuivent les mêmes logiques, notamment avec les fusions réalisées par les GHT (merger mania)et l'intégration gestionnaire des soins primaires.

Max Weber décrivait déjà le chemin qui mène vers la cage d'acier de la rationalisation des activités sociales.

Nous voyons ici à l'oeuvre un triple processus de rationalisation: rationalisation des règles de fonctionnement, rationalisation des savoirs médicaux, rationalisation des moyens (vus principalement sous l’angle financier, autrement dit celui des recettes dans un business model).

J'émets juste une réserve sur la "bureaucratie professionnelle" hospitalière qui est une organisation émergente largement construite d'en bas du fait que les opérationnels sont les experts, contrairement aux systèmes de production dits tayloriens où les experts sont dans les bureaux des méthodes (la technostructure). Cette organisation professionnelle est retrouvée dans tous les hôpitaux indépendamment du processus français (Mintzberg).

Nul ne peut s'opposer à la raison vraie, celle que recherchent selon Aristote les médecins, au delà tous les cliniciens, dans leur tekné, leurs pratiques prudentielles (Florent Champy).
Mais rester vigilants face aux mythes gestionnaires, économiques et des politiques publiques de santé qui remplacent trop souvent les sciences exactes, oui, sûrement.

Attention à ce que Alain-Charles Masquelet dénonce comme "le mauvais bout de la raison" en s'inspirant de Rouletabille.

Lectures proposées:


Eléments d’Histoire des réformes hospitalières : 1941-2009

La valeur-utilité dans le secteur de la santé : de l'acceptation à la contestation

The future of the French health care system: towards a Beveridge approach?

Bringing the Health Care State Back in
Les embarras politiques d’une intégration par fusion : le cas des Agences Régionales de Santé
Frédéric Pierru et Christine Rolland

Esculape vous tienne en joie,

dimanche 27 janvier 2019

Stop au gâchis humain ! Refusons la normalisation technico-financière de nos métiers


Ubulogie clinique: appel à l'action


Vous trouverez dans le lien ci-dessous une pétition lancée hier par l’Appel des appels.
Si vous décidez de la signer, merci de faire circuler de plus largement possible.


La curatelle ou normalisation technico-financière, formule bien trouvée, est un moyen au service de l'ajustement et de la destruction de la solidarité avec pour objectif la promotion d'une protection sociale à trois niveaux selon le bureau international du travail 
1/ non contributif et low cost, un filet de sécurité universel mais très réduit en terme de panier de soins pour les pauvres, les sans emploi, les personnes âgées et handicapées.
2/ contributif et lié au travail et enfin 
3/ facultatif, assurant un niveau de protection maximale pour les plus fortunés). 

La planification, la formation des professionnels, l'organisation et le financement des soins subiront ou subissent déjà une réingénierie adaptée à ce brave new world. Le reste à charge explosera pour ceux qui tentent d'accéder à des soins de qualité, même fondamentaux, comme le traitement des maladies graves ou la réadaptation. Cette stratégie de santé internationale résolument ignorée en France et destinée à prévenir ou réduire les incapacités, est en voie d'effondrement en établissements de soins, en ville et sen secteur médico-social.

Un des dangers est de développer une stratégie en pied de flute de Champagne, la protection low cost des plus pauvres ou "précaires" cache l'effondrement des prestations aux catégories juste au dessus de ces seuils cache-misère, notamment pour les catégories improductives citées plus haut, les plus menacées en période de crise des dépenses de protection sociale.

Comme pour les stratégies de transformation du système de santé, avec l'importation du mythe des "soins primaires" combiné à celui du contrôle de gestion normalisé sous-jacent aux modèles d'organisation de la santé publique d'Alma-Ata et Ottawa, la stratégie d'ajustement conduit à proposer aux pays à fort revenu les modèles appliqués aux pays à faible revenu. 





Le managérialisme le plus primairement néo-taylorien, l'économie néolibérale la plus dogmatique, qui érigent en mythe l'efficience de la compétition régulée sur des agents modélisés en idiots rationnels (Amartya Sen), ont trouvé la complicité soumise d'un appareil idéologique de santé publique prêt à tous les compromis pour accroître sans fin pour son pouvoir d'expertise. C'est le moment de lire le dernier Mintzberg sur les mythes du management de la santé.

Il n'y a sans doute pas de complot, seulement la bêtise et les affinités électives de systèmes de pouvoirs et de coalitions d'intérêt  à courte vue, qui produisent dans un contexte de globalisation,  d'innovations en TIC et de gouvernement à distance par indicateus ce qu'André Grimaldi nomme "pensée managériale de marché", d'autres managérialisme ou "bureaucratie libérale".

Ce qui est certain, c'est que les mauvaises sciences de gestions, la mauvaise économie de la santé et la mauvaise santé publique produisent des modèles de processus, des indicateurs de résultats, des catégories comptables qui n'ont aucun sens pour les acteurs, de plus en plus déconnectés de l'outcome, ce qui compte vraiment, et qui les font souffrir comme jamais, dans un déni de liberté, de fraternité et d'égalité à la fois.
Car les acteurs, usagers, soignants et managers de santé, se rendent de plus en plus compte que ce bullshit management appliqué aux politique publiques est destiné à détruire leur organisation, la protection sociale et le service du public.

Ce sont des méthodes d'anorexie organisationnelle qui ont pour objectif la construction d'un nouveau système de protection sociale; inégalitaire et inhumain, que nous devons sans cesse débusquer et combattre.

C'est bien écrit, juste, et à diffuser, pour une régulation plus humaine et plus démocratique des dépenses, pour une bonne organisation et une bonne comptabilité (il en faut quand même) qui peuvent aussi être source de richesse!

Mintzberg Managing the Myths of Health Care Le livre


Managing the myths of health Care  l'article


Mintzberg dans le florilège des ubulogues


François Dupuy et la faillite de la pensée managériale


Esculape vous tienne en joie