Affaire Orpea : faut-il remettre en question la gestion des EHPAD par le secteur privé lucratif ou plus largement le dogme de l'optimisation de la performance financière ?
« Nous n'entendons pas rester inactifs... Il faut réformer le contrôle. » Jean Castex
« Je trouve profondément choquant que sur l’état de faiblesse de nos anciens […] on puisse faire de l’argent et j’ajoute que le service, il est moins bon, ça coûte plus cher ». Richard Ferrand., président de l'Assemblée nationale
La question est-elle bien posée ou sert-elle à masquer les responsabilités politiques ?
Les pompiers pyromanes essaient d'éteindre l'incendie qu'ils ont allumé, il est vrai depuis un demi-siècle.
Les gouvernants actuels ne sont responsables que de la folie de continuer à réformer le système à partir des modèles de pensée qui nous ont conduit au désastre.
Il s'agissait de réduire les dépenses de santé et d'autonomie en comptant sur la recherche de la performance financière, en secteur public ou privé, lucratif ou non.
La performance financière régulée par les politiques publiques ne peut reposer que sur la concurrence par comparaison d'indicateurs, dans ce que nous pouvons nommer « management télécommande » (Mintzberg) ou gouvernance par les nombres (alain Supiot). Parmi les approches polysémiques de la grande valise du concept de performance, la performance financière était la solution de facilité, qui passe par l'indicateur le plus rapide à mettre en place, la "putain universelle" de Shakespeare.
Hélas, conformément à cette croyance, il était nécessaire de supprimer tout ce qui peut contrecarrer les mécanismes vertueux des restructurations attendues de la recherche de l'optimisation des profits ou recettes en secteur public/ESPIC/privé à but lucratif: pas de conditions de fonctionnement minimales ou bien des faux-semblants comme en MCO,SSR, USLD, psychiatrie, EMS, pas de ratios mais aussi pas de contrôle qui freineraient la puissance des système d'indicateurs /de paiement d'où le bien commun est censé surgir.
Si faibles soient les normes de fonctionnement, des contrôles robustes assortis de sanctions peuvent quand même trouver à redire.
L'incompatibilité entre la qualité des soins et le centrage de la performance sur la dimension financière
La qualité est définie comme l'ensemble des caractéristiques d'un bien ou service qui satisfont aux attentes exprimées ou implicites des bénéficiaires
Supposer que la recherche de la performance financière va miraculeusement aboutir à la qualité des soins et de l'accompagnement des personnes en perte d'autonomie relève de la théologie politique. Cette religion laïcisée repose sur des mythes économiques en particulier celui de la compétition efficiente (Mintzberg), l'extension indéfinie du domaine de la man invisible du marché à ce dont Adam Smith lui-même laissait la responsabilité à l'Etat, quand les profits d'une production de services ne peuvent rembourser la dépense pour un entrepreneur privé.
L'explosion en plein vol de l'économie de l'or gris, après l'observation des phénomènes de triage et de pertes de chance lors de la pandémie, marque le divorce entre la recherche isolée de l'optimisation financière et la qualité des soins. Les enseignements de cette crise doivent éclairer les politiques publiques de santé et du handicap.
Un éclairage par l'économie?
Les économistes, et pas forcément les plus hétérodoxes, sont parfaitement en mesure d'expliquer cela, qu'on mette en avant les causes de l'échec du principe de la yardstick competition, des théories de la firme, de la théorie des contrats, des incitations etc. dans le contexte particulier de la santé de de la perte d'autonomie.
Les théories abstraites décrivent en santé un monde qui n'existe pas. Mais elles pénètrent le monde ou nous vivons plus aisément que les faits.
Résumons: nous ne sommes pas dans un marché pur et parfait, il y a des barrières à l'entrée, il y a des lobbyings puissant autant pour l'incontinence réglementaire que pour la dérégulation des conditions de fonctionnement et des contrôles, il y a des situation monopolistiques (concentration de l'offre) ou de monopsone (concentration de la demande), le caractère souvent captif des clients et l'asymétrie majeure d'information entre patients, professionnels, prestataires offreurs, managers et payeurs est sans doute plus marquée s'agissant des catégories les plus fragiles et en perte d'autonomie quel que soit l'âge.
L'échec du management public: à la recherche de la valeur perdue
Ceci explique largement l'échec cuisant du Nouveau Management Public en santé lorsqu'il s'appuie sur un ensemble de mythes souvent plus économiques que gestionnaires.
La gestion reste assise sur la banquette arrière avec les professionnels, les élus, et les usagers. "Les économistes sont au volant de notre société" (Keynes).
La dérégulation sans garde-fous dans le contexte des soins de santé et du handicap conduit inévitablement à un rationnement sauvage qui ne résulte pas d'une rationalisation acceptable.
Est-ce l'occasion d'une prise de conscience pour le jour d’après ? Est-ce l’occasion de se lancer « à la recherche de la valeur perdue » (Lorino) ?
Un rationnement acceptable, sachant que par définition le rationnement, ce sont des pertes de chances acceptées, ne peut reposer que sur un débat politique au sens noble du terme.
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Le caractère ubuesque d'une politique repose sur l'association de trois critères : l'arbitraire, la cruauté et le parodique.
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