samedi 27 octobre 2012

Décès d’un des plus grands ubulogues français, créateur des "Shadoks", Jacques Rouxel

'Patagestion et shadokologie


Jacques Rouxel, un des plus grands ubulogues français, s’est éteint à l’âge de 73 ans. Ceux qui ont connu 68 se souviennent de celui qui est une des plus formidables critiques des politiques publiques et du management. Il décrivait dans de courtes animation servies par la voix de Claude Piéplu, la vie des shadoks et des gibis, sur des planètes imaginaires. 
De grande figures apparaissaient dans la gestion absurde de la société shadok, 
- le roi shadok, maître des « politiques publiques », 
- le professeur Shadoko « l’expert scientifique », 
- le devin plombier, « l’ingénieur des solutions imaginaires »aurait pu dire Alfred Jarry, 
- enfin le marin shadok, « le manager » qui fait ramer les autres. 

La tâche principale des shadoks, on s’en souvient, était pourtant de "pomper" mais sans savoir pourquoi. Pour les shadoks, l’action est irrémédiablement déconnectée de toue finalité, c’est le cœur du message. L’action est poïesis et non praxis, l’exécution est dissociée de sa conception qui dépend des personnages cités plus haut

Rouxel avait fait un passage à HEC. Tout comme Dilbert, comme Chesterton et comme Philip Muray dans un autre genre, il pousse vers des sommets la redoutable heuristique de l’humour, de l’absurde et du nonsense dans son analyse du caractère ubuesque d’une action publique et d’un management déconnectés de toute vision des résultats réels, par ignorance du travail réel et de ce que qui fait sens pour les acteurs au contact du public. "What else?", est-on tenté de dire à l'heure du New Public Management.

Rouxel est donc régulièrement cité par tous ceux qui dénoncent l’impasse du managérialisme actuel notamment pour le système de santé.

Pour ceux qui veulent revoir découvrir les shadoks avec l'inimitable voix de Claude Piéplu http://www.lesshadoks.com/



Citations de Jacques Rouxel

«S’il n’y a pas de solution c’est qu’il n’y a pas de problème.»

« Pour guérir quelque chose qui ne marche pas ou fait trop de bruit, il faut et il suffit de taper dessus avec quelque chose qui marche mieux ou qui fait plus de bruit. » 
Le grand intelligencieur et le docteur shadok (dans la série Meu)

"Avec un escalier prévu pour la montée, on réussit souvent à monter plus bas qu'on serait descendu avec un escalier prévu pour la descente.

«Il vaut mieux pomper même s’il ne se passe rien que de risquer qu’il se passe quelque chose de pire en ne pompant pas.»

«Pour qu’il y ait le moins de mécontents possibles il faut toujours taper sur les mêmes.»

«Dans la marine on ne fait pas grand-chose mais on le fait de bonne heure.»

«Quand on ne sait pas où l’on va, il faut y aller... Et le plus vite possible.»

«Le passé ne sera jamais pire que l'avenir.»

«La probabilité de réussir la mise sur orbite d'une fusée est d'une chance sur un million. Dépêchons-nous de rater 999.999 lancements !»

«Les ordinateurs, plus on s'en sert moins, moins ça a de chance de mal marcher.»

"C'est encore dans la marine qu'il y a le plus de marins."

«En essayant continuellement on finit par réussir. Donc : plus ça rate, plus on a de chance que ça marche.»

"C'est en forgeant que l'on devient musicien."

Les passoires: exemples des catégories shadoks, à appliquer à l'organisation sanitaire française des "filières"

On appelle passoire tout instrument sur lequel on peut définir 3 sous-ensembles : l'intérieur, l'extérieur, et les trous. L'intérieur est généralement placé au-dessus de l'extérieur, et se compose le plus souvent de nouille, et d'eau. Les trous ne sont pas importants. En effet, une expérience simple permet de se rendre compte que l'on ne change pas notablement les qualités de l'instrument en réduisant de moitié le nombre des trous, puis en réduisant cette moitié de moitié, etc, etc. Et à la limite, jusqu'à ce qu'il n'y ait plus de trou du tout. D'où théorème : la notion de passoire est indépendante de la notion de trou. Et réciproquement. On appelle passoire du 1er ordre les passoires qui ne laissent passer ni les nouilles, ni l'eau. On appelle passoire du 2nd ordre une passoire qui laisse passer et les nouilles, et l'eau. On appelle passoire du 3e ordre, ou passoire complexe, les passoires qui laissent passer quelquefois l'un ou l'autre, et quelque fois pas. Pour qu'une passoire complexe laisse passer l'eau, et pas les nouilles, il faut et il suffit que le diamètre des trous soit notablement inférieur au diamètre des nouilles. Pour qu'une passoire complexe laisse passer les nouilles, et pas l'eau, il faut et il suffit que le diamètre des trous soit notablement inférieur au diamètre de l'eau. Quand aux passoires du premier ordre qui ne laissent passer ni les nouilles, ni l'eau, il y en a de 2 sortes : les passoires qui ne laissent passer ni les nouilles, ni l'eau, ni dans un sens, ni dans l'autre, et celle qui ne laissent passer ni les nouilles, ni l'eau, que dans un sens uniquement. Ces passoires là, on les appelles des casseroles. Il y a 3 sortes decasserole : les casseroles avec la queue à droite, les casseroles avec la queue à gauche, et les casseroles avec pas de queue du tout, mais celles là, on les appelle des autobus. Il y a 3 sortes d'autobus : les autobus qui marchent à droite, les autobus qui marchent à gauche, et les autobus qui ne marchent ni d'un côté, ni de l'autre. Mais ceux là, on les appelle des casseroles

samedi 29 septembre 2012

Propositions du Mouvement de Défense de l'Hôpital Public - E = MC²


1. Message du Pr. Bernard Granger adressé aux médecins des hôpitaux au sujet des nouvelles propositions du MDHP


Chers collègues,

Vous trouverez ci-jointes les propositions du MDHP pour l’hôpital public, signées par un grand nombre d’entre vous, de nombreux collègues des autres CHU, d’hôpitaux généraux ou psychiatriques. Ce texte est à diffuser le plus largement possible.

Nous avons demandé cette semaine un rendez-vous à la ministre des Affaires sociales et de la Santé pour développer devant elle nos arguments.

En voici les principaux points :

- une modulation de la tarification en fonction du type d’établissements,
- une limitation du champ d’application de la tarification à l’activité,
- un objectif national des dépenses d’assurance maladie permettant de répondre aux besoins et d’assurer une qualité des soins satisfaisante, en particulier grâce au maintien des emplois soignants,
- une gestion décentralisée selon un principe de subsidiarité,
- la recherche du juste soin au juste coût,
- le développement des activités ambulatoires,
- la fin de l’empilement actuel d’évaluations procédurales bureaucratiques,
- une rééquilibration de la gouvernance hospitalière (une direction administrative, une direction médicale, et dans les CHU une direction pour l’enseignement et la recherche),
- une organisation hospitalière guidée par la logique soignante et centrée sur les services,
- un effort d’investissement suffisant, sans partenariat public-privé, dont l’expérience a montré la nocivité, pour conserver un système hospitalier digne de notre pays.

Le Parisien du 28 septembre a consacré la une et huit pages de son magazine à cet appel (voir articles ci-joints). Vous lirez avec un intérêt tout particulier les témoignages terribles rapportés en dernière page de ce dossier. Ils montrent à quel point la prise en charge des patients s’est dégradée, à la limite du supportable. Nous sommes loin du monde de Bisounours décrit par la propagande institutionnelle payée à prix d’or auprès d’agences de communication ou autres prestataires extérieurs.

Amitiés et bon courage.

Bernard Granger.

Le Parisien du 28 septembre 

Hôpital: le cri d'alarme
...................................................................................................................................................................
2. Le Texte et des réactions sur le site de Dominique Dupagne




3. E = MC², ou le pari de la confiance



Nous avons à plusieurs reprise appelé sur ce blog à libérer les hôpitaux et le système de soins français en général de l'infantilisation managériale qui les mine. Elle ne conduit qu'à la paralysie et au désespoir ce tous ceux, médecins, autres soignants, autres professionnels de santé enfin, qui tentent encore de se dévouer aux malades. La réforme de la gouvernance est aujourd'hui une impérieuse nécessité.

Il faut d'urgence redonner aux professionnels, aux élus, aux managers et aux usagers une juste place dans les processus de décision, au niveau de gouvernance où leurs connaissances sont effectivement structurantes. Gardons nous de cette fausse transparence, de cette "démocrature" sanitaire toute d'agences bureucratiques et de concurrence encadrée. Les médecins et les paramédicaux doivent pouvoir de nouveau organiser les soins en équipe, au contact du public, loin des faux ingénieurs de soins qui ne savent que cloisonner les professions et détruire les compétence d'équipes au nom de modèles industriels. Ces modèles inadaptés mais imposés "d'en haut" confondent chaîne de montage et soins à une personne dont l'état et l'évolution sont si souvent marqués par l'imprévisibilité et l'incertitude. Non qu'il n'y ait pas quelques process industriels à identifier à l'hôpital, surtout en terme de logistique, ni un certain nombre de prise en charges simples et standardisables, aisées à codifier et à tarifer. Mais cette différence capitale liée à "l'intrant" humain des activités de soins nécessite réactivité et apprentissage en équipe. Stabilité, compétences collectives et motivations sont la garantie de la qualité et de la sécurité des soins, loin des balivernes des cost-killers et des des sociétés de conseil quand ils ne savent que vanter la flexibilité, la mutualisation et la dé-professionnalisation (poly-compétence). Cessons de cacher la sous information permanente des acteurs dont on écarte les compétences d'organisation des soins derrière la fausse transparence des grand-messes powerpoint et  des simulacres de concertation. Cessons de nommer rationalisation ce qui n'est que le rationnement aveugle le plus souvent maladroit et contre-productif. Cessons de cultiver les gaps dans les parcours de soins, les talents d'incompétences exacerbés par nos organisations en lieu et place des compétences clés, faute de savoir les assembler et d'aggraver chaque jour l'amnésie organisationnelle. Cessons de gaspiller l'argent public en fausse qualité "Bisounours", si chronophage pour des équipes exsangues sommées de mettre les croix dans les cases du contrôle externe. Ce reporting exponentiel qui détourne des soins ce qui reste de"cadres de santé" n'est plus qu'une mascarade destinée à masquer l'absence critique de la mesure d'une vraie qualité des soins. Celle-ci a son prix quand on veut bien ne pas la mépriser et la nier avec une telle arrogance. Ubu c'est bien le pouvoir absurde, sans contre-pouvoir.

Sachons enfin renouveler les réseaux de confiance selon une formule pourtant classique en bon management, le vrai, celui qui fait de l'homme une fin et non un moyen ou une "ressource humaine".

E = MC²: L'efficacité humaine est le produit de la Motivation au travail par les Compétences et la Culture de l'organisation, dont celle de la communication et de la gestion des connaissances.
Anderson donne la véritable formule de la performance, bien différente de celle de l'OCDE et de la LOLF
Ability  level * Mental state = Performance
Reconnaissance au travail , Autonomie des pratiques professionnelles au niveau des collectifs de travail et Participation effective aux processus de décision, sont les éléments essentiels de cette équation dans les organisations soignantes.


Mais nous avons cassé un système de compétences hospitalières lentement acquis au fil des ans pour cette sinistre application française du Nouveau Management Public et ce triste modèle managérial de la carotte des leurres marchand et du bâton des indicateurs myopes.

Pour ceux qui aiment le jazz

E= MC² c'est bien sûr la formule si célèbre d'Einstein, mais c'est aussi le titre d'un merveilleux album de Count Basie. Retrouvons ce chef d'orchestre historique dans cette vidéo:
Le nouveau directeur de la loi HPST, seul "patron de l'hôpital", ce grand architecte des soins et des filières va-t-il disparaître?
Sous cette forme là, bien seul en effet face à ce qui reste de la communauté médicale, nous le regretterions presque...


mardi 4 septembre 2012

Lexique 'pataclinique* des effets pervers de la performance publique en santé


* La ‘Pataclinique est la connaissance systématique des effets des solutions imaginaires en santé.

"Je ne crois aux statistiques que lorsque je les ai falsifiées moi-même" Winston Churchill

" Il y a trois sortes de mensonge, le mensonge, le fieffé mensonge et les statistiques" Benjamin Disraeli (cité par Mark Twain) 


La chaîne de la performance publique (voir aussi les modèles de l'OCDE)




Quelques effets de la "performance publique"

Loi de Goodhart: « toute mesure qui devient un objectif cesse d’être une mesure ». 

Effet Goodhart ou effet « tableau de bord »: l’ inversion des fins et des moyens

L’effet tableau de bord consiste à déplacer l’ensemble des efforts sur les indicateurs mesurés au détriment des dimensions de la qualité qui ne contribuent pas à l’allocation de ressources pour une unité de production ou un acteur. La distinction entre qualité et non qualité ne se fait plus sur ce qui compte pour les professionnels, mais entre ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas. Exemples : la Durée Moyenne de Séjour (DMS), la mesure de consommation des solutés hydro-alcooliques et pour l’université les g et h factors et le classement de Shanghaï. Le balanced scorecard est supposé limiter ces effets désastreux.

Effet « bidouille »: la spirale de la défiance

C’est la tendance des unités et organisations à arranger les données pour améliorer leur bilan. Cela va de l’optimisation bien conduite à la triche pure et simple, en passant par le surcodage licite ou « agressif ». Cette pratique est aussi vieille que le contrôle de gestion. Exemples le DRG creep ou surcodage en T2A. L’effet bidouille conduit à croissance exponentielle des contrôles externes et du reporting (surveiller et punir).

L'effet  « boite de Pandore » : la division machiavélique

Il consiste pour une coalition politico-médiatique hégémonique à accuser d'un mal qu'elle a produit et dont elle tente de se dédouaner une partie d'une coalition jugée dangereuse pour en faire un bouc émissaire. La coalition visée s'épuise en luttes fratricides et ses défenses seront alors aisément enfoncées par les "réformateurs", sur les sujets qui ne sont pas au devant de la scène médiatique. Exemple: la mise à l'agenda officiel des notions de "déserts médicaux" et les "dépassements d'honoraires" permet de contraindre le débat public à poursuivre le chemin de la coercition incitative dans l'esprit de la loi HPST.
Cette exacerbation permanente par l'Etat des conflits hobbesiens entre juridictions professionnelles est une méthode internationale promue par l'OCDE pour ajuster les dépenses publiques. Elle est toutefois plus qu'ailleurs et pour de nombreux auteurs, une composante majeure du "mal français" et de la "société bloquée". Elle conduit à faire du système de soins un "réseau de défiance" et de concurrence par des leurres marchands dans une chimère faite d'incitation gestionnaire et de coercition technocratique. Elle désintègre toujours plus les soins au lieu de les intégrer.

Effet « mirage »

La production de données construit une représentation de la réalité en boucles autoréférentielles entre la technostructure qui maîtrise l’information et sa diffusion aux acteurs et le sommet stratégique. Il s’agit du mécanisme par lequel le sommet stratégique finit par prendre « la carte pour le territoire », en oubliant les croyances fondatrices et les modèles qui ont sous-tendu la construction du système de données. Le seul moyen de réduire l’effet mirage est d’aplatir la pyramide de l’organisation. Exemples : le PMSI, l’effet des sept niveaux d’organisation de l’AP-HP.

Effet « pharaon »

Les difficultés inhérentes à la gestion par les résultats entraînent le désintérêt du régulateur pour la finalité du service public face à l'obsession des coûts. Il recours alors aux méthodes les plus expéditives notamment la planification budgétaire et la gestion axe sur les résultats court-termistes, renonçant à une réforme partagée avec les parties prenantes. Exemples : expansion de la bureaucratie du « tout incitatif » dans la loi HPST, asphyxie des hôpitaux sous Ondam fermée.

Effet « pont de la rivière Kwaï »

Un groupe d’acteur engagé dans un projet qui lui tient à cœur tend à le mener à terme même s’il s’avère que le projet est inapproprié ou trop coûteux. A rapprocher de l’effet paquebot qui relève des promoteurs Exemples : le catalogue des actes (CSARR) en SSR, la construction de la T2A en psychiatrie.

Effet « paquebot »

Le sommet stratégique ne parvient guère à remettre en cause la poursuite d’un projet quand des investissements importants lui ont été consacrés. Il faut une décision politique pour l’infléchir. Exemples : la certification des établissements de santé, la T2A en SSR, la mobilisation d'acteurs sur la version 2 d’Actipidos, logiciel obsolète et sans doute incompatible avec le nouveau SI à l'AP-HP.

Effet Pygmalion 

Effet qui conduit à l’immobilisme avec l’effet paquebot et l’effet Pont de la rivière Kwaï. La construction d’un système d’évaluation des résultats suscite toujours un amour immodéré et aveugle de la part ses créateurs. Il est donc souvent illusoire de leur demander de l’abandonner pour un autre.

Effet Parkinson

Dérivé de la loi du même nom, il s’agit de la tendance à l’hypertrophie progressive du personnel dédié à l’évaluation au détriment des opérationnels dans les organisations soumises à la gestion par les résultats.

Effet Illitch : "Au-delà d'un certain seuil, l'efficacité humaine décroît, voire devient négative."

La poursuite de résultats trop exigeants produit l’effet inverse de ce qui est désiré. Le managérialisme va ainsi très souvent à rebours des objectifs affichés.

Effet « poudre à éléphant »

Décrit par Paul Watzlawick, il consiste à persister dans l’utilisation d’un indicateur inutile, chronophage et coûteux au prétexte qu’il a empêché un mal hypothétique que personne n’a jamais vu.

Effet « en U »

Dans le cadre d’un paiement des employés et/ou d’unités à la performance (P4P), sont mécontents à la fois les employés les plus « vertueux » mais aussi les moins productifs. Le P4P finit par détériorer la coopération au sein des équipes et entre unités, et ces tensions nuisent à la performance en détériorant l’état d’esprit au travail. Mais bien plus grave est l’effet de prophétie auto-réalisatrice.

Effet de « prophétie auto-réalisatrice » ou effet «rational fool »

C’est un des effets les plus pervers de la gestion par les résultats quand elle prend l’aspect de la concurrence par comparaison. Fondée sur la modélisation par l’économie de la santé des médecins en "idiots rationnels" (Amartya Sen), calculateurs et égoïstes, la concurrence finit par induire les comportements individualistes prévus par la théorie. Ceux-ci nuisent aux comportements coopératifs et altruistes entre soignants et entre unités opérationnelles, indispensables à la qualité des soins.

Effet « papillon » ou « non infaillibilité du système prévisionnel »

L’introduction d’un indicateur, en modifiant les comportements opportunistes non pris en compte, peut entraîner de proche en proche une variation, évoluant comme l'exponentielle du temps écoulé, de l’ensemble du système. Exemple : dans le contexte de la dérégulation systématique des conditions techniques de fonctionnement, censées être remplacées par des indicateurs de performance,  les indicateurs liés au projet de « Libération de surfaces non indispensables au fonctionnement des Groupes Hospitaliers » (AP-HP) entraîne la prédation par effet d'aubaine des locaux de rééducation fonctionnelle, entre autres, ou la promotion sans garde-fous par les directions en mille-feuille de ratios “maltraitants” aux yeux des soignants.

Effet « paratonnerre »

C’est un système d’indicateurs qui permet aux problèmes réels de traverser l’organisation sans laisser de traces quand elle n’a pas de solution tout en montrant qu’elle s’en occupe. Créer une commission ou une nouvelle fonction remplit souvent cette fonction. Exemple : le thème de la « précarité » est l’arbre qui cache la forêt des déterminants psycho-sociaux de la santé, des motifs d'hospitalisation et des nouvelles demandes de soins (maladies chroniques, vieillissement et handicap).

Effet « bouc émissaire » ou fusible

Certaines professions ou fonctions occupent une place de choix, à chaque étage de l’organisation, pour justifier les erreurs radicales des pompiers pyromanes, de la déviance du management et des processus de décision. A l’hôpital c’est l’interne en médecine dans l’unité, pour l’administration c’est le cadre paramédical de pôle, pour la sécurité sociale ce sont les médecins assoiffés d’argent et les malades irresponsables et hyper-consommateurs. Exemple : la construction artificielle du « trou de la sécu ».

Effet Peter et sa variante de Dilbert

Les entreprises nomment souvent les incompétents là où l’on pense qu’ils feront le moins de dégâts. Ils sont souvent affectés aujourd’hui aux postes dédiés à la qualité. Joint aux effets “papillon” et “Parkinson” cet effet explique la dégradation rapide de la performance de nombreuses structures de soins. Pas d’exemple particulier, cette loi est universelle. Mais certains convertis, devenus croyants de la nouvelle doxa, engagent des sommes extravagantes auprès de l'ANAP, ce qui engraisse les cabinets de conseil (voir Canard enchaîné du 29 août). En réalité il semble que l'on ait guère le choix d'échapper à ce racket coordonné par l’État et les ARS. Il y a aussi de faux croyants qui sont des managers de transition, en charge de restructurations à la hache.

Effet Solow

L’informatique est sans doute utile mais l’excès de confiance dans le système d’information conduit à l’hypertrophie exponentielle du reporting et de groupes de travail déconnectés du réel. Cela mène à l’accroissement des effets mirages, à la perte de vue du travail réel et des conditions possibles de l’amélioration de la performance. Ceci conduit à dire qu’on voit les ordinateurs partout sauf dans les statistiques de productivité. Exemple les palmarès du Point. Il n'y a pas de domination plus efficace que celle qui peut s’autoriser d’une opinion publique « informée » (au sens de mise en forme) par les croyances que diffusent conjointement médias et pouvoirs publics.

Effet Knock: la confusion des objectifs dans la performance publique

« L'administration par objectif est efficace si vous connaissez les objectifs. Mais 90% du temps vous ne les connaissez pas ».Peter Drucker
Les objectifs doivent être définis avec les parties prenantes dans une vision partagée des résultats. Exemple : en termes de résultats (outcome) vise-t-on l’outcome pour le patient, du point de vue clinique, l’outcome sous forme d’indicateurs jugés pertinents pour une population observée du point de vue de la santé publique, ou encore du point de vue des ‘impacts’ socio-économiques définis par la nouvelle hégémonie des sciences sociales érigée en théorie de la performance publique? L’effet Knock asservit la médecine, qui s’occupe des vrais malades et de ceux qui risquent à coup sûr de le devenir, au mythe de la construction du bien être aseptisé et rationnel qui s’occupe des biens portants. Exemples: les "médicamenteurs", le "trouble dysphorique du lundi matin" et la promotion officielle de la 'patamédecine à l'AP-HP.
Un calcul savant de coûts d'opportunité alors qu'on compte les draps et les seringues dans des unités vides de soignants?

Mise à jour du 29 septembre 2012: retrouvez tous les effets sur:
https://sites.google.com/site/ubulogieclinique/liste-des-effets-patacliniques

Effet Hobbes - MIntzberg

L'asphyxie des établissements de soins sous Ondam fermée transforme le système en "arène politique" au sens de Mintzberg. Chaque acteur, chaque structure est entraînée dans une lutte pour la survie et l'acquisition des ressources de plus en plus rares. Cette guerre de tous contre tous s'accompagne d'une course au lobbying pour mettre à l'agenda politique des priorités de santé publiques puis récupérer les enveloppes fléchées qui en descendent. Voir la dia jointe.

Effet Granger ou effet "mille-feuille »

L'invisibilité du travail réel et de la qualité des soins croit proportionnellement à l'épaisseur de la pyramide managériale dont les effets brejneviens sont bien décrite par bernard Granger. Quelques dias
Prend son meilleur effet joint à l'effet "boite-à-oeufs" de cloisonement des profession par la gestion des ressources humaines et l'effet "tuyau d'orgue" entre les disciplines médicales et paramédicales.
A du être bien et longtemps travaillé par les crânes d'oeuf pour porter ses fruits dans la décomposition des soins observée dans certaines grandes pyramides des soins de santé, car les professionnels ont spontanément tendance à coopérer dans l'intérêt des patients. Fonctionne en synergie avec l'effet Pierru et l'effet Belorgey : lire l'hôpital en sursis (Granger et Pierru)

Effet Grimaldi ou « viol éthique »

Cet effet décrit par André Grimaldi explicite la rationalisation managériale et pouvourvilienne de l'intériorisation des choix tragiques. Celle-ci enjoint aux "producteurs de soins" de financer les malades non rentables par les malades rentables, conduit à la suppression occulte car non captée par le système d'information des prises en charge de malades "non rentables". Le viol éthique est aussi décrit comme double relation d'agence pour le médecin: dans la théorie de l'agence il est à la fois agent du patient (premier principal)  qui lui a fait confiance et agent de l'administration (second principal) devant qui il est imputable des dépenses et de sa contribution à la santé publique dont le directeur tire sa légitimité. Lié à l'effet Watzlawick. Schéma du portefeuille d'activités cliniques - Double relation d'agence

Effet Galbraith ou effet de "filière inversée" dans les verticalités de groupes


La régulation par les incitatifs incite avant tout les technocratie intermédiaires à s'adapter au modèle de production imposé. Sans garde-fous pourtant prévu par les modèles de yardstick competition, l'optimisation de la fonction de production des GHM conduit à des accords collusifs et des restrictions verticales de circulation des patients (filières internes). Notons au passage que cet effet explique l'impasse actuelle de l'organisation et du financement des Soins de Suite et de Réadaptation (le secteur des soins post-aigus français).

« Celle-ci (la capacité de recomposition) a été parfois mise en avant pour justifier le statut spécifique de l'AP-HP. De fait, le mode d'organisation fédératif est porté par son temps. Il rejoint les perspectives portées par la Fédération Hospitalière de France d'une "stratégie de groupe" pour l'hôpital public alors que les regroupements se généralisent, que ce soit au sein de l’hospitalisation privée à but lucratif (la Générale de Santé...) , des hôpitaux mutualistes (les 51 établissements du groupe hospitalier de la Mutualité française), ou des établissements de soins de suite et d'hébergement médicalisé pour personnes âgées (le groupe Korian et ses 36 établissements en Île-de-France, la Fondation Caisse d'épargne pour la Solidarité). Vont s'y ajouter prochainement les Communautés hospitalières de territoire (CHT) promues par le loi HPST (Hôpital, patients, santé et territoires) du 21 juillet 2009 et qui devraient regrouper dans les territoires de santé, en Île-de-France comme ailleurs, les établissements publics de santé.» *"L'AP-HP" par Marc Dupont et Françoise Salaün Ramalho, collection Que sais-je, PUF, page 123 et 124


Effet Pierru ou de prophétie auto-réalisatrice en santé


Si l'on prend le médecin pour un idiot rationnel ou un idiot utile, il finit par se comporter en idiot rationnel qui maximise ses intérêts à la carotte (modèle néo-libéral) ou en idiot utile qu'on mène au bâton et au formatage intellectuel (modèle bureaucratique).


Effet La Boétie- Marcel Aymé - Milgram


Le médecin aime par dessus tout le confort intellectuel, est soumis à l'autorité et sélectionné pour cela, est intolérant à l’ambiguïté et fuit la dissonance cognitive, il adhère donc spontanément au culte des sciences de l'action publique qui le mènent inéluctablement à la servitude volontaire.

La Boétie: discours sur la servitude volontaire
Marcel Aymé: le confort intellectuel
Expérience de Milgram

Effet Belorgey ou « transmutation de la valeur en coût »

Explicite la dissociation entre conception et exécution dans la gestion par les résultats et le blues du clinicien en "technicien supérieur de santé". Cette dissociation managérialiste, clé de la LOLF, sous-tend une dissociation entre prix et valeur du soin: tout problème de moyens centré sur la valeur du soin au sens de sa qualité pour le professionnels est transmuté en problème d'organisation centré sur son coût selon les ingénieurs auto-proclamés du soin. Il faut donc pour le régulateur construire un modèle fictif de résultat porté par l'action publique qui fera le pendant du modèle de paiment pour en masquer le caractère aveugle. Corollaire, tout médecin demandant des moyens sera remplacé par un médecin qui promet des résultats sur des indicateurs myopes. Voir dia sous ce lien

Effet Freidson

Dissociation, décrite par le sociologue américain, de la profession médicale sous l'action du Nouveau Management Public en trois parties: nouvelle configuration négociée pour la médecine scientifique pour l'application d'une EBM totalement dévoyée car vouée à une standardisation industrielle? Celle-ci légitimera les process mis en place par des cadres experts et l'émergence d'un nouvelle élite la médecine gestionnaire liée aux NTIC et cliniciens de base devenus simples exécutants (voir effet Belorgey).

Effet Abbott

Effet utilisé par les réformateurs pour réguler en le manipulant, un marché concurrenciel des "professions de santé". La concurrence porte sur les juridictions professionnelles mais aussi sur le terrain par le contrôle des enveloppes fléchées selon l'effet Hobbes -Mintzberg. Il s'agit d'une concurrence des médecins entre eux d'une part, entre eux, les paramédicaux mais aussi les 'patamédecines non remboursées d'autres part. Le régulateur jour sur "l'inférence" qui correspond à la part implicite la plus procédurale (habiletés et connaissances tacites) des métiers et y applique sa propre rationalisation managériale.

Abbott appuie son analyse des marchés et juridictions professionnelles sur le constat aristotélicien que la nature a horreur du vide, dans l'univers des professions comme ailleurs.
permet de déployer le modèle bisounours du lean appliqué en santé et la ré-ingénierie des professions: flexibilité, mutualisation et déqualification / déprofessionalisation.
La prochaine étape est la fusion de la GRH des médecins et paramédicaux. Rêve de fer.

Effet Shleifer - Pouvourville ou de la concurrence régulée sans garde-fous


Les incitatifs et la concurrence encadrée favorisent l'Intégration verticale d'entreprise sous la forme de "verticalités de groupes" par "ententes collusives", trusts, quasi-trusts et restrictions verticales induites par la T2A. Le régulateur sincère devait se méfier de ces filières orientées production comme de la peste au lieu de les encourager. 
Les restructuration souhaitée par les régulateurs des pseudo-marchés n'a en effet rien à voir avec les modèles d'entreprises intégrées promues par les fédérations de managers de santé pour survivre à la T2A.
La filière "SAU centrée" est aujourd'hui ce qui domine la logique des grands regroupements hospitaliers. Celle-ci est directement issue des préconisations technocratiques de créer des verticalités de groupes dans les hôpitaux publics en cherchant à singer Korian ou la Générale de Santé. Cette filière qui privilégie la fonction de production des GHM et le bed management à courte vue contrarie la logique d'intégration régionale des agences par multiplication des effets pervers non régulés, car ils auraient peut-être pu l'être, de la concurrence régulée (aléa moral et sélection adverse induits par le modèle des contrats incomplets):
  • Sélection de patients, évitement des malades plus lourds (consommation de ressources réelle) n'est pas le plus facile dans le secteur hospitalier public, mais le refus de s'engager vis à vis de l'agence sur certains types de patients (exemple refus de développer des SSR "système nerveux" sans modèle de financement viable) est possible, même si c'est contre performant, d'abord pour la seule "fluidité" sans parler de la "pertinence" des orientations en aval de l'aigu.
  • En revanche segmentation des séjours, baisse de qualité des prestations, transfert de soins et de charge à l'aval, filières centrée sur les besoins de production de l'amont (GHM), trust et restrictions verticales des filières (exemple: l'interdiction au SSR spécialisés d'un GH de prendre les AVC du territoire mais non originaire du GH, au grand dam de l'ARS...)
Effet Korzybski ou quand la carte est prise pour le territoire

Nous décrivons ici les composantes de l'effet mirage pour leur contribution à la construction de la réalité.
La carte se construit à la fois au niveau micro-systémique (clinique) , méso (technocratique)  et macro (politique).
creaming = sur-fourniture de soins pour les patients à bas risques,
dumping = exclusion des patients à hauts risques,
skimping = diminution de l'intensité des soins, sous fourniture de soins
upcoding = codages opportunistes,
collusion = accords contractuels ou absorption / fusion, intégration verticale en vue de monopoles
vertical restraints = intégration verticale amont-aval qui porte pleinement ses fruits en segmentant les
séjours entre aigu et post-aigu (filières de type industriel induites par la régulation et souvent
antagonistes des réseaux réels, une clé pour l'analyse du secteur post-aigu ou SSR tel que "segmenté"
en France).
lobbying = pressions sur les modes d'organisation , de financement et les réglementations, sur la catégorisation des besoins par l'action publique et sur la définition des priorités de santé publique (fléchages mis à l'agenda politique)


“Tout homme bien portant est un malade qui s’ignore.” Jules Romain


Médecine et politique

L'équilibre entre médecine et politique a toujours été précaire. Ces deux arts ont en commun, selon Aristote, qu'ils sont à la recherche de raison (teknè) et que la bonne pratique y est à elle-même sa propre fin (praxis). Face à l'incertitude radicale à laquelle ont confrontées les décisions des "gens de métier", il développe le concept de prudence (phronesis). Les nouveaux sophistes, oubliant toute prudence, ont presque réussi à prendre le contrôle politique de la médecine grâce aux sciences sociales. L'économie de la santé, les nouvelles sciences de gestion et de l'action publique, sont parvenues à faire de la performance publique une théorie du changement social, en vue de la construction de l'homme nouveau et du Bien-être. Cela a été possible par l'extension sans limites de la rationalisation des activités sociales, fondée sur le mythe généralisé de la calculabilité et de la prévisibilité. En d'autres termes la "cage d'acier" de Max Weber se referme aujourd'hui sur la médecine.
Ces sciences inexactes, largement dominées il est vrai par l'économie orthodoxe, ont favorisé l'hégémonie d'une bureaucratie scientiste fondé sur la combinaison chimérique de deux mythes: celui de la gestion par objectifs avec la LOLF, et celui des leurres marchands avec les vertus supposées de la tarification à l'activité.
Avec la mutation de l’État social en État stratège et régulateur, le risque que nous devons affronter est celui d'un effondrement rationalisé, au nom des "coûts d'opportunité", de cette part de la médecine liée à une protection sociale solidaire. Nos patients en pâtissent déjà beaucoup trop. Plus généralement c'est celui du sacrifice sur l'autel de l'utilitarisme d'une médecine humaniste qui fait de l'homme une fin avant d'en faire un moyen, une "ressource humaine", objet d'un "retour sur investissement". Quelle est la fonction de cette nouvelle coalition anti-médicale? Déployer un rideau de fumée et d'imposture scientifique pour favoriser la faisabilité politique de l'ajustement. Machiavel permet au Prince de promettre plus qu'il ne peut tenir. Les ficelles sont grosses; Machiavel n'est plus ce qu'il était. Il mobilise contre nous jusqu'aux charlatans et la 'patamédecine, vieille recette millénaire de l'anti-médecine pratiquée par les sophistes.
Nous avons grand besoin des sciences sociales tout comme de l'histoire et de la philosophie, parce qu'elles nous apportent la "critique sociale". Que ferions nous sans Weber, Bourdieu, Freidson, Castel, Pierru, Belorgey pour interroger nos évidences? Nous savons qu'en matière de santé il y a loin de la carte au territoire. Il faut savoir créer des menaces pour attirer les fonds. La sociologie de l'action publique nous enseigne comment se construisent les problèmes de santé publique, comment ils en viennent à la mise à l'agenda politique sous l'influence de déterminants économiques et sociaux, dans le jeu complexe de coalitions qui tentent de parvenir à l'hégémonie. Il faut dans l'idéal réunir 3 conditions:  un "air du temps", un état favorable du système normatif / prescriptif, une coalition d'acteurs suffisamment unis et enfin une population cible susceptible de se reconnaître et d'appuyer ces acteurs. Celui qui peut dessiner la "carte" se rend maître de l'allocation des ressources. Mais prenons garde aux deux visages des sciences sociales. La science positive de l'action publique détermine aujourd'hui les "coûts d'opportunité" et dit du haut de son expertise ce qui doit être alloué à la santé ou à d'autres secteurs. Halte au constructivisme scientiste des sciences humaines, trop humaines, lorsqu'elles ne savent que développer l'art d'ignorer les malades mal défendus au nom d'un prétendu management rationnel (managed care) au service du rationnement et des fausses promesses!

Webographie



1. Loi de Goodhart


2. Pour en finir avec le P4P

When financial incentives do more good than harm: a checklist BMJ 2012; 345 doi: 10.1136/bmj.e5047 (Published 14 August 2012) Cite this as: BMJ 2012;345:e5047
http://www.bmj.com/content/345/bmj.e5047

3. Médecine et performance publique

4. Les mensonges de l’économie de la santé

5. Guide de décomposition organisationnelle



6. Sociologie de l'action publique

dimanche 29 juillet 2012

Naissance et croissance de la iatrogénèse managériale


Mesurer et piloter la performance: les illusions perdues

Le managérialisme peut être défini comme un projet de rationalisation générale des activités sociales au sens de Max Weber. Avatar du positivisme scientiste, il suppose le développement possible d'une rationalité instrumentale parfaite. Celle-ci serait permise par les nouvelles sciences de gestion associées au traitement des données dites factuelles. Le système des finalités, les sciences et les systèmes de données factuelles définissant les 3 dimensions de "l'espace cindynique" dans un monde marqué par un accroissement permanent de l'aversion au risque. 
La gestion politique des risques de "l'ajustement" est résumée dans ce document de l'OCDE:
CENTRE DE DÉVELOPPEMENT DE L'OCDE CAHIER DE POLITIQUE ÉCONOMIQUE N° 13
La Faisabilité politique de l'ajustement [http://www.oecd.org/dataoecd/24/23/1919068.pdf]

L'affrontement entre Machiavel et Hippocrate se joue donc aujourd'hui dans l'espace cindynique

D'après un document extrait de la thèse professionnelle réalisée et présentée en février 2004 par Marie Françoise Clamens dans le cadre de la préparation au Mastère Spécialisé en Management de l’Innovation, de la Qualité et de l’Environnement (2002/2003) - 
L’éthique dans une organisation Proposition d’analyse pour la qualité sociale et environnementale en entrepriseVoir la page  cindyniques

L'asphyxie bureaucratique des soins de santé

Quatre documents sur le Nouveau Management public et son application aux soins de santé en France

1. Le renouveau du contrôle des bureaucraties - L’impact du New Public Management (Philippe Bezes)

2. L’imposition de la prééminence de la raison économique sur la raison clinique comme fondement de la réorganisation des services de soins. Cliquer ici

Les 4 dimensions de la santé et du bien-être

Ce modèle très simple permet de comprendre comment la définition de l'OMS permet aux politiques publiques de déplacer l'allocation des ressources des "soins de santé" et de la protection maladie vers d'autres priorités budgétaires au nom du "droit à la santé".


3. Napoléon au pays du New Public Management - Frédéric Pierru. Cliquer ici

4. L'hôpital et le contrat. Benoît Nautré. Cliquer ici

5. Le « droit à la santé » : des objectifs de l’OMS à ceux du Millénium - Caroline
 Guibet 
Lafaye
http://hal.archives-ouvertes.fr/docs/00/50/91/74/PDF/DtSantA_-OMS_Millennium-Oct2008-CGL.pdf

Le Nouveau Management Public, centré sur le paradigme managérialiste, se déploie sous forme d'un contrôle de gestion généralisé appliqué pour et par les politiques publiques. En France, ce courant de pensée budgétaire se déploie dans la LOLF (réingénierie des missions, programmes, actions), le contrôle budgétaire, la gestion axée sur les résultats de programmes définis par une planification stratégique essentiellement descendante et émanant d'experts.

La réingénierie descendante de la LOLF

L'évaluation de la performance peut difficilement se concevoir hors de ces enceintes mentales. Ce nouveau système de gestion publique privilégie l'imputabilité politique et économique au détriment d'un troisième terme qu'on pourrait nommer avec les médecins canadiens "l'imputabilité professionnelle". Cette régulation professionnelle rejoint la "troisième logique" de Freidson, entre logique managérialiste d'un Etat social en voie d'auto-destruction bureaucratique et logique marchande. Un autre sociologue Andrew Abbott vient nous rappeler que le jeu des marchés et juridictions professionnelles vient sans cesse remanier les rôles, dans la place occupée sue le terrain de que chaque profession ou spécialité négocie avec l'Etat. La ré-ingénierie des métiers et des compétences inhérente à la LOLF ne peut qu'impacter très fortement ce "système des professions"

La prévisibilité et la calculabilité supposées par le modèle s'appuie sur des présupposés de l'économie orthodoxe en terme d'efficacité de la concurrence par comparaison. Si le modèle de l'idiot rationnel calculateur et égoïste décrit par Amartya Sen reste au coeur des modèles de manipulation d'incitations, l'alliance avec les marchés n'est que de circonstance, variable selon les pays.

Mesurer et piloter la performance Nicolas Berland Professeur à l’Université Paris-Dauphine E-book Source : www.management.free.fr


QUELLES REPRESENTATIONS DE LA PERFORMANCE : LE CAS DES MEDECINS HOSPITALIERS ? Guylaine Loubet CEROM- Groupe Sup de Co Montpellier CREGO – IAE Montpellier - Université de Montpellier II

Ethique ou déontologie : quelles différences pour quelles conséquences managériales ? L’analyse comparative de 30 codes d’éthique et de déontologie


Du bon usage des concepts: le rapport mondial sur le handicap

1. Le document
Rapport mondial sur le handicap 2012 - OMS Banque mondiale
http://whqlibdoc.who.int/publications/2012/9789240688193_fre_full.pdf

Chapitre 4: "réadaptation" sous ce lien

2. Le commentaire
On peut émettre l'hypothèse qu'une rupture tragique du lien naturel entre réadaptation et handicap s'est opérée en France à la suite de la loi portant réforme hospitalière de 1970 par laquelle l'hôpital est enjoint de ne plus s'occuper des personne âgées, handicapées ni des enfants que l'on qualifiera de polyhandicapés et des deux lois du 30 juin 1975, celle relative aux institutions sociales et médico-sociale et celle dite d'orientation en faveur des personnes handicapées. L'Etat, conscient de l'absurdité partielle de cette double segmentation, entre soins et social d'une part et entre personnes handicapées et personnes âgées d'autre part, tentera de revenir sur cette segmentation sans jamais y parvenir avec les lois de janvier et mars 2002, la loi du 11 février 2005 et enfin la loi HPST, incapable de combler les gaps croissants dans la continuité des soins.

Hervé Douceron. « Note » relative à quelques conséquences d’insuffisantes harmonisations ou articulations réglementaires au sein du code de l’action sociale et des familles (CASF)

Force est de constater la disparition du concept de réadaptation dans les programmes portés par les politiques publiques de santé en France et déclinés à partir des segmentations budgétaires de la LOLF. Cette absence est la conséquence de l'évaporation progressive de toute représentation des activités de réadaptation dans les dispositifs législatifs et réglementaires, en dehors de la notion d'aval des soins aigus. La notion de réadaptation ne persiste que dans l'expression soins de suite et de réadaptation (SSR) champ où elle en vient à se dissoudre en termes d'organisation et de financements. 

Ce qui devient un impensé des politiques de santé ne peut être ni organisé ni financé à la mesure des besoins réels. Les priorités de santé publique sont des réalités construites par des lobbies dans une arène politique en prévision de ce qui descendra dans la mécanique budgétaire. Les lobbies sont nécessaires dès lors qu'on renonce à croire à une rationalité parfaite de l'Etat. La gouvernance, dans une acception positive du terme, c'est l'arbitrage équilibré entre les parties prenantes (stakeholders) et non la négation des lobbies et de leur action inévitable sur la modélisation du réel, au nom d'un enfumage rationnel et délétère pour la démocratie.

Le document France 2025 risques et prévention, lié au rapport Besson (France 2025 - Diagnostic stratégique : état des lieux 2008 - Avril 2008), est à cet égard assez démonstratif d'un vide conceptuel spécifique à cette fragmentation conceptuelle, institutionnelle et financière.

Il s'agit aujourd'hui de le reconstruire. Il est possible d'associer l'ensemble des parties prenantes en s'appuyant sur l'article 26 de la a Convention relative aux droits des personnes handicapées, sous peine de voir s'aggraver les dysfonctionnements de l'accès aux soins de réadaptation. Le Rapport mondial sur le handicap permet d'évoquer les besoins de réadaptation satisfaits et non satisfaits, les obstacles empêchant l’accès à la réadaptation et les moyens permettant d’y remédier.


Entre le Charybde de la concurrence par comparaison et le Scylla de l'opacité gestionnaire

1. Le témoignage

Le droit d'être soigné en France? Posté sur Doctissimo, forum santé Posté le 13-09-2005 à 13:39:43
http://forum.doctissimo.fr/sante/droits-sante/droit-soigne-france-sujet_502_1.htm
2. Le document:

RAPPORT D’INFORMATION FAIT au nom de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (1) de la commission des affaires sociales (2) sur le financement des établissements de santé, Par MM. Jacky LE MENN et Alain MILON, Sénateurs.
http://www.senat.fr/rap/r11-703/r11-7031.pdf

3. Le commentaire: 

Le processus d'asphyxie bureaucratique des Soins de Suite et de Réadaptation (SSR) et sans doute de la psychiatrie est bien résumé par les deux extraits suivants. En situation de gestion hyper-centralisée et dépourvue de toute transparence sur les coûts et les recettes, les SSR servent de variable d'ajustement à la survie de l'aigu dans le cadre d'une Ondam de plus en plus contrainte. Les mécanismes de captation de la DAF SSR ou psychiatrique dans une opacité totale des "clés de répartition" (accès aux CREA des pôles? justification des recettes dans comptes de résutats?) jouent au niveau des établissements mais aussi au niveau des ARS qui ont une marge de régulation non négligeable.
Ces mécanismes expliquent l'effondrement stupéfiant et dans l'indifférence générale des ratios de personnel en SSR à l'AP-HP, dans certains de ses établissements, notamment les moins "magnétiques". Dans une institution si énorme et si parisienne où la décentralisation de la gestion, la participation et l'accès  effectif à l'information sont plus difficiles que partout ailleurs, ce sont les établissements où la transparence des décisions et la vision du travail réel sont réduites au strict minimum par l'épaisseur extravagante de cette pyramide ubuesque (unité, service, pôle, établissement, GH, siège, ARS, autres tutelles). (lire AP-HP crise de moral et crise morale à l'AP-HP de Bernard Granger)

"La MECSS suggère de suspendre l’extension de la T2A aux hôpitaux locaux (prévue pour mars 2013), aux soins de suite et de réadaptation (janvier 2013) et aux soins psychiatriques"
« Le financement des établissements de santé doit rester lié à leur activité, afin d’améliorer la transparence », juge Jacky Le Menn.

Pour une autre vision de la performance clinique

On aura compris que la iatriogénèse managériale qui est l'empêchement de fonctionner du niveau micro-économique des soins de santé, est intimement lié au processus "d'euthanasie bureaucratique de l'Etat" tel que le décrit Claude Rochet (Aix Marseille).

Nul ne peut se faire le champion de la médiocrité, du gaspillage des ressources ou du mépris du bien commun. Toutefois, il existe autant de définitions de la performance et de modèles de causalité sous-jacents aux indicateurs de résultats que de visions du monde. La chaîne logique
input - throughput - output - outcome 

permet aussi des approches moins court-termistes et moins centrées sur les seules statistiques de sortie de système qui ne disent rien de ce qui peut améliorer ou risque de détériorer la performance.

Quel sens ont les résultats d'activité en terme de T2A, de litres de solutés hydro-alcooliques consommés, de traçabilité de tâches élémentaires, quand des soins médicaux sont trop tardifs ou deviennent inaccessibles,  quand les intérimaires ne sont pas formés aux logiciels de saisie d'administration des médicaments, quand l'aide minimum à la dépendance, à la prévention de la perte d'autonomie fait de plus en plus défaut par réduction sans garde-fous des effectifs médico-soignants? La performance peut au contraire être conçue comme le produit des compétences et de l'état d'esprit au travail. 
Quelle performance attendre de la perte de sens et du désespoir ressenti aujourd'hui par les soignants quand ils sont de plus en plus exclus des processus de décision et quand ils ne voient pas leur travail quotidien reconnu par les nouveaux indicateurs de "performance"? A coté des actes élémentaires, faciles à codifier et à tarifer, les activités de soins complexes comportent une multitude d'actions indispensable à un résultat de qualité pour le professionnel mais non nécessairement à vue d'output. Cette "part gratuite" parce que ni codifiée ni valorisée, mais implicite dans les pratiques professionnelles, est essentielle à une prise en charge de qualité. Elle relèvent de motivations intrinsèques et non d'incitations extrinsèques.
L'érosion de cette "part gratuite" (Batifoulier), au coeur des activités de soins quel qu'en soit le secteur, ne peut produire que des résultats médiocres.

Nous proposons ici une autre gestion des organisations publiques de soins de santé, dans une approche humaniste de la gestion de la performance des organisations proposée par Marcel JB Tardif

1. IMPUTABILITÉ MÉDICALE ET GOUVERNANCE CLINIQUE - BÂTIR SUR LA QUALITÉ ET LA PERFORMANCE DES PRATIQUES (imputabilité professionelle, économique et politique)

2. Les cliniciens et la Nouvelle Gestion Publique: adaptation plutôt que déprofessionnalisation (comment concilier clinique et NGP?)

3. Les enjeux de la déprofessionnalisation

4. Les enjeux aujourd’hui du professionnalisme médical. CHEM

5. La déprofessionnalisation: un terme neutre pour une constat désolant

samedi 7 juillet 2012

Pertinence et justification. Les pompiers pyromanes, l'Ondam et la régulation


Concurrence par comparaison, surconsommation, insuffisance de soins et maltraitance institutionnelle

"Notre ennemi, tout comme nous, utilise sa moralité pour resserrer l'ouverture de sa conscience et ignorer son appétit de pouvoir." Hans Morgenthau

Penchons nous aujourd'hui sur la notion pertinence des actes et des hospitalisation à la suite de l'appel de la FHF à la pertinence des actes médicaux. Il s'agit également des séjours hospitaliers en aigu, en SSR avec le prochain chantier de la HAS dans ce champ, et au delà dans tout secteur de prise en charge. 

«Chacun doit réfléchir à ses pratiques au quotidien»

Pertinence et justification: le sens du soin

La "pertinence" correspond à une mission théorique, prescrite, de l'hôpital qu'il s'agisse de soins aigus, de SSR ou autre mode de prise en charge. Elle est évaluée par des grilles type AEPf. La T2A et le paiement à la performance (P4P) présentent le risque majeur d'actes ou séjours produits pour la survie économique de son activité (T2A) ou par intérêt calculateur et égoïste selon le modèle officiel de "l'idiot rationnel" dénoncé par Amartya Sen. Il reste néanmoins vrai que le médecin "qui a faim" est un médecin dangereux. Ainsi la "bureaucratie libérale" (New Public Management) pousse par son culte immodéré de la concurrence par comparaison le médecin hospitalier vers les mêmes risques de comportements opportunistes que ceux qui sont reprochés aux médecins libéraux par ceux-là même qui condamnent le paiement à l'acte. Ce n'est pas le moindre des paradoxes du NMP à la française.

La "justification" correspond aux causes réelles de l'hospitalisation (admission et durée) c'est à dire que toute sortie ou alternative entraînerait pour le patient une perte de chance inacceptable (mais du point de vue de qui et avec quelle autonomie pour le décider?).
 Voir résultats et critique de l'enquête Sanesco DGOS (rapport du 11 aout 2011) pour l'évaluation des inadéquations hospitalières

Didier Castiel (économie de la santé, Bobigny) a bien montré que la T2A entraîne un raccourcissement des hospitalisations « justifiées » par la complexité des cas non captée par les tarifs, dont la durée se rapproche alors de la durée de séjour des prises en charge standard, sans complexité médicale et sociale associée. Qu'en conclure alors sur la qualité des soins? Que la T2A est « vertueuse » en terme de réorganisation ou qu’elle conduit à mettre les gens dehors sans organiser les sorties en termes de soins et d’accompagnement  sur le lieu de vie?
La problème reste entier: la fragmentation socio-sanitaire française qui contraint toute la régulation descendante des hôpitaux par la fragmentation des enveloppes financières (cf. Didier Castiel ,  Guy Baillon Odier et Escaffre quant aux effets des lois de 1970 et 1975 sur la définition des missions de l'hôpital). Ceci contraint à penser en filières linéaires et hospitalo-centrées quand les maladies chroniques et la transition épidémiologique obligeraient à penser les parcours de soins et leur intégration de manière cyclique et centrée sur le lieu de vie. (voir schéma de l'enquête DGOS Sanesco). 

La T2A a des effets pervers majeurs, comme tous les systèmes de paiement dits prospectifs ou ex ante (dotation globale, prix de journée, acte etc.), et implique pour les éviter des éléments de régulation puissants associant les parties prenantes. Hélas, elle a été appliquée en France par des idéologues de "l'énarchie de santé publique" (expression de Debré et Even à propose de l'AFSSAPS) et de la corporate governance, sans presque aucun garde-fou. Sans parler de l’ubuesque convergence tarifaire, que ce soit entre public et privé, entre USLD et EHPAD pour les personnes âgées etc.

T2A et théorie de l'agence

Les effets pervers les mieux connus de la T2A et abondamment publiés sont expliquée par la « théorie de l'agence » dans le cadre de l'asymétrie d'information et de l'incomplétude des contrats  entre le « principal » et « l'agent »:

1 Après signature des contrats:

sélection de patients les moins coûteux et à durée de séjour prévisible,
segmentation des séjours, y compris par prise de contrôle des SSR
- surcodage,
- transferts de soins et de charges vers l'aval
baisse de la qualité des soins non visible aux indicateurs officiels,

2 Avant signature des contrats:
sélection adverse : quand un établissement ne contractualise pas avec l'agence sur certaines  prise en charges jugées trop risquées, notamment financièrement

En théorie la puissance publique peut tenter de mettre en place des mécanismes compensateurs et garde-fous à la T2A, comme des conditions techniques de fonctionnement et des "ratios" respectant l'état de l'art (en SSR, aujourd'hui variable d'ajustement privilégiée par exemple), mais en période de crise des dépenses publiques  elle n'a aucun intérêt à le faire. Le rôle du méso-management (agences régionales et directions) est de rendre invisibles et de rationaliser par la propagande managériale les contraintes macro-économiques. Il lui faut donc:

laisser croire que ce faux marché interne a des effets vertueux alors que les tarifs sont falsifiés par la fermeture de l'enveloppe Ondam qui englobe tous les compartiments adjoints (médicaments onéreux, MIGAC etc.). Normalement, selon le modèle de Fetter, les tarifs correspondent à des moyennes de coûts pour des groupes supposés cliniquement homogènes et iso-coûts, mais qui selon Kervasdoué prennent une moyenne pour une norme. Cette norme ne dit rien de la qualité moyenne des prises en charge évaluées dans l'échelle de coûts. Mais ce n'est déjà plus le modèle puisque l'enveloppe est fermée et que "l'Ondam technique" est la dernière trouvaille de la dissimulation du rationnement.
déréguler les conditions techniques de fonctionnement pour obtenir le maximum de puissance de restructuration dans les pseudo-marchés induits par la T2A
systématiser le transfert des choix tragiques que n'assument pas les politiques vers les opérateurs et en faisant du médecin un "agent double" (agent à la fois du patient et du directeur qui ont des intérêts divergents)
mettre en place une fausse "qualité" comme avatar du management, laissant croire qu'après avoir transformé les acteurs en idiots rationnels et calculateurs qui n'ont aucun intérêt à coopérer, on va pouvoir les surveiller et les forcer à travailler en réseau par des mécanismes de certification gestionnaire. L'ANAP a rapidement substitué le terme de qualité au terme de productivité, mal reçu par les équipes soignantes (Nicolas Belorgey, "l'hôpital sous pression"). La recette: transformer tout problème de moyens en problème d'organisation.

La FHF, en l’occurrence un peu anosognosique dans son analyse de la France (méconnaissance de sa propre pathologie) , doit bien réaliser que la "médecine froide, mécanique et sans humanité" n'est pas réservée au système anglais, tout comme ne l'est pas non plus la "sous consommation de soin". Cet effondrement de la médecine à visage humain et de l'accès aux soins s'est déjà largement répandu dans l'hexagone et est bien en grande partie, comme le suggère la FHF, lié à un modèle d'EBM industrielle et managérialiste à laquelle elle appelle pourtant clairement: "Il y a encore trop peu de référentiels qui, sur la base d'études scientifiques incontestées, indiquent aux médecins quels actes prescrire dans quels cas". La médecine étant un art à la recherche de raison vraie (une tekné selon Aristote), personne ne peut être contre la recherche de preuves en médecine, mais dès lors que celle-ci est pilotée par l'Etat et par la seule logique du risque financier au détriment des partie prenantes, professionnels et usagers, ce modèle aboutit à la catastrophe sanitaire que nous commençons à entrevoir en ville, dans nos hôpitaux et autres établissements de soins sans oublier le secteur médico-social.

Insuffisance des soins et maltraitance institutionelle

Mettre ainsi l’accent sur l’oversuse (surconsommation) en oubliant trop systématiquement le misuse (utilisation inappropriée) et l’underuse (insuffisance des soins) ne décrit pas l'état de notre système de soins.

Le misuse est lié à l'utilisation de traitements pour lesquels le bénéfice est peut-être inférieur aux risques. Il est connu par exemple pour les personnes âgées à la vie en maison de retraite, en cas de polypathologie et de polymédication. 

L'underuse est lié à une organisation trop fragmentée, aux pressions gestionnaires croissantes sur le financement des soins de ville, des établissements de soins et du secteur médico-social. Nous avons décrit plus haut les mécanismes d'agence qui tendent selon cette même théorie économique à faire de notre système de soins un marché des voitures d'occasion pourries ("the market of lemons")  d'Akerlov, victime de la spirale de la défiance entre contractants. C'est enfin enfin à l'abandon du principe d'une protection sociale solidaire, respectueuse d'un bouclier de service public et d'un panier de soins sans reste à charge pour les patients. 

Les médicaments sont loin d'être seuls en cause. Pensons à l'effondrement des soins de nursing (toilette, alimentation, sortir du lit, être mis au fauteuil, aidé à faire quelque pas) et de rééducation pour des patients hospitalisés de plus en plus porteurs à l'entrée comme à la sortie de limitations fonctionnelles si peu captées par notre PMSI. Pensons aussi aux désert médicaux mais aussi paramédicaux. Paule Bourret ("prendre soin du travail" chez Seli Arslan) a montré comment les indicateurs officiels organisent l'invisibilité croissante du travail réel et comment l'ignorance de la qualité des soins du point de vue des médico-soignants les désespère quand cette qualité invisible sert de variable d'ajustement aux "réformateurs".  Le défaut de soins de rééducation fait partie de la définition européenne de la maltraitance. La dérégulation ubuesque et sous enveloppe fermée des ratios de rééducateurs en soins aigus, en SSR et en soins de longue durée n'en est pas le moindre exemple. Nous avons déjà évoqué les gaps liés à l'incoordination médico-sociale précoce dans les hôpitaux où par construction l'admission et le séjour sont analysés comme médicaux alors que les déterminants réels en sont médicaux et sociaux. Combien de superbes interventions chirurgicales sont ainsi gâchées par cette incurie (ou doit-on dire "incarie" au sens du "care" qui devrait rester associé au cure).

Insistons sur la qualité invisible du travail réel. Dans la spirale du contrôle, des procédures et du reporting imposée par les réformateurs, tout ce qui n'est pas quantifiable ne peut être retenu comme indicateur prescriptif. Chacun peut en faire l'expérience quand un de ses proches est hospitalisé. La solitude et la détresse croissantes des patients face au délais de réponse aux appels ne cessent de s'aggraver. En cas de handicap, quelque soit l'âge, la disponibilité des soignants aux appels est essentielle, pour se mouvoir en cas d'inconfort, en cas d'urgence pour uriner ou aller à la selle, si l'on a soif, si l'on mal et osera-t-on encore évoquer que l'humanisme soignant ne se conçoit pas sans prendre le temps de l'échange qui maintient la vie sociale, qui apaise souvent la douleur morale et l'isolement.

Pour conclure, si l'overuse est bien à condamner et à réduire, comment oublier que la non pertinence des hospitalisations et des actes est plus que jamais induite par ce système hobbesien, cette manipulation d'incitations pour "idiots rationnels" égoïstes et calculateurs tels que les voient les économistes de santé. Cette guerre de tous contre tous avec ses injonctions paradoxales qu'on s'est acharné à créer dans le culte de la concurrence par comparaison (yardstick competition) est  tout droit sortie des fantasmes de l'École de Chicago et du nouvel Etat industriel, en ignorant de façon systématique les défauts de soins et la dysorganisation que cette régulation absurde a induit. 

Voilà qui n'est pas la moindre des contradictions des pompiers pyromanes.

Schéma de la relation d'agence: diapo 1 d'après Marie Houssel; diapo 2 d'après Didier Castiel

Paule Bourret. Prendre soin du travail. Un défi pour les cadres à l’hôpital
Pour sortir le travail réel de son invisibilité chez Seli Arslan

http://www.afitch-or.asso.fr/savoir-infirmier/publications/prendre-soin-du-travail
http://www.ansfc.com/abstract-lgm-Prendre_soin_du_travail[1].pdf

La mise en disparition du travail et ses effets pathologiques et sociaux par Philippe Zarifian, professeur des universités en sociologie
http://www.lemonde.fr/idees/chronique/2010/02/16/la-mise-en-disparition-du-travail-et-ses-effets-pathologiques-et-sociaux_1306860_3232.html

Albert Ogien, Sandra Laugier, Pourquoi désobéir en démocratie ?

http://lectures.revues.org/1182

Le travail sans qualités Richard Sennett
http://www.alternatives-economiques.fr/le-travail-sans-qualites-par-richard-sennett_fr_art_178_19709.html

Le travail sans qualité. Les conséquences humaines de la flexibilité de Richard Sennett, Paris, Albin Michel, 2000, 223 p.
http://www.erudit.org/revue/ps/2002/v21/n1/040310ar.pdf

Richard Sennett : la vie et le travail sans qualités Pierre ANSAY
Docteur en philosophie, Pierre Ansay est l’auteur de nombreux ouvrages, dont "Le capitalisme dans la vie quotidienne", "L’Homme résistant", "Le désir automobile", "Le dictionnaire des solidarités" (...)
http://politique.eu.org/spip.php?article1008

"The Market for "Lemons" : Quality Uncertainty and the Market Mechanism" http://www.riekert-online.de/riekert-online/Transfer/0-154.pdf

"The Market for 'Lemons' : Quality Uncertainty and the Market Mechanism" est un article de théorie économique de George Akerlof écrit en 1970 établissant les bases de la théorie de la sélection adverse. Professeur à l'université de Californie à Berkeley, Akerlof a été récompensé du « prix Nobel d'économie » en compagnie de Michael Spence et Joseph Stiglitz 2001 pour ses recherches sur l'asymétrie d'information dont cet article est un des points de départ.
Akerlof prend l'exemple des voitures d'occasion pour démontrer comment une asymétrie d'information en faveur du vendeur d'un bien, en l'occurrence le vendeur en sait plus que l'acheteur sur la qualité du bien qu'il vend, peut conduire à la réduction du nombre de transactions ou à la disparition du marché, même dans des conditions par ailleurs concurrentielles. L'acheteur de sait pas si le vendeur lui propose un "tacot" (lemon) où une voiture en bonne état. Un vendeur ne connait pas non plus la qualité de ce que les autres proposent (problème de signal). Dans une relation d'agence, le problème de "signal" peut être traité par la "certification" qui vise à réduire l'incertitude sur la qualité. Mais celle-ci peut reposer là encore soit sur un contrôle externe prédominant dans un modèle de régulation bureaucratique (voire pire sous forme de palmarès publics encouragés par l'Etat), soit reposer beaucoup plus largement sur l'autorégulation professionnelle (collèges professionnels).

La force de l'article d'Akerlof est de permettre d'analyser comment ce type de phénomènes peut se produire du fait de certaines erreurs persistantes dans la régulation du système de santé.