samedi 16 novembre 2013

Médecine et management: les déliaisons dangereuses



"Le management consiste à escalader l'échelle du succès, tandis que le leadership détermine si l'échelle est appuyée contre le bon mur. " Stephen R. Covey, "Les sept habitudes des personnes les plus efficaces"

Typologie des chefs de pôle: des monstres nécessaires


"La main que tu ne peux mordre, baise là et place là sur ta tête" Proverbe libyen

"L'Etat est le plus froid de tous les monstres, il ment froidement et voici le mensonge qui sort de sa bouche: Moi je suis le peuple." Nietzsche.

L'effondrement tranquille de la qualité et de la sécurité des soins 

L'Etat est un monstre, mais c'est un monstre nécessaire. Les libéraux, qui s'en méfient à juste titre, n'ont jamais su délimiter les contours de l'Etat minimal. Ce monstre d'un froid polaire et aujourd'hui aux abois crée inlassablement de "nouveaux monstres" qu'il faut considérer comme tout aussi nécessaires, en attendant mieux, mais il nous faut les domestiquer, en limiter la nuisance. ainsi en va-t-il de tous les improbables satrapes issus du Nouveau Management public et de ses représentations numérisées de la santé, comme les chefs de pôles d'activités à l'hôpital.
Tremblez, amis patients, car ce monde où vous entrez, quand vous croyez encore que le médecin à qui vous faites confiance contrôle l'organisation et la qualité de vos soins, est celui où est née et a grandi une des plus grandes incuries managériales que le management public ait jamais porté, au détriment d'un système qui était, qui reste encore par bien des aspects mais pas partout, l'un des plus fiables et l'un des meilleurs du monde. Jusqu'à quand? N'en déplaise aux niaiseries de ce président du CISS qui avait tant soutenu la loi HPST, l'hôpital est avant tout malade d'un management instrumentalisé par des arrières-pensées économiques et politiques, largement supra-nationales. Il faut d'urgence cesser de penser et de véhiculer que le pire ennemi du patient est son médecin. Le pire ennemi du patient c'est le rationnement des soins déguisé en rationalisation gestionnaire, qu'on tente de masquer par les clowneries à un fric fou de l'ANAP, pour ne citer que cette agence parmi d'autres instruments de propagande.

La fausse bonne idée et le silence des agneaux

Nul doute qu'il nous faut des chefs de pôle puisqu'il sont été créés. Il fallait bien que des collègues se chargent de ces départements réunissant de multiples disciplines, assemblées autoritairement le plus souvent dans l'amateurisme total et rationalisé ensuite. C'est que tout cela s'est fait "en ne voulant voir qu'une seule tête", sous injonctions autoritaires, allant jusqu'à imposer le dogme dans la très brejnevienne AP-HP de créer des pôles à cheval sur plusieurs hôpitaux très éloignés mais  constitutifs de ses Groupes hospitaliers ubuesques, aussi énormes qu'ingérables et tueurs de motivations au quotidien. Dans le silence général des agneaux, hormis quelques soubresauts d'irréductibles résistants, les changements de Direction Générale et de président de CME furent à chaque fois la redécouverte bien déniaisante que l'herbe plus verte qu'on nous promettait n'était que du gazon artificiel.
Dans une stratégie du "glaive et du bouclier", ou si l'on préfère, du négociateur et du porte-flingue, certains d'entre nous doivent absolument participer à ce système d'organisation en pôles, tout en sachant qu'il écarte résolument des processus de décision et d'information tous les professionnels dont les responsabilités se situent au dessous de ce niveau de gouvernance. La récente enquête des intersyndicales de médecins des hôpitaux sur les pôles, alors que l'establishment, allié aux conférences de présidents de CME et aux fédérations refusait de consulter les médecins, est sans appel. Les conséquences pour les malades sont désastreuses comme en témoigne l'article collectif des Dr Blouses, "l'hôpital malade de l'efficience".

De la destruction des compétences à l'amnésie organisationnelle

Chaque jour les équipes fragilisées désapprennent un peu plus à travailler ensemble, les mécanismes auto-régulés de prévention des risques dans les collectifs professionnels autrefois bien rodés s'effritent dangereusement dans la confusion idéologique entre le "métier" et la "fonction" d'un individu au sein d'un équipe de soins.  C'est que cette confusion mentale sous-tend le mythe, essentiel à toute politique de rationnement, de la gestion centralisée des "ressources humaines" à l'hôpital, voire de leur "ré-ingénierie" dans le système de santé. Les conséquences restent d'importance très variables selon les inégalités de dotation et les restructurations, rendues toujours plus opaques en situation de raréfaction des ressources. On lira avec profit le livre de Paule Bourret "prendre soin du travail" qui montre comment l'emprise croissante du management centralisé des ressources humaines dans l'organisation des soins produit une destruction des compétences d'équipe tout en le rendant invisible.

Tous les hôpitaux sont égaux mais certains sont plus égaux que d'autres. Voilà une des raisons pour lesquelles les agneaux de la si orwellienne ferme hospitalière* restent collectivement muets, guettant l'opportunité de la survie et les effets d'aubaine.
On sait qu'en France ce "niveau de gouvernance" par les "résultats"  n'a pas été déterminé selon les règles du bon management mais selon les pires errances du couple cost killing et du reporting mis entre les mains d'apprentis sorciers. C'était une des fonctions majeures de la T2A. Il fallait avant tout casser les résistances des professionnels, les dresser les uns contre les autres, disqualifier en archaïsme organisationnel et en corporatisme leur vision de la qualité des soins et de l'intérêt individuel du patient. Cette approche humaniste devait être combattue car radicalement opposée par nature aux pulsions utilitaristes des politique publiques de santé en quête d'ajustement. A l'évidence, comme le noterait un étudiant en MBA de première année, on a ignoré la plupart des notions clés qu'il aurait fallu considérer en santé: l'organisation créatrice de connaissances, la place des praticiens réflexifs (Argyris,  Schön, Senge), la filière intégrée ou "chaîne de valeur" (Michaël Porter), les compétences fondamentales de l'organisation (Mintzberg, Ouchi, Hamel et Prahalad), l'évitement nécessaire des filières industrielles inversées (John K. Gabraith). Une filière "centrée patient ", ce serait tout le contraire du bed management et du déstockage incohérent des patients au détriment des "parcours" centrés sur le résultat clinique pour le patient, les "microsystèmes" au contact du public (James B. Quinn), et enfin sans prétendre être exhaustif, la gestion des risques, la vraie, telle que l'évoque Christian Morel dans les décisions absurdes (1 et  2).

Ainsi nous avons créé encore et encore de nouvelles couches au déjà si stupéfiant et si coûteux mille-feuille bureaucratique français, gérées par les nouveaux monstres:  les directeurs d'ARS, de titanesques groupes hospitaliers "Titanic" et les chefs de pôle. Mais répétons le, ils sont aujourd'hui, quoiqu'on en pense des monstres nécessaires tout comme l'Etat léviathan de Hobbes.
Si l'objectif était de tuer l'organisation en se prosternant devant le veau d'or de la "destruction créatrice" et en prétendant la maîtriser, il est en passe d'être atteint. Pour mettre quoi à la place?

Les chefs de pôle: proposition d'idéaux-types

On sait que le fonctionnement des pôles d'activité ne dépend que très partiellement de leur chef. Ceux-ci n'ont pas beaucoup de pouvoir, surtout depuis la loi HPST. Tout comme son nouveau maître, le directeur d'hôpital, le chef de pôle à la française est un tyranneau impuissant vers le haut et tout puissant vers le bas. Il a cependant, faute de délégations réelles de gestion, encore beaucoup moins de pouvoirs que le directeur d'hôpital lui-même placé aujourd'hui sous les fourches caudines de l'agence. On trouvera bien sûr ça et là dans l'hétérogénéité des situations françaises quelques pôles qui fonctionnent bien et aussi de "bons" chefs de pôles. Mais dans la majorité des cas, le pôle sert essentiellement à épaissir la pyramide bureaucratique et à constituer un écran assez opaque pour déployer les nouvelles méthodes de comptabilité et de contrôle de gestion, alors qu'il aurait pu s'agir d'un véritable niveau de gouvernance médicalisée. Les couches du nouveau mille-feuille sont traversées de nouveaux "tuyaux d'orgue" puisqu'on a aggravé le cloisonnement en "boite à œufs" professionnelles qui ne doivent pas se toucher entre médecins et paramédicaux. Seul l'exécutif de pôle (médecin chef de pôle qui ne connaît pas la plupart du temps les disciplines médicales qu'il coordonne, cadre paramédical et cadre administratif de pôle), assure officiellement la coordination, pour la plus grande désorganisation des unités de soins où l'on ne sait plus concilier flexibilité et fiabilité. Seul compte le rationnement et sa dissimulation. Il n'a jamais été réellement possible, sauf exception toujours montée en épingle, de favoriser comme il fallait le faire l'intégration entre les tuyaux d'orgue différenciés des disciplines et jamais la coopération entre professionnels de santé n'a été si difficile. "Tout est contrôlé mais plus rien n'est sous contrôle" (François Dupuy). Tout le monde obéit mais personne ne commande. Il n'y a plus de pilote réel dans des équipes de plus en plus désintégrées, là ou les semi-habiles des cabinets de conseil, si grassement payés au détriment des effectifs soignants n'auront jamais compris le danger de rompre le fragile équilibre entre fiabilité et flexibilité.  Jamais les parcours de soins n'ont été aussi chaotiques du fait de l'affaiblissement constant des réseaux "d'en bas" et des collectifs de travail par les technocrates à courte vue, qu'on envisage d’ailleurs de payer au rendement.
A la fragmentation s'est ajoutée la fragmentation. L'hôpital public n'a plus de vrai pilote depuis longtemps en dehors des injonctions myopes de la maîtrise comptable. 
Pour finir, la configuration polaire à la française n'a été qu'un immense processus de glaciation du management hospitalier et n'aura servi qu'à éloigner l'immense majorité des médecins hospitaliers et des cadres soignants de la gestion et des processus de décision tout en prétendant le contraire. La perte de sens est au rendez-vous. La rhétorique managériale la masquera derrière la prise en compte des risques psycho-sociaux. Exit les vrais déterminants de la souffrance au travail, cachés derrière le même voile d'ignorance volontaire que les déterminants socio-environnementaux des hospitalisations.

Le fonctionnement d'un pôle dépend surtout de la trop rare cohérence médicale du pôle, du mode de financement, de la réglementation et de la gouvernance, beaucoup plus que d'un faux management qui n'est pas réellement un quand le dit "chef" ne connaît pas de façon intime les procédés de travail de disciplines très hétérogènes et trop souvent assemblées en dépit du bon sens. Nous proposons ici une petite typologie des chefs pôles. Il s'agit de faciliter la résistance aux enceintes mentales mises en place par l'éthiconomie managérialiste et sa démocrature sanitaire. La réalité est toujours un hybride des idéaux-types qui en soi ne sont ni purs, ni impurs, ni bons, ni mauvais. Ils peuvent juste servir de grille de lecture.

« Il n’y a qu’un seul moyen de tuer les monstres : les accepter » Julio Cortázar


1. Le mandarin


Il a son bâton de maréchal. Soucieux de préserver sa place au ciel ou au moins sa renommée, il peut être enclin à une forme d'altruisme. Il pourrait paraître peu dangereux s'il ne risquait de camper sur des valeurs devenues inopérantes.
Il peut ainsi être très dangereux s'il cultive le mépris si fréquent dans l'aristocratie républicaine des parties prenantes non titrées, issu dans sa version récente du modèle des CHU de 1958. Ce modèle, si fécond au début est aujourd'hui terriblement obsolète. S'il est atteint d'un excès de suffisance, comorbidité fréquemment associée à l'hospitalo-centrisme, le mandarin qui croit qu'il n'en est pas un est souvent "à la fois suffisant et insuffisant", pour paraphraser Talleyrand.

2. Le politique


Il attend sa promotion à de plus hautes fonctions médico-gestionnaires et soigne son CV pour sa future carrière. Il est peu dangereux si vous êtes protégés par d'autres, car il ne fait pas grand chose sous son mandat. Il peut vous aider si vous servez ses intérêts et adhérez à son clan. Vous pouvez aussi choisir de vous associer à son ascension. Ne vous hasardez pas à trop l'agacer avec des demandes que vous ne savez plus à qui d'autre adresser.

3. Le prédateur

Il a le pouvoir et juste le temps d'étendre son empire au détriment des autres activités. Il est là pour cela et est de ce fait très dangereux et sans pitié pour les faibles. Faites vous protéger de toute urgence ou fuyez. Vous pouvez aussi guetter les effets d'aubaine et les dépouilles du malheureux voisin. Rappelons que tout ceci se fera sans aucune considération pour les besoins de soins, ceux-ci étant désormais sous la responsabilité de l'agence régionale, les gestionnaires médicaux et administratifs de l'hôpital sont sommés de s'en laver les mains. Ne vous hasardez pas à évoquer les besoins de soins d'un territoire, ce discours suffirait  à vous disqualifier. Le SROS-PRS veille sur vous; dormez et faites confiance.

4. Le gestionnaire

Il est acquis aux croyances du management officiel dont il est un bon et loyal serviteur. Il s'est proposé pour suivre les modèles en vigueur et se prend pour un capitaine d'industrie, un gestionnaire de portefeuilles d'activités. Il ne croit qu'à votre performance et à la matrice du Boston Consulting Group. Il y a des unités stars, des unités vaches à lait, des unités points d'interrogation et des unités poids morts. Très dangereux. Soignez vos indicateurs et vous survivrez.

Il nous faut pourtant des chefs de pôle et je ne crois pas à la politique de la chaise vide. Mais gardons nous bien des matons de Panurge et ne soyons pas dupes.

Le système formé par les managers de santé et leurs créatures polaires, cette triste alliance des intégrateurs bureaucratiques et des faux marchands mal régulés que nos élus et leurs experts ont mis à la tête des nouvelles divisions de la production hospitalière n'a-t-il pas encore assez montré son talent d'incompétence?

«La volonté de renoncer à son indépendance, de troquer le témoignage de ses sens contre le sentiment confortable mais déformant la réalité, d'être en harmonie avec un groupe, est l'aliment dont se nourrissent les démagogues.» Paul Watzlawick

L'Etat prédateur contre les professions: la T2A, ou la gestion des soins de santé à portée ds caniches

La T2A n'est ni bonne ni mauvaise en soi, c'est avant tout un outil de management qui, pour paraphraser Céline,  met la gestion des soins "à portée des caniches". Elle ne prend son sens qu'étroitement intriquée au management stratégique "d'en haut", à cette gouvernance bureaucratisée et démédicalisée par la loi HPST et à un faux système de performance fondé sur des indicateurs myopes. Elle feint d'associer les usagers contre le bouc émissaire médical alors qu'elle en fait un "client", paradoxalement bras armé des réformes comme il est devenu le bras armé de l'actionnaire dans la gouvernance d'entreprise.  Deux mythes principaux sous-tendent le modèle officiel. Machiavel n'y croit guère, mais il permet aux politiques d'enfumer le rationnement inavouable derrière la rationalisation:

1. le mythe jacobin d'une science positive de la santé publique qui justifie la "direction par objectifs" et la "gestion par les résultats", l'inscription des politique publiques de santé dans le cadre de la LOLF. Le management au service de "l'Etat stratège" décrit alors une "fonction de production" de l'action publique qui se donne pour objectif la santé - "Bien-être". Cette fonction pourra alors se décliner jusqu'au niveau micro-économique en transformant toute la régulation en systèmes d'incitatifs pour les "producteurs" asservis. C'est le retour de Le Chapelier et de la haine des professions. Cette production là est un modèle systémique et totalitaire plus que marchand. La nouvelle santé se confond avec le bonheur des peuples , objet de la politique depuis Aristote. Machiavel utilitariste qui met en avant l'intérêt d'une population  l'emporte sur Hippocrate humaniste qui défend l'intérêt du patient qui lui a fait confiance. Le médecin est devenu un "agent double" entre le directeur et son patient.

2. le mythe de la concurrence efficiente appliquée aux soins de santé
Le mythe de l'idiot rationnel égoïste et calculateur est appliqué sans limites aux professionnels de santé et l'on privilégie les incitatifs extrinsèques prévus par les économistes orthodoxes au mépris de motivations intrinsèques. Seuls les managers intermédiaires formatés par les écoles officielles dites de "santé publique" semblent y croire vraiment.

Les analyses critiques de la loi HPST y voient tantôt les défaillances du marché et tantôt le défaillances de la bureaucratie. Ce qu'il faut y voir c'est l'alliance d'un Etat qui se fait prédateur de ses services publics et du marché. Le marché profite de ses dépouilles lorsque les Etats prônent non seulement des pseudo-marchés internes à l'organisation (T2A) une vraie marchandisation (offre de soins et assurances maladie) mais n'est pas l'initiateur du mal.
Le mal est sans doute que les élus promettent plus qu'ils ne peuvent tenir, font de mauvais choix dans le cadre du "marché politique" (problème des courbes d'indifférence, des bénéfices concentrés et coûts diffus), alors qu'ils sont soumis à des injonctions délétères des organisations internationales leur laissant très peu de marges de manœuvre?

Voir le communiqué du MDHP: changement de pilote ou changement de gouvernance?

Au delà de la gestion calamiteuse de l'AP-HP, voici mon petit complément au communiqué du MDHP, que je partage.

Le management public est aujourd'hui en guerre contre les professionnels, en particulier mais non exclusivement contre la médecine. Cette guerre n'a pas toujours existé sous cette forme et avec cette intensité.

Le management est en soi une bonne chose si c'est un ensemble de recettes applicables, sans modèle unique, pour gérer son ménage, son organisation ou son pays. Le "no best way" d'Henry Mintzberg doit s'imposer face au "one best way" taylorien.
Considéré comme tel, comme livre de recettes qui peuvent marcher en de bonnes mains ou comme bon couteau suisse, le management gagne à s'appuyer sur l'économie, la théorie des organisations, la sociologie des organisations de professions, du travail et de l'action publique, l'anthropologie, la sémiotique, etc. etc.

Le problème vient de l'instrumentalisation du management par les politiques publiques dans un contexte de rationnement régulé par les institutions internationales, par les appareils idéologiques de santé et par les divers coalitions qu'ils représentent. Chacune des coalitions cherche à contrôler l'agenda politique pour favoriser sa survie, son expansion et son contrôle de l'environnement.

1. Les liens entre médecine et politique ont toujours été à la fois complexes et tendus.
Dans l'antiquité, la médecine hippocratique a pu servir de modèle aux constructions philosophiques sur les rationalités chez Platon et Aristote. Le médecin est toujours en opposition avec les sophistes et les charlatans. Platon signale la supériorité dangereuse, en de mauvaises mains, de la rhétorique sur le discours médical pour convaincre le public. Pour bien soigner, le médecin devrait avant tout maîtriser la rhétorique.

2. Le management public français est issu "à l'époque du règne de Philippe le Bel de la captation, au bénéfice de la monarchie naissante, des structures du Droit canon, droit de l'Eglise et du sacré" dont les experts ont tiré la légitimation originelle du "service public" au départ sous la responsabilité de droit divin du roi, puis de l'Etat républicain.

3. La révolution supprime le droit divin mais garde l'essence quasi religieuse du service public, sous la nouvelle légitimation du "positivisme scientiste" jacobin. Ce modèle n'est sans doute pas seulement français et on doit peut-être le considérer pour les autres pays de culture latine notamment dans la perspective de l'organisation rationnelle légale de Max Weber.
Signalons que l'ALASS s'oppose ainsi à une vision trop anglo-saxonne de l'organisation des systèmes de soins, fondée notamment sur l'économisme des contrats, des coûts de transaction et la théorie de l'agence.
Après l'épisode de fermeture des facultés de médecine en 1793, l'enseignement de la médecine et la réglementation de son exercice seront rétablis.

4. La dernière étape correspond à l'intervention des sciences humaines dans l'action publique (Patrick Gibert), à la substitution progressive de l'expertise des sciences sociales et de l'ingénierie aux choix politiques dépendants des parlements.
« la technologie de l’action publique, c’est la maîtrise des sciences sociales et non celle du droit ». Patrick Gibert.  L'impact majeur de cette révolution managérialiste sur la régulation est soulignée par Kervasdoué: 
« Tout mécanisme de régulation est une théorie du changement social.» Jean de Kervasdoué. Machiavel dispose enfin d'un arme de destruction massive contre l'autonomie de médecins qu'il peut soumettre au "Prince".
Le "nouveau management public" se traduit à la fois par l'extension du pouvoir des experts, par la définition d'une "double fonction de production" de l'action publique et par l'introduction de mécanismes de pseudo-marché dans des secteurs non marchands, sous la pression de l'économisme et des institutions internationales. Ce dernier associe le mythe de "l'idiot rationnel" d'Amartya Sen à celui du libre marché efficient. Le poids des néo-conservateurs américains se traduit par le remplacement d'un libéralisme économique fondé sur le libre échange par ce qu'on nomme parfois "néo-libéralisme" fondé sur la concurrence encadrée par l'Etat dont la seule fonction acceptable serait de réguler le terrain de jeu du marché.

La pyramide bureaucratique : la quintescence du mal hospitalier


Après ce préambule revenons à la catastrophe managérialiste qui a frappé les hôpitaux français. L'ampleur du drame de l'AP-HP n'est lié qu'à l'effroyable épaisseur de sa pyramide qui aveugle ses dirigeants par l'incapacité induite de la moindre remontée du travail réel de terrain.
Un hôpital normal, à taille humaine (peut-être de 200 à 600 lits?),  permettait à chaque médecin, chaque cadre et presque chaque agent qui le souhaitait de rencontrer régulièrement le directeur, le président de la CME, le coordinateur général des soins des soins pourvu qu'ils ne restent pas enfermés dans leur tour d'Ivoire, pourvu aussi que les managers ne changent pas tout le temps en invoquant l'héritage. La théorie des jeux enseigne qu'on ne peut pas aisément trahir deux fois au même endroit.

Comment ce grand gâchis des compétences hospitalières a-t-il été possible? Comment a-t-on créé si vite ce que le bon management nomme "talent d'incompétence" et "amnésie organisationnelle"? Qu'est -ce qui a entraîné le grand désenchantement hospitalier signalé dans le rapport Couanau? Comment a-t-on pu laissé monter en généralité exterminatrice la part de vérité incontestable du constat que l'hôpital était devenu une "bureaucratie au service de ses agents" (Kervasdoué: "l'hôpital vu du lit"), à coté de cette autre part de vérité fondée sur le constat que la véritable efficience, la qualité et la sécurité reposent sur des équipes autonomes, reconnues, stables, soudées par des objectifs partagés, formées et motivées? Qu'est ce qui fait que les médecins et les autres soignants ne se reconnaissent aujourd'hui ni dans les valeurs, ni dans les missions, ni dans la vision des nouveaux "entrepreneurs de morale" et de "responsabilité populationnelle" de santé?

Genèse de la grande gidouille sanitaire


Cette grande gidouille managériale de santé, l'AP-HP n'en était que le laboratoire d'essai, le préfigurateur exquis aurait peut-être dit Alfred Jarry à la vue de sa calamiteuse gestion. Ce grand laboratoire de recherche 'pataclinique appliquée tient surtout à la mise en place des sept étages de la nouvelle pyramide ap-hpienne, si bien décrites dans leur fonction de dérèglement - aveuglement général par Bernard Granger (l'AP-HP dans la tempête). Notons sans surprise que certains de groupes hospitaliers trouvent encore moyen de rajouter des intermédiaires, sans doute dans le but d'accélérer la décomposition. En voici les étapes:

1. La maîtrise des dépense de santé induit un rationnement des soins source d'inégalités croissantes et de menaces sur une santé accessible et solidaire

2. Les élus promettent plus qu'il ne peuvent tenir pour être réélus et ne peuvent avouer que la crise de l'Etat providence encadrée par l'OCDE et le droit européen ne peut les conduire qu'à augmenter des inégalités insupportables dans l'accès aux soins.

3. Le management a été confié à un corps de directeurs, une "profession de l'état providence"** qui s'est constituée en fédérations de "managers de santé" et qui a écarté systématiquement les médecins de la direction des établissements et des agences. En arroseur arrosé, ce corps prend aujourd'hui de plein fouet la guerre à outrance contre le management entreprise par la corporate governance. La gouvernance d'entreprise est avant tout une théorie de la reprise de contrôle des managers par les payeurs (actionnaires ou gouvernement).

4 La grande mutation de l'action publique: de l'organisation légale rationnel au pouvoir des experts
L'action publique est aujourd'hui fondée sur une rationalité systémique que nous pouvons résumer ainsi. Intégration des fonctions de production des entreprise et service à une "double fonction de production" de l'action publique (Patrick Gibert). Cette fonction repose sur le postulat d'une rationalisation générale de l'action publique. Pour certains il s'agit de la généralisation aux sciences humaines de la notion de positivisme scientiste d'Hayek dans son célèbre texte sur l'Ecole Polytechnique. En pratique la LOLF ferme les enveloppes et les soumet à la double logique de la bonne vieille direction par objectif (Peter Drucker) et de la gestion axée sur les résultats, qui repose sur une réorganisation divisionnelle (Mintzberg). Les pôles à la française, pour peu qu'ils aient eu une véritable délégation en centre de résultats et non seulement de coûts, auraient été la parfaire illustration de la transition d'un organisation professionnelle à une organisation divisionnelle axée ici sur de pseudo-résultats.
(Note nous n'excluons pas que des pôles intelligents et médicalisés dans leur conception auraient pu apporter une amélioration au regard des micro-services dont la balkanisation n'était pas justifiée par la protection de compétence clés. Hélas l'organisation polaire et caporalisée à la française n'a entraîné un gel accéléré de la banquise managériale).

5 L'état providence en crise part en guerre contre les professions et s'allie avec le marché (offre de soins, cabinets de conseil, information médico-économique et assurances, liste non exhaustive)

Les professionnels, en particulier les médecins, ont été identifiés par l'action publique et les "professionnels de l'Etat providence" ont dès lors été considérés comme le principal obstacle à l'innovation organisationnelle. C'est que le directeurs, qui se considèrent comme les représentants du "bien commun" ont été transformés en "agents" sous contrôle quasi hiérarchique des "principaux" des agences selon la théorie du même nom. Cette évolution crée une crise majeur entre administration et le corps médical qu'on a progressivement éloigné de la gestion avec une accélération dramatique lors de la mise en place des pôles, hormis quelques positions qui sont dans la plupart des cas plus des simulacres que des positions de coordination réelles . 
Personne ne peut être contre le changement qui est selon Héraclite la chose la plus permanente qui soit, mais cette "innovation disruptive", qui a pour objet de "sidérer" les acteurs est fondée sur un modèle désastreux de faux résultats,  les "groupes homogènes de malades". Ces résultats myopes, qui ne prennent en compte que très peu des véritables déterminants des hospitalisations et des coûts réels induits par le soins, impactent toute la réorganisation des activités. La réorganisation ignore les compétences clés des organisation soignantes qu'elle détruit, et ne se fonde que sur le marketing et les business models issus de l'analyse de ce pseudo-marché.
La T2A n'a pas que des défauts. Tous les modèles de financements sont mauvais, ne doivent être considérés qu'au regard de l'alignement des niveaux de gouvernance voulus par l'action publique. La T2A met bien la gestion des soins "à portée des caniches ", d'où une grande partie de son succès, en dehors des quelques naïfs qui croient encore qu'il s'agit d'un vrai marché.

Dans les CHU persiste une logique d'organisation universitaire la médecine scientifique négociant sans cesse avec la médecine gestionnaire et le management une reconfiguration de ses prérogatives. Ceci se fait conformément aux observations de Freidson au détriment d'une catégorie de cliniciens de  base devenus simples producteurs de processus conçus ailleurs dans une version modernisée des bureaux de méthodes de Taylor, matinée de toyotisme et bien empaquetée par la sophistique managériale.

Ce n'est qu'après cette longue explication, après avoir rappelé qu'une entreprise qui ne sait identifier, valoriser et développer ses compétences fondamentales est morte, ce n'est qu'après avoir encore insisté sur l'implication nécessaire des médecins dans la gestion dès le premier niveau de gouvernance, c'est à dire le collectif de soins au contact du patient qu'il sert, que je me permets de diffuser ce billet d'humeur et de réflexion sur les chefs de pôle à la française.

Ceux d'entre eux que j'estime et ils sont très nombreux, car nul ne peut pratiquer la politique de la chaise vide même dans un milieu managérial aussi ubuesque et hostile aux médecins, me comprendront et me pardonneront.

"Ce que l'on croit ou espère nécessairement vrai ou juste revient toujours comme vérité éternelle après être passé à travers le système digestif de l'ordinateur." Paul Watzlawick



"Si la liberté de parler reste à l'abri des formes grossières de contrainte, on assurera l'uniformité d'opinion par un terreur morale que sanctionnera sans restriction la pruderie sociale." 
Charles Sanders Peirce "Comment se fixe la croyance". 1878


*Allusion et citation adaptées de "la ferme des animaux" de George Orwell
** Une profession de l’État providence, les directeurs d’hôpital. François-Xavier Schweyer



dimanche 10 novembre 2013

La DGère de l'AP-HP victime de la grande gidouille hospitalière - La formule d'Ubu


«Rien n'est plus semblable à l'identique que ce qui est pareil à la même chose.» Pierre Dac

« Face au monde qui change, il vaut mieux penser le changement que changer le pansement. » Francis Blanche

« Quand les parents ont un projet, les enfants ont un destin.»  Jean-Paul Sartre

1. Position du problème et formule d'Ubu


La directrice générale de l'AP-HP vient d'être débarquée et remplacée par Martin Hirsch. Pourtant, le président de la CME de l'AP-HP, le Pr. Loïc Capron, la vice-présidente Anne Gervais, le Pr. Bernard Granger, coanimateur du Mouvement de défense de l'hôpital public  et le Pr. Philippe Juvin considèrent avec beaucoup d'autres observateurs et avec des opinions variables sur la qualité de sa gestion, qu'elle joue ici le rôle du parfait bouc émissaire dans la triste affaire du projet de l'Hôtel-Dieu.

Comment expliquer ce malaise profond qui traduit bien, quelles que soient les convictions et obédiences professionnelles, politiques ou syndicales de chacun, un désenchantement croissant de la communauté médico-soignante de l'AP-HP?

Nous proposons ici une analyse 'pataclinique à ce phénomène, que nous espérons à la fois suffisamment grotesque et sérieuse. Elle est composée de quelques variations énigmatiques sur le thème de la "gidouille", fondées sur un cadre conceptuel très robuste, dit formule d'UBU:


Paradigme de la santé "Bien-être" 
+ Rationnement des soins 
+ Rationalisation industrielle des soins 
+ Mythe du marché efficient

2. Genèse de la "pensée managériale de marché" ou la mise en gestion des soins "à portée des caniches". 

Histoire de faussaires: faux résultats, faux produits, faux processus, faux marché et fausses compétences... La faisabilité politique de l'ajustement des dépenses, entendre ici le rationnement des soins, a conduit l'action publique encadrée par la LOLF à se représenter partout les "résultats" de sa "fonction de production". Ainsi en est-il de la T2A à la française qui a prétendu représenter la production des soins par des groupes homogènes de malades. Sa sophistication absurde jointe à l'absence de régulation de ses effets pervers ne pouvait conduire qu'au sacrifice progressif des compétences fondamentales de l'organisation soignante, au fétichisme des coûts des faux "produits" qu'on a inventé à la hâte à partir de simples outputs de sortie de système pour justifier un fonctionnement en pseudo-marché conforme à la doxa.

Au commencement était l'élu.

Et l'élu devait être réélu.

Il devait réduire les dépenses de santé

Alors l'élu créa le programme d'ajustement

Du programme naquirent les objectifs

Des objectifs naquirent les résultats cyclopes*

Des résultats naquit le nouveau management

Du management naquit la fonction de production

Le produit fut nommé groupe homogène de malades

Et les produits furent vendus aux assureurs

Le management et les assureurs conçurent le pseudo-marché

Le marché fut nommé besoins de santé

Ainsi fut inventé le business model public

Ses prêtres le baptisèrent modèle médico-économique

Le marketing d'Etat se fit prédateur du savoir des Asclépiades

Et l'élu le nomma démocratie sanitaire.

C'est ainsi qu'advint la gidouille.


*variante: indicateurs myopes


3. Adaptation à toute configuration hospitalière: la genèse de la gidouille hospitalière


Au commencement était le plan.

Et puis vinrent les hypothèses.

Et les hypothèses étaient sans forme.

Et le plan était sans fondement.

Et les ténèbres étaient sur la face des médecins et de tous les soignants.

Et ils parlaient entre eux en disant:

"Il s'agit d'un tas de conneries et il pue déjà".

Et les médecins s'en allèrent voir leurs chefs de pôle, les soignants leurs cadres, et ils dirent:

"Il s'agit d'un seau de fumier et nul ne peut en supporter l'odeur."

Et les chefs de pôle joints aux cadres allèrent vers leurs directeurs d'établissement et dirent:

"Il s'agit d'un conteneur d'excréments et il est si fort que nul ne peut demeurer à proximité."

Et les directeurs d'établissement s'en allèrent vers leurs directeurs de Groupes Hospitaliers, en disant:

"Il s'agit d'un navire d'engrais, et nul ne peut en supporter la force."

Et les directeurs de GH parlaient entre eux, se disant les uns aux autres,

"Il contient un principe qui aide la croissance des activités et il est très fort."

Et les directeurs de GH allèrent vers les Directeurs adjoints du siège, et leur dirent:

"Il favorise la croissance et est très puissant."

Et les Directeurs adjoints s'en allèrent vers le Directeur Général, en lui disant:

"Le nouveau plan favorisera la croissance des parts de marché et la vigueur de la société, avec des effets puissants."

Et le Directeur Général regarda le plan et vit que cela était bon.

Et le plan est devenu politique.

C'est ainsi que la gidouille advint.


4. Traduction non adaptée: la genèse du bullshit management


Au commencement était le plan.

Et puis vinrent les hypothèses.

Et les hypothèses étaient sans forme.

Et le plan était sans fondement.

Et les ténèbres étaient sur la face des travailleurs.

Et ils parlaient entre eux en disant:

"Il s'agit d'un tas de conneries et il pue déjà».

Et les ouvriers s'en allèrent voir leurs chefs d'équipe et dirent:

"Il s'agit d'un seau de fumier et nul ne peut en supporter l'odeur."

Et les chefs d'équipes allèrent vers leurs gestionnaires et dirent:

"Il s'agit d'un conteneur d'excréments et il est si fort que nul ne peut demeurer à proximité."

Et les gestionnaires s'en allèrent vers leurs administrateurs, en disant:

"Il s'agit d'un navire d'engrais, et nul ne peut en supporter la force."

Et les administrateurs parlaient entre eux, se disant les uns aux autres,

"Il contient un principe qui aide la croissance des semences et il est très fort."

Et les administrateurs allèrent vers les vice-présidents, et leur dirent:

"Il favorise la croissance et est très puissant."

Et les vice-présidents s'en allèrent vers le président, en lui disant:

"Le nouveau plan favorisera la croissance et la vigueur de la société, avec des effets puissants."

Et le président regarda le plan et vit que cela était bon.

Et le plan est devenu politique.

C'est ainsi que la merde* advint.


Variante d'Alfred Jarry: "merdre"

5. La source: "How a plan becomes policy"

In the beginning was the plan

Au terme de cette lecture, vous avez compris que la 'pataclinique est une affaire sérieuse et une formidable protection intellectuelle contre la sophistique managériale.

« Changement d’herbage réjouit les veaux. » Proverbe berrichon
« Le changement de chef fait la joie des sots. » Proverbe roumain

Brève bibliographie sérieuse


The core competence of the corporation. G Hamel & CK Prahalad 
(attention à ne pas sacrifier les compétences fondamentales de l'organisation au fétichisme du coûts des faux "produits" qu'on a inventé à la hâte pour justifier un fonctionnement en pseudo-marché)
Le mystère de l'assemblage des compétences clés dans l'organisation: "une sorte de bleu"
(exercice: définir les compétences fondamentales mises en oeuvre dans ce sextet de Miles Davis)

Mintzberg: grandeur et misère du management stratégique
http://hbr.harvardbusiness.org/1994/01/the-fall-and-rise-of-strategic-planning/ar/1
Fiche de lecture CNAM

Mintzberg - Des managers, des vrais, pas des "MBA"
http://www.editions-eyrolles.com/Livre/9782708130845/des-managers-des-vrais-pas-des-mba
Extraits: http://www.scribd.com/doc/49700751/Des-Managers-Des-Vrais-Pas-Des-MBA
Fiche de lecture CNAM

Jean-Pierre Boutinet - Anthropologie du projet - PUF . Paris 1990 - Site de l'auteur - Couverture
http://www.unige.ch/fapse/life/livres/alpha/B/Boutinet_1993_A.html

samedi 21 septembre 2013

Vente de la sécu par appartements: la Cour des comptes préconise « un nouveau partage des rôles » entre la Sécurité sociale et les complémentaires...


L'art d'ignorer la solidarité

« Les coûts administratifs sont généralement plus élevés dans les pays où l’assurance privée prédomine. »
«..., les pays où les inégalités sont les plus faibles en matière de santé tendent aussi à afficher un meilleur état de santé moyen, comme c’est le cas en Islande, en Italie et en Suède. »
« La marchandisation dérégulée des systèmes de santé les rend très inefficaces et très coûteux ; elle accentue les inégalités et conduit à des soins de qualité médiocre, voire parfois dangereux.» 

S'il vous manquait encore une raison lisez et Signez l'appel pour sauver la sécu!

La lecture du Rapport annuel de la Cour des comptes sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale (2013) m'a invité à détourner un dessin de Matson consacré aux bonus et à l'économie américaine (voir l'original)


« L’opinion doit apprendre à tolérer l’inégalité comme moyen d’atteindre une plus grande prospérité pour tous. » Lord Griffiths, vice-président de Goldman Sachs, The Guardian, 21 octobre 2009.

Les propositions et arrières pensées réformatrices à peine masquées du rapport de la Cour des Comptes ont été reprises avec beaucoup d'insistance par "Les Echos". Les pompiers pyromanes du système de santé ne changent pas de cap, c'est modèle du marché régulé ("regulated market model") censé favoriser l'efficience.
" La Cour va plus loin en proposant « un nouveau partage des rôles » entre la Sécurité sociale et les complémentaires. Dès lors que le gouvernement affiche son intention de généraliser l'accès aux mutuelles à l'intégralité de la population, on pourrait « à terme »envisager « la suppression de l'intervention de l'assurance-maladie obligatoire pour l'optique et sa prise en charge au premier euro par les complémentaires », estiment les sages de la Rue Cambon.
On sait à quel point de puissants lobbys soutiennent la marchandisation des assurances maladies. Citons en premier lieu l'Institut Montaigne (Claude Bébéar: AXA...) avec ses actions très soutenues à destination des appareils idéologiques de santé, comme la Cour des comptes, et toujours en faveur des complémentaires santé.

Le schéma ci-dessous permet de mettre en place les acteurs et les rapports entre acteurs au sein des nouveaux consortiums envisagés: un assureur unique = la "sécu", comme en France, et plusieurs assureurs = assurances privées en concurrence, sous forme de "réseaux de soins coordonnés", dont on met en avant le caractère quelquefois "mutualiste", concept qui reste pourtant à clarifier dans le contexte européen.
Rien ne prouve que le système multi-assureur soit efficient ni source d'une meilleure qualité des soins; au contraire, de nombreux arguments plaident contre, repris d'ailleurs par des analyses comparatives de l'OCDE (1), souvent plus beaucoup plus pondérée dans ses avis que nos prétendus "experts" français.




Mais le paquebot du prétendu "plan de sauvetage" de la sécu semble irrémédiablement lancé:

Il suffit de prendre un ou deux boucs émissaires, le champ de l'optique et la question du "reste à charge", et hop! La rhétorique managériale de marché a gagné! Il sera facile ensuite d'étendre le modèle à d'autres types de soins comme la réadaptation, les soins chroniques, l’accompagnement des personnes en perte d'autonomie ou d'autres domaines pour lesquels on estimera à tort suivant le mot du vice-président de Goldman Sachs que la prospérité de tous justifie des inégalités que Rawls qualifierait "d'acceptables". Improductifs, gare à vous!

La crise est avant tout politique. Les élus promettent plus qu'ils ne peuvent tenir. Ils tentent d'être réélus tout en masquant derrière la novlangue managérialiste un rationnement des soins qui vise à réduire les dépenses de santé. leurs méthodes semi-habiles induisent des inégalités de santé inacceptables en terme d’accessibilité, de solidarité et, à l'évidence, d'efficience.  Professionnels, directeurs et patients sont accablés au quotidien par l'hypertrophie bureaucratique et caporalisée de la planification descendante et du reporting. Le manager est devenu un fusible, la malade est un produit à court terme, le médecin un petit technicien de santé qu'il faut "inciter" au service de prétendus process industriels qui, en dehors de rares situations standardisables restent en réalité une vue de l'esprit destinée à justifier le rationnement. Même si les élus ne croient pas plus que cela au "mythe du marché efficient" (Mintzberg), ils croient qu'à court terme, le meilleur moyen de réduire la dette est de marchandiser tout à la fois l'offre de soins et les assurances santé. C'est une pensée politique à court terme induite par la crise actuelle qu'on peut se résumer ainsi:
  • Transition sanitaire, à la fois technologique, épidémiologique et sociologique
  • Révolution digitale et méthodes industrielles de logistique (supply chain) appliquées aux systèmes de santé sur des modèles de résultats artificiels (output myopes et non outcome)
  • 2ème mondialisation (Daniel Cohen "Trois leçons sur la société post-industrielle")

Loi HPST: l'art d'ignorer la démocratie


En France, la loi HPST n'instaure pas la démocratie mais bien une démocrature sanitaire. Elle semble avoir conféré tous les pouvoirs aux "managers de santé" que ceux-ci réclamaient de longue date au nom de l'efficience gestionnaire. Ce pouvoir a une apparence, une solide chaîne de commandement issue de la direction par objectifs et de la gestion par les résultats. Il a une réalité, qui interdit de fait toute autonomie et toute décentralisation réelle dans l'organisation des soins, qui entraîne toujours plus de sous efficience et de pertes de chances, et qui est que les managers sont devenus les petits tyranneaux du rationnement des soins, impuissants vers le haut et tout puissants vers le bas.

L'alliance avec le marché n'est que de circonstance. 

Lire James K. Galbraith: "L'Etat prédateur - Comment la droite a renoncé au marché libre et pourqyoi la gauche devrait en faire autant."
Lire Didier Tabuteau: "Démocratie sanitaire - les nouveaux défis de la politique de santé"
Démocratie sanitaire  De Didier Tabuteau - Odile Jacob"La politique du salami"
Hélas, l'article de Tabuteau intitulé "Les métamorphoses silencieuses des assurances maladie" n'est pas en ligne (DROIT SOCIAL, n° 1, 2010/01, pages 85-92). 
"Le rapprochement et l’interpénétration de l’assurance maladie obligatoire et de la protection complémentaire s’inscrivent dans la même logique. Franchise après forfait, augmentation du ticket modérateur après dépassement d’honoraires, l’assurance-maladie laisse, pas à pas, dans une démarche qu’on a pu qualifier de « politique du salami », place aux organismes d’assurance complémentaire."

Mais je vous conseille très vivement de lire:


L'art d'ignorer les improductifs


Le célèbre article de John K. Galbraith intitulé "l'art d'ignorer les pauvres" pourrait-être étendu à "l'art d'ignorer les improductifs":

Avant l'invention de la rhétorique managériale de marché

A titre d’exemple voici ce qu’écrivait le directeur de l’Assistance publique en 1852 :

« Nous ne voyons pas la moindre nécessité de créer à grands frais, pour ces pauvres êtres déchus, des places dans les asiles d’aliénés. Nous serions d’avis qu’on crée, pour ces idiots, des maisons de refuge et d’hospitalité où l’on pourrait sans inconvénient et même avec avantage y réunir 600 à 800 individus. Le régime économique y serait simple et peu coûteux. Par là, on satisfait à tout ce qu’exige l’humanité et la sûreté publique ; on économiserait des sommes importantes. »

Réponse de l'administration à Bourneville, un demi-siècle plus tard:

« ces petits incurables ne justifient pas les sacrifices énoncés qu’ils demandent, et d’ailleurs l’augmentation du nombre de lits ne nous rendra pas un citoyen français utilisable à prendre parmi eux ». Il s’agit, ajoute le fonctionnaire zélé qui a écrit cette lettre, « d’enfants incurables qui, à de rares exceptions près, doivent être considérés comme des non valeurs sociales absolues ».
Source: Dr Bernard Durand. La question du handicap psychique

Après l'invention de la novlangue

« L’opinion doit apprendre à tolérer l’inégalité comme moyen d’atteindre une plus grande prospérité pour tous. » Lord Griffiths, vice-président de Goldman Sachs, The Guardian, 21 octobre 2009.

Conclusion


Je n'ai rien contre la finance qui est sans doute un des meilleurs moyens de faire passer de l'argent qui dort vers de gens qui ont des idées pour créer des biens et des services. Mais attention à ne pas libérer la "putain universelle" de Shakespeare, car elle conduit à ignorer tout souci de l'autre. Les économistes se sont approprié la santé dont ils ont fait un terrain d'expérimentation. Ils sont, pour reprendre le mot de Keynes, "au volant de notre société alors qu'ils devraient être assis sur la banquette arrière". Mais qui les a fait rois, et pour dissimuler quoi?

Notre système est l'enfant monstrueux du centralisme de défiance institué par Bonaparte et de la nouvelle technocratie pseudo-marchande qui guide l'action publique, entre le managérialisme entrepreneurial et le mythe de la concurrence régulée qui a remplacé chez les libéraux le souci de la libre entreprise. Henry Mintzberg a ainsi résumé la synergie délétère qui nous accable. : 

"L’alliance entre des entreprises qui pensent avoir le droit moral de faire ce qu’elles veulent et une théorie économique qui les conforte en érigeant en dogme le mythe du marché efficient nous a conduits à la catastrophe" Henry Mintzberg

Terminons avec Alexis de Tocqueville, doué d'une évidente intuition de la démocrature, qui résume si bien la question de la santé publique et du calcul politique des coûts d'opportunité:

« Un mot abstrait est comme une boîte à double fond ; on y met les idées que l'on désire, et on les en retire sans que personne le voie. » Alexis de Tocqueville

« Il n'y a rien de si difficile à distinguer que les nuances qui séparent un malheur immérité d'une infortune que le vice a produit.» Alexis de Tocqueville

dimanche 25 août 2013

Pour un système de soins accessible, solidaire et... efficient. Signons la pétition pour sauver la "sécu"


Voici un appel en faveur de la sécurité sociale et contre le passage insidieux et progressif à une prise en charge par les assurances dites « complémentaires » des dépenses de santé assurées encore pour l’instant, en majorité, par la solidarité nationale. Les comparaisons internationales montrent qu'un système à payeur unique est moins coûteux en termes de dépenses administratives, plus juste et plus accessible (1). Masquer le rationnement des soins en rationalisation par des "experts" au service des coalitions dominantes conduit, dans l'ignorance des parties prenantes, à l'actuelle "démocrature sanitaire", car il implique, au delà des incantations officielles, toujours plus de déni de citoyenneté et de dépossession démocratique. Par ces méthodes de gouvernance, qui sont autant de "mythes rationnels" au service d'élus qui promettent toujours plus qu'ils ne peuvent tenir, les apprentis sorciers de l'action publique ne savent que rendre le système toujours plus inefficient, toujours plus injuste et toujours moins respectueux des libertés réelles, à rebours des objectifs affichés.

Les signataires de cet appel, publié par le Parisien, rassemblent des hommes politiques de tous les horizons et de nombreuses personnalités. Diffusez-le largement.

Il est possible de le signer à l'adresse suivante: 
Pour signer l'appel

(1) OCDE 2010, “Améliorer le rapport coût-efficacité des systèmes de santé”, OCDE Département des Affaires Économiques, Note de politique économique, no 2.
"Les coûts administratifs sont généralement plus élevés dans les pays où l’assurance privée prédomine."
"..., les pays où les inégalités sont les plus faibles en matière de santé tendent aussi à afficher un meilleur état de santé moyen, comme c’est le cas en Islande, en Italie et en Suède. "
_________________________________________

POUR UN DEBAT PUBLIC SUR LA SANTE

Les Français dépensent 12 % de la richesse nationale (PIB) pour se soigner, comme les Hollandais, les Suisses, les Canadiens ou les Allemands. La Sécurité sociale a eu pour ambition pendant un demi-siècle de permettre aux malades d’être soignés sans qu’il ne leur en coûte (trop) tout en cotisant en fonction de leurs ressources. Depuis une décennie, au lieu de renforcer la lutte contre les dépenses injustifiées et de donner un nouvel élan au service public de l’assurance maladie, le choix a été fait de transférer progressivement la prise en charge des soins courants (c'est-à-dire hors hospitalisation et hors affections de longue durée ALD) vers les assurances dites « complémentaires » (mutuelles, institutions de prévoyance et assureurs privés à but lucratif). Aujourd’hui, la Sécurité sociale ne rembourse plus qu’environ 50 % des soins courants et bien moins encore pour les soins d’optique, dentaires et d’audioprothèses. Si l’on poursuit dans cette voie, la protection sociale ne prendra bientôt plus en charge que les patients les plus démunis et les malades les plus gravement atteints.

Nous sommes en train de passer, sans débat démocratique, d’une logique de prise en charge solidaire pour tous à une logique d’assistance pour les plus pauvres et d’assurance pour les plus riches.

Or les assurances complémentaires sont :

- moins égalitaires, leurs tarifs varient selon la « gamme » des prestations remboursées et sont plus élevés pour les familles et les personnes âgées,

- moins solidaires, le plus souvent leurs primes n’augmentent pas en fonction des revenus des assurés

- plus chères, leurs frais de gestion dépassent souvent 15 % des prestations versées, contre moins de 5 % pour la Sécurité sociale.

De plus, les contrats collectifs d’entreprise, réservés à certains salariés, bénéficient d’exonérations d’impôts et de cotisations sociales, qui coûtent aujourd’hui plusieurs milliards d’euros à l’Etat et à la Sécurité Sociale, et demain plus encore à la faveur de l’accord national interprofessionnel (ANI) de 2013, quoi que l’on puisse penser de cet accord par ailleurs.

Les usagers et les professionnels de santé se mobilisent pour arrêter cette dérive qui sonne le glas de notre Sécurité sociale universelle et solidaire, et contribue à creuser les inégalités sociales de santé. Nous demandons que s’ouvre un large débat citoyen, suivi d’un vote solennel de la Représentation nationale, sur le choix entre le financement des dépenses de santé par la Sécurité sociale ou par un assureur privé dit « complémentaire ».

Appel lancé à l’initiative de François Bourdillon, Mady Denantes, Anne Gervais , Bernard Granger, André Grimaldi, Anne Marie Magnier, Martial Olivier-Koehret, Frédéric Pierru, Didier Tabuteau.
Signé par :

Dr Marie Laure ALBY, médecin généraliste, Paris

M. Paul ALLIES, professeur de droit, Montpellier

Mme Christine ANDRE, économiste, ancienne directrice de recherche au CNRM

M. Michel ANTONY ancien président de la coordination de défense des hôpitaux et maternité de proximité ( CDHMP)

Mme Aline ARCHIMBAUD, sénatrice

Pr Patrick AUBOURG, CHU Kremlin-Bicêtre

Pr Isabelle AUQUIT-AUCKBUR CHU, Rouen

Pr André BARUCHEL, CHU Robert Debré, Paris

M. Philippe BATIFOULIER, économiste, maître de conférences, Paris Ouest

M. Olivier BEAUD, professeur de droit, Paris

Pr Jacques BELGHITI,CHU Beaujon, Clichy

Pr Patrick BERCHE, doyen de la Faculté de médecine de Paris 5

Pr Jean François BERGMANN, CHU Lariboisière, Paris

Dr Olivier BERNARD, ancien président de Médecins du Monde

M. Michel BORGETTO, professeur de droit, Paris

Pr Pierre BOUGNERES CHU Kremlin-Bicêtre

Dr François BOURDILLON, CHU Pitié Salpêtrière, Paris

M. Jacques BOUVERESSE, philosophe, professeur honoraire au Collège de France

Pr Marie Germaine BOUSSER, CHU Lariboisière, Paris

M. Yves BUR, ancien député

M. Francis BUTON, politiste, chargé de recherches au CNRS, Montpellier

Dr Rony BRAUMAN ancien président de Médecins sans Frontière (MSF)

Dr Julien CABATON président de l’inter syndicat national des chefs de clinique assistants

M. Alain CAILLE, sociologue, professeur, Paris

Mme Marie-Line CAL, économiste, maître de conférences, université de Bordeaux

Pr Loïc CAPRON, président de la CME de l’APHP

Pr Yves CATONNE, CHU Pitié Salpêtrière

Mme Nathalie CHABANNE députée

M. Jean CHARBONNEL ancien ministre du Général de Gaulle

M. André CHASSAIGNE député

Pr. Franck CHAUVIN, CHU Saint Etienne

M. Pierre CHAUVIN, épidémiologiste, directeur de recherches à l’INSERM

Pr Olivier CHOSIDOW, CHU Mondor, Créteil

M. Pierre CONCIALDI, économiste

M. Gérard CORNILLEAU,OFCE, Directeur adjoint au département des études

M. Daniel COSTANTINI, ancien entraîneur de l’équipe de France masculine de handball

Mme Annick COUPE ,porte parole nationale de l’Union syndicale Solidaires

M. Edouard COUTY, Président FHF Rhône-Alpes

Pr Bertrand DAUTZENBERG, Président de l’office français de prévention du tabagisme

Pr Bernard DEBRE, député

Mme Florence DELAY, écrivaine, membre de l’Académie française

Pr Pierre DELION, CHRU Lille

Dr Mady DENANTES, médecin généraliste, Paris

M. Jean-Paul DOMIN, économiste, maître de conférences, université de Reims

Mme Brigitte DORMONT, économiste, professeur, université Paris Dauphine

Dr Dominique DUPAGNE, médecin généraliste, Paris

M. Nicolas DUPONT-AIGNAN, député

Dr Laurent EL GHOZI, Président de l’association « Elus, Santé Publique et Territoires »

Dr Hector FALCOFF, médecin généraliste, Paris

Pr Didier FASSIN, anthropologue, Institute for advanced study Princeton

Pr Alain FISCHER, CHU Necker, Paris, professeur au Collège de France

M. Alain FLAJOLET, ancien député

Mme Sophie FOUCHER, Présidente de l’Union nationale et syndicale des sages-femmes

Dr Irène FRACHON, CHU Brest

Mme Jacqueline FRAYSSE, députée

Mme Maryse GADREAU, économiste, professeur émérite, université de Bourgogne

Dr Jean Luc GALLAIS, médecin généraliste, Paris

Pr Noël GARABEDIAN, CHU Necker, Paris

M. Marcel GAUCHET, philosophe

M. Hervé GAYMARD ,ancien ministre

Mme Susan GEORGE, écrivaine

Dr Claire GEORGES-TARRAGANO, CHU Saint Louis, Paris

Dr Anne GERVAIS, Vice-présidente de la CME de l’APHP

Mme Claudine GILLANT ,infirmière, Présidente de l’URPS infirmières Lorraine

Dr Jean GODARD médecin généraliste, Haute Normandie

M. Gaétan GORCE, sénateur

Pr Bernard GRANGER, CHU Cochin, Paris

Pr André GRIMALDI, CHU Pitié Salpêtrière, Paris

Mme Bernadette GROISON secrétaire de la FSU

M. Jérôme GUEDJ, député

M. Rodolphe HALAMA, Délégué général du Lien

Dr Virginie HALLEY DES FONTAINES, MCUPH, Paris 6

M. Hervé HAMON, écrivain

M. Jean-Marie HARRIBEY économiste Université de Bordeaux

M. Patrick HASSENTEUFEL, politiste, professeur université de Saint Quentin en Yvelines

Mme Françoise HERITIER, anthropologue, Professeur honoraire au Collège de France

Mme Béatrice HIBOU, politiste, directrice de recherche au CNRS, Paris

Mme Gisèle HOARAU, Cadre supérieur de Santé, Pitié Salpêtrière

Dr Gladys IBANEZ, médecin généraliste, Paris

M. Gérard JORLAND, philosophe, directeur d’études à l’EHESS

M. Eric JOUGLA, épidémiologiste, INSERM, Kremlin-Bicêtre

M. Jacques JULLIARD, historien, essayiste

Mme Florence JUSOT, économiste, professeur, université de Rouen

M. Jean-Pierre KAHANE, mathématicien, membre de l’Académie des Sciences

Pr Marcel Francis KAHN, CHU Bichat Paris

Dr Tania KHARITONOFF, CH Dax

M. Chaynesse KHIROUNI, député

M Jean LABIB, producteur de cinéma

M. Robert LAFORE, professeur de droit, IEP Bordeaux

Pr Thierry LANG, épidémiologiste, CHU Toulouse

Mme Hélène LANGEVIN-JOLIOT, physicienne, Directrice de recherche honoraire au CNRS

Pr Véronique LEBLOND, CHU Pitié Salpêtrière, Paris

M. Jean-François LEGUIL-BAYART, politiste, directeur de recherche au CNRS, Paris

Dr Evelyne LENOBLE, CH Sainte Anne, Paris

M. Daniel LE SCORNET ancien président d’une fédération mutualiste

M. Emmanuel LOEB ,Président de l’ISNI (Inter syndicat national des internes)

Dr Anne Marie MAGNIER, professeur de médecine générale, Paris 6

M. Noël MAMERE, député

Pr Jean Paul MARIE, CHU Rouen

Pr Christophe MARGUET, CHU Rouen

Dr François MARTIN, CH Dreux

Pr Alain Charles MASQUELET, CHU Saint-Antoine, Paris

Dr Didier MENARD, médecin généraliste, président du Syndicat de la médecine générale

Dr Marie Christine MEYNARD ,médecin généraliste ,Paris

Pr Jean-Philippe METZGER, CHU Pitié Salpêtrière, Paris

M. Alain MILON, sénateur

Pr Jean-Louis MISSET, CHU Saint-Louis, Paris

Dr François MORVAN CH Pontoise

Pr Marie Rose MORO, CHU Cochin, Paris

Pr Guy MOULIN, Président de la conférence des présidents des CME de CHU

Mme Françoise NAY présidente de la CDHMP

Dr Martial OLIVIER-KOEHRET, médecin généraliste

M. Pierre PASCAL ancien directeur des ministères de la Santé et du Travail

Dr Anne PERRAUT-SOLIVERES, Directrice de la revue Pratiques

M. Dominique PESTRE, historien des sciences, directeur d’études à l’EHESS

Dr Georges PICHEROT, CHU Nantes

Dr Jean François PINEL CHU Rennes

M. Patrice PINELL, sociologue, directeur de recherches à l’INSERM, Paris

M. Frédéric PIERRU, sociologue, chargé de recherches au CNRS, Lille

M. Robert POUJADE, ancien ministre

Mme Claude RAMBAUD, Présidente du Collectif inter-associatif sur la Santé (CISS)

M. Gérard RAYMOND, Secrétaire Général Association Française des Diabétiques

M. Michel ROCARD, ancien Premier Ministre

Mme Barbara ROMAGNAN, députée

Dr Antoine ROUX Hôpital Foch Suresnes

M. Thomas SANNIE, Président de l’association française des hémophiles

Pr Didier SICARD, ancien Président du Comité National d’Ethique

Mme Evelyne SIRE-MARIN, ancienne Présidente du Syndicat de la Magistrature, vice présidente du TGI de Paris

M. Jean Louis SPAN président de la Fédération des petites et moyennes mutuelles(FDPMM)

Dr Nicole SMOLSKI, CHU Lyon

M. Bruno SPIRE, Président de AIDES

M. Henri STERDYNIAK, Coprésident des économistes atterrés

M. Didier TABUTEAU, responsable de la chaire Santé de Sciences Po Paris

M. Bruno THERET, économiste, directeur de recherche émérite au CNRS

Dr Serge TISSERON, psychiatre, Paris

Pr José Alain SAHEL, Hôpital des XV-XX, Paris

Pr Laurent SEDEL, CHU Lariboisière, Paris

Pr Jean Paul VERNANT, CHU Pitié Salpêtrière, Paris

M. Olivier VERAN, député

Pr Bernard VIALETTES, CHU La Timone, Marseille

M. Laurent VISIER, professeur de sociologie, Université Montpellier1

M. Pierre VOLOVITCH, économiste, Observatoire de l’environnement mutualiste

M. Henri WEBER, député européen

M. Patrick WEIL, historien et politologue

Mme Peggy WIHLIDAL, déléguée générale, Soins Coordonnés

Webographie: intégration ou dés-intégration verticale des soins?










Faut-il avoir peur de l'intégration des soins?

OCDE 2010, “Améliorer le rapport coût-efficacité des systèmes de santé”, OCDE Département des Affaires Économiques, Note de politique économique, no 2.
"Les coûts administratifs sont généralement plus élevés dans les pays où l’assurance privée prédomine.")
"..., les pays où les inégalités sont les plus faibles en matière de santé tendent aussi à afficher un meilleur état de santé moyen, comme c’est le cas en Islande, en Italie et en Suède. "

jeudi 15 août 2013

Rémunération des médecins et intégration des soins


Hello, happy accountables!

"La médecine, c'est ingrat. Quand on se fait honorer par les riches, on a l'air d'un larbin ; par les pauvres, on a tout du voleur." Louis-Ferdinand Céline

"La théorie, c'est quand on sait tout et que rien ne fonctionne. La pratique, c'est quand tout fonctionne et que personne ne sait pourquoi. Ici, nous avons réuni théorie et pratique : Rien ne fonctionne... et personne ne sait pourquoi !" Albert Einstein

"Ça n´est pas ce qu´on fait qui compte,
C´est l´histoire, c'est l'histoire 
La façon dont on l´raconte
Pour se faire valoir." Yves Duteil

Rémunération des médecins et organisation des soins

J'ai déjà dit à plusieurs reprises que les usagers devraient se méfier de la stratégie du bouc émissaire utilisée par un Etat providence quand il se transforme sans l'avouer en Etat prédateur. Nous avons cité ces boucs émissaires: le médecin en "idiot rationnel", calculateur égoïste de l'économie classique et passager clandestin des établissements de santé, le directeur d'hôpital incapable de gérer un argent qui n'est pas le sien (corporate governance), l'usager en crétin gaspilleur d'argent public et surmédicalisé, qu'il faut inciter à moins consommer par des restes à charge croissants, enfin l'élu local, obsédé de conserver son hôpital local au détriment des calculs savants de coûts d'opportunité fait par les experts du haut. Les usagers seraient bien avisés avant une hospitalisation, même si l'intégration croissante des "filières" avant tout guidées par la libération accélérée des lits ne leur laisse guère de choix, de se détourner des "palmarès d'hôpitaux" pour se renseigner davantage sur des indicateurs simples: les véritables compétences disponibles, l'expérience des équipes et les temps de soins disponibles au regard des effectifs alloués par le management, la principale variable d'ajustement laissée aux directeurs par notre ubuesque adaptation française de la "compétition régulée".

La question obsédante du lien entre l'organisation des soins, leur qualité, leur accessibilité, leur efficience et la rémunération des médecins est relancée par cet article du monde:

L'intérim à l'hôpital, un tabou qui coûte cher - LE MONDE - 12.08.2013
(Voir aussi:  Médecin mercenaire ? "Il n'y a rien de honteux à cela")

Dans ce que j'ai pu lire sur la rémunération et les motivations des médecins, dans la littérature française et internationale, parmi les écrits qui me semblent les plus sensés émergent ceux de Glouberman dont voici un extrait, en bleu au dessous de la première référence. Ce qui est dit des médecins peut bien entendu s'appliquer aux autres professionnels cliniciens, et je n'ai pas dit "de santé", tant il est urgent de distinguer les soins de santé réels de la "grande santé" conceptualisée par l'action publique et ses calculs de "coûts d'opportunité".

Dans les écrits américains sur les recompositions hospitalières, considérant l'intégration verticale et horizontale de l'offre de soins, le paiement des médecins par un "salaire" est considéré comme une méthode d'intégration économique et industrielle parmi d'autres. Considérée comme telle, débarrassée du langage "bisounours" et idéologique de la rhétorique managériale qui nous accable au quotidien, elle n'a pas fait ses preuves, que ce soit en termes d'accessibilité, d'efficience ou de qualité des soins. "Nothing worked" en quelque sorte. Pourtant certains "réseaux intégrés" fonctionnent bien ça et là, mais comme il est très difficile de comprendre pourquoi et comment ils ont émergé "d'en bas", ils ne peuvent être décrétés ni reproduits "d'en haut" (Kaiser Permanente, Geisinger, Réseau de la Mayo Clinic etc.)

Si le modèle de statut des médecins des Hôpitaux était remis en cause en France, et je ne suis pas certain, bien qu'il soit obsolète, que ce soit si urgent tant on risque une dé-professionnalisation galopante et la destruction des compétences clés aujourd'hui si évidente dans l'usage immodéré des mercenaires médicaux et paramédicaux, il me semble, au risque d'en choquer certains, que s'il fallait abandonner le système de rémunération actuel, je préférerais être payé selon des marqueurs d'activités clés, certes très imparfaits, que sont "l'acte" ou le "cas traité". De bons "marqueurs" des procédés de travail, certes de durée variable, mais qui font sens pour l'activité clinique ne valent-ils pas mieux que ces indicateurs d'activités qu'on a reconstruites artificiellement comme "objets de coûts", avec l'aide de marchands de données trop souvent démunies de cohérence médicale et de cabinets de conseil, grassement payés pour prétendre extraire des une cartographie des "processus" de nos boites noires hospitalières? Ne sont-ils pas davantage porteurs de sens qu'une fausse performance (P4P) définie par des indicateurs myopes au service d'une politique de rationnement des soins?
Bien sûr, loin de la compétition encadrée de tous contre tous, qui nous incite aujourd'hui à ne pas coopérer pour survivre, cela ne se conçoit que dans un hôpital enfin ouvert sur son territoire, un hôpital qui serait dirigé, et non plus seulement "géré", par ses parties prenantes légitimes. Cet hôpital partenaire de son territoire et des soins de premier recours, acteur d'un réseau de confiance décentralisé, serait enfin capable de mettre en place des moyens d'intégration complémentaire aux effets de silos inhérents à la différenciation des activités.

Le rideau de fumée, l'appareil idéologique chargé de dissimuler ce rationnement inégal, qui renonce aux principes d'universalité et de solidarité, c'est la "bureaucratie concurrentielle" et infantilisante mise en place par le New Public management ("pensée managériale de marché" selon André Grimaldi, "déconcentralisation" selon Frédéric Pierru, la bureaucratie divisionnelle selon Henry Mintzberg, fondée sur la standardisation des "résultats")
Les débats actuels interrogent nos évidences face au paradoxe du médecin hospitalier, "employé de l'hôpital", technicien de santé que certains voudraient entièrement soumis à une business strategy elle même sous la coupe d'une corporate strategy, versus "profession libérale à l'hôpital" qui utilise des moyens mis à sa disposition sous contrat, respectant des normes de comportement définies à l'extérieur (déontologie, état de l'art), recherchant avant tout l'intérêt individuel du patient qui lui fait confiance, tout en acceptant la reddition de comptes que suppose une responsabilité populationnelle. Mais attention, il s'agit bien là d'une "double relation d'agence". Deux conceptions des liens entre médecine et politiques publiques s'affrontent, entre humanisme et utilitarisme.

Incompatibilité entre humanisme médical et utilitarisme des politiques publiques

« Les agents de l'Etat ont pour but principal de satisfaire leur utilité, c'est à dire de servir leurs intérêts personnels dans le cadre de certaines limites institutionnelles et ensuite seulement se préoccupe de la politique que l'opinion attend d'eux. » Gordon Tullock. Le marché politique: analyse économique des processus politiques.

« Ils sont toujours sans hésitation en faveur du développement des institutions dont ils sont les experts. » Hayek à propos des experts.

« On dit qu’une action est conforme au principe d’utilité, quand la tendance qu’elle a d’augmenter le bonheur de la communauté l’emporte sur celle qu’elle a de le diminuer. » Jeremy Bentham

« Agis de telle sorte que tu traites l’humanité aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre, toujours comme une fin, et jamais simplement comme un moyen » Kant.
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Webographie

1. Sholom Glouberman. Les risques associés à la déstabilisation des systèmes complexes. (Commentaire d'un article d'André Pierre Contandriopoulos)

"La façon dont les médecins sont rémunérés pourrait ne pas être aussi importante que le montant et la stabilité du revenu." 

"Le changement du mode de rémunération des médecins s'appuie sur l'hypothèse que ceux-ci cherchent toujours à maximiser leur revenu c'est à dire qu'ils se comportent toujours comme des agents économiques rationnels. Les économistes empiriques ont commencé à mettre en doute la notion que de tels stimulants économiques classiques fonctionnent universellement. Il demeure certain que dans le cas des médecins, des preuves substantielles montrent qu'ils n'opèrent pas. Une étude de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE, 1990) laissait croire que, dans la plupart des pays de l'OCDE, le revenu des médecins se trouvait dans une plage étroite allant de trois à cinq fois le revenu national moyen. Cela correspond à la conclusion répandue que les médecins travaillent jusqu'à atteindre un revenu cible et qu'il s'attendent à avoir le train de vie de la classe moyenne supérieure. Lorsque le changement de leur mode de rémunération menace la sécurité de leur mode de vie, ils réagissent férocement ou trouvent d'autres modes de rémunération. Toutefois lorsque leur mode de vie reste stable et assuré, d'autres valeurs prédominent. Contandriopoulos reconnait lui-même les valeurs profondes auxquelles répondent les médecins comme le puissant désir d'agir au mieux pour leurs patients, de maintenir leurs connaissances et leurs habiletés à un haut niveau de compétence, d'utiliser l'équipement et les procédures les plus à jour, etc. Ces valeurs l'emportent souvent sur le revenu une fois les niveaux visés atteints."

2. Integrated Delivery Networks: A Detour On The Road To Integrated Health Care? en pdf
L'économie doit être critiquée à partir de l'économie et je vous conseille vivement cet article. Les fusions d'hôpitaux et réseaux moins "hiérarchiquement" intégrés ne sont qu'une variante des mécanismes industriels d'intégration verticale et horizontale, qui relèvent plus de croyances et d'anticipations illusoires des stratèges et managers que de données factuelles. Allergiques au management ou à l'économie s'abstenir, mais je vous le conseille. Suite sur la page Qui a peur de l'intégration des soins?

3. The core competence of the corporation Hamel et Prahalad (pour identifier les véritables produits de l'hôpital)

4. Voir la Page aporétique sur la rémunération des médecins

5. Will disruptive innovation cure healthcare?
(stratégie du choc?)


6. L'art d'ignorer les pauvres. John Kenneth Galbraith (en contexte de rationnement...) Voir aussi: IMPACT DES INEGALITES SUR LA CROISSANCE : LE ROLE DES RATIONNEMENTS FINANCIERS

« Le pouvoir étatique n'est jamais aussi habile à resserrer son étreinte sur la société civile que lorsque qu'il feint de l'émanciper des autorités qui font de l'ombre à la sienne.» Bertrand de Jouvenel - « Du pouvoir »