dimanche 23 février 2014

L'art d'ignorer les besoins de soins ou le blues de l'idiot rationnel


Jean-Pascal Devailly, praticien réflexif et qui entend le rester.

« Tous les systèmes sont vrais dans ce qu’ils affirment ; il ne sont faux que dans ce qu’ils nient. » Leibnitz

«L'homme purement économique est à vrai dire un vrai demeuré social. La théorie économique s'est beaucoup occupée de cet idiot rationnel, drapé dans la gloire de son classement unique et multifonctionnel de préférences. » Amartya Sen

Voici que le site COMPAQ-HPST affiche fièrement son projet de "paiement à la qualité". Sommes nous résignés à nous déprendre de notre autonomie de jugement clinique et du sens de notre action pour entrer ainsi dans l'ère des motivations par la carotte et le bâton selon Bertrand Kiefer ("difficile motivation")?

Le premier sentiment qui nous envahit est qu'on nous prend encore une fois, nous autres médecins, pour des imbéciles ou des boucs émissaires. Bouc émissaires oui, nous ne sommes pas les seuls, mais "imbéciles", ce n'est pas exactement cela. La querelle de fous qu'évoque Marcel Gauchet entre "libéraux" et "républicains" fait hésiter les politiques publiques de santé entre deux théories de la motivation: celle de "l'idiot rationnel" calculateur et égoïste dont les vices privés bien "incités" produiraient les vertus publiques et d'autre part le crétin paresseux et démotivé bon à "contrôler" de la théorie "X" de Mc Gregor. Incitation ou contrôle? Reste néanmoins à explorer en santé la théorie "Y", l'état d'esprit au travail en synergie avec les compétences comme clé de la performance.

Plutôt que de tenter une nouvelle "généalogie de l'amoral", déjà largement écrite par les médecins, sociologues économistes et théoriciens des organisations, plutôt que de reprendre la critique des mauvais indicateurs bien résumée par Dominique Dupagne sur son blog, sortons un moment de France pour mieux y revenir avec quelques articles médico-économiques pour y chercher veulent masquer ces fumigènes des semi-habiles de la "qualité d'en haut". C'est bien entendu le fait que les "incitatifs" incitent à tout, sauf à la qualité des soins, surtout lorsqu'ils ont avant tout été conçus pour les rationner. Le fee-for-service et les paiements prospectifs séquentiels sont accusés d'effets pervers, mais les paiements au parcours (bundling) n'ont pas fait leurs preuves (1). Certains économistes prédisent tout autant d'effets pervers de ces "paiements au parcours", avec de nouvelles rentes informationnelles, de nouvelles formes d'intégration verticale, de nouveaux business models s'y adaptant avec des coûts de transaction / contrôle potentiellement démesurés. Au sein des technocraties pseudo-marchandes qui s'installent un peu partout avec le New Public Management, le secteur des soins post-aigu, au carrefour des soins et du social, est dans tous les pays où il a explosé du fait de la pression croissante sur les lits aigus, un des plus fidèles indicateurs de la gidouille induite par la mauvaise gestion des parcours de soins. Il témoigne parfaitement des effets pervers et anti-coopératifs de mécanismes incitatifs pervers, à rebours de ce que serait une logique "centrée patient", c'est à dire centrée sur l'objectif final au terme d'un "épisode de soin" véritablement signifiant pour le patient proactif et la chaîne de professionnels qui le servent (2,3,4).


La T2A à la française n'est pas un vrai marché mais une clé de répartition à l'activité d'une enveloppe fermée, perpétuellement perturbée par des logiques de régulation régionale et d'intégration verticale (Pouvourville). Cela donne à nos politiques publiques de santé un talent d'incompétence tout particulier par la synergie négative à nulle autre pareille entre défaillances du marché et de la bureaucratie. Le paiement prospectif par "cas", notre "T2A" qu'il faut traduire en anglais par prospective payment system, n'est qu'une forme particulière du fee-for-service. Les médecins hospitaliers, les autres soignants, les directeurs, "profession de l'Etat-providence" devenant Etat-prédateur par ses programmes d'ajustement, sont soumis à une logique de valeur ajoutée à laquelle ils prétendaient échapper. Mais cette valeur est pour eux dépourvue de sens. Ils n'y reconnaissent pas leur propre vision de la qualité, centrée sur l'outcome pour le patient, non sur l'output myope de sortie de système, ni seulement "l'impact" économique et social inféré par les experts des politiques publiques, même si tout médecin doit le prendre en considération. Je renvoie ici à la définition de la qualité de l'IOM*. C'est la rhétorique managériale qui met sans cesse en avant le mythe du marché efficient, un discours obligé mais déconnecté des croyances réelles des décideurs comme l'a souligné James K. Galbraith ("l'Etat prédateur"). la T2A n'est donc en réalité qu'un modèle comptable d'allocation de ressource à l'activité, qui a bien un effet restructurant sur les activités et sur leur conception même, et qui entraîne nécessairement des comportements de concurrence de tous contre tous (une "guerre hobbesienne" dit Frédéric Pierru). Le modèle sous-jacent n'est pas la yardstick competition voulue par les croyants du marché efficient mais l'activity based costing (ABC) ou l'activity based management (ABM) porté par la révolution numérique. A l'usage, ces systèmes incitent avant tout les acteurs à ne pas coopérer dans l'intérêt du patient, bien loin de ce que prédisait l'économie orthodoxe. Comment faire pour ne pas sombrer dans une nouvelle erreur issue d'un nouveau modèle?


En fait, il y a aujourd'hui dans chaque région une "grande assistance publique régionale" (expression prophétique du rapport Couanau) mais il en a deux en Île-de-France!) chargée du rationnement le moins transparent qui soit, le mot étant tabou en France. Cette agence, selon la théorie éponyme, transforme non seulement chaque hôpital mais encore le système de soins régional en "arène politique", la forme la plus inefficace de l'organisation selon Mintzberg. La communauté médico-soignante se dissout en guerre de tous contre tous pour survivre à la T2A et attraper le premier la queue du Mickey des enveloppes complémentaires. La théorie de "l'idiot rationnel" qui résume l'économie mainstream selon Amartya Sen et qui sert de postulat idéologique à l'économie de la santé dominante, joue comme une machine infernale. C'est bien une prophétie auto-réalisatrice, on ne naît ni "marchand" ni "idiot utile" mais on le devient, c'est bien ce qui a dramatiquement disqualifié les disciplines médicales dans le triste exemple de la décomposition actuelle de l'AP-HP (disqualification des collégiales), comme dans celui de la domination actuelle du discours managérial intermédiaire par les fédérations hospitalières et conférences de présidents de CME au détriment de la place indispensable des logiques des connaissances disciplinaires dans l'organisation, que le nouveau management peut aujourd'hui balayer sans aucun scrupule. En ignorant les "pratiques prudentielles" (Champy) ou "réflexives" (Schön) du fait d'une conception erronée des "résultats" et donc de sa performance, la nouvelle organisation des soins ignore au moins 80% de ses processus réels, et plus grave détruit ses processus et ses compétences clés (Hamel et Prahalad).


Comme on se rend bien compte qu'on ne peut plus, malgré les appareils idéologiques de santé, masquer aux gens que cette ré-ingénierie des activités selon les coûts et non selon les résultats cliniques s'avère ubuesque, il faut développer une théorie des incitations non plus seulement au "profit" à l'activité, profit qui est en en fait, pour un directeur ou un chef de pôle salarié, la survie de l'activité l'expansion ou la gloire, mais aussi aujourd'hui au profit à la "qualité" (pay for performance).
La sophistique de rationnement n'a cessé de dresser le portrait du petit praticien de santé du malade, du directeur et même de l'élu local en idiots rationnels, et juste "bon à inciter" par des motivations extrinsèques conçues par les bureaux des méthodes et la bonne vieille organisation scientifique du travail. Le praticien n'étant plus considéré comme "réflexif", n'a plus officiellement aucune responsabilité managériale d'organisation des soins et des équipes de soins au contact du public, ni aucun discours légitime sur la réponse aux besoins de soins territoriaux, voilà bien le cœur idéologique de la guerre technocratique contre les "services", il ne lui restera sans doute que le bon vieux "paiement à la pièce".


Le paiement à la fausse qualité, sans indicateur ni de structure, ni de résultat sans lesquels on ne peut parler de performance, ni même de "processus clé", n'est que le complément indispensable à l’enfumage vantant les fausses vertus d'un paiement à l'activité mal conçu, coûteux et engraissant les nouveaux marchés de l’exégèse, du conseil et du trafic de données hors de prix ou très difficilement accessibles, mal régulé et trop souvent mal analysé tant par ses partisans que par ses détracteurs.


L'article sur le Québec de Marc Renaud (5) montre que l'action publique n'a pas besoin de la "pensée de marché" pour construire une bureaucratie sanitaire, mais qu'on en a un besoin idéologique pressant dès qu'on veut rationaliser le rationnement.


Pour conclure, rappelons aux pompiers pyromanes que le Diable est autant dans les cloisons que dans les détails. Soulignons avec Jean-Pierre Escaffre (6) et Didier Castiel qu'on ne pourra envisager d'organiser de véritables parcours "centrés patients" que lorsqu'on acceptera de les construire à partir des déterminants réels de l'hospitalisation, fondant un modèle renouvelé de la fonction de production de l'hôpital. Le modèle fetterien de "l'usine à soins" ou "machine à guérir" remonte aux années soixante et il a vécu. Il ne faut pas confondre "centré patient" et "orienté client" (Bertrand Kiefer) ni confondre filière centrée patient et filière industrielle inversée (John K. Galbraith). Loin de l'actuel bed management en flux poussé depuis l'aigu , loin de la délétère tentation de transformer les Soins de Suite et de Réadaptation, le secteur post-aigu hospitalier français, en unités tampons (buffer management) pour y déstocker des malades devenus les vecteurs encombrants après production des "groupes homogènes de malades", ces produit hospitaliers dont ils ont été l'intrant, loin de la pathétique gestion des malades qu'on nomme "bed blockers" dans certaines régions comme l’Île-de-France qui du fait de leur équation particulière sont frappées de quasi-cécité socio-sanitaire, nous pouvons affirmer avec force que la juste articulation entre prévention, traitement de la maladie, réadaptation et inclusion sociale ne fera pas l'économie d'un changement de paradigme.

« L’initiative de décider ce qui devra être produit n’appartient pas au consommateur souverain […] les ordres ne vont pas seulement du consommateur au producteur ; ils vont aussi du producteur au consommateur conformément aux besoins de la technostructure. C’est ce que nous appelons la filière inversée. » J.-K. Galbraith, Le Nouvel État industriel.


« Les libéraux formulent une critique juste en disant que les agents se sont appropriés les services publics aux dépens des citoyens. Ils en tirent une conclusion hâtive en prônant leur liquidation. De l'autre côté, les « républicains », au nom d'une défense juste du principe du service public, justifient tous les abus. Pour avancer, il faut sortir de ces querelles de fous. S'agissant de l'éducation, c'est la même chose, le blocage intellectuel est complet. » Marcel Gauchet, in Le Point, 17/08/06


1. US Approaches to Physician Payment: The Deconstruction of Primary Care Robert A. Berenson, MD1 and Eugene C. Rich, MD The Urban Institute, Washington, DC, USA; 2 Creighton University, Omaha, NE, USA; 3 Mathematica Policy Research, Washington, DC, USA.


2. Perspective Post-Acute Care Reform — Beyond the ACA D. Clay Ackerly, M.D., and David C. Grabowski, Ph.D. N Engl J Med 2014; 370:689-691 February 20


3. Medicare’s Post-Acute Care Payment: A Review of the Issues and Policy Proposals. December 7, 2012


4. Modèle de détermination du coût de revient des usagers référés dans une programme de réadaptation en déficiences physiques. Michèle Coulmont Chantal Roy, Patrick Fougeyrollas (Université de sherbrooke et Laval)


5. Marc RENAUD Sociologue, département de sociologie, Université de Montréal (1995) “Les réformes québécoises de la santé ou les aventures d'un État «narcissique»”
A lire absolument!

6. Escaffre Jean-Pierre. Analyse de clientèle à l'hôpital public : la sociabilité est-elle un facteur essentiel de l'hospitalisation ?. In: Politiques et management public, vol. 12 n° 3, 1994. pp. 37-63.

Counter-evidence based policy

Projet de paiement à la qualité - COMPAQ-HPST
http://www.compaqhpst.fr/fr/paiement-a-la-qualite

La sophistique du rationnement aux USA
Blumenthal D et al. Health care spending- a giant slain or sleeping ? N Engl J Med 2013; 26:2551-7

Pour aller plus loin dans le dé-niaisement organisationnel

Les paradoxes des démarches qualité dans les hôpitaux publics: modélisation de formes d'ancrage rivales (Daniel Lozeau) - Lire Lozeau mais aussi Magali Robelet
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*Crossing the quality chiasm: the IOM Healthcare Quality Initiative
The Institute of Medicine has defined quality as « the degree to which health services for individuals and populations increase the likelihood of desired health outcomes and are consistent with current professional knowledge. »
Qu'on peut traduire par: « la mesure dans laquelle les services de santé pour les individus et les populations augmentent la probabilité des résultats souhaités en santé et sont conformes aux connaissance professionnelles actuelles ». Point important: le modèle de l'IOM ne fait pas entrer de considérations d'efficience dans la définition de la qualité, l'efficience étant une autre dimension, distincte, de la mesure de la "performance".


dimanche 16 février 2014

Le praticien réflexif face à l'innovation de rupture


"Imprimer au Devenir le caractère de l'Etre, voilà la suprême volonté de puissance." Nietzsche

Je dédie ce message au Pr. Gérard Reach qui m'a initié par son excellent ouvrage intitulé "l'inertie clinique: une critique de la raison médicale" au concept de praticien réflexif. Cette notion développée par Schön (Le praticien réflexif : à la recherche du savoir caché dans l’agir professionnel) montre s'il en était besoin pourquoi la médecine ne saurait être seulement une "science appliquée" à partir d'une Evidence Based Medicine dévoyée et standardisée par des ingénieurs de soins sous forme procédures technocratiques. L'EBM ne se conçoit que comme l'un des fondements d'une décision qui intègre l'expérience du ou des praticien(s) et les préférences du patient.


Voici quelques variations autour du blues du praticien réflexif quand il entend le rester
Télécharger en pdf avec liens bibliographiques fonctionnels



L'innovation de rupture: nouveau buzzword de la rhétorique managériale ou concept opérationnel?


Si l'on l'applique à l'économie la phrase de Nietzsche citée en introduction, on évoque immédiatement la "destruction créatrice" de Schumpeter et ceux qui rêvent de pouvoir anticiper les "innovations de rupture", pour la survie ou l'expansion de leur organisation. Clayton Christensen est considéré comme un penseur clé de la disruptive innovation. Il a proposé de l'appliquer au systèmes de santé avec la notion de "réseaux facilitateurs" émergeant des nouvelles technologies. Il faut le lire en démêlant ce qui peut aider nos organisation "not for profit" à sortir de l'actuelle iatrogenèse managériale de ce qui sert de nouvelle arme idéologique à des "réformateurs" avant tout préoccupés de masquer le rationnement.

"L'innovation de rupture" est un buzzword. La force d'un buzzword est qu'on ne peut guère se déclarer opposé aux principes flous qu'il insinue en nous comme autant de nouvelles enceintes mentales (ou "paradigmes"). En général les buzzwords, en rhétorique managériale, n'ont pas de contraire défendable, encore qu'ici "l'innovation incrémentale (Marcel JB Tardif)" puisse y être opposée. Le buzzword est en général issu de disciplines où il est utile et a un sens bien précis, comme "produit", "réseau" ou "filière", mais il en est extrait pour intégrer la novlangue d'une ou plusieurs coalitions hégémoniques. Celui qui le prononce ne sait pas toujours le définir et l'auditoire n'ose jamais manifester son ignorance devant le sens de ces mantras qu'il faut alors répéter jusqu'à la nausée. Un buzzword, quand il en vient à être identifié comme tel, est toujours devenu un outil manipulé par une rhétorique sous tendue par une idéologie. Il faut savoir ce que celui qui le tient dit vouloir en faire, ce qu'il veut en faire réellement et au service de qui il le fera.

Ne pas confondre "patient centred" et "client oriented"


Cela ne va pas sans dire, ainsi que nous le rappelle Bertrand Kiefer dans "Les dessous de la révolution du patient Rev Med Suisse 2013;9:1656".
Il faut se défendre avec la plus grande fermeté contre la iatrogenèse managériale, contre son entreprise de formatage intellectuel de petits "techniciens de santé" guidés par les nouveaux ingénieurs des soins au service du rationnement. Comment? Par la bonne littérature managériale elle-même qui nous livre quelques liens utiles pour les "praticiens réflexifs", qu'ils ou elles soient médecins ou non.

J'énonce ici trois postulats pour la survie des praticiens réflexifs et pour une médecine à visage humain.

  • Le premier est qu'il existe un bon management contre le bullshit management qui nous accable.
  • Le second est que ce bullshit management est imposé par les politique publiques de santé à des managers intermédiaires, autrefois "profession de l'Etat providence", aujourd'hui transformés en bras armés de l'asphyxie programmée, tout aussi déboussolés que les "médico-soignants". Ils sont aujourd'hui privés avec eux du droit de discourir sur les besoins territoriaux transférés aux agences.
  • Le troisième est qu'aujourd'hui l'idéologie du marché efficient est mise au service de l'idéologie de la rationalisation managériale et non l'inverse. C'est le rationnement qui commande le bullshit management et non le profit, même si le marché guette les dépouilles du système non lucratif, offre de soins et assurances-maladies, aujourd'hui vendu par appartements.


Ainsi à l'AP-HP, le pouvoir de rationnement est tenu par les DRH qui contrôlent de main de fer le tableau des emplois rémunérés, tandis que les chefs de pôle font semblant de jouer aux petits capitaines d'entreprise.
Si "néo-libéralisme" il y a, comme le répètent beaucoup de ceux qui essayent de nommer la "bête", ce n'est pas tant dans la T2A ni même dans les partenariats publics-privés, ni encore dans l'ubuesque explosion non régulée des SSR privés en Seine Saint-Denis qu'il faut le chercher, ce ne sont que leurres marchands pour gogos dans ce qui n'est même pas une véritable compétition régulée. Notons toutefois que ce système de fous crée d'énormes "rentes informationnelles" avec des profits évidents pour qui sait les manier et/ou pour ceux qui attrapent la queue du Mickey des enveloppes complémentaires pour telle ou telle pathologie ou vulnérabilité après les avoir fait flécher d'en haut par un lobbying approprié. Cela permet aux Agences de Rationner les Soins (ARS!) et les services sociaux en toute quiétude en achetant en quelque sorte la paix sociale à coup d'enveloppes fléchées, mais ne sont là qu'effets parasites du rationnement qui aggrave la guerre de tous contre tous et la dégénérescence des organisations soignantes en "arène politique" de Mintzberg.
Le néo-libéralisme idéologique et armé du type ALENA, il faut plutôt le chercher d'une part du coté du nouveau droit européen qui impose une justification quasi impossible des "surcompensations" qu'un État verserait à ses services publics. Il faut le chercher d'autre part dans la redéfinition du champ de la protection sociale et dans la réduction de la solidarité à un simple "filet de sécurité", aboutissant inévitablement à un rationnement inégal en "pied de verre de champagne".

C'est l'incertitude et l'imprévisibilité qui rendent libres et fondent la sagesse pratique (phronesis selon Aristote) , les "pratiques prudentielles", tandis que le contrôle et l'obsession quantophrénique de la prédictibilité conduisent à stériliser la créativité et toute véritable performance. peut-on alors mieux définir la maladie néo-managériale?
"Imprimer à l'outcome le caractère de l'output, voilà la maladie mortelle de nos politiques publiques de santé". Autrement dit imprimer aux "résultats cliniques" le caractère du "produit" d'un "processus d'affaires", d'un business model.
Voici ce qu'un "Nietzsche manager" aurait pu dire aujourd'hui.
Mais ne nous vautrons pas dans le nominalisme. Approprions-nous les mots de cette novlangue managériale de marché au lieu de les combattre stérilement, ce qui ne fait que nous disqualifier face aux nouveaux sophistes.

Quelle volonté de puissance se cache donc derrière cette "fonction de production" de la santé-Bien-être telle que définie par l'OMS? Rappelons qu'il y a deux chaînes idéologiques:
  • input - process - output - outcome qui est une chaîne systémique, la "black box" qu'il faut ouvrir,
  • cause - effet - impact qui est une chaîne d'inférences causales manipulées par les experts lors des arbitrages entre "coûts d'opportunité" que font les politiques publiques.
N'est-ce qu'une résurgence du vieux fantasme de la République de Platon, porté par les NTIC et le reporting, avec ses experts-philosophes, ses gardiens qui guident le bon peuple des soignants-exécutants et des patients? Ou bien n'est-ce encore qu'une ruse de l'Ethos du profit qui se sert de l'économie pour se libérer de questions socialement pressantes (Galbraith)?
Grâce au "consumer empowerment" les patients ne se soigneront-ils pas eux-mêmes, et pour pas cher, à l'aide des nouveaux "réseaux facilitateurs" de Christensen. Prophétie visionnaire ou enfumage?

La disparition de la capacité créatrice des organisations

Cette question, que nous appliquerons aux organisations soignantes est explorée sur le blog de Philippe Silberzahn:


"Selon lui (Toynbee), une civilisation croît lorsque son élite suscite l’adhésion interne et externe grâce à sa capacité créative. Elle cesse de croître lorsqu’une cassure se produit et que cette élite cesse d’être créative et se transforme peu à peu en minorité dominante fonctionnant sur une logique de contrôle.""La capacité créative est étouffée par l’exigence – a priori rationnelle – de mesure et de prédictibilité."
"Un rapport de l’OCDE en 2005 notait un ‘déclin significatif’ dans l’intensité de la R&D américaine. L’Amérique a bâti son économie sur sa capacité à innover - à explorer. Les ingénieurs américains ont fait l’admiration du monde entier. En 2008, quand les MBA, les financiers et les juristes ont achevé de prendre le contrôle de l’industrie américaine, toute cette exploration s’est métamorphosée en exploitation."

Pourquoi il est si difficile de maîtrise la "destruction créatrice" de Schumpeter. Le "syndrome de Cassandre"
"Elles (les entités innovations) sont victimes du syndrome de Cassandre: elles ont conscience des difficultés à venir, notamment que le cœur de métier est vouée à la disparition, mais elles ne sont pas entendues. Souvent c’est parce que le cœur de métier produit encore des revenus importants et qu’aucun élément financier ne pointe de problème particulier."...

"Avoir un groupe qui se consacre à un horizon un peu plus long que le prochain trimestre est d’une évidente utilité. Mais ce groupe ne peut survivre et réussir que s’il est intimement lié à l’activité de l’entreprise."

Le cas des organisations sans but lucratif



Dans les organisations à but non lucratif, qui poursuivent des finalités externes à l'organisation, s'ajoute une difficulté non signalée par l'auteur.
Comment anticiper les ruptures dans les organisations "not fot profit" dès lors que les "résultats" ne sont pas ceux visés par le "cœur de métier" (l'outcome) mais ne sont que des outputs de sortie de système adossés à une tarification séquentielle et des pseudo-marchés (les groupes homogènes de malades)? Comment faire quand les "activités" et leur fonction de production sont définies, à rebours des compétences clés et des besoins du public auxquels elle répondent (attention, buzzword si on ne se réfère pas à l'article princeps de Hamel et Prahalad), à partir des modèles de coûts et de compatibilité de l'hôpital modélisé comme "usine à soins"?

"Quel besoin, dans ces conditions, de chercher à bricoler une nouvelle thématique, un projet, des propositions originales et crédibles ? Pour séduire qui ? Les gens d’avant ? Ceux qui auraient ricané à l’idée de se balader dans un concept soutenu par une idée, elle-même suspendue à une théorie ? Ils n’existent déjà presque plus. Le réaménagement abstrait du territoire est en train de forger son peuple." Philippe Muray (Paris-Plage)

Quelques liens sur l'innovation de rupture


1. L’INNOVATION DISRUPTIVE DANS LES SYSTEMES DE SANTE

2. Site de Clayton Christensen 


3. How Productivity Killed American Enterprise par Henry Mintzberg

4. The innovator’s prescription/ dont est tiré ce schéma:

samedi 8 février 2014

Ubu régulateur ou la rationalisation politique de la décomposition


"L'important pour notre concept ce qui détermine ici l'action économique de façon décisive, c'est la tendance effective à comparer un résultat exprimé en argent avec un investissement évalué en argent si primitive soit cette comparaison."
Max Weber - L'Ethique protestante et l'esprit du capitalisme

« L'opposition entre le libéralisme et l'étatisme qui occupe tant les essayistes, ne résiste pas une seconde à l'observation.» Pierre Bourdieu

« Manier savamment une langue, c’est pratiquer une espèce de sorcellerie évocatoire. » Baudelaire


Quelques modèles de décomposition


Alors que j'ai encore "la fabrique des imposteurs" à mon programme de lecture, Roland Gori vient de publier "Faut-il renoncer à la liberté pour être heureux?" voir aussi "insoumission accomplie"

Il y a plusieurs théories de la "décomposition" des systèmes de santé. Cette décomposition ne peut s'appuyer que sur la stupéfiante servitude volontaire qui l'accompagne. Dans une vision systémique, pour paraphraser Leibnitz, ces modèles ont souvent raison dans ce qu'ils décrivent mais se trompent toujours dans ce qu'ils ignorent.

1. La théorie économique: l'économie de marché aurait triomphé, s'imposant sans concession à l'Europe et à son droit etc. Le mot valise de néo-libéralisme est souvent utilisé, mais avec le risque lié à tous ses "faux amis". Son usage nuit souvent à une réflexion plus profonde sur les causes de la décomposition et l'on doit garder deux points à l'esprit. D'une part accordons à Frédéric Pierru que «...le néo-libéralisme ne saurait en aucune façon être assimilé au moins d'Etat. Il est au contraire une rationalité politique originale qui confère à l'Etat la mission de généraliser les relations concurrentielles et la forme entrepreneuriale y compris et surtout au sein de la sphère publique.» D'autre part, constatons avec Galbraith que les invocations à la "magie" des marchés ne sont plus que réflexes tant de ceux qui d'un coté s'auto-estampillent conservateurs pour piller le trésor public que de ceux qui à gauche répètent ces incantations au marché efficient de peur d'être démasqués comme hérétiques à l'économie orthodoxe. Les vrais conservateur "à principe" de l'ère Reagan sont pour lui depuis longtemps isolés dans leurs universités où plus personne ne leur accorde crédit. ("L'Etat prédateur" James K. Galbraith).

2. La théorie du marché politique: les élus promettent plus qu'il ne peuvent tenir et pour être réélus. Ils doivent avant tout masquer le rationnement des soins derrière la rationalisation et éventuellement la fameuse "marchandisation". Les mots clés qui guident les décisions politiques sont "faisabilité politique de l'ajustement", bénéfices concentrés et coûts diffus vs bénéfices diffus et coûts concentrés.

3. La théorie réaliste de Machiavel à Raymond Aron et ses disciples, dont Henry Kissinger etc. Les programmes d'ajustement structurels ne seraient qu'une expression du réalisme de la domination économique américaine déguisée en idéalisme libéral, qu'il soit pacifique ou armé.

4. La théorie sociologique: 
La rationalisation gestionnaire de calculabilité et de prévisibilité et le "désenchantement du monde" de Max Weber suivrait sa propre logique parallèlement au marché, soutenue par l'explosion du reporting permis par les NTIC. Le nouveau management public, avec sa "bureaucratie libérale", sa concurrence encadrée et ses indicateurs de benchmarking à courte vue,  ne serait autre que la "cage d'acier" de Max Weber plus les NTIC. Les mots clé sont coûts d'opportunité, gestion des risques, "fonction de production" de l'action publique qu'il faut dès lors intégrer, couple intégration - processus, confusion officielle de la "santé" et du "Bien-être" objet de la politique depuis Aristote qui opposait pourtant la prudence (phronesis ou sagesse pratique) au grand projet de République rationnelle de son maître Platon.

On sait que la "qualité" définie d'en haut avec la direction par objectifs et les résultats myopes de sortie de système sert, par l'imposture de la certification,  à justifier les pseudo-marchés et n'est qu'un autre nom du management. On se doute moins que "l'éthique clinique" et ses futurs commissaires risquent de marquer de triomphe des "gardiens" de Platon sur les pratiques prudentielles d'Aristote qui fonde l'autonomie professionnelle.

5. La théorie de "l'Etat prédateur" pour les amateurs de l'économiste Thorstein Veblen, inspirateur de D'Iribarne ("La logique de l'honneur") et de James K. Galbraith ("l'Etat prédateur")

Loin du messianisme marxiste, mais on peut être "marxien" avec Aron, alors qu'il n'est plus obligatoire d'avoir tort avec Sartre, cette théorie postule l'adaptation et la restructuration permanente des "classes prédatrices" pour dominer les "classes laborieuses", maintenir le développement inégal. Appliqué aux systèmes de santé sous pression de la mondialisation des marchés financiers, il s'agit de promouvoir avec le Nouveau Management Public le rationnement inégal des soins à rebours des principes de solidarité d'après guerre.
Au maximum on peut craindre la constitution des "zones vertes" et les "zones rouges" prédites par Naomi Klein. Attention toutefois à ne pas tomber dans la névrose du complot.

Il y a sans doute bien d'autres modèles, notamment anthropologiques, avec ce qu'ils incluent et ce qu'il nient.

Sommes-nous tous des consommateurs empouvoirés?


Il faut donc surtout se garder d'opposer libéralisme et étatisme, marché et hiérarchie, Ethos du profit et rationalisme scientiste. La novlangue de marché n'a rien à envier à la novlangue technocratique. La généalogie des réformes du système de santé québécois par Marc Renaud montre que le mal peut être d'abord bureaucratique, néo-managérial, puis après explosion des dépenses, faire appel au marché pour réduire en catastrophe les dépenses d'un secteur public que les pompiers pyromanes ont été incapables de "réguler" en créant toujours plus de gaps dans les parcours qu'ils prétendaient "intégrer".

Est-ce l’Ethos du profit qui instrumentalise le management ou est-ce la rationalisation managériale qui instrumentalise la pensée de marché?

Et que se passe-t-il quand l'action publique met le management non au service du profit, mais du rationnement? Ce dernier en vient alors à instrumentaliser la pensée de marché. Les managers publics maximisent aujourd'hui leur fonction d'utilité en servant un cost killing dont ils feignent de ne pas voir qu'il n'est destiné ni au profit, ni la productivité mais à un programme d'asphyxie masquée des dispositifs de solidarité.

Et la servitude volontaire vient de ce que directeurs, médecins, élus et usagers, les principaux "boucs émissaires" que désignent les experts en rationnement inégal, ont consenti au déni de citoyenneté et à la dépossession démocratique qui consiste à abandonner aux "agences" toute responsabilité dans la conception de la réponse aux besoins de soins. C'est la dissociation entre conception et exécution, propre à l'organisation scientifique du travail qui enjoint à chacun, notamment au travers du "consumer empowerment"  d'être un bon petit entrepreneur de soi-même et des autres au service du bien être utilitariste pensé par les experts de la République. Vous aviez dit démocratie sanitaire?

"Le « Consumer empowerment » est une stratégie, rendu notamment possible grâce aux technologies d'information et de communication (TIC) que les firmes utilisent pour donner aux consommateurs le contrôle sur le processus de conception des produits, afin qu'ils choisissent ceux qui devraient être vendus sur le marché. Ainsi, ce transfert de pouvoir contrôlé et collaboratif se traduit par des résultats positifs sous forme d'offres co-crées, reflétant les compétences des consommateurs et leur degré de pouvoir." Source

« Tous les systèmes sont vrais dans ce qu’ils affirment ; il ne sont faux que dans ce qu’ils nient. » Leibnitz

Webographie

Une incontournable généalogie des réformes du système de santé québécois: A lire absolument!

1. Marc RENAUD Sociologue, département de sociologie, Université de Montréal (1995) “Les réformes québécoises de la santé ou les aventures d'un État «narcissique»”

2. Réforme ou illusion: une analyse des intervention de l'Etat québécois dans le domaine de la santé. Marc Renaud

3. “De la sociologie médicale à la sociologie de la santé: trente ans de recherche sur le malade et la maladie.”(1985) (Texte en format Word)

Le mystère de la cage d'acier

4. Penser l’entreprise moderne, entre profit et efficacité. Thibault Le Texier XVIe Journées d’histoire de la comptabilité et du management Nantes, 23-25 mars 2011

5. La bureaucratisation du monde à l’ère néolibérale, ou la managérialisation des sociétés industrielles au XXe siècle ?
Note critique sur l’ouvrage de HIBOU Béatrice, La Bureaucratisation du monde à l’ère néolibérale, Paris : La Découverte, 2012, 223 p.

Les "déniaiseurs"

6. Une analyse de la novlangue technocratique importée du Québec


8. Les paradoxes des démarches qualité dans les hôpitaux publics : modélisation de formes d’ancrage rivales

9. Hôpital haute technicité peu d'humanité

" Nous nous trouvons devant une prolétarisation généralisée de l'existence dont les signes les plus patents sont les procédures de normalisation matérielles et symboliques des pratiques professionnelles [...] Technicisation, quantification, fragmentation, rationalisation, formalisation numérique, normes gestionnaires agissent alors de concert dans cette prolétarisation des savoirs et des métiers et assurent une hégémonie culturelle nécessaire au pouvoir. [...] Cette philosophie transforme l'hôpital en entreprise- on parle alors de "chaîne de production de soin". Avec R. Gori on peut se poser la question si la dimension artisanale du médical a encore le moindre intérêt dans cette médecine productiviste. "Il s'agit de faire du "vrai médecin" une "denrée rare" qui doit apporter une valeur ajoutée aux autres soignants auxquels il aura délégué ses compétences incorporées dans des protocoles standardisés. Chacun des professionnels censés remplacer le médecin dispose d'une liste de questions à poser, d'actes à accomplir en suivant le "protocole". [...] Cette rationalité technique est le caractère coercitif de la société aliénée. " ( Roland Gori: "La fabrique des imposteurs" )

10. Peut-on faire de l'hôpital une entreprise?
Si vous croyez qu'on peut confier aux agences la détermination des besoins de soins et la construction de la démocratie sanitaire,mettez en lien cet article avec:

a. "Les hôpitaux ne sont pas des chaînes de montage"

b. "Ces américains soignés par tirage au sort"

c. Le dialogue culte des "invasions barbares".
Voici sous ce lien le «monologue» de Pauline Joncas-Pelletier, directrice des hôpitaux alors que Rémy lui demande d'ouvrir un lit dans une aile fermée de l'hôpital, pour y admettre son père atteint d'un cancer.

dimanche 19 janvier 2014

La T2A: rationalité marchande ou rationalité managériale?


"Les réformes managériales dans le secteur de la santé ont en elles deux potentialités qui correspondent aux deux grandes interprétations qui en ont été faits jusqu'à présent: la maîtrise des dépenses et l'optimisation de la production des soins d'un coté, la réduction de la couverture sociale de l'autre." 
Nicolas Belorgey - L'hôpital sous pression: enquête sur le Nouveau Management Public


«...le néo-libéralisme ne saurait en aucune façon être assimilé au moins d'Etat. Il est au contraire une rationalité politique originale qui confère à l'Etat la mission de généraliser les relations concurrentielles et la forme entrepreneuriale y compris et surtout au sein de la sphère publique.» Frédéric Pierru


"L’alliance entre des entreprises qui pensent avoir le droit moral de faire ce qu’elles veulent et une théorie économique qui les conforte en érigeant en dogme le mythe du marché efficient nous a conduits à la catastrophe" Henry Mintzberg 


"L'opposition entre le libéralisme et l'étatisme qui occupe tant les essayistes, ne résiste pas une seconde à l'observation." Pierre Bourdieu


Je suis partagé entre d'une part la critique des effets profondément délétères des "leurres marchands" introduits par la T2A, critique dans laquelle excelle André Grimaldi notamment dans son dernier texte cosigné avec Bernard Granger, Anne Gervais et Nathalie de Castro en réaction à des propos de Gérard Vincent sur les effets vertueux de la T2A, et d'autre part l'opinion que je partage avec la FHF qu'il faut rapidement une part de financement à l'activité en SSR dont la dotation globale tue l'activité à très grande vitesse.
C'est que la T2A est l'objet d'instrumentations, d'interprétations et de fantasmes multiples, macro, méso ou micro-économiques ou systémiques.

  • Pour les uns c'est une sorte de paiement au mérite, une "carotte" incitative qui récompense les bons travailleurs, c'est ici une théorie des motivations au travail qui est mobilisée, en l'occurrence des motivations "extrinsèques". Ceux-ci opposeraient même ses vertus à une loi HPST trop managérialiste et "soviétique". Vieille théorie X de Mc Gregor à laquelle il oppose la théorie Y.
  • D'autres la considère comme un outil de transparence qui protège l'activité, c'est ici une volonté de défense contre l'opacité de la bureaucratie allocative et le lissage de coûts réels non captés.
  • Pour les autres c'est la vérité des coûts dans un bon management basé sur l'activité, avec une juste allocation des ressources, c'est une théorie de la rationalisation managériale qui est mobilisée
  • Pour d'autres c'est un outil d'optimisation de l'efficience et des restructurations par la concurrence, c'est une théorie micro-économique sur le comportement des acteurs (théorie de l'idiots rationnel, homo economicus de l'économie mainstream selon Amartya Sen").
  • Pour d'autres c'est un paiement séquentiel entraînant une guerre de tous contre tous et incitant avant tout les acteurs à ne pas coopérer, à rebours de toute logique de parcours intégré. Cela conduit les pompiers pyromanes à superposer des "coordinations" toujours plus bureaucratiques.
  • Pour d'autres c'est une application à la santé de la gestion néo-libérale, c'est une théorie d'économie politique, voir un moyen de domination par les programmes d'ajustement structurels
  • Pour d'autres c'est un moyen de prise de pouvoir des managers sur les professionnels
  • Pour d'autres enfin, c 'est une technique générale de rationnement fondée sur une direction par objectifs et la gestion axée sur les résultats (LOLF) qui maximise la fonction d'utilité des politiques.
Dans les dernières interprétations il y a plutôt une continuité et une remarquable cohérence du rationnement et de la déconstruction de la solidarité nationale entre numerus clausus apparu dans les années soixante dix, loi de 1991, planification sanitaire, logiques des" contrats" (d'objectifs sans moyens garantis pour les centres de responsabilité), pseudo-marchés de la T2A, pôles d'activités et loi HPST, et l'intégration industrielle verticale opérée par la création des "grandes assistances publiques régionales" que sont les ARS.

Un modèle de coûts sert à trois choses fort différentes, contrôler la gestion au niveau de centres de responsabilités, améliorer l'efficience d'allocation des ressources et enfin optimiser la prise des décisions. Chaque finalité impose un modèle différent, nous disent les experts.

Mais quelle finalité donne-t-on à la T2A? Quel est aujourd'hui le niveau du centre de responsabilité pertinent? Quel niveau de gouvernance répartit les ressources? Lequel décide des créations et restructurations répondant aux besoins de soins?
Au delà de l'idéologie, la T2A semble surtout être une clé de répartition budgétaire très mal ficelée et inutilement complexe d'une enveloppe contrainte. Elle aurait du avant tout être simple, en considérant qu'elle serait inéluctablement fausse, comme tout modèle de coûts couplé à une allocation budgétaire. Il aurait fallu ne pas l'introduire sous la forme de ce veau d'or managérial vénéré par la propagande officielle, afin de ne pas générer trop de coûts de transaction et lui permettre d'être mieux associée à de véritables mécanismes complémentaires ou hybrides.

Il est clair que la T2A ne prend son sens ou ne produit tout ses contresens que par son mode d'intrication avec les autres piliers du Nouveau Management Public:
  • la planification rationnelle au stade de la conception des "besoins" et des "produits", dès lors dissociée de l'exécution
  • l'allocation basée sur l'activité, (au risque de construire les activités sur les modèles de coûts, qui dépendent des modèles de résultats et non sur les compétences clés de l'organisation)
  • la gestion des nouveaux exécutants, devenus techniciens de santé, par les résultats et la comparaison d'indicateurs dans le cadre d'une gouvernance industrielle / entrepreneuriale qui dirige d'en haut la ré-ingénierie des "compétences",
  • enfin un contrôle de gestion à croissance exponentielle, fondé sur le numérique, qui prend le nom de qualité (rôle de la "certification" dans la théorie de l'agence pour pallier l'asymétrie d'information, en prenant l'exemple du marché des voitures d'occasion) et de gestion des risques.
En se focalisant trop sur la T2A, l'affrontement récent MDHP vs FHF occulte peut-être l'essentiel de la "bureaucratisation du monde" sanitaire et de ses interprétations possibles.

« Le pouvoir étatique n'est jamais aussi habile à resserrer son étreinte sur la société civile que lorsque qu'il feint de l'émanciper des autorités qui font de l'ombre à la sienne.» Bertrand de Jouvenel - « Du pouvoir » 

"La rhétorique managériale finit même par adopter des formulations à ce point vide de contenu qu'elles n'ont pas de contraire. Avoir l'ambition d'être un leader est engageant, mais qui souhaite adopter la posture du suiveur? Être le champion de l'excellence est sans doute motivant mais qui rêve d'être celui de la médiocité? Non seulement les mots mais aussi la parole perdent leur sens, générant chez ceux qui écoutent cynisme et désarroi." François Dupuy "La fatigue des élites.


"Tout ce qui est simple est faux, tout ce qui est compliqué est inutilisable." Paul Valéry

Webographie

  1. Gérard Vincent : « La tarification à l'activité a sauvé le service public en lui donnant un intérêt à agir » - voir aussi Rapport FHF sur la T2A
  2. Une réaction du Mouvement de Défense de l'Hôpital Public aux propos de Gérard Vincent
  3. DREES: réforme du financement des hôpitaux quel impact sur leur niveau d'activités?
  4. Evaluation de la tarification des soins hospitaliers et des actes médicaux, IGF (avril 2012)
    "... la T2A et la CCAM tendent progressivement, et sous l'effet de corrections techniques répétées, à perdre leur logique médico-économique. (...)
    La T2A s'oriente vers une simple clé de répartition budgétaire de plus en plus éloignée de toutes références économiques."
    "L'objectif d'efficience productive ne peut être rempli du fait de la mauvaise qualité du signal-prix."
    En d'autres termes le rapport reproche à la T2A de ne pas avoir respecté le modèle américain de concurrence par comparaison (yardstick competition) dont il postule, sans aucune preuve, l'efficacité. Les auteurs du rapport proposent sans surprise de "revenir aux fondamentaux" des outils que sont la T2A et la CCAM.
  5. Position de la FHF sur le financement à l'activité des SSR
    "La FHF défend l’idée d’un changement à court terme du modèle de financement du SSR. Le système actuel, fondé sur la dotation annuelle de fonctionnement pour les établissements publics, pénalise le secteur des soins de suite et de réadaptation depuis trop longtemps. Il devient urgent de le faire évoluer. Le recours à un modèle de financement intégrant une part d’activité est indispensable mais la classification actuelle, décrivant les séjours, n’est pas assez robuste."
  6. T2A ou financement à l'activité en SSR? Un habillage cosmétique selon le blog T2A Conseil
    Ne dîtes plus T2A SSR mais réforme du financement en SSR !
    La FHF demande la T2A SSR dès 2015
  7. La bureaucratisation du monde à l’ère néolibérale, ou la managérialisation des sociétés industrielles au XXe siècle ? - (site de Thibaut Le Texier)

    A propos du livre "La bureaucratisation du monde à l'ère néo-libérale" de Béatrice Hibou. Paris. La Découverte, 2012,

samedi 28 décembre 2013

Homo numericus, la santé "Bien-être" et le Nouveau Management Public


Les élites débordées par le numérique?
Le Monde.fr | 26.12.2013 à 16h05 • Mis à jour le 27.12.2013 à 10h09 | Par Laure Belot

Que faut-il penser des rapports entre les élites et les nouvelles représentations numériques? Sont-elles débordées ou les ont-elles déjà instrumentalisées pour la faisabilité politique de l'ajustement? Quels en sont les enjeux et opportunités? Le modèle promu par les politiques publiques de santé, loin d'être un modèle purement marchand, est avant tout un modèle systémique et managérialiste tel que décrit par Boulding en 1956 . La "biopolitique" de Foucault se réalise dans la santé définie comme "Bien-être", objet de "l'intégration" par l'action publique des divers niveaux de gouvernance; elle est asservie à une fonction de production gérée par "l'Etat entreprise".



Homo numericus et l'angélisme exterminateur

Le Management Public ne s'appuie plus sur le droit mais sur les sciences sociales. Si le management public a inventé la fonction de production de la santé "Bien-être", pour paraphraser Lénine, le Nouveau Management Public, c'est la technologie des sciences sociales plus les Big Data. Ses limites sont celles que la théorie des choix publics assigne aux choix politiques comme aux mécanismes de marchés: 
  • les "externalités", effets sur des personnes qui ne sont pas directement parties à la transaction, négatives comme la pollution ou positives,
  • y répondent les "internalités" des bureaucraties, gaspillages, contre-performance, sous-travail, "bureaucratie au service de ses agents", monopoles internes ..., 
  • les monopoles qui faussent les mécanismes de marché,
  • l'asymétrie d'information, tout particulièrement en santé,
  • insuffisance de production des biens publics par les externalités positives,
  • les limites de prévision inhérentes à la vision d'homo economicus en "idiot rationnel". 
Si la théorie de "l'idiot rationnel", égoïste et calculateur, est discutable, tant s'agissant des transactions privées que des marchés politiques, il n'est pas douteux que la pression des organismes internationaux dans le contexte actuel de mondialisation a des effets de prophétie auto-réalisatrice. En d'autres termes on ne naît pas "marchand" ou "technocrate" mais on peut le devenir.

N'oublions pas que l'action publique est aujourd'hui avant tout préoccupée de réduire les dépenses publiques de santé et et de rationaliser par tous les moyens un rationnement inavouable. En France l'idéologie jacobine ne peut faire le sacrifice du mythe du progrès humain par la science positive (lire Hayek sur l'Ecole Polytechnique), qui est le fondement de sa légitimité et de l'écrasement des corps intermédiaires (loi Le Chapelier) laissant seul le calcul de l'intérêt individuel face à celui de l'intérêt collectif. Le "rationnement" est tout simplement indicible en France puisque ce serait avouer les défaillances de la "Déesse raison" garante du progrès et du management public.

On sait au moins depuis Galbraith ("le Nouvel Etat industriel") que les technostructures privées et/ou publiques construisent des représentations des besoins, des "filières inversées" non à partir des besoins réels du "client" ou de "l'usager" même si l'on feint de le consulter pour définir le marché tout en maximisant l'asymétrie d'information par la propagande, mais en fonction de leurs propres besoins et de la maximisation de leur fonction d'utilité. Le premier ennemi de la gouvernance d'entreprise en privé ou public, c'est le manager dont il faut protégér le payeur, actionnaire ou gouvernement. Le professionnel "opérationnel expert" de Mintzberg, comme le médecin ou l'universitaire est la victime collatérale d'un modèle qui n'a pas été spécifiquement pensé pour les "bureaucraties professionnelles". L'exemple de la loi HPST tant voulue par les directeurs (pas tous) s'accompagne de leur désespoir d'être soumis aux injonctions des agences et d'être privés de leur autonomie de capitaine d'entreprise. Certains s'imaginaient enfin libres de déployer ce marketing de faux produits de santé "à portée des caniches" permis par l'explosion du reporting médico-économique (les GHM produits de l'hôpital selon le modèle promu par Fetter). Si l'arroseur est arrosé, il n'y a pas de quoi se réjouir, bien au contraire. Lire sous ce lien l'article sur les directeurs d'hôpital de François Xavier Schweyer: http://ress.revues.org/251

Le danger selon Hamel et Prahalad (Harvard Business School) est la destruction des compétences clés de l'organisation, l'amnésie organisationnelle, le contraire de la capitalisation des connaissances qui fait l'avantage compétitif de l'organisation. Nous autres, "rameurs" de santé toujours plus écartés de la conception des process industriels, le constatons au quotidien.

Le temps n'est plus à l'angélisme exterminateur qui laisse, en toute confiance et sans contre-pouvoirs démocratiques, des "experts" asservis aux arrières-pensées d'ajustement des politiques publiques créer ex nihilo de faux marchés de santé, qu'il s'agisse de nommer et définir les "besoins" des "clients" ou les "produits"(ouput myope vu d'un système de production imputable à court terme, outcome individuel du patient ou "impact" sur la santé Bien-être d'une population?).

Le besoin à flécher, à nommer et à compter c'est quoi? L'Accident Vasculaire Cérébral, le cérébro-lésé quelle qu'en soit la cause, les limitations fonctionnelles liés aux atteintes neurologiques lourdes, le handicap lourd quelle qu'en soit l'étiologie et à n'importe que âge,...? Qui définira avant les autres le bon sujet qui sera mis à "l'agenda politique"?

La T2A "à la française", peut-être la plus bête du monde, est un formidable ratage:
1/ à la fois par l'absence de régulation "garde-fou" qui ne laisse aux directions comme seules variables d'ajustement que la constitution de trusts hospitaliers, l'asservissement de l'aval rataché (SSR-SLD), l'effondrement des effectifs et/ou de la qualité des soins (Robert Holcman) et 
2/ par trop de régulation par des fléchages pilotés "d'en haut" qui en limitent toutes les vertus efficientes attendues par de ces pseudo-marchés les croyants dans la concurrence par comparaison ou la "yardstick competition".

Le marché des besoins de soins de santé, qu'il faut distinguer avec les Canadiens de la santé Bien-être, devenue objet de la politique et des choix utilitaristes en termes de coûts d'opportunité, est très largement construit à partir de catégories conçues ex cathedra et des données issues de ces catégories.
On a cru pendant les trente glorieuses à l'extinction du paupérisme et pensé qu'on pouvait assigner à l'hôpital public une fonction purement soignante, au sens bio-médico-technique du terme, reléguant le traitement social aux départements. Les catégories de la production hospitalière ont été construites sur ce postulat qui sépare soins et social, maladie et exclusion sociale et qui va à rebours de l'évidence de la transition socio-sanitaire. Le système est aujourd'hui verrouillé institutionnellement et financièrement et favorise la déconstruction la plus contre-performante qui soit de la solidarité entre l'assurantiel "de base", l'assurantiel à géométrie variable dépendant des complémentaires santé et l'assistantiel pour le pauvre, l'exclus, le vieux et le handicapé. Nous sommes à l'ère qui combine la médecine actuarielle à l'art d'ignorer l'assistance publique.

Une des parades à une maîtrise non démocratique des Big Data est "l'open data" , l'accès aux données qui permet d'en contester les modèles et interprétations dominantes. Mais il est probable que les inférences logiques tirées de ces données dont le support ontologique est douteux, auront toujours un tour d'avance sur des opérationnels de santé déjà à moitié résignés. L'inaccessibilité aux données est toujours plus marquée dans nos hôpitaux avec l'épaississement de la pyramide hiérarchique (7 niveaux à l'AP-HP de l'unité opérationelle à l'ARS).

L'hôpital public est enterré par le droit européen, mais comment le nouveau service public territorial d'intérêt collectif construira-t-il ses représentations numériques? Comment seront associées les parties prenantes, les shareholders face aux stakeholders dans ce que nous espérons être une démocratie non pas numérique mais malgré le numérique?

Méfions nous des anges numériques, même chargés de présents.

Community cleverness required
http://www.nature.com/nature/journal/v455/n7209/full/455001a.html

L'institution communicante
http://www.cairn.info/resume.php?ID_ARTICLE=COMOR_041_0027

Le dispositif rhétorique
http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=SOPR_010_0077&DocId=170640&Index=%2Fcairn2Idx%2Fcairn&TypeID=226&BAL=ancMLSzIlmhTA&HitCount=1&hits=11f2+0&fileext=html

Big data en santé: mythe ou réalité?
http://virchowvillerme.eu/big-data-en-sante-mythes-et-realites/

Big data défis et opportunités pour les assureurs
http://www.revue-banque.fr/banque-detail-assurance/article/big-data-defis-opportunites-pour-les-assureurs

Analyse des Big Data. Quels usages, quels défis ? (centre d'analyse stratégique)
http://www.strategie.gouv.fr/blog/wp-content/uploads/2013/11/2013-11-09-Bigdata-NA008.pdf

Le blog de Danah Boyd
http://www.zephoria.org/thoughts/?s=big+data


dimanche 22 décembre 2013

Ubu, le grand désenchantement de la médecine et l'art d'ignorer la solidarité


"Si les faits cadrent pas avec la théorie, changez les faits." Albert Einstein

Les réformes de la gouvernance rendent les hôpitaux de moins en moins attractifs. Les médecins, universitaires ou non, les autres professionnels de santé, fuient de plus en plus les hôpitaux publics. Si la rémunération joue un rôle, c'est essentiellement l'effroyable politique du numerus clausus et la démotivation au travail qui en sont la cause. L'article du blog de Dominique Dupagne, l'origine de la pénurie des médecins en France, fait le point sur la triste histoire du numerus clausus et le récent rapport Véran montre l'ampleur d'une désaffection qui se traduit par l'explosion du recours à l'Intérim, la seule solution qui reste aux directions pour préserver la continuité des soins. Le fantasme de la maîtrise des coûts par la réduction de l'offre médicale n'est pas abandonné, certains prétendant réduire les coûts par la "promotion de la santé" en faisant semblant d'ignorer que personne ne maîtrise les facteurs socio-environnementaux, par l'ingénierie de nouveaux métiers moins payés et enfin par le développement dérégulé de la 'Patamédecine moins remboursée... faute de preuves, sauf par des complémentaires qui en font un produit d'appel. Quand à la baisse tendancielle du taux de motivation, elle est liée à l'empêchement croissant de faire ce qu'on sait bien faire, d'organiser ce qu'on sait bien organiser et à l'infantilisation managériale qui s'abat sur les soignants avec un mépris et une arrogance extravagants. Le mal est-il limité à l'hôpital? Que nenni! La médecine générale traverse une crise gravissime de motivation, de même que l'ensemble de la médecine libérale et de la médecine salariée.

Voici un schéma général explicatif de
l'effondrement de la qualité et de la motivation des soignants


Le Nouveau Management Public feint de croire au marché efficient en santé pour mieux rationner les soins

La cause est une modélisation systémique vicieuse, une représentation de la "fonction de production" de l'action publique appliquée aux soins de santé, inventée par Machiavel pour faire réélire les élus en période de raréfaction des ressources publiques. C'est avant tout un dispositif rhétorique, une "extension du domaine de la manipulation" (Michela Marzano)  qui repose sur la généralisation du management stratégique aux politique publiques. C'est la dissociation clé dans le Nouveau Management Public entre une prétendue "conception" des experts d'en haut et une "exécution" qui ne cesse de déresponsabiliser des acteurs qu'on prend pour des techniciens de santé alors qu'ils voient bien au quotidien qu'on répond de moins en moins aux besoins de soins réels. Il y a bien loin entre ce qu'ils constatent mais qui n'est plus audible, les directeurs renvoyant toute responsabilité d'évaluation des besoins à "l'agence" et les réponses officielles engluées dans un synergie négative entre fléchages politico-médiatiques sous influence de groupes d'intérêt et des pseudo-marchés fait de coûts mal ficelés et de résultats comptables myopes. Ces leurres marchands sont censés apporter l'efficience par la concurrence de tous contre tous. Si les effets pervers de la T2A sans garde-fous sont patents, les directions pouvant réduire les effectifs jusqu'à la limite des risque médico-légaux et supprimer sans limite des activités utiles non repérées comme telles par les agences, personne ne croit à ses effets attendus en terme d'efficience du marché au vu de l'interventionnisme bureaucratique et du pilotage par les tarifs qui lui est associé. Ces mauvaises synergies sont trop souvent le résultat des représentations technocratiques et numérisées construites sur des boucles auto-référentielles et des données inaccessibles aux acteurs qu'elles regardent.

La destruction des compétences et des motivations fondamentales


Loin d'identifier et de valoriser ses compétences fondamentales qui font la force compétitive des ses équipes, par leur savoirs collectifs, ce nouveau management se santé le plus bête du monde appliqué à "l'hôpital entreprise" ne sait que détruire les compétences clés et les motivations. La religion de "l'innovation disruptive" qu'on croit maîtriser a justifié la guerre à outrance déclarée aux équipes de soins, autrefois stables, formées et motivées mais jugées trop médicalisées. Les responsables d'unité n'ont pratiquement plus aucune autonomie budgétaire ni d'organisation. Il n'y a de moins en moins de cadres de proximité ou bien ils sont submergés par les réunions transversales et le reporting amplifiés par l'incontinence réglementaire. Plus de "cadre supérieurs", il n'y a plus que des "cadres experts" transversaux, de plus en plus coupés du monde médical. Ces unités opérationnelles expertes qui faisaient la force de nos hôpitaux ont été laminées par importation des méthodes industrielles appliquées aux entreprise mourantes, c'est à dire, non comme on l'a dit trop souvent, des méthodes qui marchent bien dans le privé mais bien de celles qui ne fonctionnent pas non plus dans le privé, le cost killing précédant souvent l'extinction. Henry Mintzberg ("managers, not MBA") se désole qu'on continue à les enseigner aux nouveaux MBA partout dans le monde. François Dupuy les a décrites dans "Lost in management", avec en particulier les 16 pages repérées par André Grimaldi sur la genèse des épouvantables groupes hospitaliers de l'AP-HP. On ne sait plus que détruire les motivations intrinsèques de médecins et autres soignants pour les remplacer par les incitations extrinsèques, la carotte et le bâton.

Hôpitaux: la politique du chien crevé au fil de l'eau


Après la mise en place de la politique catastrophique du numerus clausus, les politiques publiques de santé sont marquées par la continuité plus que par la rupture. Après le déploiement du modèle de planification rationnelle de 1991 et 1996, mis sous enveloppes fermées par la LOLF avec la norme de plus en plus dure de l'ONDAM, trois grandes réformes récentes de gouvernance des hôpitaux n'en finissent pas d'aggraver la baisse tendancielle du taux de motivation des médecins hospitaliers.
1. la création des "grandes assistances publiques régionales" chargées d'évaluer les besoins et de planifier les réponses (un risque aujourd'hui avéré des ARS qui avait été formulé dans le rapport Couanau) , 
2. celle des centres de coûts sans consistance médicale ni autonomie réelle que sont la plupart du temps les pôles d'activité à la française
3. celle de la toute puissante chaîne bureaucratique descendante qui permet enfin la gestion top down par les objectifs et les résultats créée par la loi HPST. 
Elle parachève l'asservissement des "cliniciens de base" à la logique managériale et à une médecine scientifique qui, obligée de reconfigurer son pouvoir, abandonne les idéaux de l'université pour servir de légitimation à la "mise en gestion" (Freidson, Pierru).
On lira avec attention les résultats des baromètres et enquêtes relatives à ces réformes. Il faudra considérer avec attention les résultats à venir du baromètre AP-HP pour les personnels non médicaux.

La carotte et le bâton


Deux solutions éternelles s'affrontent selon qu'on croit que les médecins fonctionnent plutôt à la théorie X ou a théorie Y de Mc Gregor: renforcer encore et toujours la bureaucratisation sous prétexte d'un contrôle et d'un reporting encore insuffisants, en contraignant les médecins à travailler dans des déserts médicaux ou des hôpitaux qui détruisent chaque jour davantage leur état d'esprit au travail, ou bien renforcer l'attractivité d'hôpitaux et de territoires rendus plus "magnétiques" pour les professionnels de santé. Cela passe pour les médecins comme pour l'ensemble des professionnels par la reconnaissance au travail, l’autonomie professionnelle nécessaire à la vraie qualité des soins, pas la fausse qui ne sert actuellement qu'à maquer le rationnement des soins, et la participation effective aux processus de décision et donc d'information. On ne pourra évacuer la nécessité de réhabiliter la brique constitutive de la qualité et de l'organisation des soins, l"équipe opérationnelle au contact du public, ce "micro-système clinique" qu'il faut cesser de diviser et de décourager en laissant appliquer des méthodes de standardisation technocratiques totalement ubuesques. Cela ne veut pas dire que rien ne doit être standardisé et/ou optimisé, nul ne veut se faire le chantre de l'inefficience, mais qu'il faut associer les professionnels à la gestion et leur laisser l'autonomie pour faire ce qu'il savent faire, inventer ce qui peut être inventé, transmettre ce qui peut être transmis.

Il n'y aura sans doute pas de grosse différence entre les baromètres internes de l'AP-HP et des baromètres externes. L'AP-HP ne fait qu'amplifier et anticiper l'incurie managériale et l'art d'ignorer l'assistance publique au profit d'un système à peine occulte de captation des ressources vers 4 ou 5 de ses hôpitaux. Il faut mettre en relation le baromètre social et l'enquête récente des intersyndicales de médecins des hôpitaux sur les pôles d'activités. Les résultats sont sans appel. La prétendue "démocratie sanitaire" s'est bien transformée en "démocrature sanitaire" par l'adjonction intempestive d'un nouvel adjectif manipulé par la propagande néo-managérialiste.

Une mesure qui n'est pas encore devenu un indicateur officiel et qui n'est pas encore soumis à la loi de Goodhart, celle de l'intensité du recours à l'intérim, reflète sans doute assez bien l'épidémie de blues actuelle des médecins hospitaliers.

Il est urgent de changer le logiciel. Après quarante ans d’érosion continue du système de soins, il y d'autres pistes pour la santé publique que ce rationnement numérisé, inégal et aveugle qui ne sait que déconstruire la solidarité, dégrader la qualité des soins et désespérer les acteurs (Grimaldi, Pierru, Sedel).

Webographie et questionnaire d'évaluation

Petite histoire du numerus clausus et de la régulation de la démographie médicale sur le site de Dominique Dupagne.

2. Le rapport d'Olivier Véran sur l'intérim à l'hôpital (pièce jointe)
L'article des Dr Blouses dans la revue du MAUSS - Qu'est devenu les grand désenchantement hospitalier10 ans après le rapport Couanau?

4. Résultats de l'enquête commune des intersyndicales de médecins des hôpitaux sur les pôles d'activités

5. Baromètre interne de l'AP-HP (site de la CME)

Baromètre social (A. Solom, IPSOS, un diaporama est disponible sur le site de la CME sous ce lien).
"Un tiers des médecins titulaires ont répondu au questionnaire diffusé le printemps dernier : ils aiment leur métier mais beaucoup éprouvent un sentiment de démotivation (manque de reconnaissance, difficultés d’organisation interne, imperfection des moyens à disposition) ; ils expriment un fort sentiment d’appartenance à l’AP-HP et à leur service, mais beaucoup moins aux pôles et aux GH, sur les projets desquels ils se sentent mal informés. Les résultats de cette enquête, qui a coûté 280 k€, ont été mis à la disposition des GH et des pôles pour que chacun puisse analyser ses résultats.

6. Et ailleurs..., la Suisse et le Canada
Le désenchantement croissant des médecins genevois

Revue médicale suisse: difficile motivation - Bertrand Kiefer

Le regard du cinéma québécois sur l'hyper-rationalisation technocratique de ses hôpitaux,avec le texte d'une scène culte des "invasions barbares". Répondez pour terminer à ce questionnaire amusant qui ne sort pas de l'EHESP mais de l'Université de York:

Voici le «monologue» de Pauline Joncas-Pelletier, directrice des hôpitaux alors que Rémy lui demande d'ouvrir un lit dans une aile fermée de l'hôpital, pour y admettre son père atteint d'un cancer.
« C’est formidable! C’est une démarche qui s’inscrit tout à fait dans le contexte de nos programmes de sensibilisation des intervenants familiaux. Mais malheureusement, les mises en disponibilité de nos infrastructures ont été ciblées en fonction des directives du ministère dans le cadre du virage ambulatoire. Alors c’est absolument impossible de prioriser des éléments de solution au niveau du bénéficiaire individuel, hum? […]
Écoutez : il faut que vous compreniez que nos allocations de ressources sont axées sur un mode de dispensation des soins, géré en fonction des paramètres de dépistages identifiés par la table de concertation de la région administrative 0-2 hum? »
Répondre aux questions suivantes!

1. Quel registre de langue Mme Joncas-Pelletier emploie-t-elle ?
2. Dans quel but ce registre de langue est-il utilisé ?
3. Soulignez les termes du jargon administratif que Madame Joncas-Pelletier a utilisés.
4. De quel ministère s’agit-il ici ?
5. Comment appelle-t-on le malade ? l’argent ? les administrateurs ?
6. Qu’est-ce que le virage ambulatoire ?
7. En somme, quelle est la réponse donnée au fils de Rémy ?


"La politique c'est l'art d'empêcher les gens de s'occuper de ce qui les regarde." Paul Valéry

samedi 16 novembre 2013

Médecine et management: les déliaisons dangereuses



"Le management consiste à escalader l'échelle du succès, tandis que le leadership détermine si l'échelle est appuyée contre le bon mur. " Stephen R. Covey, "Les sept habitudes des personnes les plus efficaces"

Typologie des chefs de pôle: des monstres nécessaires


"La main que tu ne peux mordre, baise là et place là sur ta tête" Proverbe libyen

"L'Etat est le plus froid de tous les monstres, il ment froidement et voici le mensonge qui sort de sa bouche: Moi je suis le peuple." Nietzsche.

L'effondrement tranquille de la qualité et de la sécurité des soins 

L'Etat est un monstre, mais c'est un monstre nécessaire. Les libéraux, qui s'en méfient à juste titre, n'ont jamais su délimiter les contours de l'Etat minimal. Ce monstre d'un froid polaire et aujourd'hui aux abois crée inlassablement de "nouveaux monstres" qu'il faut considérer comme tout aussi nécessaires, en attendant mieux, mais il nous faut les domestiquer, en limiter la nuisance. ainsi en va-t-il de tous les improbables satrapes issus du Nouveau Management public et de ses représentations numérisées de la santé, comme les chefs de pôles d'activités à l'hôpital.
Tremblez, amis patients, car ce monde où vous entrez, quand vous croyez encore que le médecin à qui vous faites confiance contrôle l'organisation et la qualité de vos soins, est celui où est née et a grandi une des plus grandes incuries managériales que le management public ait jamais porté, au détriment d'un système qui était, qui reste encore par bien des aspects mais pas partout, l'un des plus fiables et l'un des meilleurs du monde. Jusqu'à quand? N'en déplaise aux niaiseries de ce président du CISS qui avait tant soutenu la loi HPST, l'hôpital est avant tout malade d'un management instrumentalisé par des arrières-pensées économiques et politiques, largement supra-nationales. Il faut d'urgence cesser de penser et de véhiculer que le pire ennemi du patient est son médecin. Le pire ennemi du patient c'est le rationnement des soins déguisé en rationalisation gestionnaire, qu'on tente de masquer par les clowneries à un fric fou de l'ANAP, pour ne citer que cette agence parmi d'autres instruments de propagande.

La fausse bonne idée et le silence des agneaux

Nul doute qu'il nous faut des chefs de pôle puisqu'il sont été créés. Il fallait bien que des collègues se chargent de ces départements réunissant de multiples disciplines, assemblées autoritairement le plus souvent dans l'amateurisme total et rationalisé ensuite. C'est que tout cela s'est fait "en ne voulant voir qu'une seule tête", sous injonctions autoritaires, allant jusqu'à imposer le dogme dans la très brejnevienne AP-HP de créer des pôles à cheval sur plusieurs hôpitaux très éloignés mais  constitutifs de ses Groupes hospitaliers ubuesques, aussi énormes qu'ingérables et tueurs de motivations au quotidien. Dans le silence général des agneaux, hormis quelques soubresauts d'irréductibles résistants, les changements de Direction Générale et de président de CME furent à chaque fois la redécouverte bien déniaisante que l'herbe plus verte qu'on nous promettait n'était que du gazon artificiel.
Dans une stratégie du "glaive et du bouclier", ou si l'on préfère, du négociateur et du porte-flingue, certains d'entre nous doivent absolument participer à ce système d'organisation en pôles, tout en sachant qu'il écarte résolument des processus de décision et d'information tous les professionnels dont les responsabilités se situent au dessous de ce niveau de gouvernance. La récente enquête des intersyndicales de médecins des hôpitaux sur les pôles, alors que l'establishment, allié aux conférences de présidents de CME et aux fédérations refusait de consulter les médecins, est sans appel. Les conséquences pour les malades sont désastreuses comme en témoigne l'article collectif des Dr Blouses, "l'hôpital malade de l'efficience".

De la destruction des compétences à l'amnésie organisationnelle

Chaque jour les équipes fragilisées désapprennent un peu plus à travailler ensemble, les mécanismes auto-régulés de prévention des risques dans les collectifs professionnels autrefois bien rodés s'effritent dangereusement dans la confusion idéologique entre le "métier" et la "fonction" d'un individu au sein d'un équipe de soins.  C'est que cette confusion mentale sous-tend le mythe, essentiel à toute politique de rationnement, de la gestion centralisée des "ressources humaines" à l'hôpital, voire de leur "ré-ingénierie" dans le système de santé. Les conséquences restent d'importance très variables selon les inégalités de dotation et les restructurations, rendues toujours plus opaques en situation de raréfaction des ressources. On lira avec profit le livre de Paule Bourret "prendre soin du travail" qui montre comment l'emprise croissante du management centralisé des ressources humaines dans l'organisation des soins produit une destruction des compétences d'équipe tout en le rendant invisible.

Tous les hôpitaux sont égaux mais certains sont plus égaux que d'autres. Voilà une des raisons pour lesquelles les agneaux de la si orwellienne ferme hospitalière* restent collectivement muets, guettant l'opportunité de la survie et les effets d'aubaine.
On sait qu'en France ce "niveau de gouvernance" par les "résultats"  n'a pas été déterminé selon les règles du bon management mais selon les pires errances du couple cost killing et du reporting mis entre les mains d'apprentis sorciers. C'était une des fonctions majeures de la T2A. Il fallait avant tout casser les résistances des professionnels, les dresser les uns contre les autres, disqualifier en archaïsme organisationnel et en corporatisme leur vision de la qualité des soins et de l'intérêt individuel du patient. Cette approche humaniste devait être combattue car radicalement opposée par nature aux pulsions utilitaristes des politique publiques de santé en quête d'ajustement. A l'évidence, comme le noterait un étudiant en MBA de première année, on a ignoré la plupart des notions clés qu'il aurait fallu considérer en santé: l'organisation créatrice de connaissances, la place des praticiens réflexifs (Argyris,  Schön, Senge), la filière intégrée ou "chaîne de valeur" (Michaël Porter), les compétences fondamentales de l'organisation (Mintzberg, Ouchi, Hamel et Prahalad), l'évitement nécessaire des filières industrielles inversées (John K. Gabraith). Une filière "centrée patient ", ce serait tout le contraire du bed management et du déstockage incohérent des patients au détriment des "parcours" centrés sur le résultat clinique pour le patient, les "microsystèmes" au contact du public (James B. Quinn), et enfin sans prétendre être exhaustif, la gestion des risques, la vraie, telle que l'évoque Christian Morel dans les décisions absurdes (1 et  2).

Ainsi nous avons créé encore et encore de nouvelles couches au déjà si stupéfiant et si coûteux mille-feuille bureaucratique français, gérées par les nouveaux monstres:  les directeurs d'ARS, de titanesques groupes hospitaliers "Titanic" et les chefs de pôle. Mais répétons le, ils sont aujourd'hui, quoiqu'on en pense des monstres nécessaires tout comme l'Etat léviathan de Hobbes.
Si l'objectif était de tuer l'organisation en se prosternant devant le veau d'or de la "destruction créatrice" et en prétendant la maîtriser, il est en passe d'être atteint. Pour mettre quoi à la place?

Les chefs de pôle: proposition d'idéaux-types

On sait que le fonctionnement des pôles d'activité ne dépend que très partiellement de leur chef. Ceux-ci n'ont pas beaucoup de pouvoir, surtout depuis la loi HPST. Tout comme son nouveau maître, le directeur d'hôpital, le chef de pôle à la française est un tyranneau impuissant vers le haut et tout puissant vers le bas. Il a cependant, faute de délégations réelles de gestion, encore beaucoup moins de pouvoirs que le directeur d'hôpital lui-même placé aujourd'hui sous les fourches caudines de l'agence. On trouvera bien sûr ça et là dans l'hétérogénéité des situations françaises quelques pôles qui fonctionnent bien et aussi de "bons" chefs de pôles. Mais dans la majorité des cas, le pôle sert essentiellement à épaissir la pyramide bureaucratique et à constituer un écran assez opaque pour déployer les nouvelles méthodes de comptabilité et de contrôle de gestion, alors qu'il aurait pu s'agir d'un véritable niveau de gouvernance médicalisée. Les couches du nouveau mille-feuille sont traversées de nouveaux "tuyaux d'orgue" puisqu'on a aggravé le cloisonnement en "boite à œufs" professionnelles qui ne doivent pas se toucher entre médecins et paramédicaux. Seul l'exécutif de pôle (médecin chef de pôle qui ne connaît pas la plupart du temps les disciplines médicales qu'il coordonne, cadre paramédical et cadre administratif de pôle), assure officiellement la coordination, pour la plus grande désorganisation des unités de soins où l'on ne sait plus concilier flexibilité et fiabilité. Seul compte le rationnement et sa dissimulation. Il n'a jamais été réellement possible, sauf exception toujours montée en épingle, de favoriser comme il fallait le faire l'intégration entre les tuyaux d'orgue différenciés des disciplines et jamais la coopération entre professionnels de santé n'a été si difficile. "Tout est contrôlé mais plus rien n'est sous contrôle" (François Dupuy). Tout le monde obéit mais personne ne commande. Il n'y a plus de pilote réel dans des équipes de plus en plus désintégrées, là ou les semi-habiles des cabinets de conseil, si grassement payés au détriment des effectifs soignants n'auront jamais compris le danger de rompre le fragile équilibre entre fiabilité et flexibilité.  Jamais les parcours de soins n'ont été aussi chaotiques du fait de l'affaiblissement constant des réseaux "d'en bas" et des collectifs de travail par les technocrates à courte vue, qu'on envisage d’ailleurs de payer au rendement.
A la fragmentation s'est ajoutée la fragmentation. L'hôpital public n'a plus de vrai pilote depuis longtemps en dehors des injonctions myopes de la maîtrise comptable. 
Pour finir, la configuration polaire à la française n'a été qu'un immense processus de glaciation du management hospitalier et n'aura servi qu'à éloigner l'immense majorité des médecins hospitaliers et des cadres soignants de la gestion et des processus de décision tout en prétendant le contraire. La perte de sens est au rendez-vous. La rhétorique managériale la masquera derrière la prise en compte des risques psycho-sociaux. Exit les vrais déterminants de la souffrance au travail, cachés derrière le même voile d'ignorance volontaire que les déterminants socio-environnementaux des hospitalisations.

Le fonctionnement d'un pôle dépend surtout de la trop rare cohérence médicale du pôle, du mode de financement, de la réglementation et de la gouvernance, beaucoup plus que d'un faux management qui n'est pas réellement un quand le dit "chef" ne connaît pas de façon intime les procédés de travail de disciplines très hétérogènes et trop souvent assemblées en dépit du bon sens. Nous proposons ici une petite typologie des chefs pôles. Il s'agit de faciliter la résistance aux enceintes mentales mises en place par l'éthiconomie managérialiste et sa démocrature sanitaire. La réalité est toujours un hybride des idéaux-types qui en soi ne sont ni purs, ni impurs, ni bons, ni mauvais. Ils peuvent juste servir de grille de lecture.

« Il n’y a qu’un seul moyen de tuer les monstres : les accepter » Julio Cortázar


1. Le mandarin


Il a son bâton de maréchal. Soucieux de préserver sa place au ciel ou au moins sa renommée, il peut être enclin à une forme d'altruisme. Il pourrait paraître peu dangereux s'il ne risquait de camper sur des valeurs devenues inopérantes.
Il peut ainsi être très dangereux s'il cultive le mépris si fréquent dans l'aristocratie républicaine des parties prenantes non titrées, issu dans sa version récente du modèle des CHU de 1958. Ce modèle, si fécond au début est aujourd'hui terriblement obsolète. S'il est atteint d'un excès de suffisance, comorbidité fréquemment associée à l'hospitalo-centrisme, le mandarin qui croit qu'il n'en est pas un est souvent "à la fois suffisant et insuffisant", pour paraphraser Talleyrand.

2. Le politique


Il attend sa promotion à de plus hautes fonctions médico-gestionnaires et soigne son CV pour sa future carrière. Il est peu dangereux si vous êtes protégés par d'autres, car il ne fait pas grand chose sous son mandat. Il peut vous aider si vous servez ses intérêts et adhérez à son clan. Vous pouvez aussi choisir de vous associer à son ascension. Ne vous hasardez pas à trop l'agacer avec des demandes que vous ne savez plus à qui d'autre adresser.

3. Le prédateur

Il a le pouvoir et juste le temps d'étendre son empire au détriment des autres activités. Il est là pour cela et est de ce fait très dangereux et sans pitié pour les faibles. Faites vous protéger de toute urgence ou fuyez. Vous pouvez aussi guetter les effets d'aubaine et les dépouilles du malheureux voisin. Rappelons que tout ceci se fera sans aucune considération pour les besoins de soins, ceux-ci étant désormais sous la responsabilité de l'agence régionale, les gestionnaires médicaux et administratifs de l'hôpital sont sommés de s'en laver les mains. Ne vous hasardez pas à évoquer les besoins de soins d'un territoire, ce discours suffirait  à vous disqualifier. Le SROS-PRS veille sur vous; dormez et faites confiance.

4. Le gestionnaire

Il est acquis aux croyances du management officiel dont il est un bon et loyal serviteur. Il s'est proposé pour suivre les modèles en vigueur et se prend pour un capitaine d'industrie, un gestionnaire de portefeuilles d'activités. Il ne croit qu'à votre performance et à la matrice du Boston Consulting Group. Il y a des unités stars, des unités vaches à lait, des unités points d'interrogation et des unités poids morts. Très dangereux. Soignez vos indicateurs et vous survivrez.

Il nous faut pourtant des chefs de pôle et je ne crois pas à la politique de la chaise vide. Mais gardons nous bien des matons de Panurge et ne soyons pas dupes.

Le système formé par les managers de santé et leurs créatures polaires, cette triste alliance des intégrateurs bureaucratiques et des faux marchands mal régulés que nos élus et leurs experts ont mis à la tête des nouvelles divisions de la production hospitalière n'a-t-il pas encore assez montré son talent d'incompétence?

«La volonté de renoncer à son indépendance, de troquer le témoignage de ses sens contre le sentiment confortable mais déformant la réalité, d'être en harmonie avec un groupe, est l'aliment dont se nourrissent les démagogues.» Paul Watzlawick

L'Etat prédateur contre les professions: la T2A, ou la gestion des soins de santé à portée ds caniches

La T2A n'est ni bonne ni mauvaise en soi, c'est avant tout un outil de management qui, pour paraphraser Céline,  met la gestion des soins "à portée des caniches". Elle ne prend son sens qu'étroitement intriquée au management stratégique "d'en haut", à cette gouvernance bureaucratisée et démédicalisée par la loi HPST et à un faux système de performance fondé sur des indicateurs myopes. Elle feint d'associer les usagers contre le bouc émissaire médical alors qu'elle en fait un "client", paradoxalement bras armé des réformes comme il est devenu le bras armé de l'actionnaire dans la gouvernance d'entreprise.  Deux mythes principaux sous-tendent le modèle officiel. Machiavel n'y croit guère, mais il permet aux politiques d'enfumer le rationnement inavouable derrière la rationalisation:

1. le mythe jacobin d'une science positive de la santé publique qui justifie la "direction par objectifs" et la "gestion par les résultats", l'inscription des politique publiques de santé dans le cadre de la LOLF. Le management au service de "l'Etat stratège" décrit alors une "fonction de production" de l'action publique qui se donne pour objectif la santé - "Bien-être". Cette fonction pourra alors se décliner jusqu'au niveau micro-économique en transformant toute la régulation en systèmes d'incitatifs pour les "producteurs" asservis. C'est le retour de Le Chapelier et de la haine des professions. Cette production là est un modèle systémique et totalitaire plus que marchand. La nouvelle santé se confond avec le bonheur des peuples , objet de la politique depuis Aristote. Machiavel utilitariste qui met en avant l'intérêt d'une population  l'emporte sur Hippocrate humaniste qui défend l'intérêt du patient qui lui a fait confiance. Le médecin est devenu un "agent double" entre le directeur et son patient.

2. le mythe de la concurrence efficiente appliquée aux soins de santé
Le mythe de l'idiot rationnel égoïste et calculateur est appliqué sans limites aux professionnels de santé et l'on privilégie les incitatifs extrinsèques prévus par les économistes orthodoxes au mépris de motivations intrinsèques. Seuls les managers intermédiaires formatés par les écoles officielles dites de "santé publique" semblent y croire vraiment.

Les analyses critiques de la loi HPST y voient tantôt les défaillances du marché et tantôt le défaillances de la bureaucratie. Ce qu'il faut y voir c'est l'alliance d'un Etat qui se fait prédateur de ses services publics et du marché. Le marché profite de ses dépouilles lorsque les Etats prônent non seulement des pseudo-marchés internes à l'organisation (T2A) une vraie marchandisation (offre de soins et assurances maladie) mais n'est pas l'initiateur du mal.
Le mal est sans doute que les élus promettent plus qu'ils ne peuvent tenir, font de mauvais choix dans le cadre du "marché politique" (problème des courbes d'indifférence, des bénéfices concentrés et coûts diffus), alors qu'ils sont soumis à des injonctions délétères des organisations internationales leur laissant très peu de marges de manœuvre?

Voir le communiqué du MDHP: changement de pilote ou changement de gouvernance?

Au delà de la gestion calamiteuse de l'AP-HP, voici mon petit complément au communiqué du MDHP, que je partage.

Le management public est aujourd'hui en guerre contre les professionnels, en particulier mais non exclusivement contre la médecine. Cette guerre n'a pas toujours existé sous cette forme et avec cette intensité.

Le management est en soi une bonne chose si c'est un ensemble de recettes applicables, sans modèle unique, pour gérer son ménage, son organisation ou son pays. Le "no best way" d'Henry Mintzberg doit s'imposer face au "one best way" taylorien.
Considéré comme tel, comme livre de recettes qui peuvent marcher en de bonnes mains ou comme bon couteau suisse, le management gagne à s'appuyer sur l'économie, la théorie des organisations, la sociologie des organisations de professions, du travail et de l'action publique, l'anthropologie, la sémiotique, etc. etc.

Le problème vient de l'instrumentalisation du management par les politiques publiques dans un contexte de rationnement régulé par les institutions internationales, par les appareils idéologiques de santé et par les divers coalitions qu'ils représentent. Chacune des coalitions cherche à contrôler l'agenda politique pour favoriser sa survie, son expansion et son contrôle de l'environnement.

1. Les liens entre médecine et politique ont toujours été à la fois complexes et tendus.
Dans l'antiquité, la médecine hippocratique a pu servir de modèle aux constructions philosophiques sur les rationalités chez Platon et Aristote. Le médecin est toujours en opposition avec les sophistes et les charlatans. Platon signale la supériorité dangereuse, en de mauvaises mains, de la rhétorique sur le discours médical pour convaincre le public. Pour bien soigner, le médecin devrait avant tout maîtriser la rhétorique.

2. Le management public français est issu "à l'époque du règne de Philippe le Bel de la captation, au bénéfice de la monarchie naissante, des structures du Droit canon, droit de l'Eglise et du sacré" dont les experts ont tiré la légitimation originelle du "service public" au départ sous la responsabilité de droit divin du roi, puis de l'Etat républicain.

3. La révolution supprime le droit divin mais garde l'essence quasi religieuse du service public, sous la nouvelle légitimation du "positivisme scientiste" jacobin. Ce modèle n'est sans doute pas seulement français et on doit peut-être le considérer pour les autres pays de culture latine notamment dans la perspective de l'organisation rationnelle légale de Max Weber.
Signalons que l'ALASS s'oppose ainsi à une vision trop anglo-saxonne de l'organisation des systèmes de soins, fondée notamment sur l'économisme des contrats, des coûts de transaction et la théorie de l'agence.
Après l'épisode de fermeture des facultés de médecine en 1793, l'enseignement de la médecine et la réglementation de son exercice seront rétablis.

4. La dernière étape correspond à l'intervention des sciences humaines dans l'action publique (Patrick Gibert), à la substitution progressive de l'expertise des sciences sociales et de l'ingénierie aux choix politiques dépendants des parlements.
« la technologie de l’action publique, c’est la maîtrise des sciences sociales et non celle du droit ». Patrick Gibert.  L'impact majeur de cette révolution managérialiste sur la régulation est soulignée par Kervasdoué: 
« Tout mécanisme de régulation est une théorie du changement social.» Jean de Kervasdoué. Machiavel dispose enfin d'un arme de destruction massive contre l'autonomie de médecins qu'il peut soumettre au "Prince".
Le "nouveau management public" se traduit à la fois par l'extension du pouvoir des experts, par la définition d'une "double fonction de production" de l'action publique et par l'introduction de mécanismes de pseudo-marché dans des secteurs non marchands, sous la pression de l'économisme et des institutions internationales. Ce dernier associe le mythe de "l'idiot rationnel" d'Amartya Sen à celui du libre marché efficient. Le poids des néo-conservateurs américains se traduit par le remplacement d'un libéralisme économique fondé sur le libre échange par ce qu'on nomme parfois "néo-libéralisme" fondé sur la concurrence encadrée par l'Etat dont la seule fonction acceptable serait de réguler le terrain de jeu du marché.

La pyramide bureaucratique : la quintescence du mal hospitalier


Après ce préambule revenons à la catastrophe managérialiste qui a frappé les hôpitaux français. L'ampleur du drame de l'AP-HP n'est lié qu'à l'effroyable épaisseur de sa pyramide qui aveugle ses dirigeants par l'incapacité induite de la moindre remontée du travail réel de terrain.
Un hôpital normal, à taille humaine (peut-être de 200 à 600 lits?),  permettait à chaque médecin, chaque cadre et presque chaque agent qui le souhaitait de rencontrer régulièrement le directeur, le président de la CME, le coordinateur général des soins des soins pourvu qu'ils ne restent pas enfermés dans leur tour d'Ivoire, pourvu aussi que les managers ne changent pas tout le temps en invoquant l'héritage. La théorie des jeux enseigne qu'on ne peut pas aisément trahir deux fois au même endroit.

Comment ce grand gâchis des compétences hospitalières a-t-il été possible? Comment a-t-on créé si vite ce que le bon management nomme "talent d'incompétence" et "amnésie organisationnelle"? Qu'est -ce qui a entraîné le grand désenchantement hospitalier signalé dans le rapport Couanau? Comment a-t-on pu laissé monter en généralité exterminatrice la part de vérité incontestable du constat que l'hôpital était devenu une "bureaucratie au service de ses agents" (Kervasdoué: "l'hôpital vu du lit"), à coté de cette autre part de vérité fondée sur le constat que la véritable efficience, la qualité et la sécurité reposent sur des équipes autonomes, reconnues, stables, soudées par des objectifs partagés, formées et motivées? Qu'est ce qui fait que les médecins et les autres soignants ne se reconnaissent aujourd'hui ni dans les valeurs, ni dans les missions, ni dans la vision des nouveaux "entrepreneurs de morale" et de "responsabilité populationnelle" de santé?

Genèse de la grande gidouille sanitaire


Cette grande gidouille managériale de santé, l'AP-HP n'en était que le laboratoire d'essai, le préfigurateur exquis aurait peut-être dit Alfred Jarry à la vue de sa calamiteuse gestion. Ce grand laboratoire de recherche 'pataclinique appliquée tient surtout à la mise en place des sept étages de la nouvelle pyramide ap-hpienne, si bien décrites dans leur fonction de dérèglement - aveuglement général par Bernard Granger (l'AP-HP dans la tempête). Notons sans surprise que certains de groupes hospitaliers trouvent encore moyen de rajouter des intermédiaires, sans doute dans le but d'accélérer la décomposition. En voici les étapes:

1. La maîtrise des dépense de santé induit un rationnement des soins source d'inégalités croissantes et de menaces sur une santé accessible et solidaire

2. Les élus promettent plus qu'il ne peuvent tenir pour être réélus et ne peuvent avouer que la crise de l'Etat providence encadrée par l'OCDE et le droit européen ne peut les conduire qu'à augmenter des inégalités insupportables dans l'accès aux soins.

3. Le management a été confié à un corps de directeurs, une "profession de l'état providence"** qui s'est constituée en fédérations de "managers de santé" et qui a écarté systématiquement les médecins de la direction des établissements et des agences. En arroseur arrosé, ce corps prend aujourd'hui de plein fouet la guerre à outrance contre le management entreprise par la corporate governance. La gouvernance d'entreprise est avant tout une théorie de la reprise de contrôle des managers par les payeurs (actionnaires ou gouvernement).

4 La grande mutation de l'action publique: de l'organisation légale rationnel au pouvoir des experts
L'action publique est aujourd'hui fondée sur une rationalité systémique que nous pouvons résumer ainsi. Intégration des fonctions de production des entreprise et service à une "double fonction de production" de l'action publique (Patrick Gibert). Cette fonction repose sur le postulat d'une rationalisation générale de l'action publique. Pour certains il s'agit de la généralisation aux sciences humaines de la notion de positivisme scientiste d'Hayek dans son célèbre texte sur l'Ecole Polytechnique. En pratique la LOLF ferme les enveloppes et les soumet à la double logique de la bonne vieille direction par objectif (Peter Drucker) et de la gestion axée sur les résultats, qui repose sur une réorganisation divisionnelle (Mintzberg). Les pôles à la française, pour peu qu'ils aient eu une véritable délégation en centre de résultats et non seulement de coûts, auraient été la parfaire illustration de la transition d'un organisation professionnelle à une organisation divisionnelle axée ici sur de pseudo-résultats.
(Note nous n'excluons pas que des pôles intelligents et médicalisés dans leur conception auraient pu apporter une amélioration au regard des micro-services dont la balkanisation n'était pas justifiée par la protection de compétence clés. Hélas l'organisation polaire et caporalisée à la française n'a entraîné un gel accéléré de la banquise managériale).

5 L'état providence en crise part en guerre contre les professions et s'allie avec le marché (offre de soins, cabinets de conseil, information médico-économique et assurances, liste non exhaustive)

Les professionnels, en particulier les médecins, ont été identifiés par l'action publique et les "professionnels de l'Etat providence" ont dès lors été considérés comme le principal obstacle à l'innovation organisationnelle. C'est que le directeurs, qui se considèrent comme les représentants du "bien commun" ont été transformés en "agents" sous contrôle quasi hiérarchique des "principaux" des agences selon la théorie du même nom. Cette évolution crée une crise majeur entre administration et le corps médical qu'on a progressivement éloigné de la gestion avec une accélération dramatique lors de la mise en place des pôles, hormis quelques positions qui sont dans la plupart des cas plus des simulacres que des positions de coordination réelles . 
Personne ne peut être contre le changement qui est selon Héraclite la chose la plus permanente qui soit, mais cette "innovation disruptive", qui a pour objet de "sidérer" les acteurs est fondée sur un modèle désastreux de faux résultats,  les "groupes homogènes de malades". Ces résultats myopes, qui ne prennent en compte que très peu des véritables déterminants des hospitalisations et des coûts réels induits par le soins, impactent toute la réorganisation des activités. La réorganisation ignore les compétences clés des organisation soignantes qu'elle détruit, et ne se fonde que sur le marketing et les business models issus de l'analyse de ce pseudo-marché.
La T2A n'a pas que des défauts. Tous les modèles de financements sont mauvais, ne doivent être considérés qu'au regard de l'alignement des niveaux de gouvernance voulus par l'action publique. La T2A met bien la gestion des soins "à portée des caniches ", d'où une grande partie de son succès, en dehors des quelques naïfs qui croient encore qu'il s'agit d'un vrai marché.

Dans les CHU persiste une logique d'organisation universitaire la médecine scientifique négociant sans cesse avec la médecine gestionnaire et le management une reconfiguration de ses prérogatives. Ceci se fait conformément aux observations de Freidson au détriment d'une catégorie de cliniciens de  base devenus simples producteurs de processus conçus ailleurs dans une version modernisée des bureaux de méthodes de Taylor, matinée de toyotisme et bien empaquetée par la sophistique managériale.

Ce n'est qu'après cette longue explication, après avoir rappelé qu'une entreprise qui ne sait identifier, valoriser et développer ses compétences fondamentales est morte, ce n'est qu'après avoir encore insisté sur l'implication nécessaire des médecins dans la gestion dès le premier niveau de gouvernance, c'est à dire le collectif de soins au contact du patient qu'il sert, que je me permets de diffuser ce billet d'humeur et de réflexion sur les chefs de pôle à la française.

Ceux d'entre eux que j'estime et ils sont très nombreux, car nul ne peut pratiquer la politique de la chaise vide même dans un milieu managérial aussi ubuesque et hostile aux médecins, me comprendront et me pardonneront.

"Ce que l'on croit ou espère nécessairement vrai ou juste revient toujours comme vérité éternelle après être passé à travers le système digestif de l'ordinateur." Paul Watzlawick



"Si la liberté de parler reste à l'abri des formes grossières de contrainte, on assurera l'uniformité d'opinion par un terreur morale que sanctionnera sans restriction la pruderie sociale." 
Charles Sanders Peirce "Comment se fixe la croyance". 1878


*Allusion et citation adaptées de "la ferme des animaux" de George Orwell
** Une profession de l’État providence, les directeurs d’hôpital. François-Xavier Schweyer