jeudi 22 mai 2014

Quand l'art de la médecine se perd dans l'art de subsister



Les documents


1. Tarifs journaliers des hôpitaux : des écarts considérables « inadmissibles », dénonce une enquête

2. A l'hôpital, des frais opaques et inégaux facturés aux patients

3. Arrêté n °2013137-0005 signé par Directeur général de l'agence régionale de santé de l’île de France le 17 Mai 2013 Agence régionale de santé Tarifs journaliers de prestation 2013 APHP

4. L'hospitalisation d'un émir relance le débat sur l'accueil de riches patients étrangers LE MONDE - 19.05.2014 à 10h37

5.Tarifs journaliers pour 2013, établissements publics et privés non lucratifs en Île-de-France. Le fichier existe en format Excel, vous pouvez essayer de le demander à l'ARS- Île-de-France ou aux Fédérations d'établissements.


6. T2Amours, mon pays et Paris




Le commentaire



Pour les malades non pris en charge par l'assurance maladie, les tarifs sont négociés entre établissements et Agences Régionales de Santé (ARS), comme l'indique l'arrêté concernant l'AP-HP. 
Professionnels et usagers devraient avoir accès aux données du tableau des tarifs franciliens comme des autres régions, réalisé par les ARS, accessible aux directions d'établissements. Cet accès doit être favorisé dans le cadre plus général de l'accessibilité aux données de santé, clé d'une véritable démocratie.
Pour les étrangers payants, qu'ils soient émirs ou non, ces tarifs journaliers peuvent aboutir à des montants supérieurs à trois fois le tarif "sécu", si l'on considère les tarifs en T2A pour les soins aigus. 
Ils servent aussi de base au calcul du ticket modérateur de 20 % (article du QdM)
Il en est de même pour les SSR si l'on considère le prix de journée recalculé à partir de la DAF, malgré son opacité totale, et notamment pour les hôpitaux de jour.
Les émirs et autres patients payants, y compris ceux réglant seulement le "tiers payant", sont donc bien rentables. Ils permettent de compenser partiellement l'asphyxie financière programmée des établissements publics et privés non lucratifs que ces tarifs journaliers concernent. 
Ce qui serait inacceptable pour les soignants, ce serait de voir cohabiter des soins de luxe pour les malades payants et des soins low cost pour les malades relevant de la solidarité nationale.

Il y a déjà trop de renoncement aux soins, alors que les éthiconomes nous rebattent les oreilles de la surmédicalisation et des gains d’efficience attendus de la réduction des soins, prescriptions et examens inutiles.
La réalité tangible qui émerge de nos constats quotidiens au contact de nos patients, c'est que si l'on réduisait la sous consommation (underuse) avec autant de vigueur qu'on dénonce la surconsommation, les dépenses de santé augmenteraient, même en s'organisant mieux, ce qui supposerait ce stopper le processus de "déconcentralisation" actuel et d'associer les médecins à la gestion dès le niveau "micro". Il faut alors mieux définir les contours de la solidarité nationale et le niveau des recettes nécessaires en se libérant des fausses expertises asservies aux lois des marchés politiques. Science et politique sont deux choses différentes. L'oublier conduit au déni de citoyenneté et de la dépossession démocratique. L'oublier conduit à une hyper-bureaucratie débridée, légitimée par une EBM dévoyée de ses objectifs par les modèles d'économie industrielle qui nous accablent depuis les années soixante-dix, bien cachés derrière une prétendue "démocratie sanitaire" sous contrôle des agences et de l'Etat régulateur.

Nier la demande en ne considérant que la demande induite par l'offre n'a jamais été la solution.
Des agences? Peut-être, mais au service des parties prenantes (stakeholders), usagers, professionnels et payeurs et non au service des seuls payeurs (shareholders), priorité réelle du beau modèle de pertinence de l'OCDE: "Mesure selon laquelle les objectifs de l’action de développement correspondent aux attentes des bénéficiaires, aux besoins du pays, aux priorités globales, aux politiques des partenaires et des bailleurs de fonds."

Esculape vous tienne en joie,

Quelques textes de Frédéric Pierru pour comprendre les paradoxes de la loi HPST


Frédéric Pierru - Réforme du financement de la santé: la raison politique prime sur la raison économique
La réforme du système de santé vise avant tout à préserver des équilibres politiques qui s'inscrivent dans la longue durée


LE MANDARIN, LE GESTIONNAIRE ET LE CONSULTANT (enfin en ligne!)
Le tournant néolibéral de la politique hospitalière Frédéric Pierru - Le Seuil; Actes de la recherche en sciences sociales 2012/4 - n° 194 pages 32 à 51


L'«hôpital-entreprise» Une self-fulfilling prophecy avortée


Hospital Inc. Le secteur hospitalier à l’épreuve de la gouvernance d’entreprise - Frédéric Pierru


Napoléon au pays du Nouveau Management Public. Frédéric Pierru. L'exemple de la "déconcentralisation" de la politique de santé

dimanche 11 mai 2014

Abrégé de décomposition sanitaire: les paradoxes de la loi HPST


"La rhétorique managériale finit même par adopter des formulations à ce point vide de contenu qu'elles n'ont pas de contraire. Avoir l'ambition d'être un leader est engageant, mais qui souhaite adopter la posture du suiveur? Etre le champion de l'excellence est sans doute motivant mais qui rêve d'être celui de la médiocité? Non seulement les mots mais aussi la parole perdent leur sens, générant chez ceux qui écoutent cynisme et désarroi." François Dupuy "La fatigue des élites

« Ne confondons pas «patient centred» avec «client oriented». Etre centré sur le malade, pour la médecine, n’est pas une stratégie. C’est la condition de son existence, la démarche d’où elle émerge : son origine.» Bertrand Kiefer, revue médicale suisse.


Entre la main invisible du marché et la main trop visible de l'Etat, il y a "ce que sait la main", qu'on a trop longtemps ignoré

Nous débutons ce florilège par deux texte de Jean de Kervasdoué. Ils permettent de comprendre pourquoi personne n'est vraiment prêt à toucher à la loi HPST, les libéraux y voyant la promotion de la main invisible du marché et les républicains celle bien trop visible de l'Etat. Nous poursuivons avec quelques autres textes qui illustrent pourquoi cet immobilisme provoque une fuite en avant dans le management public le plus destructeur qui soit. Les politiques publiques "macro" sous forte contrainte d'ajustement retentissent inévitablement sur le méso-management des établissements et sur les micro-systèmes fragiles que sont les équipes de soins. La destruction des savoirs professionnels qu'ils soient individuels ou collectifs est en marche (figure 1). Les pertes de chances pour les patients sont l'effet de choix tragiques  rationalisés par les politiques publiques que l'on demande aux médecins et au delà à tous les soignants d'assumer (figure 2).


3.L'ennemi interne de Jean Claude Desforges  ou le blues du directeur d'hôpital: Texte paru dans " Hôpital et Territoires" écrit par un ancien directeur.

4. HÔPITAL: La réorganisation des soins viendra de l'intérieur – NEJM
Comment un tel prêchi-prêcha de comptoir pour MBA de la santé  a-t-il pu s'insinuer au plus haut sommet de l'Etat? Les sophistes et les énarques savaient au moins nous enfumer dans les règles.
(...)"la coopération se construit dans l’amont de la rencontre avec le patient".
"Il s’agit de mettre au travail des soignants rompus à l’exercice singulier, sur un amont de cet exercice qui est de niveau organisationnel et de les amener à questionner leurs pratiques en se confrontant à d’autres modes d’exercice que le leur et à d’autres façons de répondre que la leur"

6. "A Doctor's Declaration of Independence"
It's time to defy health-care mandates issued by bureaucrats not in the healing profession." (Une tribune du Wall street journal du 28/04/14)

7. Chine: comment produire des statistiques fiables (la question des Etats quantophréniques)
Rappelons à cet égard la loi de Goodhart qui s'applique à chaque niveau de gouvernance (macro, méso et micro).
"As soon as the government attempts to regulate any particular set of financial assets, these become unreliable as indicators of economic trends." 
Ou plus simplement "Quand une mesure devient un indicateur, elle cesse d'être une mesure".

8. Une profession de l'Etat providence: le directeur d'hôpital.  François-Xavier Schweyer

9. Loi HPST: l'entrée dans le paradigme du tout incitatif en question. Elsa Boubert
Pour comprendre 



13. L’avènement de la gestion par pôle Dernier avatar de la lutte de pouvoir à l’hôpital? Robert Holcman

14. Le mandarin, le gestionnaire et le consultant Frédéric Pierru.  

Une explication sociologique de la "trahison des clercs"- Retour sur une mobilisation improbable : l’action collective des hospitalo-universitaires contre la réforme de l’hôpital public



jeudi 8 mai 2014

Des défaillances du méso-management ou vers l'irresponsabilité sociale de l'entreprise hôpital


Servitude 2.0: quand le constructivisme social rencontre la responsabilité sociale des entreprises


« Je ne cesse de le répéter depuis deux ans : nous les Entrepreneurs, nous pouvons être à ce siècle encore tout jeune, ce que les instituteurs ont été à notre IIIè République. L’école était chargée de former le citoyen, c’est à l’entreprise aujourd’hui de lui apprendre le nouveau monde. Les instituteurs étaient les messagers de l’universel républicain, les entrepreneurs sont aujourd’hui les porteurs de la diversité de la mondialisation. Les instituteurs détenaient la clé de la promotion populaire. Nous, les entrepreneurs, nous sommes les moteurs de l’ascension sociale. Comme eux, nous devons contribuer à rendre le monde lisible. » Laurence Parisot. (L’entreprise comme nouveau modèle éducatif : quels enjeux, quelles conséquences ?)


Les documents :


1. Le manager intermédiaire ou la GRH mise en scène. Anne Dietrich

2. Gestion par les compétences et nouvelles formes d’organisation du temps et de l’espace. Valérie Devos Laurent Taskin.


Le commentaire :


Cet article bien documenté décrit la cadre du management intermédiaire et comporte une analyse critique intéressante de la gestion des ressources humaines. Il nous laisse aussi sur notre faim et nous amène à nouveau au constat que ces concepts s'appliquent toujours très mal aux organisations hybrides, «professionnelles», par nature très décentralisées horizontalement et verticalement comme l'hôpital ou l'université. Il s’agit de celles où, au sens de Mintzberg, les professionnels sont les experts.

Pour juger du bon usage des outils du management dans les systèmes de soins, il faut distinguer les finalités de rationnement «d'en haut» de l'habillage rhétorique manipulé par les «professionnels de l'Etat-providence», en quelque sorte « de droit divin ». 
  • La Gestion des Ressources Humaines (GRH) défend les objectifs du top management en prétendant défendre les employés. Elle vise à internaliser le contrôle de la notion de «compétence» en l'asservissant à la notion de performance interne (outputs myopes) et en la faisant échapper à toute régulation extérieure (aux organisations professionnelles entre autres). 
  • Le contrôle de gestion défend les objectifs du top management en prétendant défendre les « payeurs » et/ou les contribuables qui sont éventuellement en amont. Le modèle, toujours arbitraire, des « objets de coûts » détermine le découpage des « activités » consommées par la « production » et ce découpage détermine la réingénierie des compétences. En comptabilité "il n’y a pas de faits, il n’y a que des interprétations", selon le mot célèbre de Nietzsche. 
  • La bureaucratie de la qualité top down défend les objectifs du top management en prétendant défendre les usagers, d'où «l'effondrement tranquille de la qualité» (Daniel Lozeau). 

Nous avons vu que le management intermédiaire est une des cibles principales du Nouveau Management Public. Les comportements des managers intermédiaires, je pense ici à nos directeurs d'hôpitaux, était prévisible dès lors qu'on en a fait les seuls patrons de l'hôpital mais sous les incitatifs d'agence doublé d’un système hiérarchique.

Le mal qui accable le système de soins, qui détruit aujourd'hui les compétences, la qualité qui compte souvent très éloignée de celle qu’on compte, les motivations et partant l'attractivité, ne vient donc pas uniquement du management, ensemble d'outils qui peuvent être bien ou mal utilisés, mais des politiques macro-économiques et de la «régulation» macro. Elles mettent les managers sous «incitatifs» (HPST a été décrite comme une loi du «tout incitatif») et écartent comme des gêneurs les médecins de la gestion, de la conception même des «activités», en ignorant au risque de les détruire toutes les habiletés organisationnelles, les vraies compétences clés, à la fois collectives mais aussi très largement liées aux disciplines d'exercice, concept dont je concède qu’il reste à préciser. Peut-on nous accable davantage de ce counter-evidence management? Nul ne peut être contre la performance, mais c'est le modèle de performance publique et son mode de contrôle qu'il nous faut interroger.


Il s'agit dans la corporate governance ou gouvernance d'entreprise de protéger les payeurs contre un management jugé irresponsable d'un argent qui n'est pas le sien, idée ancienne déjà présente dans l'œuvre d'Adam Smith. Appliqué à l'action publique ce paradigme impose de construire un «modèle de production». Celui-ci est double, composé du modèle de Fetter de « l'usine à soins », intégré à un modèle «d'impacts» économique et sociaux construit par les sciences sociales à partir du modèle de santé «tout politique» de l'OMS. Celui-ci ne peut conduire qu'à une explosion de l'utilitarisme et à ses inférences politiques. Rien ne permet d'affirmer qu'elle peut être conduite par petite une caste de clercs aristocratiques qui échapperaient miraculeusement aux lois des marchés politiques et s'arrogeraient le monopole du Bien commun. C'est ainsi que le service public de droit divin, dont le principe théocratique d'infaillibilité est issue de l'ancien régime et du droit canon, s'autodétruit à grande vitesse, se fait prédateur de lui-même, certes aidé par le vrai marché qui se régale de ses dépouilles.


Les modèles orthodoxes "macro" étant ce qu'ils sont, guidés par une raison instrumentale hautement limitée, c'est alors que le méso-management ajoute ses propres défaillances en créant des faux besoins, de la sous- qualité fumigène, de la contre-efficience et du non-sens, comme Drucker, Galbraith, Mintzberg et bien d'autres l'ont dénoncé. Mintzberg a toujours suggéré qu'on associe les «professionnels» qui connaissent intimement les «méthodes», les habiletés procédurales, à la gestion. Nulle autorité omnisciente, même soutenue par un reporting 2.0 maquillé en démocratie horizontale et en innovation disruptive, ne garantit celle des experts d'en haut conte des parties prenantes bonnes à asservir, à surveiller et à punir. Je suis plutôt partisan d’un payeur unique et contre la vente par appartements de la protection sociale aux assureurs mais s’il est sans doute souhaitable de réduire le bicéphalisme entre « sécu » et DGOS, n’oublions pas que ce n’est qu’une toute petite partie du problème. On ne peut guère améliorer l'efficience , elle qui serait supportée par un modèle pluraliste, sans en remettre en cause ni les modèles mécanistes descendants ni la gestion macro-économique.


Le problème du méso-management est soit complètement ignoré, soit trop considéré comme la source exclusive du mal quand il faudrait incriminer l'Etat-machine de droit divin à la française et le mythe des pseudo-marchés régulés qu'il utilise actuellement comme arme de destruction massive des microsystèmes cliniques, mais... au profit ou par l'intermédiaire du libre marché? Rappelons-nous l'Evangile selon Sainte-Laurence cité en préambule. Dans la «guerre des dieux» de Max Weber, quel est celui qui se cache derrière la «sainte» et parle par sa bouche? Certainement pas Esculape.


La T2A, a fortiori en laissant libre, voire en encourageant si ce n'est en rendant «obligatoire» (dernières propositions de la FHF) la constitution de collusions et trusts de survie qui limitent d'emblée les effets théoriques de «compétition régulée», a montré qu’elle n'était qu'un moyen de mettre la gestion des hôpitaux «à portée des caniches», pour mieux rationner les soins, en écrasant toute résistance du sens de l'action de la part des professionnels, mais certainement pas un triomphe du marché. Le mythe du marché efficient n'était qu'un prétexte.


La solution? Interdire l'opium aux intellectuels, arrêter de croire au père Noël de la République de Platon, aplatir le Mille-feuille et tenter de se mettre à l'intelligence territoriale en y incluant par exemple et entre autres les professionnels de l'hôpital, les vrais, pas les MBA!

Webographie sur la GRH et la fabrication des compétences


1. Quelques définitions et citations à propos des compétences


2. De la fabrication des compétences


3. A. DIETRICH (2002) «Les paradoxes de la notion de compétence en gestion des ressources humaines», Economie et Sociétés, série Sciences de Gestion, n° 31 (nécessite un compte SCRIBD; sinon voir référence 9: Didier Cazal et Anne Dietrich)

4. Où en est le paradigme corporatiste ?


5. La logique de compétence. Stéphane Haefliger


6. Les enjeux de la logique de compétence. Jean-Pierre Durand


7. Incitations comportementales et environnement - centre d'analyse stratégique


8. Connaissances et compétences - Education le chantier en ruine


9. COMPETENCES ET SAVOIRS : ENTRE GRH ET STRATÉGIE ?


10. La performance comme dispositif de gestion ou la construction sociale de l’insignifiance. Jean-Luc Metzger. en pdf: http://www.cairn.info/load_pdf.php?ID_ARTICLE=RES_134_0263
et
http://www.cairn.info/revue-reseaux-2005-6-page-263.htm


11. L’ensorcelante ambiguïté de « savoir, savoir-être et savoir-faire «. Jean-Jacques Guilbert


12. LES APPROCHES CRITIQUES DE LA « RESPONSABILITE SOCIALE DE L’ENTREPRISE » ET LEURS RETOMBEES OU « RESPONSABILITE SOCIALE DES ENTREPRISES ? »

13. Savoir, Savoir-faire et savoir-être : repenser les compétences de l'entreprise. Thomas Durand


14. Exigences de qualité et nouvelles formes d'aliénation. Sami dassa, Dominique Maillard


15. Savoir-être et compétences (1/2 et 2/2) mercredi 16 janvier 2008, Charlène Durand

jeudi 1 mai 2014

Critique de la bureaucratie compétitive


Prendre soin du travail*: contre le flicage, le fichage et les indicateurs myopes


« L'administration par objectif est efficace si vous connaissez les objectifs. Mais 90% du temps vous ne les connaissez pas. » Peter Drucker

« Une organisation bureaucratique serait une organisation qui n’arrive pas à se corriger en fonction de ses erreurs et dont les dysfonctions sont devenues un des éléments essentiels de l’équilibre. » Michel Crozier

Les documents


1. "A Doctor's Declaration of Independence"

It's time to defy health-care mandates issued by bureaucrats not in the healing profession." (Une tribune du Wall street journal du 28/04/14, transmise par Anne Gervais)

2. Plafonner les dépenses de santé n'a plus de sens (Le Monde, accès limité)
Comment financer la croissance des dépenses de santé ? Brigitte Dormont


3. L'hôpital Robert Debré fichait ses agents

Mais «on peut conformément à la loi suivre l’activité de chaque salarié», plaide Martin Hirsch «pour assurer aux Français que l’argent mis à l’hôpital est bien utilis黫On est comptable de l’activité des personnes qui travaillent à l’AP-HP, vis-à-vis des patients» qui s’y font soigner, dit-il.

Il y a quelques jours, sortait l'affaire des médecins, fichés comme "corrects" en bleu ou "faiblards" en jaune, à l'hôpital Georges Pompidou. Cette fois, ce sont 43 aides-soignants et puéricultrices de la maternité de Robert-Debré qui sont fichés selon leur comportement, révèle Le Canard Enchaîné.

Du côté des médecins hospitaliers, le Pr Bernard Granger juge ce fichier« illégal », « scandaleux » et « diffamatoire ». Selon le psychiatre de l’hôpital Cochin (Paris), d’autres fichiers de ce type suscitent « préoccupations et interrogations » de la communauté médicale. L’hôpital de Brest et les hôpitaux parisiens de Cochin et Sainte-Anne sont cités. Et le praticien de conclure, fataliste : « en réalité, il y en a partout ».
"Que fait l'ARS (Agence régionale de santé), que fait la ministre devant ce flicage aussi illégal que diffamatoire de l'administration hospitalière de l'AP-HP? Auront-elles le front de couvrir ces "outils de management" comme le fait la direction générale de l'AP-HP?", s'interroge-t-il.

5. What managers really do? Henry Mintzberg. Wall Street Journal. 2009

(le "deeming": le management "à portée des caniches")
"Today I think we have much too much managing through information—what I call "deeming." People sit in their offices and think they're very clever because they deem that you will increase sales by 10%, or out the door you go. Well, I can do that. My granddaughter could do that; she's four. It doesn't take genius to say: Increase sales or out you go. That's the worst of managing through information."

6. La surveillance et le people processing (Blog de Pierre Fraser)


7. Hôpital : l’évaluation des médecins par les directeurs est un abus de pouvoir potentiellement dangereux pour les patients et que dénonce le SNAM-HP


8. EVALUER LES MEDECINS SUR DES QUANTITES D’ACTES: CONTRE DES PRATIQUES MANAGERIALES INADAPTEES A L’HOPITAL PUBLIC


9. La déontologie médicale face aux impératifs de marché

"Le contexte normatif marchand, créé par la politique publique, influence la conception d’une activité médicale adéquate. Elle peut donc produire des effets non désirés : augmenter les dépenses et accroître les problèmes d’accès aux soins."

10. Marchandiser les soins nuit gravement à la santé - Revue du Mauss



Le commentaire


La médecine face au cercle vicieux bureaucratique


La déclaration d'indépendance du Dr Craviotto doit être considérée comme une alerte de plus dans un système bloqué et devenu incapable de s'écouter. Mais que faire sans une théorie de l'action, sans une critique radicale du phénomène bureaucratique qui frappe aujourd'hui nos systèmes de santé?

Henry Mintzberg, dans "What managers really do", en bon médecin des organisations, décrit une maladie du management actuel, peut-être une maladie infantile des Big Data, autrement dit de la collecte démesurée de données interconnectées permise par les NTIC et les nouveaux systèmes d'information, qu'il nomme "deeming". On peut traduire ce terme par management à l'évaluation. De nombreux sociologues des organisations dont François Dupuy insistent sur ces maladies du reporting et les méfaits de ce qu'il nomme le  "couple infernal intégration-processus" ("Lost in management")

Rappelons ci-dessous le schéma du cercle vicieux bureaucratique de Crozier - Vous trouverez un schéma plus complexe du cercle vicieux bureaucratique sous ce lien

« Une organisation bureaucratique serait une organisation qui n’arrive pas à se corriger en fonction de ses erreurs et dont les dysfonctions sont devenues un des éléments essentiels de l’équilibre » (Michel Crozier)




Typologie des zones d’incertitudes

Il y a quatre types de sources d’incertitude (et donc quatre grandes sources de pouvoirs) pertinents pour une organisation :

1) celle découlant de la maîtrise d’une compétence particulière et de la spécialisation fonctionnelle
2) celle qui sont liées aux relations entre une organisation et ses environnements
3) celles qui naissent de la maîtrise de la communication et des informations
4) celles qui découlent de l’existence de règles organisationnelles générales


Une variante intéressante





La guerre des dieux et "l'extension du domaine de la manipulation"


«Le médecin n'est pas au service de la science, de la race ou de la vie. C'est un individu au service d'un autre individu, le patient. Ses décisions se fondent toujours sur l'intérêt individuel.» Théodore Fox, ancien rédacteur en chef du Lancet

La raison instrumentale a par nature la capacité d'ingérer ou plutôt d'intégrer tous les concepts: dans le schéma suivant, les "objectifs" peuvent être définis d'en haut et planifiés par le management stratégique, les règles peuvent être définies par les "experts" sans les parties prenantes concernées, les compétences peuvent être définies par et pour le contrôle de gestion comptable et les valeurs peuvent être définies comme valeurs "instrumentales", au service de l'entreprise dont la promotion est pilotée par le management stratégique.
A l'inverse, les compétences peuvent être approchées comme compétences distinctives de l'organisation, source des véritables processus clés et d'apprentissage de nature procédurale et largement implicite, et les valeurs peuvent renvoyer à la "rationalité en valeur" de Max Weber. La rationalité en valeur doit être rapprochée de la rationalité "procédurale", non déclarative. Elle s'oppose à la rationalité substantielle d'un acteur ou d'une organisation supposé capable d'une calcul et d'une prédiction qui pourrait tout programmer à partir des finalités ultimes, transformant ainsi en moyens une succession de finalités intermédiaires. Les résultats de ces micro-processus sont alors transformés en indicateurs dépourvus de sens pour les professionnels. 
La rationalité procédurale (implicite, sous-tendue par des schémas perceptifs et d'action appris "en faisant") est à la fois norme déontologique qui contraint, faute de procédures déclaratives applicables et appropriées à chaque situation, et en même temps "manière de faire" qu'on désire, selon l'état de l'art et "ce que sait la main". Faute d'un chemin prédéfini pour nos décisions et nos malades dans un contexte par nature incertain et contingent, le chemin ne peut se construire qu'en marchant.
Concevoir les hôpitaux comme des chaînes de montage de produits définis par des ingénieurs dans le cadre d'une planification industrielle et se représenter les acteurs du soin comme des idiots rationnels et égoïstes mis en concurrence par des indicateurs myopes, tout cela appartient à un modèle cohérent où tout se tient mais qui ne pouvait conduire qu'à des résultats médiocres, à une gestion contre-performante, qu'il s'agisse de pertinence des soins, d'efficacité ou d'efficience. Elle ne pouvait aboutir qu'à la baisse simultanée du taux de motivation et de la qualité des soins.

Dans le langage de la "guerre des dieux" de Weber, il faut concilier la rationalité de l'action publique, prompte aux dérives utilitaristes et comptables au nom du Bien-être collectif, les rationalité du marché, prompte à ignorer les externalités négatives dans la dynamique du profit et la rationalité prudentielle des médecins et des professions soignantes promptes à ignorer des dérives catégorielles au nom de l'humanisme et du résultat individuel pour le patient qu'ils servent.

On peut dire aussi qu'il faut concilier trois marchés ayant des logiques radicalement différentes: celui des payeurs, celui des talents et celui des bénéficiaires.





Attention les logiciels de la rationalisation managériale mangent tout. Tout concept est un outil qui peut être transformé en buzzword.


La société bloquée. Comment sortir de ces querelles de fous?



Jamais le constat de Marcel Gauchet d'une "querelle de fous" entre "libéraux et républicains" n'a été aussi éclairant. Le cafouillage managérial et marchand qui nous accable dans la version française du Nouveau Management Public est désastreux pour le système de sons, pour les malades et pour tous les acteurs du soin. Face à l'absence persistante d'evidence based policy, face aussi aux défaillances que nous constatons dans l'organisation et la qualité des soins, force est de constater que la compétition régulée repose sur un système aussi artificiel que délétère de "produits" et de catégories du reporting. Ces modèles ont été définis pour servir l'illusion d'une rationalisation instrumentale "d'en haut", dont l'autre nom est cette bonne vieille "direction par objectifs". Elle peut dès lors se gérer par les "résultats"  à courte vue de "processus" dont ont peut économiser les "ressources", autrement dit "faire du chiffre" au moindre coût. Cette rationalisation, qui est en même temps une série d'inférences causales de nature politique servie par les sciences sociales, ne peut descendre que sous la forme d'un managérialisme calculant et comptable. L'alliance avec le marché, le vrai, celui des cabinets de conseil, des gestionnaires de données, des offreurs de soins, des assurances et de l'industrie pharmaceutique n'est que de circonstance. Le marché, mal régulé dans ses externalités, ajoute ses propres défaillances à celles du modèle de production de l'action publique.


  • Aujourd'hui les "républicains" proposent une bureaucratie dé-marchandisée et respectueuse des injonctions et modèles internationaux des programmes d'ajustement structurels
  • Les "libéraux" proposent fidèles à eux-même un marché libre et débureaucratisé sous la régulation d'un Etat qu'ils voudraient minimal mais dont ils n'ont jamais pu penser les limites.
  • Le problème non réglé, le paradigme perdu, c'est que font, savent, apprennent en faisant collectivement et organisent les médecins et professionnels de santé au contact du public. 


Hors des modèles simplistes, Céline dirait "à portée des caniches", de management "bisounours" pour MBA*, cette réalité encore tangible qu'est la relation médecin patient, celle qui donne sens à l'action, ne se réduit à une chaîne de montage des parcours de soins. Elle exclut toute possibilité de tout gérer à partir d'une rationalité instrumentale "d'en haut", même quand la rhétorique envahissante de l'intégration des soins tente de s'approprier la "performance", les "valeurs", la "responsabilité sociale" et "l'éthique". Cette raison descendante de droit divin ne peut être qu'une raison politique masquée et nécessite des contre-pouvoirs. 
Elle exclut aussi toute possibilité maintes fois avérée que transformer les médecins, plus généralement les soignants, en "idiots rationnels", incitables à la carotte et au bâton selon les croyances du micro-management leurs nouveaux vices privés à produire des vertus publiques.

La médecine devrait bénéficier d'un droit d'ingérence humanitaire dans cette épouvantable "guerre des Dieux" qui oppose Déesse Raison hyper-numérisée et Divin Marché hyper-mondialisé.

Management décomplexé et dialogue social à l'hôpital



S'agissant des fichiers de Georges Pompidou, de Robert Debré ou de Brest, ils ne sont que la partie émergée de cette forme de "baloney management" ou management par les balivernes que MIntzberg nomme "deeming".

La classification faite à Robert Debré selon notre bon vieux "Canard" distingue les leaders négatifs, les comportements négatifs, les sociables, la minorité silencieuse et les experts.
Après l'affaire du fichage des chirurgiens "faiblards" de l'HEGP et de Brest, on peut dire que "ça la fiche mal".
Sans parler de l'indépendance menacée des médecins DIM qui s'organisent.
Un peu de "rééducation" sera sans doute bientôt proposée aux mauvais sujets.




L'indispensable apport de Dilbert: deeming et performance review





"Tout système est une entreprise de l'esprit contre lui-même. Une oeuvre exprime non l'être d'un auteur, mais sa volonté de paraître, qui choisit, ordonne, accorde, masque, exagère. " Paul Valéry


Social cafouillage (selon l'expression de Thomas Picketty): dessin paru dans le monde du 27 avril

Plus encore ...

*Des managers, des vrais, pas des "MBA" (ouvrage en ligne)






Esculape vous tienne en joie, et prenons bien soin du travail.
Le 1er mai 2014

mercredi 16 avril 2014

L'hôpital malade de la performance publique - Humanisme vs utilitarisme


« On dit qu’une action est conforme au principe d’utilité, quand la tendance qu’elle a d’augmenter le bonheur de la communauté l’emporte sur celle qu’elle a de le diminuer » Jeremy Bentham

« Par principe d’utilité, il faut entendre le principe qui approuve ou désapprouve quelque action que ce soit en fonction de sa tendance à augmenter ou diminuer le bonheur de la partie dont l’intérêt est en jeu. » Jeremy bentham 
(cité dans l'art d'ignorer les pauvres de John K. Galbraith)

Les documents


1. Faiblards versus corrects: quand l'hôpital note ses médecins


2. Hôpital Pompidou : sept médecins portent plainte pour fichier illégal


3. Fichier nominatif à l’hôpital Pompidou : Martin Hirsch tente de calmer le jeu, les médecins restent crispés - 16/04/2014


4. Un fichier secret met le feu à Pompidou (JIM.fr le 16/04/2014)


5. Diaporama: la performance publique pour les nuls ou "Ubu régulateur"
"Un dessin vaut mille mots"


Le commentaire


la performance publique en question


Ces pratiques mises à jour à l'hôpital Georges Pompidou sont inacceptables. Ce n'est là que le sommet émergé de l'iceberg contre lequel s'écrase notre système de soins. Ces méthodes, opaques, vicieuses dans leurs modèles d'analyse de l'activité, fausses jusque dans leurs chiffres, et contre-performantes quand elles se prétendent justes et transparentes sont assorties de jugements de valeur qui ne respectent pas la déontologie professionnelle et sont discriminatoires. Ce type de fichier à déjà été sanctionné chez des employeurs privés. Plus grave, ces pratiques qui ne concernant pas que la seule AP-HP découlent d'une nouvelle vision de la performance publique. L'un des principes du Nouveau Management Public, la dissociation de la conception et de l'exécution, conduit à écarter les médecins cliniciens, et au delà l'ensemble des "soignants", des processus de décision stratégiques à tous les niveaux de gouvernance. L'hôpital et le système de soins de santé en général traversent une crise profonde qui résulte de la confrontation de cette nouvelle conception managérialiste de l'action publique avec les organisations soignantes, comme nous allons tenter de le démontrer par un brève analyse des dimensions de la performance (voir en complément les planches du diaporama).

Les dimensions de la performance



1. L'efficacité, c'est bien rendre le service attendu. Elle met en relation les résultats avec les finalités de l'organisation. Les acteurs médico-soignants, dans leur rationalité en valeurs, visent des finalités externes. C'est l'outcome du classique modèle de Donabedian qui ne se réduit évidemment pas à l'ouput de sortie de système, en l'occurrence de sortie de l'hôpital. Le résultat clinique à moyen et long terme qui dépend de facteurs externes à l'organisation soignante est ce qui fonde la qualité des soins pour ses acteurs. Ce ne sont pas, usagers et élus doivent bien le comprendre, les finalités internes qui sous-tendent le modèle de production actuel des soins, fondé sur des groupes homogènes de malades qui ont été construits sur des catégories médicales à court terme. Ce modèle est incompatible avec une médecine véritablement intégrée par ses parties prenantes à laquelle nous aspirons tous pour peu que l'intégration ne soit pas qu'un buzzword destiné à promouvoir des filières industrielles inversées, en flux purement poussés (modèle de l'Etat industriel de Galbraith). A l'échelle d'un territoire les acteurs se reconnaissent non seulement, à l'échelon individuel, une responsabilité dans l'intégration des parcours de soins dans lesquels ils recherchent spontanément la coopération pour peu que la gestion n'y mette pas avec acharnement des obstacles pseudo-marchands (effets dogmatiques et vicieux du managed care) s'ajoutant à la fragmentation entre sanitaire et social, mais ils revendiquent et se reconnaissent également une responsabilité populationnelle qui se traduit bien dans la définition équilibrée de la qualité selon l'IOM.

2. L'efficience c'est de rendre le service avec une moindre consommation de ressources ou augmenter la production en partant du même volume de ressources. Louable en soi, la recherche d'efficience n'a de sens que si l'efficacité est mesurable et peut être préservée, faute de quoi tout gain d'efficience risque d'entraîner une réduction de la qualité qui a du sens pour les acteurs, au regard des finalités externes.

3. L'économie c'est de fournir les ressources nécessaires à la production des résultats au moindre coût. Avec un pilotage inapproprié de l'efficience et de l'efficacité, faute d'indicateurs appropriés, l'économie conduira immanquablement à la recherche de ressources de moindre qualité au regard des finalités. En termes d'équipes de soins, la fragilisation viendra de l'application aveugle de la mutualisation, de la flexibilité et de poly-compétence sous qualifiée et des restructurations comptables des activités (Activity Based Costing) qui supportent les pratiques de management low cost que nous supportons au quotidien, sans aucun garde-fous en termes de conditions techniques de fonctionnement, notamment pour les effectifs paramédicaux. En acceptant trop vite et trop souvent, voire parfois en "croyants" et en "matons de Panurge", de démissionner de leur rôle dans l'organisation des soins conformément à la doxa managérialiste, les médecins, les "badges rouges" ont largement contribué à qui fait aujourd'hui le désespoir des "badges bleus", les paramédicaux et à la destruction des valeurs du soin.

4. Aux classiques 3 "E" s'ajoute la pertinence qui est la dimension la plus difficile à définir puisque qu'elle met en relation les moyens avec les finalités. La "pertinence" est le degré mesurable d'adéquation entre les moyens et les finalités (modèle de Gilbert). C'est pourquoi la faisabilité politique de l'ajustement des dépenses de santé tend à diluer la notion de "santé" dans celle de Bien-être économique et social. Il s'agit ici d'une relation de rationalité en termes d'inférences causales, qui entre plus généralement dans le processus de rationalisation de l'action publique, ou des "activités sociales". La façon dont l'action publique rationalise sa double fonction de production (1. celle des organisations d'intérêt collectif 2. celle du Bien être collectif) fait l'objet de multiples analyses critiques, dont celles du Nouveau Management Public et de ses diverses modalités internationales. La pertinence est définie par l'OCDE comme: 
"Mesure selon laquelle les objectifs de l’action de développement correspondent aux attentes des bénéficiaires, aux besoins du pays, aux priorités globales, aux politiques des partenaires et des bailleurs de fonds."

Utilitarisme versus humanisme médical: la confusion de la santé et du social


La crise de la gouvernance tient au fait que les acteurs hospitaliers, médico-soignants et managers à la française, ex-"professions de l'Etat providence" aujourd'hui privés de leur missions de santé publique par une gouvernance purement top down, sont aujourd'hui disqualifiés de toute participation à la définition, d'une part, des besoins territoriaux et d'autre part, de toute réflexion sur l'adéquation de la qualité des résultats tels que mesurés aux finalités qui font sens pour eux et pour les malades. L'utilitarisme et l'arbitrage expert entre les coûts d'opportunité l'emportent sur l'humanisme médical et l'intérêt individuel du patient quand les deux approches devraient au moins s'équilibrer dans une démocratie pluraliste et plus soucieuse des parties prenantes.

Nous avons voulu ici montrer que la crise du management hospitalier est une crise du management public et de la performance publique. Peu importe dès lors les modes de nomination des chefs de pôle, des chefs de service ou de structure interne. Ils seront par nature asservis à cette logique de ré-ingénierie des activités, des besoins et des résultats selon les seules perspectives comptables, à une direction par objectifs trop politiques (faire réélire les élus) et à une gestion axée sur des résultats trop myopes. C'est ce modèle vécu comme ubuesque par les usagers et les professionnels, qu'on qualifie de hard management quand il faudrait le nommer bullshit management au regard de ce que serait un management médicalisé. Les directeurs ne sont plus que des exécutants de gestion asservis aux objectifs de rationnement des agences. Les chefs de pôle ne sont plus que les directeurs comptables de centres de coûts donnant caution médicale au véritable pouvoir interne qui est celui du contrôle de gestion. Enfin les responsables d'unité, parfois dotés du titre aujourd'hui illusoire de "chef de service", ne sont plus que de petits contremaîtres, rôle qu'il partagent avec les cadres de santé, eux même directement sous la main de fer du contrôle de gestion par l'intermédiaire des nouvelles chaînes de commandement paramédicales.

Les médecins et au delà l'ensemble des soignants sont bel et bien enfermés dans la cage d'acier de Max Weber. Peut-on en sortir?

Vous avez dit transparence? 


La transparence promise par ce nouveau management pour semi-habile est un leurre. Jamais l'accès aux données n'a été aussi difficile pour les acteurs. Ce qui est transparent c'est la carotte et le bâton qu'on infère à partir des Big data et qu'on nomme "alignement" ou hélas "intégration" des divers niveaux de gouvernance. 
Ce qui est transparent, c'est la maltraitance quotidienne des malades, ce sont les parcours chaotiques, les rendez-vous annulés et reportés aux calendes grecques, la détresse de malades et de familles qui ne sont plus accompagnés du fait de l'incoordination induite par une vision erronée de la mission des hôpitaux, plus largement du secteur "sanitaire", c'est la baisse tendancielle de la qualité des soins et de la motivation, ce sont les risques cliniques non gérés dont celui de handicap surajouté et pourtant évitable, ce sont les équipes exsangues gérées comme de chaînes de montage et dont on détruit les compétences collectives par une ré-ingénierie ubuesque, ce sont les cadres épuisés et sommés de nous mentir sur nos futurs effectifs paramédicaux, ce sont les infirmières intérimaires placées à la hâte qui ne connaissent ni les procédés de travail des équipes ni les systèmes d'information dès lors remplacés par des bouts de papier qui viendront encombrer des dossiers de plus en plus inutilisables. Ce qui est transparent en bref, c'est l'incapacité croissante du système à s'écouter et prévenir ses dysfonctionnements les plus graves.

Le rationnement des soins est peut-être nécessaire, mais dans ce cas il faut appeler un chat un chat et redéfinir les contours d'une protection sociale solidaire qui ne peut par nature être rentable à court terme. Il faut cesser de faire croire qu'une République des experts ou à l'inverse une miraculeuse spontanéité du marché efficient peuvent faire descendre des cieux néo-managériaux, soit la "gestion rationnelle", soit la "régulation du marché" par l'intermédiaires des agences. Aujourd'hui hyper-bureaucratiques autant qu'infantilisantes, fondées sur la calculabilité et la prévisibilité par instrumentalisation de sciences inexactes des comportements d'acteurs qu'on prend pour des idiots égoïstes, rationnels et donc "incitables", ces structures qui nous promettaient des lendemains qui chantent ne savent que priver les parties prenantes légitimes de toute participation concrète à l'intelligence territoriale et la promotion d'un hôpital humaniste. Changeons de logiciel.

« Agis de telle sorte que tu traites l’humanité aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre, toujours comme une fin, et jamais simplement comme un moyen » Emmanuel Kant

Esculape vous tienne en joie.

samedi 5 avril 2014

Le contrôle de gestion des ressources humaines: perte de sens et pertes de chances à l'hopital


Le document


Le contrôle de gestion sociale à l'hôpital Interview de Jérôme Lartigau

Le commentaire




« La parole dépourvue de sens annonce toujours un bouleversement prochain. Nous l'avons appris. Elle en était le miroir anticipé.» René Char

« Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres. » Antonio Gramsci



La T2A, nouvelle composante financière du système hospitalier, s'associe à d'autres composantes fondamentales qui constituent avec elle le puzzle du Nouveau Management Public en santé: le contrôle de gestion (notamment de la masse salariale) s'y nomme "gouvernance" (pouvoir des payeurs) et "dialogue social" (pouvoir des employeurs) , la planification par objectifs s'y nomme "démocratie sanitaire" et la rationalisation managériale s'y nomme "qualité" ou "performance". Ces mots sont transformés en buzzwords et dévoyés par la sophistique managériale.

Les effectifs des hôpitaux étant considérés comme une des sources majeures du surcoût d'établissements décrits en permanence comme pléthoriques et mal gérés, après identification des boucs émissaires, dont la gestion "patrimoniale" des services, les pouvoirs publics et leurs pompiers pyromanes ont décidé d'y appliquer les nouvelles méthodes de contrôle de gestion. Il est essentiel de comprendre le risque inhérent à ces modèles qui reconfigurent les activités à partir d'une représentation des coûts, par nature toujours arbitraire. Le risque majeur est de construire un modèle de production imaginaire où les groupes homogènes de produits remplacent le résultat clinique. Ces produits imaginaires sont, en termes de performance, insignifiants pour ses acteurs et contre-performant en termes de "résultats de santé". Dès lors toute tentative d'alignement / intégration des niveaux macro, méso et micro est illusoire et produit surtout des synergies négatives.

Insistons sur les effets délétères et le sentiment de perte de sens qui conduit de plus en plus de professionnels à l'exit, confrontés à la certitude de ne plus pouvoir répondre aux besoins des malades tout autant qu'à celle de leur faire courir des risques de pertes de chances non captés par le modèle:

  • Réduction des effectifs sans garde fous en termes de conditions techniques, la qualité ne jugeant que de processus fondés sur les finalités intrinsèques à l'organisation: production de groupes homogènes de "produits" en minimisant les risques. Nous avons vu le mécanisme d'imputabilité des problèmes d'organisation, nécessairement appuyé sur la dérégulation des conditions techniques de fonctionnement (ex. ratios médicaux,  infirmiers, d'autres professions, locaux et équipements...). Les associations de patients doivent être vigilantes sur ces sujets, les agents, notamment les cadres, étant sommés de se taire ou de partir (exit, loyalty or voice).
  • Destruction des cœurs de compétences garants de la qualité et de la sécurité des soins par application malhabile des méthodes de production low cost que sont la flexibilité, la polycompétence et la mutualisation. On lira avec profit Nicolas Belorgey, Paule Bourret et le collectif des Dr Blouses.
  • Reconfiguration des activités fondamentales selon des modèles comptables sans identification des processus clés de l'organisation, alors qu'il sont fondés sur les méthodes spécifiques adaptées aux finalités externes (outcome:  résultat clinique recherché par le médecin et le patient et non le simple output de sortie de système mesuré par le modèle de performance)
  • Remplacement progressif des habiletés de gestion procédurales centrées sur la demande (pull) par des habiletés gestionnaires standard de type "MBA" braquées sur l'offre (push) dans la logique du New Public Management, avec la rationalisation de la "gestion sociale"
  • La coordination au sein d'une unité opérationnelle étant fondé essentiellement sur la supervision et l'ajustement mutuel (Mintzberg), la division verticale des métiers, la domination des lignes paramédicales par le contrôle de gestion et la reconfigutation comptable des activités aboutit à l'absence de pilotage réel des unités de soins au contact du public qu'elles sont censées servir. Les malades doivent le savoir.

Cela ne veut pas dire qu'il faut rejeter toute analyse de la performance ni qu'il faut renoncer à toute gestion axée sur les résultats, ni toute stratégie nationale, régionale ou territoriale de santé, cela signifie qu'il faut élaborer un modèle de valeur avec les parties prenantes en se gardant d'une application brouillonne et inadaptée de la chaîne de valeur de Porter tout autant que d'une vision qui occulterait les véritables avantages compétitifs au regard des finalités de l'hôpital. Le modèle actuel tend à détruire les compétences fondamentales plus qu'il ne conduit à les identifier, à les capitaliser et à les intégrer à un système plus performant, plus conscient de ses processus clés.

Si "ce qui a un prix n'a pas de valeur" (Kant), au moins faut-il que la valeur précède la construction toujours artificielle du prix dans le système de santé. Le modèle actuel est incapable de considérer les finalités extrinsèques du système auquel il s'applique, il ne connaît que les indicateurs myopes, issus de ses finalités intrinsèques, qui numérisent ses modèles de coûts. Le NMP prend ses objectifs pour des résultats et ces résultats pour de la performance. Il est temps  de passer à un modèle "centré patient", ou "pull" en abandonnant les logiques de filières inversées braquées sur l'offre (push), quand bien même leur rhétorique de promotion les qualifient "d'orientées client".

Webographie: comment cela a-t-il été possible?


1. Le financement des hôpitaux un choix politique. André Grimaldi
http://www.revueforum.fr/2011/09/le-financement-des-hopitaux-un-choix-politique/
http://www.revueforum.fr/wp-content/uploads/2011/09/2011-octobre_Revue-Forum-01_Grimaldi1.pdf

2. Une nouvelle grille d'analyse pour le contrôle de gestion hospitalier : le contrôle intégré de Simons
http://hal.archives-ouvertes.fr/docs/00/65/05/43/PDF/Lartigau_Nobre.pdf
Jérôme LARTIGAU, Directeur d’hôpital, Chercheur associé à l’ERFI, Institut des Sciences de l’Entreprise et du Management, Université de Montpellier 1, jeldds@hotmail.fr
Thierry NOBRE, Professeur des Universités, Ecole de Management Strasbourg thierry.nobre@unistra.fr


3. LA MODERNISATION DU PILOTAGE DES RH DANS LA FONCTION PUBLIQUE HOSPITALIERE : CAS DE LA GESTION DE LA MASSE SALARIALE
http://www.reims-ms.fr/agrh/docs/actes-agrh/pdf-des-actes/2013-cappelletti-alii.pdf

4. Bibliographie: fonction publique et gestion des ressources humaines
http://www.ena.fr/index.php?/fr/content/download/3999/30559/file/bib_fp_et_grh_csi_2008.pdf

5. L'EMPLOI HOSPITALIER : UNE QUESTION TABOUE ?
http://www.senat.fr/rap/r07-403/r07-40315.html

6. La méthode ABC
7. Mesurer et piloter la performance. Nicolas Berland Professeur à l’Université Paris-Dauphine
E-book Source : www.management.free.fr
http://www.crefige.dauphine.fr/publish/berland/performance.pdf

8 Les méthodes de comptabilité analytique
http://fr.wikipedia.org/wiki/Comptabilit%C3%A9_analytique

9 Échelles nationales de coûts
ENC à méthodologie commune MCO

10 Modèle de comptabilité hospitalière: télécharger le guide en pdf

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Le contrôle de gestion sociale à l'hôpital Interview de Jérôme Lartigau


Fatigue des élites: contrôle de gestion et cadres de santé

La mise en place du contrôle de gestion à l'hôpital, tout particulièrement celui de la gestion sociale et de la masse salariale, suppose la prise de contrôle de la ligne hiérarchique paramédicale et l'éviction des médecins de l'organisation des soins. Tout problème d'effectif peut dès lors être transformé en problème d'organisation, imputé au cadre de santé sommé d'adapter les organisation à des enveloppes fixées sans aucun garde-fous par dérégulation des conditions techniques de fonctionnement.


La professionnalisation des cadres infirmiers : l'effet de l'action publique en France et en Grande-Bretagne. Isabelle Feroni et Anémone Kober-Smith. Revue française de sociologie 2005/3 (Vol. 46)

LES CADRES DE SANTÉ FACE À LA LOGIQUE MANAGÉRIALE Sophie Divay et Charles adea E.N.A. -  Revue française d'administration publique 2008/4 - n° 128 pages 677 à 687

Schweyer François-Xavier, « Santé, contrat social et marché : la fonction publique hospitalière en réformes », Revue française d'administration publique, 2009/4 n° 132, p. 727-744.

Domin Jean-Paul, « La nouvelle gouvernance sauvera-t-elle les hôpitaux publics ? », Mouvements, 2004/2 n° 32, p. 55-59

Quand la performance pilote le management ... Les effets du tournant gestionnaire sur le management de proximité dans une clinique Anouk Grevin LEMNA, Université de Nantes Polytech Nantes, Rue Christian Pauc, BP 50609, 44306 Nantes cedex 3 Tel : 02 51 85 74 37 anouk.grevin.at.univ-nantes.fr

Résumé: http://www.cairn.info/resume.php?ID_ARTICLE=JGEM_127_0469

Si le terme de management est fréquemment associé aux transformations du secteur de la santé, c’est le plus souvent en référence au « tournant gestionnaire » qui traverse bien des secteurs aujourd’hui et notamment celui des établissements de santé. L’activité managériale à proprement parler participe cependant, elle aussi, de ces mutations. Nous proposons d’analyser l’impact du tournant gestionnaire sur l’activité de management des cadres de santé. Après avoir mis en évidence dans la littérature l’impact du tournant gestionnaire sur les établissements de santé et sur le travail des acteurs, nous nous appuierons sur une étude de cas réalisée dans une clinique privée, pour comprendre la manière dont les exigences de performance affectent le rôle du management et son activité concrète. Nous verrons combien le souci de la performance et l’alimentation de ses batteries d’indicateurs conduit progressivement à absorber les managers dans un interminable travail de gestion, dans un « macromanagement » (Mintzberg, 2011) à distance, et par conséquent à délaisser le management du travail, au moment précisément ou celui-ci devient le plus nécessaire.



samedi 29 mars 2014

Coup de froid polaire sur l'hôpital: Mintzberg versus Porter?



Mintzberg contre Porter: professionnalisme vs value-based competition


"On ne peut résoudre les problèmes en utilisant les mêmes modes de pensée que ceux qu'on a utilisé pour les créer." Albert Einstein

"Entre l'opinion et la connaissance scientifique on peut reconnaître l'existence d'un niveau particulier qu'on propose d'appeler celui du savoir (...); il comporte (...) des règles qui lui appartiennent en propre." Michel Foucault

"Tout a ou bien un prix, ou bien une dignité. On peut remplacer ce qui a un prix par son équivalent; en revanche ce qui n'a pas de prix, et donc pas d'équivalent, c'est ce qui possède une dignité." Kant fondements de la métaphysique des mœurs 1785

Les documents


Pôles hospitaliers : réforme pertinente mais inaboutie, selon les Conférences 
Un article de Delphine Chardon dans le "Quotidien du médecin". La dé-professionnalisation galopante et la fracture sociale opérée par le management des hôpitaux y est ainsi résumée:
"Les PH hostiles aux pôles, les Conférences veulent leur généralisation."

Bilan et évaluation du fonctionnement des pôles dans les établissements de santé, conférences hospitalières, mars 2014

Sondage adressé à tous les praticiens hospitaliers (tous statuts) à l’initiative des intersyndicales afin de produire une évaluation des pôles par les acteurs de terrain.

Le commentaire


L'immobilisme en marche: la loi HPST fige la glaciation polaire


Après l'absence de réforme substantielle de la loi HPST, les promesses n'engageant que ceux qui les écoutent, voici que la politique de l'autruche s'étend au bilan de l'organisation en pôles de l'hôpital. Ceux qui ont voulu les pôles ou en ont bénéficié ne sont pas prêts à leur juste réforme, en dépit des résultats très sévères de l'enquête des intersyndicales de PH. Celle-ci ne fait que refléter une fois de plus le "grand désenchantement hospitalier". Voici que la nouvelle technocratie sanitaire reconfigure les coalitions hégémoniques. La France reproduit son vieux système de "logique de l'honneur": les nouveaux "clercs" du modèle de la santé publique sont issus des sciences sociales alors que les sciences médicales sont sommées de dévoyer l'EBM en support légitime d'une ré-ingénierie industrielle des soins. Les nouveaux "chevaliers", dont on dresse le portrait en capitaines d'industrie, sont les chefs de pôle, les présidents de CME, les directeurs des établissements et les nouveaux "préfets" des agences régionales (DGARS). Ils se partageront la tâche d'inciter les nouveaux "paysans", homo economicus sanitatis, "idiots rationnels" censés n'être à la poursuite que de leurs intérêts égoïstes. Devenus simples exécutants, ils sont privés de toute autonomie de décision par un modèle où toute conception des finalités et des processus soins ne peut émaner que de l'Etat, de ses agences et de ses ingénieurs. Triomphe du scientisme jacobin et de la république de Platon.

En vérité les pôles sont construit sur un modèle bien classique d'organisation divisionnelle de l'entreprise, centrée sur la standardisation des résultats (Henry Mintzberg, "Structure et dynamique des organisations"). Ces résultats de la production hospitalière modélisés par Fetter et al. sont perçus comme insignifiants au regard des finalités réelles de l'hôpital, celles des acteurs qui portent ses compétences clés. Ils ne sont pas définis par ce que les acteurs du soin y font réellement, mais par une normalisation comptable fondée sur la religion de la direction par objectifs. Celui-ci est d'origine américaine et non soviétique même si l'étatisme l'y a fortement mis en avant. Cette normalisation comptable reconstruit artificiellement par la "ré-ingénierie", les activités, les connaissances et les organisations. Plus le modèle de comptabilité par activités est éloigné de ce qui est signifiant pour les acteurs, plus il est contraint par un dirigisme assoiffé de cost killing "méso", lui-même sous pression du rationnement des soins "macro", plus il détruit rapidement les fondements micro-économiques des "organisations professionnelles" de Mintzberg. Celles-ci sont fondées sur les pratiques cliniques prudentielles et les noyaux de compétences "disciplinaires", certes jamais figées et toujours reconfigurées. Mais le nouveau management public ne sait plus organiser des unités dont Mintzberg a bien montré qu'elles s'étaient à la fois construites par "fonction" et par "marché" pour optimiser les solutions à des problèmes complexes, non gérables par une standardisation de procédures (exemple d'un service de cardiologie qui réunit les compétences en cardiologie et reçoit les malades requérant des soins complexes pour des affections cardiaques). 
La gestion axée sur les résultats, bureaucratico-mécanique et simpliste, qui en découle achève la destruction du sens pour les acteurs.

Le but d'un tel management n'est pas l'expansion de l'entreprise pour répondre à des besoins, autrement dit un "marché", mais sa réduction à un filet de sécurité minimaliste.

La fin des services? Dé-différenciation et désintégration


Le "service", différencié sur la base des processus clé et des besoins, est nécessairement associé à des mécanismes d'intégration et de liaison complémentaires que suppose toute organisation complexe (Lawrence et Lorsch). Il est donc absurde que l'on continue à le dé-différencier par la ré-ingénierie "à portée de caniches" qu'apporte aux semi-habiles l'actuel modèle comptable. La dé-différenciation qui détruit les compétences a été promue par une idéologie bien systématisée au nom de la lutte contre le "patrimonialisme" des chefs de service (Robert Holcman), si bien qu'on a jeté le bébé des compétences des collectifs professionnels avec l'eau du bain des mandarins à l'ancienne ("mes murs, mes infirmières, mes lits"). Erreur funeste de la technocratie quantophrénique, car le service reste et restera le lieu de contact des équipes au "service du public où se construisent réellement les "méthodes", c'est à dire les vérités les plus précieuses. Ce sont les méthodes clés ou "processus clés", à 80% implicites dans les organisation complexes, qui déterminent le mystère de la performance issue de la trilogie activités / connaissances / organisation (Hamel & Prahalad: "The core competence of the corporation").

Les pôles des plus grands trusts hospitaliers, constitués pour optimiser la résistance aux effets concurrentiels de la T2A, cumulent les défauts suivants, ce qui y rend les acteurs, encore plus désenchantés face à la construction managériale de l'insignifiance institutionnelle qui les accable:

  • Absence de délégation réelle de gestion en particulier pour les ressources humaines ce qui enlève aux pôles tout le sens d'une gestion autonome
  • Épaississement extravagant de la pyramide hiérarchique, qui empêche le système de s'écouter, et accroît la toute puissance du nouveau directeur-tyranneau, la sous information et la sous participation des acteurs aux processus de décision, paramédicaux ou médicaux même responsables de "structures internes", universitaires ou non.
  • Gigantisme et assemblage PIM PAM POUM, là où il semble que dans certains hôpitaux une logique médicale compatible avec la logique des services soit préservée, à condition d'éviter les gigantopôles ubuesques et ingérables dépassant largement 300 agents et souvent multi-sites.

Un des maux fondamentaux du modèle, c'est d’ôter, au nom du veau d'or toujours debout et bien droit dans ses bottes de la comptabilité de santé publique éclairée par les NTIC, toute responsabilité et toute légitimité d'évaluation des besoins de soins aux acteurs de l'hôpital pour les transférer aux très chères agences.

Les raisons de la casse: la lutte contre le "patrimonialisme" ou le rationnement des soins?


Pourquoi était-il si urgent de "casser" les services? A l'évidence pour créer une ligne décisionnelle parallèle qui pourrait, en affaiblissant la résistance médicale supprimer plus aisément les postes paramédicaux. Les Directions de soins infirmiers médico-techniques et de rééducation (DSIRMT) n'ont pas eu le choix. Elles sont dès lors contraintes de justifier ces suppressions par leur rôle d'optimisation des organisations paramédicales. Leur expertise organisationnelle paramédicale des soins est utilisée par le contrôle de gestion et la DRH pour agir sur la principale masse budgétaire réductible: celle du personnel paramédical. Leurs compétences sont instrumentalisées comme levier d'économies pour la révision des organisations paramédicales des unités cliniques, ce qui incite pour éviter les conflits à une moindre concertation avec les chefs de service qui pourtant restent responsables de l'organisation technique. Les chefs de service, aujourd'hui responsables des "structures internes", sont face à des des injonctions  paradoxales. Ils doivent améliorer en permanence les recettes au nom d'un modèle d'efficience qui ne dit rien de la qualité, mais avec de moins en moins de d'autonomie au regard des moyens à mobiliser, avec du personnel non médical en diminution, une réduction des surfaces occupées ce qui permet d'économiser en termes RH et logistique. Le poids de la suppression du personnel administratif les oblige dans certains cas à assurer leur propre secrétariat et prise de rendez-vous. 

Cette expertise organisationnelle des DSIRMT justifie la rationalisation des effectifs présents au lit du malade dans un modèle où elles sont des "ingénieurs de soins" voire des "parcours de soins". Le rôle que leur assigne le nouveau management de l'hôpital est de transformer tout demande d'effectif en problème d'organisation. Alors que les effectifs quotidiens sont déjà au seuil minimal de fonctionnement, lorsque de nombreux arrêts se produisent le pôle est seul responsable face au contrôle de gestion et à la DRH, le recours à l'intérim ou aux CDD de remplacement sera autorisé ou non. En l'absence de ces remplacements, toute fermeture est imputée à une mauvaise gestion du pôle tandis que ne pas fermer de lits contraint à prendre le risque d'une production sans garde-fou au regard de la qualité et de la sécurité des soins. Nous voyons ici s'ébaucher un cercle vicieux d’épuisement et d'insatisfaction des personnels aux travail, source de démotivation et de nombreux départs. Certains viendront diminuer les tableaux des emplois rémunérés et justifieront si la production n'a pas faibli la suppression d'effectifs considérés alors comme inutiles et contre-efficients. La qualité des soins et leur sécurité s'érodent ainsi de manière insidieuse et progressive. Ce cercle vicieux aboutit à fermer "temporairement" des lits sans considération pour les besoins réels de soins des territoires desservis. Plus le temps passe et plus leur réouverture sera difficile.

Dans le cadre des moyens de remplacement, le "service" est obligé de prioriser les métiers d'infirmiers (IDE) et d'aides soignants (AS) face aux autres personnels de soins dont les professionnels rares à l'hôpital (rééducateurs, psychologues assistantes sociales,...)  pour assurer les prestations que l'unité doit fournir. Nous avons déjà souvent évoqué dans ce blog les mécanismes de production administrative du handicap engendrés par l'industrialisation vicieuse de la mission de l'hôpital public. Aujourd'hui le service ne peut plus organiser son fonctionnement technique selon les besoins propres à l'exercice de sa discipline. L'unité de soins dont dépend la vie de malades, est un navire sans pilote, il n'y a plus de maître à bord, ni de la qualité ni de la sécurité de la prise en charge des patients qu'elle sert. En fonction des intérêts des interlocuteurs, le niveau de la décision oscille entre l'unité clinique, le pôle, le Groupe Hospitalier, l'agence régionale, exposant toute tentative de management stratégique à une série de pièges cognitifs dans lesquels il est quasi impossible de ne pas tomber. Doté de l'autonomie nécessaire dans le cadre d'une délégation appropriée, incluant les aspects organisationnels, financiers et humains, il le ferait de manière plus efficiente en pouvant conserver une équipe stable, formée et motivée.

Il faut rappeler que les tableaux prévisionnels des emplois rémunérés (TPER), se sont trop souvent créés au management by decibels ou au management by lobbying, validant pour certaines unités un existant devenu intangible quoique excédentaire au regard des besoins, en laissant ainsi d'autres unités dramatiquement démunies. Quelque années plus tard les contraintes budgétaires ont mis au bord de l'inanition les plus maigres alors que les plus gros n'en étaient qu'à la première phase du régime.

C'est le modèle de la fonction de production de l'action publique, clé du NMP, qui est à revoir: changer de logiciel ou de système d'exploitation des "rameurs" de la santé numérique?

La dé-professionnalisation de la santé en détruit ses cœurs de métiers. Mais que veut-elle "produire" au juste, des gains financiers pour les shareholders  ou de la valeur pour les parties prenantes?

Webographie: différenciation et intégration dans le système de soins





5. Michaël Porter et la value-based competition - Redefining Healthcare Porter et Teisberg

  • Diagnosis and Solutions
  • Identifying the Root Causes
    "Zero-sum competition in health care is manifested in a number of ways, none of which creates value for patients:
    - Competition to shift costs
    - Competition to increase bargaining power
    - Competition to capture patients and restrict choice
    - Competition to reduce costs by restricting services"

Stratégie extérieur intérieur ou intérieur extérieur


Portefeuille de compétences ou portefeuille de produits?




Source : Hamel et Pralahad, Les grands groupes ne connaissent pas leur métier, Harvard-Expansion, Hiver 1990-1991.


L'analogie de l'arbre





"Dans l'omette au lard, la poule est concernée et le cochon est impliqué."