Hospital Inc., RGPP et micro-systèmes cliniques
« Critical to effective system design is conceptualizing the smallest replicable unit and its potential use in strategy as early as possible in the design process. »( James Brian Quinn)
Loi HPST : Trop de marché ou trop de bureaucratie ?
L’article de Frédéric Pierru intitulé « Hospital Inc »[1] répond à un sentiment partagé face aux débats sur la loi HPST. Selon que la critique émane de milieux très libéraux ou plus interventionnistes, on lui reproche tantôt une excessive marchandisation de la santé, tantôt son étatisation. C’est que sans doute les deux sont vrais. Jean de Kervasdoué a également signalé les contradictions internes de cette loi [2]. Nous émettons ici l’hypothèse comme F. Pierru que c’est la nouvelle gestion publique (NGP traduction française du concept de new public management) qui porte en elle ces contradictions insurmontables. Elle conduit à l’ignorance de la clinique comme pilier organisationnel du système de soins et du caractère ascendant ou bottum up de son auto-organisation. Nous explorons brièvement le concept de micro-système clinique développé par le Dartmouth Institute for Health Policy and Clinical Practice à la suite des travaux de James Brian Quinn.
Micro-systèmes cliniques
Dans une perspective systémique l’unité clinique peut être considérée comme la plus petite unité d’action par laquelle le système de soins entre en contact avec les patients pour leur prodiguer des interventions. S’inspirant de James Brian Quinn, Batalden et Nelson ont développé le concept de micro-systèmes cliniques [3] : ces unités reposant sur des « noyaux durs » porteurs de compétences clés sont le lieu de production et d’apprentissage en équipe des procédés de travail autour d’un savoir faire le mieux à même d’articuler de façon efficiente la qualité des soins et la satisfaction de la demande des patients: c’est le travail de mise en relation avec ces derniers qui garantit la pérennité des améliorations.
Dans une perspective systémique, la clinique est conçue sous forme de micro-systèmes qui sont le lieu où patients, prestataires, équipes de soutien, information et processus se rencontrent. Dans l’ingénierie du système de soins et ses réformes, « cette petite cellule ou unité fonctionnelle de soins en interaction avec la population » est considérée comme source principale d’amélioration des résultats, d’optimisation des moyens, d’innovation, de changement des processus et de satisfaction la population soignante et soignée. »[4]
Les Etats Unis d’Amérique et plusieurs pays d‘Europe commencent à utiliser ce concept pour moderniser et adapter la gestion de leurs infrastructures sanitaires aux nouveaux outils de gestion. [5]
Gestion des connaissances ou des compétences ?
Tout conduit à penser que la NGP souffre dramatiquement d’un chaînon manquant, à partir de l’expérience quotidienne des patients et des professionnels, étayée, en dehors de Quinn, par des auteurs aussi différents que M. Foucault qui voit en la clinique un lieu de formation et de transmission des savoirs, Mintzberg qui décrit le mieux dans l’organisation de l’hôpital le savoir-faire différenciateur des procédés de travail, Argyris, Senge, Nonaka et Takeuchi qui articulent l’efficience de l’organisation, donc la qualité de production de biens ou de services au meilleur coût, et les processus de transformation des connaissances dans le concept de gestion des connaissances (bien différent de la gestion des compétences de la NGP). La nouvelle gestion publique ignore ces micro-systèmes dans la réingénierie de la santé.
Impacts sur le champ de la réadaptation
Nous savons que le paradigme de réadaptation, si fécond à l’étranger et dans les textes de l’OMS a régressé en France. Non qu’il ne soit mis en avant dans les nouveaux textes sur les SSR ; non qu’il ne soit concevable de le déployer en amont et en aval des SSR, mais il n’est plus reconnu comme principe structurant c'est-à-dire porteur de savoirs différenciateurs. Dans la ré ingénierie du système de soins, l’intégration est pensée essentiellement au travers du principe vertical de fluidité. A la lumière de ce qui précède, cela traduit aussi la méconnaissance du rôle essentiel du maillon clinique.
Le déploiement de la NGP surgit dans le contexte de ce qu’on peut appeler « mal français » comme Alain Peyrefitte, société bloquée, comme Michel Crozier ou société de défiance[6] comme plus récemment Yann Algan et Pierre Cahuc.
L’Etat se désole de la fragmentation qu’il a lui-même organisée, en particulier entre soins et social par les lois de 1970 et 1975. les diagnostics des rapports Ritter et Larcher ont conduit à ce qui semble une bonne idée: les ARS. Mais qui ne voit déjà les contradictions majeures entre d'un coté un dispositif qui devrait promouvoir des filières intégrées au sens économique de Michaël Porter c’est à dire au minimum une vision partagée de la valeur produite facilitée par la péréquation des coûts et des profits et de l'autre un système de financement à l’activité, voire encore à l’acte, et qui découpe à l’infini ce qu’il faudrait relier, conduisant chaque acteur à privilégier sa survie à l’objectif de bien commun. Comment penser améliorer les continuums de soins et d’accompagnement des maladies chroniques et des handicaps dans ce contexte ?
A la vérité, la NGP à la française combine et tente d’appliquer de façon contradictoire et dangereuse plusieurs concepts économiques d’inspiration libérale mais souvent divergents. L'application de ces modèles à la santé a lieu dans le cadre de la Révision Générale des Politiques Publiques (RGPP) dont le processus est si peu participatif, qu'il passe à peu près inaperçu aux yeux des professionnels de santé. Le libéralisme est tout sauf un bloc, et de nombreuses théories s’affrontent. On peut ainsi distinguer la théorie de l’agence, dont la terminologie est bien présente dans nos réformes, de celle des coûts de transaction de Williamson, très présente dans la perspective des réseaux, et de celle des chaînes de valeur (filières) développée par Porter[7]. Ainsi pour paraphraser Keynes, non seulement les économistes sont au volant de notre système de soins alors qu’ils devraient être sur la banquette arrière, mais en plus, il jouent aux autos tamponeuses au détriment des personnes les moins habiles à s'y mouvoir. Si l'efficience n'est guère au rendez-vous, l'accessibilité et l'équité s'en ressentent au quotidien. L’approche de Quinn et les micro-système cliniques sont une tentative remarquable d’un indispensable rééquilibrage.
Que faire ?
Les tensions actuelles autour de la notion de service traduisent l’incompatibilité entre la vision néo-taylorienne de la NGP et la nécessité d’articuler les micro-unités avec les disciplines médicales et non médicales. Sans prôner de modèle unique, cette question sensible doit être réglée avec finesse et en lien avec la réforme des CHU et de l’université. Tout se passe comme si dans la NGP l’agent (relation principal-agent) au niveau « micro » était le directeur d’hôpital, devenu seul "patron". Ici s'arrête l'application de la théorie de l'agence, puisqu'au dessous, le système semble conçu selon une bureaucratie mécaniste classique : des analystes de la techno-structure prescrivent des tâches selon des liens fonctionnels et des contremaîtres zelés veillent à leur réalisation grâce à des indicateurs définis aux niveaux stratégiques. Néo-taylorienne car Taylor spécialisait ses acteurs dans des fonctions certes très peu autonomes. Confondant méfaits et bienfaits de la différenciation, les questions relatives aux statuts contraignants de la fonction publique avec celles relatives aux savoirs cliniques différenciateurs, l’approche NGP gère les compétences en privilégiant la polyvalence comme buzzword déconnecté de son contraire, parce qu’elle vise dans son vice initial et par construction une maîtrise des dépenses déconnectée de la qualité des soins.
Notre système d’information est actuellement inconsistant dans son incapacité à réaliser une modélisation coût-qualité. Dès lors son utilisation à des fins de planification stratégique est dangereuse en terme de déploiement d’une offre répondant aux besoins. C’est tout le système d’organisation et de financement de la réadaptation qui en pâtit. Il faut donc réformer d’urgence le PMSI SSR et sans doute mieux l’articuler au PMSI MCO avant d’envisager sérieusement d’implémenter un financement à l’activité au-delà du court séjour.
L’EPP devient dans la V2010 de la certification « Pratique Exigible Prioritaire ». C’est en France, un outil fondamental de l’extériorisation des savoir-faire différenciateurs des micro-unités qui permet une approche processus à grain suffisamment fin pour intégrer le chaînon manquant de la clinique mais pas trop pour n’être plus qu’une suite d'indicateurs de micro-processus déconnectés de la finalité des soins.
Dans la perspective des micro-systèmes cliniques, l’évaluation des pratiques professionnelles (EPP)à la française s’inscrit bien dans une démarche fondant la qualité sur la dynamique des micro-systèmes, condition de la complémentarité dans des stratégies intégrées de soins d’une part d'une auto organisation ascendante (bottum up) de la promotion de la santé, des soins aigus, de réadaptation et de l'accompagnement et d'autre part d’une gestion descendante (top down) issue de systèmes plus larges (méso et macro) au sein desquels ils s'insèrent. Les programmes cliniques articulent les savoir-faire ainsi explicités (savoirs contextualisés), les disciplines clés médicales et non médicales (savoirs décontextualisés) et les données probantes autour d’objectifs cliniques partagés, évalués et donc mieux financés.
Toutefois, les expériences étrangères de bureaucratisation de la qualité ne doivent pas nous laisser attendre de miracle. Dans certains lieux, hélas trop rares, la démarche qualité, combinée à la refonte des systèmes d’information et la gestion des risques parvient par des chemins tortueux (Lozeau) à savoir mieux écouter le système [8].
On ne peut ignore les piliers du système : « L’effet domino [des réformes du système] ne peut pas agir dans le système vu le manque ou l’absence des pièces du jeu : le concept micro–système » [9].
Il faut défendre la clinique.
Mais cette fin est peut-être encore trop optimiste. Et si le pilote n'était ni Ubu, ni Big Brother, ni les disciples de Friedrich Hayek et de Milton Friedman, mais bien Machiavel, soucieux du bien commun, mais qui abandonnant tout espoir de réformer l'irréformable avait décidé d'asphyxier le système? Pour le reconstruire ensuite. Les apparentes contradictions seraient alors volontaires, facilitant la division et la confusion, donc la "faisabilité politique de l'ajustement" en renvoyant aux yeux de l'opinion la responsabilité des évenements indésirables présents et futurs aux acteurs, qu'ils soient soignants ou gestionnaires.
Il reste toutefois un espoir, c'est que l'essence du machiavélisme est de savoir s'arrêter au bon moment pour se maintenir au pouvoir.
Il faut donc, encore et encore, défendre la clinique.
"La politique est l'art d'empêcher les gens de s'occuper de ce qui les regarde." (Paul Valéry)
Webographie :
[1] Frédéric Pierru- Hospital Inc. Les professionnels de santé à l’épreuve de la gouvernance d’entreprise -
http://www.snphar.com/data/A_la_une/phar48/3-focus-48.pdf
[2] Jean de Kervasdoué - Etrange "loi Bachelot" qui va à rebours des objectifs affichés
http://www.smpf.info/telecharge/upload/LeMonde130509.pdf
[3] Clinical microsystemshttp://dms.dartmouth.edu/cms/
[4] Traduction par Karim Laaribi de la première version des micro-systèmes cliniques
http://pagesperso-orange.fr/ampr-idf/documents/processusetic/microsystemescliniques.pdf
[5] How do they do that ? Low-Cost, High-Quality Health Care in America
http://www.ihi.org/IHI/Programs/StrategicInitiatives/HowDoTheyDoThat.htm
[6] YANN ALGAN et PIERRE CAHUC La société de défiance- Comment le modèle social français s’autodétruit http://www.cepremap.ens.fr/depot/opus/OPUS09.pdf
[7] HPST : paradigmes et paradoxes
http://sites.google.com/site/systemedesoinsethandicap/genealogie-de-la-loi-hpst
[8] Lozeau, D. (2002). Les chemins tortueux de la gestion de la qualité dans les hôpitaux publics au Québec. Gestion, 27 (3), 113-122
Lozeau, D. (2002). Les chemins tortueux de la gestion de la qualité dans les hôpitaux publics au Québec. Gestion, 27 (3), 113-122. Partie 2.
[9] Traduction par Karim Laaribi de la première version des micro-systèmes cliniques
http://pagesperso-orange.fr/ampr-idf/documents/processusetic/microsystemescliniques.pdf
samedi 15 août 2009
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