samedi 19 mai 2012

Médicalisation de la société ou infantilisation managériale?


Halte à l'infantilisation managériale par les consultants et les "gérants d'estrade"! 


"Le mal français, qui est le besoin de pérorer, la tendance à tout faire dégénérer en déclamation, l'Université l'entretient par son obstination à n'estimer que le style et le talent. " Ernest Renan.

"Le médecin n'est pas au service de la science, de la race ou de la vie. C'est un individu au service d'un autre individu, le patient. Ses décisions se fondent toujours sur l'intérêt individuel." Théodore Fox, ancien rédacteur en chef du Lancet

Notre système de soins est avant tout malade d'un management profondément infantilisant, lié à l'application absurde en santé du Nouveau Management Public. Ce couteau sans lame auquel il manque le manche a une forme d'utilité, c'est l'objectif à peine masqué de mettre à plat le système pour rationner les soins et achever au plus vite la vente par appartements d'une protection sociale respectueuse des principes de solidarité nationale.

Notons à cet égard les efforts louables de la Fédération Hospitalière de France (FHF, hôpitaux publics) pour sa plateforme politique 2012-2017. Ses dirigeants ont la volonté affichée de « créer un lien de confiance avec les hospitaliers ». Sont-ils prêts pour autant à décentraliser vers les opérateurs, un pouvoir qu'ils ont exigé de détenir seuls et qui pourtant leur échappe aujourd'hui par en haut dans une fuite en avant vers la régulation hiérarchique du système? « L’ARS doit se focaliser davantage sur le pilotage et la régulation des hôpitaux et non pas sur leur gestion quotidienne comme on le voit parfois », plaide Gérard Vincent, délégué général de la FHF.
Espérons que la FHF se rend compte qu'on est allé beaucoup trop loin dans l'infantilisation managériale des médecins, en cherchant à les exclure de toute participation au design organisationnel, pas seulement au niveau "micro" mais à tous les étages de la gouvernance. Ce sont là les limites du "tout incitatif" et de la concurrence encadrée des "idiots rationnels" généralisée par la loi HPST qui s'enferme dans une terrible spirale de la défiance envers l'ensemble des soignants, aux risques de l'épouvantable self fulfilling prophety de la concurrence de tous contre tous et sous enveloppe fermée. 
Il faut confronter ces principes à la logique d'Hôpital  2007 encore marquée par le modèle des "réseaux de confiance". Insistons encore toutefois sur l'erreur radicale, principal écueil des réformes "récentes", qui pour certains remontent toutefois à quelques décennies, de destruction / ignorance du niveau "micro-économique" des équipes cliniques et de leur engagement au travail, qui seul peut produire la véritable performance. Relisons avec le recul du sur-"désenchantement hospitalier" déjà cité dans le rapport Couanau mais qui a explosé depuis Hôpital 2007, qui s'est encore aggravé avec le volet "gouvernance hospitalière" et la fausse défragmentation de la loi  HPST du 21 juillet 2009,  cet article édifiant.

Le mal français?

" Aucune nation n’aime à considérer se malheurs comme ses enfants légitimes." Paul Valéry

Deux remarques sont nécessaires en préalable à la descrition de ce que pourrait être une gestion plus conséquente du système de santé:
1.Le culte affiché de la "santé publique" doit être très fortement tempéré en raison de la complexité propre à cette discipline à part entière, de garantir sa liberté académique, entre la médecine au service de l'intérêt individuel du patient et la politique qui est au service du bonheur des peuples (Aristote), ce bonheur qui est de la responsabilité du "souverain", qui est devenu "la santé" selon la définition ubuesque de l'OMS (Petr Skrabanek, "La fin de la médecine à visage humain"). " Le bonheur c'est la santé, la santé c'est le bonheur."

2. Le "mandarinat" existe toujoursn'en déplaise à certains "anosognosiques" organisationnels mais sous une forme bien différente de celle que nous avons appris à caricaturer dans nos représentations. Le mandarinat s'est simplement adapté à l’environnement politique, législatif et réglementaire, sanitaire et social.

Le principal problème de l'hôpital est qu'il est malade d'un management qui ne cesse d'hypertrophier ses systèmes de reporting et de contrôle au détriment de la qualité réelle des soins, celle qui est constatée par les soignants, et non celle des grand-messes de performance officielle d'un système devenu incapable de s'écouter, alors que nous avons connu, pour les moins jeunes, du temps du "mandarinat classique", un hôpital certes très optimisable en termes de gestion financière et surtout humaine, mais hautement performant. C'est que la "bureaucratie professionnelle" d'Henry Mintzberg qui parvenait assez brillamment à concilier soins recherche et enseignement, qui pleure en France avec nostalgie la réforme de 1958, est beaucoup moins infantilisante, même pour les paramédicaux, que le contrôle obsessionnel d'ouputs qui ne disent rien du sens du soin parce qu'il sont myopes autant que chronophages, ni surtout de ce qu'il faut faire pour améliorer les performances en vue du service rendu, à la fois au patient individuellement et à la population d'un territoire, en terme d'outcome(s). Mais le système de 1958, épuisé, est obsolète et de surcroît vaporisé avec le service public hospitalier, par la "bureaucratie libérale" du Nouveau Management Public.

Le mandarinat français, croqué par Renan, c'est de s'appliquer entre "pairs", "chevaliers" ou "clercs" selon Philippe d'Iribarne ("La logique de l'honneur"), la théorie Y de Mc Gregor fondée sur la confiance dans l'engagement et le talent professionnel et d'autre part d'appliquer aux "subalternes", les "exécutants", la théorie X de Mc Gregor fondée sur la défiance, la carotte et le bâton des seuls indicateurs de résultats de sortie de système (output sans considération réelle pour l'outcome malgré la propagande des cost killers). L'adaptation des "mandarins" se fait dans une reconfiguration rapide entre une élite scientifique garante de l'EBM et une élite gestionnaire maîtresse des Big Data et des catalogues de résultats statistiques de sorties de système, au détriment des cliniciens de base, ces exécutants qu'on veut selon le modèle du NMP déconnecter de toute conception, et bien entendu de l'ensemble des paramédicaux, cadres compris, qui font pourtant partie intégrante de nos "coeurs de compétences" ou "avantages compétitifs".

La "santé publique" est une discipline hautement respectable. Mais c'est aussi le paradigme central de l'EHESP, censée agir au nom du Bien commun, et sa "liberté académique" est encore plus contrainte par une alliance du marché et de L'Etat propre au New Public Management et au grand pilier de sa novlangue destiné à promouvoir la maîtrise des politiques publiques de santé, "la démocratie sanitaire". Elle favorise la prise de contrôle des politiques publiques sur la médecine alors que les finalités et donc les priorités de l'organisation qui seront ou non partagées par les preneurs aux actes sont radicalement différentes (modèle de l'évolution du professionnalisme médical du sociologue Eliot Freidson, adapté en France et formidablement développé par Frédéric Pierru dans ses analyses de la résistance des médecins, dont le MDHP animé par André Grimaldi et Bernard Granger, face à la loi HPST.
(Pierru, Frédéric (à paraître), « Le mandarin, le gestionnaire et le consultant. Retour sur une mobilisation improbable : l’action collective des hospitalo-universitaires contre la réforme de l’hôpital public », Actes de la recherche en sciences sociales.)

Une autre gestion des organisation publiques, une autre vision de la performance
"Le pouvoir étatique n'est jamais aussi habile à resserrer son étreinte sur la société civile que lorsque qu'il feint de l'émanciper des autorités qui font de l'ombre à la sienne" Bertand de Jouvenel "Du pouvoir"

Mais que faire de l'actuelle gestion par les résultats , ce paradigme indépassable du Nouveau Management Public et son avatar français la loi HPST, quand il ne s'agit que de mettre les médecins, les infirmières, tous les soignants sans les énumérer face à des catalogues de résultats de sortie de système qui n'ont aucun sens pour eux? L'output myope recherché à court terme dans une système fragmenté et concurrentiel nuit toujours davantage à la coopération te à la continuité des soins. L'argent manque? Qu'attend-on pour changer nos modèle mentaux, cesser d'écouter le gérants d'estrade qui veulent dire opérateur quoi, où, comment et pourquoi fournir des services dont ils n'ont pas la moindre connaissance intime. Qu'attendons nous pour nous rendre collectivement compte qu'une gestion conséquente de la performance doit être fondée sur la décentralisation et la transparence des processus de décision, la participation de tous les acteurs à tous les stades de l'activité, la reconnaissance des efforts individuels et collectifs, l'équité et la juste rétribution.

Comparons deux visions radicalement opposées de la performance. Celle de l'ANAP citant l'OMS et celle de Marcel Tardif enseignant à HEC Montréal

"L'ANAP dévoile son programme de travail"
L’ANAP, qui porte la performance en son nom, s’inspire de la définition de l’Organisation Mondiale de  la Santé (OMS), selon laquelle la performance consiste à mobiliser les ressources disponibles pour :
• améliorer la santé de la population ;
• développer la capacité du système de santé à prendre en compte les attentes de la  population (ex : le respect de la dignité, de la confidentialité, de la sécurité, de l’autonomie, de  la qualité du service,…) ;
• réduire les iniquités de financement.
Notez que dans cette définition les termes de la chaîne de satisfaction sont omis: l'opérateur n’apparaît pas, pas plus que le marché des crédits (actionnaire ou gouvernement). Voir: "Une autre vision de la performance"
"Le pouvoir étatique n'est jamais aussi habile à resserrer son étreinte sur la société civile que lorsque qu'il feint de l'émanciper des autorités qui font de l'ombre à la sienne" Bertand de Jouvenel "Du pouvoir"  


Il existe bel et bien d'autres modèle que cette spirale de la défiance qui conduit tout droit au désenchantement, à la perte de sens, à la destruction de la solidarité et au désastre pour nos organisations publiques comme elles ont conduit aussi à tant d"échec dans le privé ("Lost in management").

Cessons d'entourer de murs de mathématiques, de statistiques et d'indicateurs dénués du moindre sens un terrain vague d'idées quant à des résultats finaux que nous sommes pour le moment incapables de définir. Enfin, cessons d'accepter de confondre la médecine qui est d'abord au service de l'intérêt individuel du patient, et la santé publique qui est au service des populations. 

Machiavel n'est pas mieux avisé qu'Hippocrate.

"Rien n'est permanent sauf le changement. " Héraclite

"L'enfer, c'est là où il n'y a pas de pourquoi." Primo Levi

samedi 12 mai 2012

La santé malade de ses modèles. Le changement c'est maintenant?


« Le troisième et dernier devoir du souverain est d’entretenir ces ouvrages ou ces établissements publics dont une grande société retire d’immenses avantages, mais sont néanmoins de nature à ne pouvoir être entrepris ou entretenus par un ou plusieurs particuliers, attendu que, pour ceux-ci, le profit ne saurait jamais leur en rembourser la dépense.» Adam Smith ("La richesse des Nations")

Gestion par les résultats: la fabrique de l'idiot rationnel en santé

François Hollande va-t-il remettre en cause les points les plus négatifs de la loi HPST et notamment son si délétère managérialisme de marché? Rien n'est moins sûr. Je m'acharne sur ce blog à conserver un certain apolitisme tout en défendant l'autonomie de la clinique par rapport au monde marchand et aux politiques publiques de santé. Ce n’est pas faire de la politique politicienne que de se soucier des politiques publiques de santé ou de soutenir que la santé n’est pas un "marché". Ou alors, c’est selon le mot de Paul Valéry que la politique serait devenu « l’art d’empêcher les gens ne s’occuper de ce qui les regarde ».

Que la santé ne soit pas un marché à un double sens qui n'a rien d'anti-libéral, au sens ou le libéralisme est à la fois scientifique, politique et économique. Il ne se réduit pas à la théorie de "l'idiot rationnel" de l'économie orthodoxe justement dénoncée par Amartya Sen.

C'est dans un premier sens, au sens d'Adam Smith cité plus haut, la reconnaissance des services publics comme un devoir régalien. C'est, dans un second temps la condamnation de l'actuelle folie du New public Management d'attendre de la concurrence encadrée par des indicateurs l'amélioration des organisations de soins de santé. Cette recette de cuisine internationale, démunie de tout élément de preuve, importée en santé pour ajuster les dépenses, ou plutôt gérer la "faisabilité politique de l'ajustement", est aujourd'hui ce qui fait perdre tout sens à l'action des médico-soignants dans nos établissements de soins. Cette déconnexion de l'exécution et de la conception, du design organisationnel, de la vraie qualité (celle des frontlines et non celle inventée par les back offices), est une catastrophe sans précédent pour l'engagement des acteurs du soin. Rapellons qu'Adam Smith est bien loin de la religion sectaire de l'Ecole de Chicago et du dogme de la "yardstick competition" promu par la "Rand Corporation" pour justifier les formes concurrentielles et prospectives de financement des hôpitaux (T2A). Sommes nous devenus, nous autres européens, si incapables de penser par nous mêmes contre des représentations imposées du dehors, que nous nous enfermons de notre propre choix dans la servitude volontaire, ou dans la "cage d'acier" de Max Weber? Cette perte du sens du soin par l'effet des indicateurs myopes d'ouput, si incapables de considérer les "outcomes" les seuls résultats qui comptent pour le patient et pour les soignants, c'est ce qui les désengage progressivement, au delà des questions essentielles de logement comme à Paris, et d'équité de rétribution notamment pour les paramédicaux. Si "le changement c'est maintenant", alors pour des soins de santé à la fois respectueux des parties prenantes, solidaires et efficients, ce doit être d'abord et avant tout la substitution d'indicateurs mécaniques de résultats par des indicateurs organiques d'engagement des acteurs. L'argent manque? Décentralisons la gestion et ce peu d'argent sera mieux géré que par l'actuelle caporalisation asphyxiante. Mais il faut faire le choix de la transparence, renoncer à la facilité électorale que constitue cette propagande de fausse rationalisation par l'incompétence érigée en veau d'or managérial. Il est vrai que plus c'est énorme plus ça passe!

Il faut donc d'urgence rouvrir le débat sur la loi HPST car la santé est avant tout malade de ses modèles!

1. C'est essentiellement le volet gouvernance hospitalière de la loi HPST qui pose problème!

- une coordination essentiellement descendante (« soviétique » dit Kervasdoué) qui considère le pôle ou "centre de résultats", comme premier niveau de gouvernance et d’intégration des soins

- une promotion systématique de la logique des contrats d'objectifs, faussée par l'absence de décentralisation réelle de la gestion et de prise en considération réelle des moyens pour « l'imputabilité » de ces résultats.

- la vaporisation des structures de service public ou y participant, en « missions de service public » qui conduit à la confusion entre entreprise et institution.

- le concept « novlangue » de démocratie sanitaire (voir Hippocrate contre Machiavel) permet de cacher que l’on commence par supprimer les prérogatives des commissions médicales d'établissements pourtant élues, et que s’opère la prise de contrôle "top down" des médecins et autres soignants par une fausse promotion de la représentation des usagers en bras armé des gestionnaires de risque financier oeuvrant pour les shareholders. Ce dont nous avons besoin c'est d'une démocratie pluraliste des parties prenantes (stakeholders) avec en particulier la ré-introduction des professionnels au coté des usagers et des élus dans une véritable « participation ».

- la déstabilisation systématique par le management des équipes en frontline au contact du public, par ignorance du niveau micro-économique ou s'élaborent les méthodes de travail, méthodes et disciplines d'exercice étant mutuellement dépendantes, et ces dernières avec les disciplines académiques. Ces micro-systèmes cliniques sont le lieu de l'efficacité économique en même temps que du service rendu, individuellement au patient comme à la population du territoire ou de la région desservis. L'efficience peut alors être définie comme le bien rendre le service, dans la concordance des actes requis et des ressources disponibles.

2. Certains aspects semblaient plus positifs, issus de bons diagnostics du rapport Larcher, mais les prescriptions ne se sont pas donné les moyens d'une réelle défragmentation entre soins et social. La promotion de la "santé publique" ne distingue pas ses propres missions, centrées sur les populations, de celles de la clinique centrée sur l'intérêt individuel du patient, d'où un constant malentendu sur les missions de la médecine clinique et de la santé publique.

Coordination des soins entre les hôpitaux, la médecine de ville et le secteur médico-social, de mise en œuvre de la politique de santé publique et de garantie de la sécurité sanitaire. Complémentarité et graduation des soins

Il s'agit du difficile problème de l'intégration des soins entre les "silos", les "monopoles internes", voire la lutte contre le "sous travail" dont on ne peut plus aujourd'hui externaliser le coût vers le client, les actionnaires ou les contribuables (François Dupuy). Mais les bons auteurs en management sont unanimes ce n'est pas en tombant dans le piège du couple infernal intégration - processus, en noyant les cadres sous un reporting schizophrénique que l'on améliore les comportements au travail, ceux dont dépend la performance. L'intégration, que tout le monde appelle des ses voeux fait peur à tous les acteurs. Ils ne résistent pas à l'innovation, ils craignent avant tout le lobbying des voisins face à l’Etat jacobin et les décisions absurdes qui pourraient émerger de l'arène politique, des combats de marchés et de juridictions professionnelles.

Tout le monde est pour la continuité et la pertinence des soins une graduation des plateaux techniques/ technicité des acteurs qui respecte le juste soin au juste coût, mais au lieu de prendre en compte les réseaux réels ou informels par lesquels les acteurs en frontline résolvent les problèmes entre le "dedans" et le "dehors" de leurs cabinets, services ou institutions, tentant comme ils le peuvent de pallier les limites du modèle économique de l'hôpital "usine à soins", on met en place des incitations et machins gestionnaires à la coopération. Ceux-ci captent l'énergie d'équipes déjà rendues exsangues par les pseudo-marchés internes sous enveloppes fermées, à écrire des projets et à combattre les voisins au lieu de coopérer, pour l'allocation d'enveloppes fléchées sur de nouveaux concepts trop souvent déconnectés du réel. Ces enveloppes, solution de facilité de survie à la T2A pour les activités au gré des fléchages politico-médiatiques aggravent sans cesse les inégalités d'accès aux soins.

Voir le schéma de graduation des soins dans ce résumé sur le site GSK de la loi HPST:

Les professionnels, contrairement à la doxa managérialiste  ne sont pas tant "résistants au changement" que terrorisés par l'expérience des changements précédents et de la façon dont il sont été gérés par la puissance publique depuis des décennies. 
L'intégration fait peur en France et elle relève toujours de diverses interprétations:
- soit vers un contrôle toujours plus technocratique, captant de plus en plus tout l'encadrement institutionnel à des tâches de reporting inutiles selon les données de l'evidence based policy, pour renseigner des indicateurs myopes qui conduisent toujours à l'héliocentrisme (travail pour les indicateurs et non pour les missions qui font sens). 
- soit vers un managed care assuranciel avec plus ou moins grande privatisation des complémentaires santé, mise en place de gate keepers et case managers assuranciels, vision qui reçoit des soutiens de tous les bords politiques, à gauche en se cachant derrière la notion de "mutuelles",  tout comme à droite en se cachant derrière les « missions de service public » encore une fois "vaporisées" par la loi HPST selon les principes de Ecole de Chicago et du consensus de Washington qui préside aux traité européens. Le risque majeur (Tabuteau, Pierru…)  est  de déconstruire notre modèle de protection sociale solidaire.
- soit hélas les deux à la fois.

Nous sommes hélas tombés dans ce que François Dupuy ("lost in management") appelle le « couple infernal intégration- processus », maladie de la corporate governance d’abord privée puis publique sous la forme du New Public Management. Vouloir casser la bureaucratie professionnelle de Mintzberg est une erreur radicale de ceux qui n'ont pas compris Mintzberg (« structure et dynamique des organisations »). On ne casse pas un "idéal-type", il sert seulement à comprendre le réel et il est toujours hybridé dans la réalité.  Les systèmes professionnels où les opérationnels sont les "experts" nécessitent une intégration intelligente entre des "silos" fortement autonomes et décentralisés qui sont la base de l'efficacité dans tous les sens du terme. Supprimer les silos est l'erreur majeure d'un modèle de management qui soit a trop fait confiance à une « ré-ingénierie système » semi-habile et aux formes modernes de l'organisation scientifique du travail (OST) pour rationaliser (lean, toyotisme, business process management etc.), soit les promoteurs du modèle, qui ont lu Machiavel, ne sont pas dupes et enfument l'ensemble du secteur pour mieux rationner les soins en se faisant réélire (ça ne marche pas à tous les coups).

Dans les deux cas le cost killing qui a déjà détruit de nombreuses entreprises privées avant de s’appliquer aux services publics, en vient à dégrader les vrais résultats cliniques, ceux qui comptent dans notre vision médico-soignante, donc du sens du soin, de la satisfaction au travail des professionnels, le meilleur indicateur dans les modèles de management des organisations publiques où l'on ne sait pas mesurer les outcomes (Marcel Tardif, Management des organisation publiques) .

Ces indicateurs dit organiques de gestion des organisation publiques se divisent 3 dimensions. Tout d'abord le mode de gestion de la qualité de vie au travail:

1. la transparence de la direction et de l'encadrement comme du personnel à tous les niveaux et à tous les égards,

2. la décentralisation du pouvoir de décisions au point de jonction entre le client et le prestataire du service attendu,

3. et la gestion participative... qui suppose que tous les ordres de décisions et tous mécanismes de fonctionnement et tous les enjeux de l'organisation font l'objet d'échange entre tout les preneurs aux actes dans l'organisation (lire tout le personnel, et non pas que les seuls dirigeants et l'encadrement).

En second lieu, on a les facteurs de motivation au travail que sont le comportement des supérieurs:

4. la reconnaissance de l'apport au travail (franche, publique et sincère) de la part de tout un chacun (pas assez, c'est frustrant, trop, c'est ridicule).

Enfin vient le style de management:

5. l'équité de traitement au travail (le départage des avantages et des désavantages de l'activité entre tous les preneurs à l'activité -- le personnel à tous les niveaux), et

6. la juste rétribution (soit celle que justifie les actes posés par le personnel, en tenant compte des fluctuations du marché économique de référence et des limites de récurrence de la demande-cliente).

« Le pouvoir étatique n'est jamais aussi habile à resserrer son étreinte sur la société civile que lorsque qu'il feint de l'émanciper des autorités qui font de l'ombre à la sienne. »  Bertand de Jouvenel - « Du pouvoir  » 

dimanche 6 mai 2012

En finir avec la pensée managériale de marché?



Programme d'éducation thérapeutique: "prévention de la gueule de bois post-électorale"

« Tous les hommes politiques appliquent sans le savoir les recommandations d'économistes souvent morts depuis longtemps et dont ils ignorent le nom. » John Maynard Keynes

Jamais l'Etat n'a été aussi interventionniste dans l'économie, même sous la droite sortante. Mais ces interventions sont au service tant des vrais marchés à but lucratif que des "pseudo marchés" internes imposés aux organisations à but non lucratif, comme la T2A. 
L'urgence est bien d'arrêter la privatisation délétère de ce qui n'est pas rentable à court terme, erreur radicale des élèves de l'Ecole de Chicago par la déconstruction de la solidarité qu'elle impose à tous les états endettés pour l’éducation, la santé et les services sociaux. 
Mais l'urgence, c'est tout autant de décontaminer les services publics de la "pensée managériale de marché" selon l'expression d'André Grimaldi
Cette pensée, destructrice de toute médecine à visage humain, est encore largement partagée à droite et à gauche comme horizon indépassable de l'économie orthodoxe (l'Etat industriel et prédateur de John et James K. Galbraith).

Quelques propositions:
  • Abrogation du volet gouvernance de la loi HPST qui institutionnalise l’alliance de l'Etat et du marché contre les professionnels et au détriment des patients.
  • Coordination médicale autonome et responsable dans les établissements publics de soins en situation de co-gestion avec les managers représentant la puissance publique.
  • Intelligence territoriale entre médecins et autres soignants, managers, offreurs publics ou privés, payeurs, élus, usagers.
  • Respect de l'autonomie professionnelle des médecins, et de celle des autres soignants en situation de décision clinique.
  • Reconnaissance au coeur des soins et au contact du public du niveau micro-économique des équipes comme premier niveau de gouvernance où s'articulent le sens des soins, donc la véritable qualité, et l'efficacité économique.
  • Financement des soins qui favorise une vision partagée des objectifs à long terme pour les patients.
  • Abandon du dogme du "tout incitatif" managérial en direction de soignants qui ne seraient que des calculateurs égoïstes et des idiots rationnels.
  • Expurgation de la loi de tous ses éléments anti-service public et abandon des juridictions européennes qui permettent à des structures privées de porter plainte contre les Etats soutenant leurs services publics.
  • Défragmentation législative réelle entre soins et social qui ne se contente pas de plaquer des gadgets gestionnaires de coopération sur un système poussant les acteurs à l'individualisme.
  • Promotion d'une démocratie véritablement pluraliste, respectueuse des savoir-faire professionnels et des savoirs des usagers.
«L'homme purement économique est à vrai dire un vrai demeuré social. La théorie économique s'est beaucoup occupée de cet idiot rationnel, drapé dans la gloire de son classement unique et multifonctionnel de préférences. » Amartya Sen

vendredi 4 mai 2012

Health-Pride: les nouveaux métiers de la santé publique


"Le médecin n'est pas au service de la science, de la race ou de la vie. C'est un individu au service d'un autre individu, le patient. Ses décisions se fondent toujours sur l'intérêt individuel." Théodore Fox, ancien rédacteur en chef du Lancet

Petits détournements de textes...

Les nouveaux métiers de la santé publique

"Un bataillon d’agents de coordination des réseaux ouvre la marche, suivi presque aussitôt par un peloton d’accompagnateurs de personnes vulnérables, puis arrivent en rangs serrés les compagnies d'actuaires des risques financiers, de soignants polycompétents, d’agents d’ambiance, d’adjoints à la qualité, de coordinateurs de filières, de formateurs à l'éducation thérapeutique, de psycho-esthéticiens, d'agents de saisie médico-économique, d'agents d'éthiconomie appliquée, d’agents de médiation, de commissaires à la démocratie sanitaire , d’agents de promotion de la santé et j’en passe énormément. Ferme le cortège un petit groupe hilare d’accompagnateurs de personnes dépendantes placées en institution, talonné par des cadres experts en organisation des soins et des conseillers à la performance en direction des hôpitaux désorientés. Musique. 
Vers le ciel d’azur s’envolent des ballons, un camion-grue déguisé en sapin de Noël s’élance en grondant, la foule massée des deux côtés de l’avenue applaudit sauvagement, le monde retrouve enfin sa base. Le handicap est rassuré, la vieillesse respire. Le Tissu Social en cours de réparation frémit d’aise, les réjouissances ne font que commencer. Non non non, il ne s’agit pas d’une parade des arts de la rue, il s’agit des nouveaux métiers de la santé, réunis dans un rassemblement imaginaire tel qu’il pourrait se présenter à l’occasion d’une fête géante, une sorte de , je  sais pas moi, une sorte d’Halloween à l’échelle nationale, une Love-Parade en plein Paris, une Health-Pride mais oui pourquoi pas ?! Une Health-Pride. 
Quel besoin, dans ces conditions, pour l'énarchie de santé publique, de chercher à bricoler une nouvelle thématique, un projet, des propositions originales et crédibles ? Pour séduire qui ? Les médecins, les directeurs ou les élus d’avant ? Ceux qui auraient ricané à l’idée de se balader dans un concept soutenu par une idée, elle-même suspendue à une théorie ? Ils n’existent déjà presque plus. Le réaménagement abstrait du territoire est en train de forger son peuple ainsi que ses nouveaux matons de Panurge. "



Contre l’insurrection managériale de marché

"Un pouvoir insurrectionnel s'est établi en médecine par un pronunciamento gestionnaire.

Les coupables de l'usurpation ont exploité la passion des cadres de certains établissements, fédérations et associations, l'adhésion enflammée d'une partie de la population et de certains élus qu'égarent les craintes et les mythes, l'impuissance des médecins submergés par la conjuration.

Ce pouvoir a une apparence : un quarteron de ministres ayant pour doctrine gouvernance d'entreprise, gestion administrative des résultats, concurrence encadrée et privatisation. Il a une réalité : un groupe d'économistes et de grands commis de l'Etat, partisans, ambitieux et fanatiques, acquis aux principes de l'Ecole de Chicago. Ce groupe et ce quarteron possèdent un savoir-faire expéditif et limité. Mais ils ne voient et ne comprennent la médecine et la santé que déformées à travers leur frénésie de rationalisation managériale de marché. Leur entreprise conduit tout droit au rationnement des soins et à un désastre national.

Car l'immense effort de redressement de la santé et de l'hôpital public, entamé depuis le fond de l'abîme, affermi grâce aux acquis du Conseil national de la résistance en matière de santé et de protection sociale , mené ensuite jusqu'à ce qu'en dépit de tout la victoire sur de nombreuses maladies fût remportée, l'autonomie professionnelle garantie, la solidarité nationale instaurée, notre rang au dehors pour la reconnaissance de notre médecine renforcé, tout cela risque d'être rendu vain, par l'aventure odieuse et stupide des nouveaux ingénieurs de la santé. Voici le service public vaporisé, la solidarité défiée, l'efficacité de notre médecine ébranlée, notre prestige international abaissé, notre place dans l'organisation des soins, de l'enseignement et de la recherche compromis. Et par qui ? Hélas ! Hélas ! Par des hommes dont c'était le devoir, l'honneur, la raison d'être, de promouvoir un système de soins accessible, solidaire et fait de juste soin au juste coût"

Médecins, soignants, directeurs, usagers, élus ! Voyez où risque d'aller la santé en France, par rapport à ce qu'elle était en train de devenir.

Il est difficile hélas, de détourner un discours de Charles de Gaulle sans l'alourdir un peu... 

Commentaire: Machiavel est-il plus avisé qu'Hippocrate?


"La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité. Préambule de 1946 à la Constitution de l'organisation mondiale de la santé (OMS)."

Notons d'emblée, comme l'a si bien relevé Petr Skrabanek, brillant éditorialiste du Lancet et auteur de "La fin de la médecine à visage humain", que cette définition suppose l'identité de la santé publique et de la politique entendue comme "art de rendre les peuples heureux" depuis Aristote.

La santé publique est une noble science. Elle étudie l'épidémiologie, les déterminants de santé des populations et les méthodes permettant d'améliorer la santé des populations. Nul ne peut être contre la santé publique. Mais la santé publique est toujours en tension avec la clinique, en d'autres termes avec la médecine qui s'occupe avant tout de l'intérêt individuel du patient. L'objectif de la santé publique est le bien commun, celui du médecin est d'abord le bien du patient qui lui a fait confiance. La santé publique risque aussi un extrémisme scientiste et constructiviste, prompt à modeler et régenter les attitudes et les comportements, dès lors qu'elle tend à se définir comme « activité organisée de la société visant à promouvoir, à protéger, à améliorer et, le cas échéant, à rétablir la santé de personnes, de groupes ou de la population entière. » Cette tension irréductible entre Hippocrate et Machiavel, entre médecine et politique est une réalité internationale qui est souvent gommée par notre tradition jacobine. Les dernières décennies, la prise de contrôle politique de la maîtrise des dépenses de santé a entraîné l'accélération considérable, à des fins de propagande, de la confusion des concepts entre santé publique et politique (tarte à la crème d'une "démocratie sanitaire" et de "machins" d'agence qui n'ont jamais autant exclu les parties prenantes en prétendant les associer). Les liens entre clinique et santé publique sont aujourd'hui réglés par l'évolution des politiques publiques de santé, elles-mêmes très largement déterminées par l'analyse des risques financiers.

La médicalisation excessive de la société pour les uns (Jules Romain, Illitch, Foucault), la "fin de la médecine à visage humain" pour les autres (Petr Skrabanek et autres anti-Knock) sont les deux visages d'une même crainte, la prise de contrôle de la décision médicale sous couvert de la notion "d'imputabilité" envers les populations, mais avant tout des finances publiques et de la rationalité managériale pour l'orienter en fonction d'injonctions de nature gestionnaire.

Nul ne peut contester que le médecin, mais cela s'applique aux autres professionnels de santé, s'il reste avant tout au service du patient, doit aussi prendre en compte dans sa pratique un certain degré d’imputabilité des dépenses qu'il ordonne de fait, tout en gardant farouchement l'autonomie de sa décision médicale. Celle-ci doit rester, et c'est cela que les malades et les élus doivent comprendre de toute urgence, libre de la double "relation d'agence" (dans la théorie de l'agence il est à la fois l'agent du patient et en même temps celui soit du directeur de son établissement soit directement de l'organisme payeur pour les professionnels libéraux. Celles-ci l'obligent à intérioriser des choix tragiques faits au niveau politique et à trahir la confiance de son patient. C'est hélas l'effet de systèmes de paiements comme la T2A et il seront inévitablement aggravés par le P4P le pay for merformance dont on sait qu'il n'a nulle part fait ses preuves et qu'il ne peut qu'aller dans le sens de cette effroyable  prophétie auto-réalisatrice pour économistes de la santé semi-habiles qui est de transformer le médecin en idiot rationnel. 

Machiavel n'est pas plus avisé qu'Hippocrate. La science sur laquelle s'appuient les politique publiques de santé est trop humaine. Elle repose sur des modèles peu sûrs, sur des données bâties selon ces modèles, sur des statistiques et des interprétations dont les heuristiques sont celles de la disponibilité des données et des paradigmes du modèle même qui les a produites. Ainsi les boucles auto-référentielles sont-elles multiples, et la sagesse pratique d'Aristote s'impose plus que jamais pour justifier l'autonomie de décision des équipes cliniques au contact du public. Ces systèmes micro-économiques sont le lieu de la conciliation de la qualité des soins et de l'efficience, le seul qui peut combiner le sens de l'action, ce que sait la main, le souci de l'autre individu qui est là, qui est angoissé et qui souffre en même temps que celui du bien commun.

Cela dit, reste à organiser l'intelligence territoriale et collective entre les parties prenantes, qui dépend de la subtile synergie entre le "let it happen" et le "make it happen".