vendredi 29 octobre 2010

T2A et méthode Coué - La nouvelle gestion publique "en action"


"J'ai des questions à toutes vos réponses." Woody Allen

1 La méthode d'Emile Coué pour convaincre les parlementaires ou l'art de leur cacher les effets de la nouvelle gestion publique en santé: lire le rapport T2A 2010 sur http://martaa.free.fr/

Antidote: la nouvelle gestion publique "en action" - comprendre pourquoi et comment nous sommes soumis aux méthodes de concurrence par comparaison inspirées par les règles du marché privé: théorie de l'agence, gestion administrative des résultats nécessitant une modélisation industrielle préalable des fonctions de production (Fetter) pour la définition d'objectifs quantitatifs, et la focalisation sur ce qu'on croit pouvoir analyser comme prestations fournies plutôt que sur la procédure à suivre, trop implicite aux yeux des logiques managériales.
http://www.cairn.info/revue-internationale-de-politique-comparee-2004-2-page-177.htm tiré de:
La nouvelle gestion publique - Revue internationale de politique comparée Volume 11, 2004/2

Voir aussi les textes de Frédéric Pierru et un florilège sur la NGP

2 L'erreur persistante ou l'art de noyer le poisson de la fragmentation. Le déni de la question des maladies chroniques eu égard aux limites intrinsèques de la conception des GHM c'est de ramener en permanence la question de l'intrication du médical et du social à la seule "précarité".

Extraits p. 70 - Les chantiers déjà engagés seront poursuivis :

"en ce qui concerne la prise en charge de populations précaires en milieu hospitalier, le secrétariat général du Comité d’évaluation de la T2A s’est inspiré de la méthode de repérage des patients précaires développée dans le rapport d’Iris Conseil pour préparer le recueil de l’information dans les établissements de l’ENCC qui permettra d’alimenter l’étude quantitative. Plusieurs codes Z ont été retenus pour chacune des quatre dimensions de la précarité (isolement, qualité du logement, niveau de revenu, et accès aux droits). Un tri a été effectué, à partir d’une étude de l’ATIH, pour ne retenir que les codes Z qui semblent exercer une influence importante sur les durées moyennes de séjour. Le recueil des données au niveau des établissements de l’ENCC a été effectué par l’ATIH en novembre et décembre 2008. Les premiers résultats portant sur l’impact de la précarité sur la durée moyenne de séjours devraient être disponibles vers la fin du 1er semestre 2009. Le troisième rapport annuel du Comité d’évaluation de la T2A (2009-2010) rendra compte de l’état d’avancement de cette étude"

en ce qui concerne l’impact de la T2A sur la productivité au sein des établissements de santé, le Comité d’évaluation a confié en 2006 au CRESGE, un centre de recherche en économie, la réalisation d’une étude méthodologique et statistique centrée sur la mesure de la productivité. Cette étude a été rendue publique à la séance plénière du Comité d’évaluation de la T2A du 5 février 2008. Cette étude a apporté une revue de la littérature intéressante qui souligne bien que les indicateurs de productivité partielle fournissent une vision biaisée de la performance des établissements de santé. Dans ce cadre, le secrétariat général du Comité d’évaluation de la T2A envisage, dans les premiers mois de 2009, de confier à un groupe de travail associant la DREES et l’INSEE (CREST) la réalisation d’une nouvelle étude, plus académique, qui s’inspirerait des approches en termes de fonction de production. Ce groupe de travail aura à définir la méthodologie de l’étude et modéliser la fonction de production des établissements de santé. L’intérêt de cette approche est de proposer un modèle économique à partir duquel il est possible de décliner des indicateurs de productivité globale robustes. Cette étude, qui représente un investissement méthodologique important, s’inscrit dans un calendrier long qui pourrait s’étendre sur deux années"

Ces rapports sont manifestement des entreprises de propagande qui ignorent systématiquement la littérature internationale sur les financements prospectifs, les comportements opportunistes qu'ils induisent sur les acteurs mis en concurrence pour la survie de leurs structures (sélection des patients dans le cadre des activités de soins affichées vis à vis des agences, baisse non évaluée de qualité des prestations, transferts de soins et de charges vers d'autres secteurs, sélection adverse c'est à dire refus de développer certains types d'activités non rentables) , question cruciale du choix des épisodes de soins à financer, évaluation de l'impact de ces financements sur la qualité et la sécurité des soins, garde-fous etc.

Guide de désintoxication rapide au sujet du financement prospectif: https://sites.google.com/site/ubulogieclinique/genealogie-de-la-loi-hpst#TOC-Financement-des-h-pitaux

Conclusion: la T2A est, ni plus ni moins que les autres, un très mauvais système de financement. Toutefois ce financement prospectif s'inscrivant dans les mécanismes quasi-marchands inspirés de la NGP ne suffit pas à lui seul à détruire les hôpitaux publics. Il faut impérativement y adjoindre:

1 Une enveloppe financière contrainte, l'ONDAM qui oblige à la baisse inéluctable de tous les tarifs et donc à l'extinction d'activités territoriales indispensables par le biais de restructurations fondées sur des indicateurs volontairement myopes (non sens de la "bureaucratie libérale" de Giauque).
2 Un management hyper-bureaucratique (HPST est une réforme "soviétique" selon Kervasdoué) qui ne laisse aux promoteurs d'activités cliniques, pôles et/ou unités opérationnelles, ni véritable autonomie ni responsabilité, en pratique ni le "chéquier" ni la latitude nécessaire sur les ressources humaines et les équipements
3 Une propagande et une gestion top-down d'une pseudo-qualité et des risques qui masque systématiquement les effets pervers en terme de qualité et sécurité des soins voire de maltraitance, et empêche le développements de classiques mécanismes compensateurs palliant la faible consistance du "modèle de production" et des "groupes homogènes de malades"

On parvient ainsi à cumuler les pires effets délétères de la dotation globale, du financement à l'activité et de la pire bureaucratie weberienne. Mais le succès est-il aussi assuré pour ceux qui ont convaincu Machiavel de la faisabilité politique de cet ajustement sauvage des dépenses face à Hippocrate?



La dictature c'est "ferme ta gueule", la démocratie c'est "cause toujours". Woody Allen




samedi 23 octobre 2010

Euthanasie bureaucratique de l'hôpital public - Essai de généalogie et de typologie murayienne des médecins hospitaliers



"Je ne crois qu'aux statistiques que j'ai falsifiées moi-même". Winston Churchill

Qu'on ne s'y trompe pas, les promoteurs de la loi HPST savent très bien ce qu'ils font. Ils ont bel et bien programmé l'asphyxie des hôpitaux publics, bien au-delà des restructurations que pourraient justifier des comparaisons internationales d'équipement en lits et une nécessaire optimisation des organisations. Les mécanismes de convergence intra et intersectorielles si justement dénoncés par le MDHP, par de nombreux syndicats de médecins ou de directeurs, s'accélèrent alors que plus que jamais un financement prospectif sans garde-fou (T2A) conduit les structures luttant pour leur survie à des comportement opportunistes de sélection des patients, de réduction des prestations, de transferts de soins et de charges vers d'autres secteurs, au mépris de l'accessibilité, de la continuité et de la sécurité de soins. Si les territoires hébergeant les populations les plus vulnérables sont les premières victimes de cette politique myope, avec l'effet de double peine d'être aussi des départements disposant de moins de moyens pour les relais sociaux et médico-sociaux dont la responsabilité a été "décentralisée" quand le secteur sanitaire n'est que "déconcentré", tous sont frappés par cette gestion délétère. Mais on reste stupéfait de la facilité avec laquelle les collègues médecins hospitaliers se laissent transformer en exécutants dociles, progressivement démunis de tout ce qui faisait le sens de leur action, pour eux et leurs équipes, soit par renoncement et résignation, soit parce que sans aucun espoir de restructurations intelligentes ils ne luttent plus que pour préserver leur activité en attendant que l'orage passe, soit parce qu'ils se sont laissés formater l'esprit pas la doxa gestionnaire sans en comprendre le projet pourtant assez limpide.

Voici une typologie murayienne des médecins hospitaliers et une proposition d'un exercice de généalogie collective

Bien sûr il y a les appatchiks, les "matons de Panurge" qui tiennent un discours auquel ils ne croient guère, pour les moins naïfs, et qui tirent avantage de leur position pour mieux promouvoir leurs projets ou par simple peur que ceux des autres fassent obstacle aux leurs s'ils ne tiennent plus les rennes. Certains hôpitaux sont ainsi paralysés par la peur et par leurs réseaux informels, ces "cliques" qui ne parviennent plus à sortir d'elles même. Il se déroulera alors de surréalistes réunions de CME /CCM (pour l'AP-HP, futurs CMEL ou Comités de Mise En Liquidation de la régulation médicale) qui deviendront de tristes successions de powerpoint célébrant le thème du "tout va très bien madame la Marquise". Voici venu le temps de l'ouverture du bal des indicateurs à courte vue et de la myopie gestionnaire, comme la consommation des litres de soluté hydroalcoolique (type même de l'indicateur absurde selon Christian Morel).
Nous verrons alors pontifier dans ces tristes grand-messes où se préfigure déjà la caporalisation des responsables médicaux, les doctes Diafoirus du management hospitalier, les Trissotins de la performance et des portefeuilles d'activités faire l'exégèse de notre situation dans le palmarès du Point à travers une succession de diaporamas soporifiques relatifs
- aux résultats T2A, qu'on s'empressera bien de surtout ne pas rapporter ni aux lits qu'on peut laisser ouverts sans danger pour les patients, ni aux effectifs médicaux et non médicaux,
- aux taux d'infection nosocomiales camembérisées en couleurs sans se demander si on a assez d'infirmières pour enlever les sondes à demeure infectantes et les remplacer par des sondages intermittents,
- à divers laius sur les nouveaux systèmes d'information en novlangue incompréhensible
- avant le dernier audit externe qui aura coûté une fortune pour dire au directeur ce qu'il voulait entendre en n'utilisant surtout pas les compétences locales.
Entre ces projections, les plus courageux des présents encore en éveil oseront peut-être encore évoquer l'existence de quelques petits dysfonctionnements qui pourraient faire l'objet (comble d'audace) de concertation avec les parties prenantes légitimes (là, on frise l'insurrection culturelle).

Il y a les "mutins de Panurge", les rebellocrates, ceux qui condamnent les équipes aux commandes et leurs restructurations brouillonnes et expéditives pour appliquer dès qu'ils le pourront la même logique suicidaire au service d'intérêts catégoriels ou à courte vue, parfois au nom des paradigmes les archaïques ou au contraire les plus grossièrement gestionnaires qui soient.

Il y a les "montons de Panurge", les vaches à lait de la médecine, les tâcherons chargés d'exécuter des programmes de soins fictifs, élaborés par une technostructure qui nous raconte à longueur de rapports, formations et de réunions abrutissantes, bien loin de la réalité des unités de soins un "pays des Bisounours", un "hôpital numérique" dans une représentation autant virtuelle qu'inconsistante de la qualité version contrôle externe, des processus, de la sécurité, des indicateurs myopes, de la participation et de la transparence, de l'innovation, de la performance etc.

Il y a peut-être de véritables résistants à la chienlit gestionnaire qui nous accable et dégrade la qualité et la sécurité des soins au quotidien. Mais qui peut prétendre être assez visionnaire? Nous pensons toutefois que la vigilance critique et l'ingérence organisationnelle sont aujourd'hui le devoir et l'honneur de la médecine. De nombreux et talentueux collègues nous montrent la voie pour rester les avocats des patients que nous servons. Y-a-t-il aujourd'hui un Londres de l'hôpital public, ou une résistance de l'intérieur encore possible?

Généalogie du projet
La vérité est que le projet, le "vrai" projet, celui d'en haut, ne parlons pas de ces petits projets régionaux de santé, de territoire, d'établissement, de service, de soins, de sortie, de vie, que l'incontinence réglementaire nous enjoint de formaliser dans la culture du plus pur nonsense chestertonien, parlons du grand projet de l'architecte, celui de Machiavel ingénieur du système de soins, cette grande entreprise de constructivisme holistique sanitaire et social, promue par les semi-habiles des statistiques de santé publique et des nouvelles sciences computationnelles. Ce grand projet, c'est bien l'asphyxie programmée de l'hôpital, son euthanasie bureaucratique qui sont parfaitement orchestrés. Les activités de soins vont tomber une à une sans considération aucune pour leur utilité territoriale malgré les incantations des ARS. Sans doute laissera-ton un lieu d'accueil pour les indigents, car comment faire quand l"'hôpital devient ça et là le généraliste des pauvres? Mais l'indigent, la personne en perte d'autonomie relèvent non des services déconcentrés de l'Etat mais des collectivités décentralisées. L'abîme entre soins et social se creuse toujours davantage contre toute logique de véritable santé publique à commencer par celle de la simple intelligence économique. Sans doute laissera t-on aussi quelques lieux de médecine de référence liés à la recherche mais peu accessibles faute d'avoir su construire des soins gradués.

Au coeur de la propagande
On peut ainsi résumer le modèle surmédiatisé par nos nouveaux ingénieurs mondains et les hauts commis de l'Etat qu'ils ont convaincu de l'efficacité de leur machine infernale:
1 L'hôpital coûte trop cher!
2 Il n'a aucunement fait les preuves de son efficacité!
3 Il est très mal géré mais seulement "administré", dit-on, par des directeurs qui ne se soucient pas d'un l'argent public qui n'est pas le leur, par des mandarins égoïstes, notariaux, patrimoniaux et paternalistes, avec des agents de la fonction publique qui ne sont pas incités à travailler par des statuts surprotecteurs, tout ce petit monde servant des usagers dont bien entendu le seul souci est de surconsommer et gaspiller l'argent de la protection sociale.
Bien entendu le même raisonnement est tenu pour la médecine de ville.
Si les points 1 et 3 sont habituellement débattus dans le champ politique, au regard du choix d'un modèle de protection sociale, de la gestion des grands équilibres, de ce que les Français sont prêts ou non à dépenser pour leur santé, et de la gouvernance de l'hôpital prise dans l'ouragan du new public management le plus jacobin qui soit, c'est bien le point 2 qui doit nous inquiéter, point très rarement mis en avant, sauf par les connaisseurs de l'idéologie qui sous-tend cette mise à mort de l'hôpital et au delà, de la médecine curative s'exerçant dans le cadre de soins solidaires et accessibles à tous. Le transfert des dépenses sociales aux collectivités locales crée des dysfonctionnements ubuesques vu d'en bas comme si il y avait des "français de L'Etat" et des "français du département". Schizophrénie institutionnelle!

Résistance intellectuelle
Il importe donc de citer les auteurs et les think-tanks qui véhiculent en permanence le seul argument qui vaille pour les adversaires de l'hôpital public, et au delà de la médecine curative, son inefficacité globale même si l'Evidence Based Medicine et autres données factuelles vise à en sauver pour les apparences quelques pans bien industrialisés. Le reste sera laissé en pâture à la régulation marchande et à la patamédecine non remboursée en dehors de mutuelles. La question de la démédicalisation et de l'antimédecine ne peut se ramener à un simple débat droite gauche puisque qu'entre autres, Jean de Kervasdoué défenseur des systèmes socio-démocrates de protection sociale fait partie des auteurs concernés. De plus est-il besoin de rappeler que c'est la révolution française qui avait créé les officiers de santé. Foucault et Freidson se sont interrogés sur le retour triomphal de la médecine en France après cet épisode. De l'autre coté Milton Friedman de l'école de Chicago prône une libéralisation totale avec suppression des juridictions professionnelles et de toute reconnaissance par l'Etat, avec la seule loi de l'offre et de la demande pour prodiguer des soins.
On peut donc espérer qu'encore une fois Hippocrate survivra aux sophistes et à la bureaucratie à la fois soviétique et néo-libérale qui s'annonce.

Voici quelques textes symptomatiques de cette mouvance, merci de compléter cette généalogie salutaire.

Kervasdoué à l'IFRAP
http://www.ifrap.org/J-etais-deja-critique-a-l-egard-du-systeme-j-ai-ressenti-que-je-ne-l-etais-pas-assez,555.html

On peut être en désaccord avec Jean de Kervasdoué, mais c'est une auteur incontournable. Il faut lire "très cher santé", ouvrage extrêmement riche d'idées et d'analyses. On peut lire en ligne "l'hôpital vu du lit" et "la santé intouchable"

Extraits de "Très cher santé"
"La France se classe au cinquième rang mondial pour l'espérance de vie après Andorre, le Japon, Singapour, et le Canada..."...
"Non seulement les différences sont importantes, plus de deux années entre les Etats-Unis et la France mais elles se creusent (5 mois en 1960, 2,8 années en 2004) en dépit du fait que es Américains dépensent 2 fois et demi plus que les Japonais et presque deux fois plus (1,88) que les Français."
...
"Quand la croissance de l'espérance de vie elle a d'abord tenu à la qualité de l'eau, à la vaccination, à l'hygiène, à la qualité des produits alimentaires (frais en toutes saisons) , à la qualité de l'air (la pollution atmosphérique décroît dans toutes les villes occidentales grâce au contrôle des effluents industriels et domestiques - le chauffage au bois ou au charbon - et à l'énergie nucléaire notamment en France), aux progrès des installations industrielles , aux évolutions des habitude alimentaires..."

Extrait de "la santé intouchable":
"Or, il est faux de prétendre que la médecine curative a, seule, un impact sur les indicateurs de santé. Il est en effet estimé à 15% environ. 85% de l'amélioration de l'espérance de vie est donc expliquée par d'autres facteurs (héritage génétique, mode de vie, organisation sociale). On pourrait prétendre que c'est peu. C'est en fait considérable, l'institut de Médecine de l'Académie des Sciences des Etats-Unis remarquait qu'il était quasiment nul jusqu'en 1930, passer de 0 à 15% en 60 ans est donc une véritable prouesse. Nous connaissons tous des gens qui vivent ou simplement vivent mieux grâce à ces découvertes médicales, mais cette extraordinaire réussite ne doit pas occulter les autres facteurs responsables de l'augmentation moyenne de la durée et de la qualité de vie et le fait que la médecine a un autre rôle que de soigner : celui d'accompagner, de prendre en charge ceux dont la vie se termine "

Quelle est la justification scientifique des pourcentages avancés par l'auteur? On ne peut qu'approuver son souhait de réconcilier en France médecine curative et accompagnement, cure et care, en conflit conjugal depuis les lois de 1970 et de 1975, conflits aggravés par les cloisonnement interprofessionnels introduits par les réformes suivantes. Mais n'oublions pas que c'est largement la logique gestionnaire et les politiques publiques qui sont responsables de cette fragmentation institutionnelle culturelle et financière. Aussi est-il extravagant de voir les incendiaires crier au feu et fustiger la médecine curative prisonnière des cloisons qu'ils ont créé autour de l'épouvantail du fameux "modèle bio-médical" dont on attend que le veau d'or holistique vienne à bout. Mais si aujourd'hui "l'hôpital se fout de la charité", à qui la faute sinon au modèle de production qu'on lui applique avec tant d'arrogance?

Anasys et George Borges Da Silva.
Le clan des statisticiens de la démédicalisation à outrance des soins curatifs est bien représenté dans ce texte édifiant. Lire aussi ce type de thèses dans "Très cher santé" de Kervasdoué. Borges Da Silva décrit ainsi la "quatrième grande blessure narcissique" à l'origine du désenchantement du monde hospitalier qui semble à peine commencer:
"L’immense effort financier que l’homme consacre à ses soins curatifs ne lui permet pas d’obtenir les résultats qu’il escompte. Il est maintenant admis que le système de soins profite largement d’une imposture : l’amélioration de l’état sanitaire de la population doit plus à l’amélioration des conditions de vie qu’au système de soins. Cette blessure est si mal cicatrisée que les moyens qu’il accorde à la santé publique restent bien en deçà de ses propres nécessités. L’Homo medicus serait toujours enclin à un sentiment de prééminence sans partage, expliquant ses difficultés à revoir de façon sereine et rationnelle son système de santé."
Extrait de:
Propositions d'orientation pour Anasys - Cela a le mérite d'être clair!
http://anasys.org/spip.php?article33

Georges Borgès Da Silva est rédacteur en chef de l'excellente revue "Pratiques et organisation des soins" dont voici quelques articles importants -



Mariane pose assez bien le problème, mais ne donne pas les méthodes pour les indispensables restructurations: on peut et on doit faire des économies à l'hôpital
http://www.marianne2.fr/On-peut-et-on-doit-faire-des-economies-a-l-hopital_a189974.html

La médecine? c'est comme l'aviation! Un peu de ré-ingénierie et de gestion des risques par des pros, et ces artisans, ces "petits magiciens" de l'ère préindustrielle n'ont qu'à bien se tenir...
Ensemble améliorons la qualité en santé: Présentation de René Amalberti (chargé de mission HAS)
Les méthodes de gestion des risques sont fort bonnes de soi convenons-en. Mais de quoi servent-elles si l'on en vient à oublier les risques cliniques tels que les voient les médecins et les paramédicaux, à court, moyen ou long terme, si ce qui est périphérique, mais qui se voit, se juge, rapporte ou évite des dépenses aisées à évaluer, tout en nécessitant la plus extrême vigilance, devient central au détriment de ce qu'attendent nos patients: ne pas mourir si la médecine peut l'éviter, réduire au minimum les séquelles fonctionnelles, ne pas souffrir, et être informé au mieux pour participer à la décision et aux soins. La gestion de ces risques là ne s'industrialise pas comme dans l'aviation.

Voilà pourquoi il faut s'unir pour préserver à la fois la médecine curative et la médecine sociale, en pont entre l'aigu et le chronique, les soins et la solidarité, le cure et le care, menacés avant tout par une politique d'ajustement sauvage des dépenses cachée derrière le masque trompeur de la rationalisation industrielle et financière.

Contre ces techniques grossières de gouvernement par les nombres, merci de participer à cet exercice de généalogie collective et de nous faire partager la connaissance d'écrits, think tanks, blogs qui iraient dans le même sens. appelons au contraire à une véritable logique ascendante de la construction de la qualité dans une système devenu incapable de s'écouter, de la gestion des risques, de restructurations du système de soins favorisant la qualité et adapté à des ressources rares.

Cela s'appelle intelligence économique et sociale ou recherche du bien commun, au choix, cela suppose un cadre de référence partagé pour la solidarité et la protection sociale, cela se développe dans les territoires avec les parties prenantes légitimes et cela doit s'articuler avec les logiques descendantes à travers les niveaux de gouvernance micro-méso et macro économiques.
En santé cela suppose surtout une dé - frag - men - ta - tion qui ne se limite pas aux incantations, aux incitatifs et aux formalisations managérialistes qui démédicalisent la gestion du système de soins depuis au moins 30 à 40 ans, pour les plus optimistes.

"Il y a trois sortes de mensonges, le mensonge, le fieffé mensonge et les statistiques" Mark Twain cité par Disraeli (Ah ces premiers ministres anglais!)

La langue et la verve de Philip Muray: Cliquer ici

lundi 4 octobre 2010

Machines à guérir et police médicale: brève histoire du mal


« Les faits ne pénètrent pas dans le monde où vivent nos croyances, ils n'ont pas fait naître celles-ci, ils ne les détruisent pas. Ils peuvent leur infliger les plus constants démentis sans les affaiblir. »Marcel Proust

Avec les lois de 1970 et 1975, l'hôpital veut se débarasser du social, et le nouveau secteur de l'action sociale poursuit le projet de se "démédicaliser": ces évènements marquent la fin du paradigme de "réadaptation" en France et il semble lié à la fin de celui de solidarité d'après Didier Castiel. Certes on crée imédiatement le secteur médico-social, avec une présence médicale qu'on juge indispensable, mais sous tutelle. L'Etat n'en finira pas ensuite de tenter en vain de revenir sur l'effroyable cloisonnement qu'il avait favorisé.

L'hôpital devient de fait et bien malgré lui une véritable "machine à guérir" centrée sur les soins curatifs, handicapé par l'impossibilité pratique d'articuler aigu et chronique (et donc le social qui s'y intrique). Le social et médico-social s'isolent superbement dans la lutte contre la discrimination, l'accès aux droits, le design universel pour supprimer tout handicap, surfant sur un discours générique post-soixante-huitard sur l'empowerment et l'autodétermination, auquels on ne peut qu'adhérer mais qui paradoxalement, dans une injonction néo-libérale aux plus vulnérables à se gouverner soi-même, laisse les moins habiles de plus en plus isolés pour s'orienter dans un environnement socio-sanitaire de plus en plus hostile, tandis qu'ils sont jugés responsables de leurs attitudes et de leurs comportements et donc en quelque sorte de leur destin.
Fragmentation des structures, segmentation des prises en charge , incoordination de acteurs ne cesseront de s'aggraver avec la rationalisation managériale et financière, malgré les incantations officielles.

La santé publique se confond avec la politique depuis la définition de l'OMS de la santé qui la confond quasiment avec le bonheur des peuples, but de la politique selon Bossuet et Fleury. Aussi les politiques publiques de santé se confondent-elles avec un constructivisme sanitaire, social et éducatif qui ne peut évoquer que le déploiement tranquille de la rationalité formelle de Max Weber dans nouvelle vague de "police médicale" néo-hygiéniste entamant une guerre absurde avec l'hôpital curatif, come dans le déploiement à la française du "disease management".
L'évolution parallèle du système français vers un système de protection sociale de type "libéral-résiduel" américain selon le modèle dEsping-Andersen ne doit pas faire négliger cette formidable dégénerescence bureaucratique de la santé publique.

"Voilà que le vocabulaire marchand gagne ce qu'il y a en nous de plus intime." JB Pontalis Fenêtres (cité par André Grimaldi dans "l'hôpital malade de la rentabilité")

Entre ces deux formules (ou prophéties auto-réalisatrices?) de Michel Foucault, toute médecine sociale disparaît, médecine sociale dont sans doute l'erreur de Foucault, ce grand généalogiste dont la vision systémique a été si pénétrante sur la clinique et la micro-organisation, est de l'avoir trop confondue avec la biopolitique. Elle s'évanouit avec des pans entiers des médecines intégratrices, de la psychiatrie, de la médecine de réadaptation, de la médecine interne aussi sans doute et de la médecine dite de premier recours, entre d'une part un champ médical qui, a juste titre, a peur d'être avalé par ce nouveau "grand tout" social et holistique, dont le dernier avatar est la version bureaucratissime de l'éducation thérapeutique et d'autre part un secteur social et médico-social qui n'en finit pas d'avoir peur d'être avalé par une médicalisation excessive, mais qui va être accablé par la "tarification à la ressource" et un managérialisme qui a si bien su instrumentaliser la spirale de la défiance.

Sanitaire et social seront ainsi soumis aux mêmes incitatifs à la restructuration par le financement prospectif, aux même modèles industriels et marchands de standardisation, et aux mêmes indicateurs myopes. C'est, dans une mauvaise co-production franco-américaine ultra-jacobine et ultra-libérale le déploiement de la Nouvelle Gestion Publique et son improbable "bureaucratie libérale" (David Giauque). Celle-ci a partout montré ses limites en santé et conduit à une inéluctable baisse tendancielle de la qualité, de la sécurité des soins et du taux de motivation.

Nietzsche disait que le libre arbitre est la métaphysique du bourreau, prenons garde à ce que l'autonomie ne devienne pas dans le système de soins celle du marché et de l'économie "mainstream".

"Les économistes sont présentement au volant de notre société, alors qu'ils devraient être sur la banquette arrière."John Maynard Keynes