samedi 23 juin 2012

La pire des affections nocomiales: l'occultation du travail réel


La santé malade de sa régulation. Quelques réflexions sur le devenir du MDHP et du système de soins
Jean-Pascal Devaily – le 23 juin 2012


"We build too many walls and not enough bridges." Isaac Newton

Le rapport de la mission hôpital public (Boiron, Fellinger) paraît étrangement timoré aux professionnels hospitaliers, médecins et paramédicaux, quant à son analyse des conséquences de la loi HPST sur l'organisation de l'hôpital. N’a-t-on pas trop voulu plaire aux « managers de santé » qui la soutenaient voire aux promoteurs de la loi? Diaporama de présentation du rapport.

Ceux qui comme moi pensent qu'une véritable complémentarité est nécessaire entre hospitalisation publique et privée exprimeront une satisfaction teintée de vigilance critique face à l’affirmation du rétablissement du « service public hospitalier » et de la fin de la « convergence tarifaire ».


Les avis sont aujourd'hui  partagés au sein du Mouvement de Défense de l'Hôpital Public, fondé par André Grimaldi et Bernard Grangersur l'opportunité d'exiger une profonde refonte de la "gouvernance", ce qui ne cesse de m'étonner. Ce mouvement, favorable à un « Etat social » fort et opposé à une politique ultra-libérale en santé  s'est longtemps opposé à la "pensée managériale de marché" qui caractérise le Nouveau Management Public, de droite et de gauche. Pourquoi les médecins qui ont cette sensibilité se résigneraient-ils à ce système d'incitations et de concurrence par comparaison* mis en place par l'actuelle gouvernance publique? Il est typiquement d'inspiration ultra-libérale dans la droite ligne de l’Ecole de Chicago! Faut-il voir là les effets séducteurs du managérialisme ambiant et de la « bureaucratie libérale »?

François Hollande a récemment annoncé une nouvelle loi de santé publique, terme préférable sur le plan rhétorique, selon André Grimaldi, à "réforme", "refonte" ou "toilettage" de la loi HPST à laquelle une partie des managers publics (Syndicat des Manages Publics deSanté et Fédération Hospitalière de France) voient encore des vertus, de même hélas que certains éminents collègues hospitaliers acquis à la nouvelle gestion publique ou y trouvant quelque avantage catégoriel.

La terminologie est importante et peut-être faut-il parler plutôt "d'organisation du travail", l'expression "organisation des soins" nous opposerait frontalement à la ligne d'encadrement paramédicale aujourd'hui hiérarchiquement contrôlée par les directions et qui perçoit ce champ comme un domaine officiellement réservé dans la nouvelle division du travail. Le point clé est la décentralisation du management, ou, si l'on préfère ce terme, de la gestion, vers l'unité de soins au contact du public. C'était, au passage, le coeur du projet de l'EMAMH promu par Dominique Bertrand, sur des modèles internationaux, et qui associait à son début médecins, directeurs et cadres hospitaliers. Il avait raison, et cette dynamique commençait à se mettre lentement en place avant les pôles "d'hôpital 2007" qui traduit la volonté de transformer d’en haut et autoritairement la « bureaucratie professionnelle » de Minzberg, accusée de tous les maux, en « structure divisionnelle » fondée sur la standardisation des résultats. Les pôles ne peuvent être intéressants que s’ils sont conçus avec les parties prenantes.
Il est vrai que l'hétérogénéité des établissements fait apprécier le "système polaire" dans tel endroit quand il le rend abject et glacial dans tel autre. Mais il ne faut pas s'arrêter à la seule perception du petit groupuscule formé par le directeur, le président de CME, le doyen en CHU et les chefs de pôles. C'est au dessous que se joue un peu partout le désenchantement par désengagement des processus de décision et d’information et la perte de sens pour les acteurs, notamment en termes de disciplines d'exercice médico-soignantes. 


L'occultation du travail et de la qualité réelle des soins se déploie partout dans l'enjolivement féerique des grands messes de certification où tout le monde fait semblant d'y croire. « Tout le monde ment et tout le monde sait que tout le monde ment. ». Mais au delà de la simple mascarade institutionnelle de bureaucratisation de la qualité si bien décrite par Lozeau au Québec, ce sont aussi des stratégies de défense par construction d'inconscience collective qui permettent de rendre le travail quotidien supportable aux acteurs des soins (Molinier, 2006 cité par Paule Bourret**)


Faut-il revisiter le volet gouvernance de la loi HPST comme y invite fermement le Pr Roland Rymer, président du SNAM-HP? Nous vous invitons à lire la récente lettre au président ainsi que ce billet plus ancien du secrétaire général, extrait de la lettre du SNAM-HP de mai 2011, intitulé "la communauté hospitalière sous très vive tension "
Le syndicat des manageurs publics de santé (SMPS) et la FHF freinent toute proposition de modification du volet gouvernance de la loi HPST. Ils ont présidé à son ingénierie "anti-médicale", alors que le nouveau gouvernement, peut-être conscient des erreurs d'HPST en termes de gouvernance de l'hôpital serait prêt à rééquilibrer la gouvernance entre médecins et gestionnaires. Ses principaux objectifs affichés sont l'accès au soin, par la régulation des dépassements d'honoraires et la lutte contre les déserts médicaux. 

Il est certain que la décentralisation des processus de décision et d'information, la participation à l'organisation des soins et la reconnaissance au travail sont dans les diverses enquêtes les principales demandes des PH, bien avant les revendications salariales. La décentralisation ne doit pas s'arrêter au niveau des pôles le plus souvent trop hétérogènes dans leur mode de constitution actuel pour être autre que chose que des centres de coûts et de résultats. Elle doit se poursuivre jusqu'aux équipes cliniques ou "médico-soignantes", puisqu'on évite de parler de "service", mot devenu tabou. Tout cela sera très difficile à mettre en oeuvre tant la mise en gestion actuelle pousse à la centralisation et à la multiplication des contrôles descendants notamment par les agences. 

Les pôles sont intéressants à condition qu'ils aient une cohérence médicale, bénéficient d'une réelle décentralisation de gestion, qu'on ne confonde pas la subsidiarité légitimement attendue des pôles (sortir du classique modèle notarial "mes murs, mes locaux, mon personnel") avec ce qui est trop souvent advenu en réalité: la confusion volontaire des "emplois" et du "travail" réel au sein des équipes médico-soignantes et l'application d'une mutualisation aveugle et effectuée par le management au mépris des noyaux de compétences des disciplines d'exercice à l'hôpital.

La T2A, dont je ne suis guère fanatique, ne doit pas être l'arbre qui cache la forêt de la désorganisation d'un travail médico-soignant rendu invisible par la conception même du nouveau modèle de gestion et de régulation globale. Celui-ci, fondé sur la défiance, aggrave sans cesse la spirale de la défiance. Plus la couche technocratique intermédiaire est épaisse et déconnectée du fonctionnement des unités de soins, comme à l'AP-HP et plus le mal est rapide. On commence par écarter les médico-soignants du design organisationnel dans une conception néo-taylorienne de la standardisation des processus de soins par la technostructure, de sorte qu'au stade de la planification concrète et des projets, seule l'ingénierie financière garde voix au chapître au regard de ce qui est jugé rentable ou susceptible d'attirer les enveloppes fléchées. A ce niveau jouent bien sûr contre l'égalité d'accès aux soins et contre la réponse aux besoins réels notamment en terme de handicap / dépendance et de maladies chroniques le management by lobbying et le management by décibels. Ces enveloppes politico-médiatiques, on aura bien entendu sollicité leur création en amont, par un travail d'influence bien conduit sur le marché des représentations des priorités de santé publique. 

Je tente ici de parler depuis cette zone de plus en plus aveugle de la "responsabilité d'unité de soin", donc celle de conception réelle par les opérationnels de l'organisation des soins et d'évaluation des besoins située à l'interface entre les soins réels exécutés au quotidien et le niveau des pôles. Cette zone n'est guère visible des collègues médecins et des soignants non cadres qui ne sont pas en charge d'unité et de fait évaporée et occultée par la mise en place des pôles. Ce sont ces mécanismes de destruction de la performance réelle, le juste soin au juste coût, que je tenterai de décrire à l'avenir**.


Reprenons les analyses de
Nicolas Belorgey, de Frédéric Pierru entre autres visiteurs éclairés du Nouveau Management Public: la nouvelle régulation publique de la santé et des organisations publiques de santé est un ensemble idéologique très cohérent entre financement, certification, gouvernance et planification. La T2A repose sur une unité de paiement qui est le séjour, ses vices sont nombreux et bien décrits en économie de la santé, comme ceux de toutes les unités de paiement dit prospectif, et cela en fait un système qui doit être impérativement paré de multiples garde-fous, notamment en termes de conditions techniques de fonctionnement***, être hybridé d'autres unités de paiement (actes, journée, journée pondérée par les actes (SSR), épisode de soins (aigu + SSR?), parcours avec somme forfaitaire, année pondérée par l’activité (dotation globale), population (capitation) et par d'autres compartiments: MIGAC et MERRI, médicaments onéreux, plateaux techniques, correctifs géo-démographiques etc.)

L'unité de paiement et ses effets vertueux ou pervers ne peut s'analyser que par rapport à une enveloppe globale fixe ou ouverte et à l'ensemble des autres mécanismes de régulation globale qui sont la planification sanitaire et sociale (SROS-PRS), le système qualité / gestion des risques et le système de management du système de soins. Ce management comprend la gestion RH et la ré-ingénierie générale des métiers, de la formation et de la "gestion des compétences" par le jacobinisme descendant qui pourrait bien résumer la philosophie de la nouvelle équipe aux affaires en santé, dans une désolante continuité avec la précédente.
La T2A n'est qu'
un mauvais système parmi tant d'autres, et le diable est toujours dans les détails. Aussi, je ne comprends pas qu’elle focalise toute l'ire médicale réformatrice, alors qu'elle ne peut produire ses effets de restructuration délétères que par son association avec les trois autres volets de la régulation. Je ne comprendre que tant de collègues ne voient pas l'étroite intrication de ces quatre cavaliers de l'apocalypse médicale, si bien alliés pour produire le rationnement rationalisé cher à Pourpourville, Minc, Kervasdoué et ces quelques autres ingénieurs à la solde de l'ajustement semi-habile des dépenses de santé selon la vision chère au très discret Raymond Soubie.


La médecine doit sortir de sa niaiserie gestionnaire, car Machiavel n'est pas mieux avisé qu'Hippocrate. Travaillons de toute urgence à le montrer aux associations d'usagers et aux élus que les pompiers pyromanes de notre énarchie de santé publique ne cesse d'enfumer par leur propagande sur l'état réel de la qualité des soins en France.

* Le modèle de la « yardstick competition », promue par la Rand Corporation américaine, aujourd’hui  le principal think tank mondial sur la santé

**Paule Bourret. Prendre soin du travail Un défi pour les cadres à l’hôpital Pour sortir le travail réel de son invisibilité   - Editions Seli Arslan
http://www.ansfc.com/abstract-lgm-Prendre_soin_du_travail[1].pdf

***Ce mécanisme détruit rapidement les disciplines « invisibles » depuis les SROS-PRS.