dimanche 29 juillet 2012

Naissance et croissance de la iatrogénèse managériale


Mesurer et piloter la performance: les illusions perdues

Le managérialisme peut être défini comme un projet de rationalisation générale des activités sociales au sens de Max Weber. Avatar du positivisme scientiste, il suppose le développement possible d'une rationalité instrumentale parfaite. Celle-ci serait permise par les nouvelles sciences de gestion associées au traitement des données dites factuelles. Le système des finalités, les sciences et les systèmes de données factuelles définissant les 3 dimensions de "l'espace cindynique" dans un monde marqué par un accroissement permanent de l'aversion au risque. 
La gestion politique des risques de "l'ajustement" est résumée dans ce document de l'OCDE:
CENTRE DE DÉVELOPPEMENT DE L'OCDE CAHIER DE POLITIQUE ÉCONOMIQUE N° 13
La Faisabilité politique de l'ajustement [http://www.oecd.org/dataoecd/24/23/1919068.pdf]

L'affrontement entre Machiavel et Hippocrate se joue donc aujourd'hui dans l'espace cindynique

D'après un document extrait de la thèse professionnelle réalisée et présentée en février 2004 par Marie Françoise Clamens dans le cadre de la préparation au Mastère Spécialisé en Management de l’Innovation, de la Qualité et de l’Environnement (2002/2003) - 
L’éthique dans une organisation Proposition d’analyse pour la qualité sociale et environnementale en entrepriseVoir la page  cindyniques

L'asphyxie bureaucratique des soins de santé

Quatre documents sur le Nouveau Management public et son application aux soins de santé en France

1. Le renouveau du contrôle des bureaucraties - L’impact du New Public Management (Philippe Bezes)

2. L’imposition de la prééminence de la raison économique sur la raison clinique comme fondement de la réorganisation des services de soins. Cliquer ici

Les 4 dimensions de la santé et du bien-être

Ce modèle très simple permet de comprendre comment la définition de l'OMS permet aux politiques publiques de déplacer l'allocation des ressources des "soins de santé" et de la protection maladie vers d'autres priorités budgétaires au nom du "droit à la santé".


3. Napoléon au pays du New Public Management - Frédéric Pierru. Cliquer ici

4. L'hôpital et le contrat. Benoît Nautré. Cliquer ici

5. Le « droit à la santé » : des objectifs de l’OMS à ceux du Millénium - Caroline
 Guibet 
Lafaye
http://hal.archives-ouvertes.fr/docs/00/50/91/74/PDF/DtSantA_-OMS_Millennium-Oct2008-CGL.pdf

Le Nouveau Management Public, centré sur le paradigme managérialiste, se déploie sous forme d'un contrôle de gestion généralisé appliqué pour et par les politiques publiques. En France, ce courant de pensée budgétaire se déploie dans la LOLF (réingénierie des missions, programmes, actions), le contrôle budgétaire, la gestion axée sur les résultats de programmes définis par une planification stratégique essentiellement descendante et émanant d'experts.

La réingénierie descendante de la LOLF

L'évaluation de la performance peut difficilement se concevoir hors de ces enceintes mentales. Ce nouveau système de gestion publique privilégie l'imputabilité politique et économique au détriment d'un troisième terme qu'on pourrait nommer avec les médecins canadiens "l'imputabilité professionnelle". Cette régulation professionnelle rejoint la "troisième logique" de Freidson, entre logique managérialiste d'un Etat social en voie d'auto-destruction bureaucratique et logique marchande. Un autre sociologue Andrew Abbott vient nous rappeler que le jeu des marchés et juridictions professionnelles vient sans cesse remanier les rôles, dans la place occupée sue le terrain de que chaque profession ou spécialité négocie avec l'Etat. La ré-ingénierie des métiers et des compétences inhérente à la LOLF ne peut qu'impacter très fortement ce "système des professions"

La prévisibilité et la calculabilité supposées par le modèle s'appuie sur des présupposés de l'économie orthodoxe en terme d'efficacité de la concurrence par comparaison. Si le modèle de l'idiot rationnel calculateur et égoïste décrit par Amartya Sen reste au coeur des modèles de manipulation d'incitations, l'alliance avec les marchés n'est que de circonstance, variable selon les pays.

Mesurer et piloter la performance Nicolas Berland Professeur à l’Université Paris-Dauphine E-book Source : www.management.free.fr


QUELLES REPRESENTATIONS DE LA PERFORMANCE : LE CAS DES MEDECINS HOSPITALIERS ? Guylaine Loubet CEROM- Groupe Sup de Co Montpellier CREGO – IAE Montpellier - Université de Montpellier II

Ethique ou déontologie : quelles différences pour quelles conséquences managériales ? L’analyse comparative de 30 codes d’éthique et de déontologie


Du bon usage des concepts: le rapport mondial sur le handicap

1. Le document
Rapport mondial sur le handicap 2012 - OMS Banque mondiale
http://whqlibdoc.who.int/publications/2012/9789240688193_fre_full.pdf

Chapitre 4: "réadaptation" sous ce lien

2. Le commentaire
On peut émettre l'hypothèse qu'une rupture tragique du lien naturel entre réadaptation et handicap s'est opérée en France à la suite de la loi portant réforme hospitalière de 1970 par laquelle l'hôpital est enjoint de ne plus s'occuper des personne âgées, handicapées ni des enfants que l'on qualifiera de polyhandicapés et des deux lois du 30 juin 1975, celle relative aux institutions sociales et médico-sociale et celle dite d'orientation en faveur des personnes handicapées. L'Etat, conscient de l'absurdité partielle de cette double segmentation, entre soins et social d'une part et entre personnes handicapées et personnes âgées d'autre part, tentera de revenir sur cette segmentation sans jamais y parvenir avec les lois de janvier et mars 2002, la loi du 11 février 2005 et enfin la loi HPST, incapable de combler les gaps croissants dans la continuité des soins.

Hervé Douceron. « Note » relative à quelques conséquences d’insuffisantes harmonisations ou articulations réglementaires au sein du code de l’action sociale et des familles (CASF)

Force est de constater la disparition du concept de réadaptation dans les programmes portés par les politiques publiques de santé en France et déclinés à partir des segmentations budgétaires de la LOLF. Cette absence est la conséquence de l'évaporation progressive de toute représentation des activités de réadaptation dans les dispositifs législatifs et réglementaires, en dehors de la notion d'aval des soins aigus. La notion de réadaptation ne persiste que dans l'expression soins de suite et de réadaptation (SSR) champ où elle en vient à se dissoudre en termes d'organisation et de financements. 

Ce qui devient un impensé des politiques de santé ne peut être ni organisé ni financé à la mesure des besoins réels. Les priorités de santé publique sont des réalités construites par des lobbies dans une arène politique en prévision de ce qui descendra dans la mécanique budgétaire. Les lobbies sont nécessaires dès lors qu'on renonce à croire à une rationalité parfaite de l'Etat. La gouvernance, dans une acception positive du terme, c'est l'arbitrage équilibré entre les parties prenantes (stakeholders) et non la négation des lobbies et de leur action inévitable sur la modélisation du réel, au nom d'un enfumage rationnel et délétère pour la démocratie.

Le document France 2025 risques et prévention, lié au rapport Besson (France 2025 - Diagnostic stratégique : état des lieux 2008 - Avril 2008), est à cet égard assez démonstratif d'un vide conceptuel spécifique à cette fragmentation conceptuelle, institutionnelle et financière.

Il s'agit aujourd'hui de le reconstruire. Il est possible d'associer l'ensemble des parties prenantes en s'appuyant sur l'article 26 de la a Convention relative aux droits des personnes handicapées, sous peine de voir s'aggraver les dysfonctionnements de l'accès aux soins de réadaptation. Le Rapport mondial sur le handicap permet d'évoquer les besoins de réadaptation satisfaits et non satisfaits, les obstacles empêchant l’accès à la réadaptation et les moyens permettant d’y remédier.


Entre le Charybde de la concurrence par comparaison et le Scylla de l'opacité gestionnaire

1. Le témoignage

Le droit d'être soigné en France? Posté sur Doctissimo, forum santé Posté le 13-09-2005 à 13:39:43
http://forum.doctissimo.fr/sante/droits-sante/droit-soigne-france-sujet_502_1.htm
2. Le document:

RAPPORT D’INFORMATION FAIT au nom de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (1) de la commission des affaires sociales (2) sur le financement des établissements de santé, Par MM. Jacky LE MENN et Alain MILON, Sénateurs.
http://www.senat.fr/rap/r11-703/r11-7031.pdf

3. Le commentaire: 

Le processus d'asphyxie bureaucratique des Soins de Suite et de Réadaptation (SSR) et sans doute de la psychiatrie est bien résumé par les deux extraits suivants. En situation de gestion hyper-centralisée et dépourvue de toute transparence sur les coûts et les recettes, les SSR servent de variable d'ajustement à la survie de l'aigu dans le cadre d'une Ondam de plus en plus contrainte. Les mécanismes de captation de la DAF SSR ou psychiatrique dans une opacité totale des "clés de répartition" (accès aux CREA des pôles? justification des recettes dans comptes de résutats?) jouent au niveau des établissements mais aussi au niveau des ARS qui ont une marge de régulation non négligeable.
Ces mécanismes expliquent l'effondrement stupéfiant et dans l'indifférence générale des ratios de personnel en SSR à l'AP-HP, dans certains de ses établissements, notamment les moins "magnétiques". Dans une institution si énorme et si parisienne où la décentralisation de la gestion, la participation et l'accès  effectif à l'information sont plus difficiles que partout ailleurs, ce sont les établissements où la transparence des décisions et la vision du travail réel sont réduites au strict minimum par l'épaisseur extravagante de cette pyramide ubuesque (unité, service, pôle, établissement, GH, siège, ARS, autres tutelles). (lire AP-HP crise de moral et crise morale à l'AP-HP de Bernard Granger)

"La MECSS suggère de suspendre l’extension de la T2A aux hôpitaux locaux (prévue pour mars 2013), aux soins de suite et de réadaptation (janvier 2013) et aux soins psychiatriques"
« Le financement des établissements de santé doit rester lié à leur activité, afin d’améliorer la transparence », juge Jacky Le Menn.

Pour une autre vision de la performance clinique

On aura compris que la iatriogénèse managériale qui est l'empêchement de fonctionner du niveau micro-économique des soins de santé, est intimement lié au processus "d'euthanasie bureaucratique de l'Etat" tel que le décrit Claude Rochet (Aix Marseille).

Nul ne peut se faire le champion de la médiocrité, du gaspillage des ressources ou du mépris du bien commun. Toutefois, il existe autant de définitions de la performance et de modèles de causalité sous-jacents aux indicateurs de résultats que de visions du monde. La chaîne logique
input - throughput - output - outcome 

permet aussi des approches moins court-termistes et moins centrées sur les seules statistiques de sortie de système qui ne disent rien de ce qui peut améliorer ou risque de détériorer la performance.

Quel sens ont les résultats d'activité en terme de T2A, de litres de solutés hydro-alcooliques consommés, de traçabilité de tâches élémentaires, quand des soins médicaux sont trop tardifs ou deviennent inaccessibles,  quand les intérimaires ne sont pas formés aux logiciels de saisie d'administration des médicaments, quand l'aide minimum à la dépendance, à la prévention de la perte d'autonomie fait de plus en plus défaut par réduction sans garde-fous des effectifs médico-soignants? La performance peut au contraire être conçue comme le produit des compétences et de l'état d'esprit au travail. 
Quelle performance attendre de la perte de sens et du désespoir ressenti aujourd'hui par les soignants quand ils sont de plus en plus exclus des processus de décision et quand ils ne voient pas leur travail quotidien reconnu par les nouveaux indicateurs de "performance"? A coté des actes élémentaires, faciles à codifier et à tarifer, les activités de soins complexes comportent une multitude d'actions indispensable à un résultat de qualité pour le professionnel mais non nécessairement à vue d'output. Cette "part gratuite" parce que ni codifiée ni valorisée, mais implicite dans les pratiques professionnelles, est essentielle à une prise en charge de qualité. Elle relèvent de motivations intrinsèques et non d'incitations extrinsèques.
L'érosion de cette "part gratuite" (Batifoulier), au coeur des activités de soins quel qu'en soit le secteur, ne peut produire que des résultats médiocres.

Nous proposons ici une autre gestion des organisations publiques de soins de santé, dans une approche humaniste de la gestion de la performance des organisations proposée par Marcel JB Tardif

1. IMPUTABILITÉ MÉDICALE ET GOUVERNANCE CLINIQUE - BÂTIR SUR LA QUALITÉ ET LA PERFORMANCE DES PRATIQUES (imputabilité professionelle, économique et politique)

2. Les cliniciens et la Nouvelle Gestion Publique: adaptation plutôt que déprofessionnalisation (comment concilier clinique et NGP?)

3. Les enjeux de la déprofessionnalisation

4. Les enjeux aujourd’hui du professionnalisme médical. CHEM

5. La déprofessionnalisation: un terme neutre pour une constat désolant

samedi 7 juillet 2012

Pertinence et justification. Les pompiers pyromanes, l'Ondam et la régulation


Concurrence par comparaison, surconsommation, insuffisance de soins et maltraitance institutionnelle

"Notre ennemi, tout comme nous, utilise sa moralité pour resserrer l'ouverture de sa conscience et ignorer son appétit de pouvoir." Hans Morgenthau

Penchons nous aujourd'hui sur la notion pertinence des actes et des hospitalisation à la suite de l'appel de la FHF à la pertinence des actes médicaux. Il s'agit également des séjours hospitaliers en aigu, en SSR avec le prochain chantier de la HAS dans ce champ, et au delà dans tout secteur de prise en charge. 

«Chacun doit réfléchir à ses pratiques au quotidien»

Pertinence et justification: le sens du soin

La "pertinence" correspond à une mission théorique, prescrite, de l'hôpital qu'il s'agisse de soins aigus, de SSR ou autre mode de prise en charge. Elle est évaluée par des grilles type AEPf. La T2A et le paiement à la performance (P4P) présentent le risque majeur d'actes ou séjours produits pour la survie économique de son activité (T2A) ou par intérêt calculateur et égoïste selon le modèle officiel de "l'idiot rationnel" dénoncé par Amartya Sen. Il reste néanmoins vrai que le médecin "qui a faim" est un médecin dangereux. Ainsi la "bureaucratie libérale" (New Public Management) pousse par son culte immodéré de la concurrence par comparaison le médecin hospitalier vers les mêmes risques de comportements opportunistes que ceux qui sont reprochés aux médecins libéraux par ceux-là même qui condamnent le paiement à l'acte. Ce n'est pas le moindre des paradoxes du NMP à la française.

La "justification" correspond aux causes réelles de l'hospitalisation (admission et durée) c'est à dire que toute sortie ou alternative entraînerait pour le patient une perte de chance inacceptable (mais du point de vue de qui et avec quelle autonomie pour le décider?).
 Voir résultats et critique de l'enquête Sanesco DGOS (rapport du 11 aout 2011) pour l'évaluation des inadéquations hospitalières

Didier Castiel (économie de la santé, Bobigny) a bien montré que la T2A entraîne un raccourcissement des hospitalisations « justifiées » par la complexité des cas non captée par les tarifs, dont la durée se rapproche alors de la durée de séjour des prises en charge standard, sans complexité médicale et sociale associée. Qu'en conclure alors sur la qualité des soins? Que la T2A est « vertueuse » en terme de réorganisation ou qu’elle conduit à mettre les gens dehors sans organiser les sorties en termes de soins et d’accompagnement  sur le lieu de vie?
La problème reste entier: la fragmentation socio-sanitaire française qui contraint toute la régulation descendante des hôpitaux par la fragmentation des enveloppes financières (cf. Didier Castiel ,  Guy Baillon Odier et Escaffre quant aux effets des lois de 1970 et 1975 sur la définition des missions de l'hôpital). Ceci contraint à penser en filières linéaires et hospitalo-centrées quand les maladies chroniques et la transition épidémiologique obligeraient à penser les parcours de soins et leur intégration de manière cyclique et centrée sur le lieu de vie. (voir schéma de l'enquête DGOS Sanesco). 

La T2A a des effets pervers majeurs, comme tous les systèmes de paiement dits prospectifs ou ex ante (dotation globale, prix de journée, acte etc.), et implique pour les éviter des éléments de régulation puissants associant les parties prenantes. Hélas, elle a été appliquée en France par des idéologues de "l'énarchie de santé publique" (expression de Debré et Even à propose de l'AFSSAPS) et de la corporate governance, sans presque aucun garde-fou. Sans parler de l’ubuesque convergence tarifaire, que ce soit entre public et privé, entre USLD et EHPAD pour les personnes âgées etc.

T2A et théorie de l'agence

Les effets pervers les mieux connus de la T2A et abondamment publiés sont expliquée par la « théorie de l'agence » dans le cadre de l'asymétrie d'information et de l'incomplétude des contrats  entre le « principal » et « l'agent »:

1 Après signature des contrats:

sélection de patients les moins coûteux et à durée de séjour prévisible,
segmentation des séjours, y compris par prise de contrôle des SSR
- surcodage,
- transferts de soins et de charges vers l'aval
baisse de la qualité des soins non visible aux indicateurs officiels,

2 Avant signature des contrats:
sélection adverse : quand un établissement ne contractualise pas avec l'agence sur certaines  prise en charges jugées trop risquées, notamment financièrement

En théorie la puissance publique peut tenter de mettre en place des mécanismes compensateurs et garde-fous à la T2A, comme des conditions techniques de fonctionnement et des "ratios" respectant l'état de l'art (en SSR, aujourd'hui variable d'ajustement privilégiée par exemple), mais en période de crise des dépenses publiques  elle n'a aucun intérêt à le faire. Le rôle du méso-management (agences régionales et directions) est de rendre invisibles et de rationaliser par la propagande managériale les contraintes macro-économiques. Il lui faut donc:

laisser croire que ce faux marché interne a des effets vertueux alors que les tarifs sont falsifiés par la fermeture de l'enveloppe Ondam qui englobe tous les compartiments adjoints (médicaments onéreux, MIGAC etc.). Normalement, selon le modèle de Fetter, les tarifs correspondent à des moyennes de coûts pour des groupes supposés cliniquement homogènes et iso-coûts, mais qui selon Kervasdoué prennent une moyenne pour une norme. Cette norme ne dit rien de la qualité moyenne des prises en charge évaluées dans l'échelle de coûts. Mais ce n'est déjà plus le modèle puisque l'enveloppe est fermée et que "l'Ondam technique" est la dernière trouvaille de la dissimulation du rationnement.
déréguler les conditions techniques de fonctionnement pour obtenir le maximum de puissance de restructuration dans les pseudo-marchés induits par la T2A
systématiser le transfert des choix tragiques que n'assument pas les politiques vers les opérateurs et en faisant du médecin un "agent double" (agent à la fois du patient et du directeur qui ont des intérêts divergents)
mettre en place une fausse "qualité" comme avatar du management, laissant croire qu'après avoir transformé les acteurs en idiots rationnels et calculateurs qui n'ont aucun intérêt à coopérer, on va pouvoir les surveiller et les forcer à travailler en réseau par des mécanismes de certification gestionnaire. L'ANAP a rapidement substitué le terme de qualité au terme de productivité, mal reçu par les équipes soignantes (Nicolas Belorgey, "l'hôpital sous pression"). La recette: transformer tout problème de moyens en problème d'organisation.

La FHF, en l’occurrence un peu anosognosique dans son analyse de la France (méconnaissance de sa propre pathologie) , doit bien réaliser que la "médecine froide, mécanique et sans humanité" n'est pas réservée au système anglais, tout comme ne l'est pas non plus la "sous consommation de soin". Cet effondrement de la médecine à visage humain et de l'accès aux soins s'est déjà largement répandu dans l'hexagone et est bien en grande partie, comme le suggère la FHF, lié à un modèle d'EBM industrielle et managérialiste à laquelle elle appelle pourtant clairement: "Il y a encore trop peu de référentiels qui, sur la base d'études scientifiques incontestées, indiquent aux médecins quels actes prescrire dans quels cas". La médecine étant un art à la recherche de raison vraie (une tekné selon Aristote), personne ne peut être contre la recherche de preuves en médecine, mais dès lors que celle-ci est pilotée par l'Etat et par la seule logique du risque financier au détriment des partie prenantes, professionnels et usagers, ce modèle aboutit à la catastrophe sanitaire que nous commençons à entrevoir en ville, dans nos hôpitaux et autres établissements de soins sans oublier le secteur médico-social.

Insuffisance des soins et maltraitance institutionelle

Mettre ainsi l’accent sur l’oversuse (surconsommation) en oubliant trop systématiquement le misuse (utilisation inappropriée) et l’underuse (insuffisance des soins) ne décrit pas l'état de notre système de soins.

Le misuse est lié à l'utilisation de traitements pour lesquels le bénéfice est peut-être inférieur aux risques. Il est connu par exemple pour les personnes âgées à la vie en maison de retraite, en cas de polypathologie et de polymédication. 

L'underuse est lié à une organisation trop fragmentée, aux pressions gestionnaires croissantes sur le financement des soins de ville, des établissements de soins et du secteur médico-social. Nous avons décrit plus haut les mécanismes d'agence qui tendent selon cette même théorie économique à faire de notre système de soins un marché des voitures d'occasion pourries ("the market of lemons")  d'Akerlov, victime de la spirale de la défiance entre contractants. C'est enfin enfin à l'abandon du principe d'une protection sociale solidaire, respectueuse d'un bouclier de service public et d'un panier de soins sans reste à charge pour les patients. 

Les médicaments sont loin d'être seuls en cause. Pensons à l'effondrement des soins de nursing (toilette, alimentation, sortir du lit, être mis au fauteuil, aidé à faire quelque pas) et de rééducation pour des patients hospitalisés de plus en plus porteurs à l'entrée comme à la sortie de limitations fonctionnelles si peu captées par notre PMSI. Pensons aussi aux désert médicaux mais aussi paramédicaux. Paule Bourret ("prendre soin du travail" chez Seli Arslan) a montré comment les indicateurs officiels organisent l'invisibilité croissante du travail réel et comment l'ignorance de la qualité des soins du point de vue des médico-soignants les désespère quand cette qualité invisible sert de variable d'ajustement aux "réformateurs".  Le défaut de soins de rééducation fait partie de la définition européenne de la maltraitance. La dérégulation ubuesque et sous enveloppe fermée des ratios de rééducateurs en soins aigus, en SSR et en soins de longue durée n'en est pas le moindre exemple. Nous avons déjà évoqué les gaps liés à l'incoordination médico-sociale précoce dans les hôpitaux où par construction l'admission et le séjour sont analysés comme médicaux alors que les déterminants réels en sont médicaux et sociaux. Combien de superbes interventions chirurgicales sont ainsi gâchées par cette incurie (ou doit-on dire "incarie" au sens du "care" qui devrait rester associé au cure).

Insistons sur la qualité invisible du travail réel. Dans la spirale du contrôle, des procédures et du reporting imposée par les réformateurs, tout ce qui n'est pas quantifiable ne peut être retenu comme indicateur prescriptif. Chacun peut en faire l'expérience quand un de ses proches est hospitalisé. La solitude et la détresse croissantes des patients face au délais de réponse aux appels ne cessent de s'aggraver. En cas de handicap, quelque soit l'âge, la disponibilité des soignants aux appels est essentielle, pour se mouvoir en cas d'inconfort, en cas d'urgence pour uriner ou aller à la selle, si l'on a soif, si l'on mal et osera-t-on encore évoquer que l'humanisme soignant ne se conçoit pas sans prendre le temps de l'échange qui maintient la vie sociale, qui apaise souvent la douleur morale et l'isolement.

Pour conclure, si l'overuse est bien à condamner et à réduire, comment oublier que la non pertinence des hospitalisations et des actes est plus que jamais induite par ce système hobbesien, cette manipulation d'incitations pour "idiots rationnels" égoïstes et calculateurs tels que les voient les économistes de santé. Cette guerre de tous contre tous avec ses injonctions paradoxales qu'on s'est acharné à créer dans le culte de la concurrence par comparaison (yardstick competition) est  tout droit sortie des fantasmes de l'École de Chicago et du nouvel Etat industriel, en ignorant de façon systématique les défauts de soins et la dysorganisation que cette régulation absurde a induit. 

Voilà qui n'est pas la moindre des contradictions des pompiers pyromanes.

Schéma de la relation d'agence: diapo 1 d'après Marie Houssel; diapo 2 d'après Didier Castiel

Paule Bourret. Prendre soin du travail. Un défi pour les cadres à l’hôpital
Pour sortir le travail réel de son invisibilité chez Seli Arslan

http://www.afitch-or.asso.fr/savoir-infirmier/publications/prendre-soin-du-travail
http://www.ansfc.com/abstract-lgm-Prendre_soin_du_travail[1].pdf

La mise en disparition du travail et ses effets pathologiques et sociaux par Philippe Zarifian, professeur des universités en sociologie
http://www.lemonde.fr/idees/chronique/2010/02/16/la-mise-en-disparition-du-travail-et-ses-effets-pathologiques-et-sociaux_1306860_3232.html

Albert Ogien, Sandra Laugier, Pourquoi désobéir en démocratie ?

http://lectures.revues.org/1182

Le travail sans qualités Richard Sennett
http://www.alternatives-economiques.fr/le-travail-sans-qualites-par-richard-sennett_fr_art_178_19709.html

Le travail sans qualité. Les conséquences humaines de la flexibilité de Richard Sennett, Paris, Albin Michel, 2000, 223 p.
http://www.erudit.org/revue/ps/2002/v21/n1/040310ar.pdf

Richard Sennett : la vie et le travail sans qualités Pierre ANSAY
Docteur en philosophie, Pierre Ansay est l’auteur de nombreux ouvrages, dont "Le capitalisme dans la vie quotidienne", "L’Homme résistant", "Le désir automobile", "Le dictionnaire des solidarités" (...)
http://politique.eu.org/spip.php?article1008

"The Market for "Lemons" : Quality Uncertainty and the Market Mechanism" http://www.riekert-online.de/riekert-online/Transfer/0-154.pdf

"The Market for 'Lemons' : Quality Uncertainty and the Market Mechanism" est un article de théorie économique de George Akerlof écrit en 1970 établissant les bases de la théorie de la sélection adverse. Professeur à l'université de Californie à Berkeley, Akerlof a été récompensé du « prix Nobel d'économie » en compagnie de Michael Spence et Joseph Stiglitz 2001 pour ses recherches sur l'asymétrie d'information dont cet article est un des points de départ.
Akerlof prend l'exemple des voitures d'occasion pour démontrer comment une asymétrie d'information en faveur du vendeur d'un bien, en l'occurrence le vendeur en sait plus que l'acheteur sur la qualité du bien qu'il vend, peut conduire à la réduction du nombre de transactions ou à la disparition du marché, même dans des conditions par ailleurs concurrentielles. L'acheteur de sait pas si le vendeur lui propose un "tacot" (lemon) où une voiture en bonne état. Un vendeur ne connait pas non plus la qualité de ce que les autres proposent (problème de signal). Dans une relation d'agence, le problème de "signal" peut être traité par la "certification" qui vise à réduire l'incertitude sur la qualité. Mais celle-ci peut reposer là encore soit sur un contrôle externe prédominant dans un modèle de régulation bureaucratique (voire pire sous forme de palmarès publics encouragés par l'Etat), soit reposer beaucoup plus largement sur l'autorégulation professionnelle (collèges professionnels).

La force de l'article d'Akerlof est de permettre d'analyser comment ce type de phénomènes peut se produire du fait de certaines erreurs persistantes dans la régulation du système de santé.