mardi 2 avril 2013

A la recherche de "l'entreprise fantôme"



Yardstick competition + cost-of-service regulation = bullshit management

La plupart de nos managers et nouveaux médecins gestionnaires ne semblent pas avoir bien compris les principes de la T2A, ou bien ils font semblant.
Tout se passe comme si nous assistions à la lutte de deux principes aussi mythiques que contradictoires qui, en s'affrontant dans une dyssynergie désastreuse, conduisent à la destruction rapide de la qualité des soins.
Beaucoup veulent croire encore qu'ils sont dans un système de régulation rationnelle par ajustement des prix sur les coûts des services rendus (cost-of-service regulation). Cette vision correspond à un contrôle de gestion technocratique classique, légitime l’explosion du reporting, justifie la consolidation du pouvoir du manager intermédiaire dans notre technocratie sanitaire et maximise son utilité. En réalité ce cost-killing est contrôlé par une prétendue rationalisation managériale sous enveloppe fermée et avant tout sous contrainte des incitations de la concurrence régulée, dans le contexte de la corporate governance. Celle-ci vise avant tout à la protection des « payeurs » (gouvernement ou actionnaires) vis-à-vis de l’ensemble des parties prenantes, au nom bien sûr d’un intérêt collectif calculé par les « experts ».

Notre malheur naît de la confrontation délétère de ce contrôle bureaucratique hyper-centralisé et de la "yardstick competition", un modèle de concurrence régulée qui suppose avant tout la possibilité pour une entreprise fantôme ("shadow firm"), comparée à des firmes similaires, d'entrer en concurrence pour réduire ses coûts... avec l'autonomie nécessaire!
Voilà d'où vient la nécessité de considérer l'entité "entreprise", le contour de la firme « imputable » des résultats dans les services publics ou participant à un service d’intérêt collectif. C’est la clé du modèle. La systémique des process suivra, avec sa prétention à ouvrir les "boires noires" et à mettre à jour les "fonctions de production", car elle n'en est que la rationalisation, l'attrape-rameur bien huilé qui véhicule la perte de sens.
Mais qui définit la firme fantôme, ses contours et ses missions? Qui garantit son autonomie de gestion? Qui conçoit la gouvernance d’entreprise? Qui définit les résultats et le modèle de performance dont elle sera imputable? Qui nous protègera des prédateurs ? Bref, qui régulera les régulateurs?
Deux articles pour interroger les nouveaux mythes, par deux maîtres penseurs à qui on ne la fait pas. Shleifer décrit tous les effets pervers attendus des défaillances du régulateur (collusive response), quand à Kervasdoué il montre comment la France est encore une fois incapable de coordonner la main visible de César et la main invisible de Mammon, à supposer qu’il faille le faire !



Une application pratique: il est aujourd'hui impossible de définir une "firme fantôme" cohérente en SSR, une entreprise moyenne qui pourrait servir à la construction d'une T2A cohérente, puisque les verticalités de groupes par regroupements (trusts et quasi trusts) et "ententes collusives", ainsi que les restrictions verticales qu'elles permettent (filières verticales souvent contradictoires avec les logiques d'intégration régionales) n'ont pas été freinées par le régulateur central contrairement aux principes qui sous-tendent la doctrine.

3. Les hôpitaux français face au paiement prospectif au cas. La mise en œuvre de la Tarification à l’Activité. Gérard de Pouvourville
Cet article de Pouvourville évoque la situation française de la T2A. Entrent en contradiction les modèles de la concurrence réglée, l'intégration verticale de la santé "Bien-être" ( quasi intégration régionale) mais sous enveloppes fermées et enfin les stratégies industrielles d'intégration verticales amont-aval que les technostructures déploient pour résister aux pressions asphyxiantes du "tout incitatif". Bref, une généalogie de "la filière de soins pour les nuls" ou comment la régulation rend fou, surtout sans garde-fous!

"Enfin, dans un contexte d’offre de soins majoritairement privé (il parle du contexte américain), pour l’hôpital comme pour les soins de ville, les établissements hospitaliers ont intérêt à mener des stratégies renforçant leurs positions vis-à-vis des assureurs et à procéder à des opérations d’intégration verticale avec leur amont (les médecins qui leur adressent des patients) et leur aval (les établissements de soins de suite et de prise en charge à domicile) soit par accord contractuelle soit par absorption."
...
" Le paiement prospectif au cas s’est donc mis en place en France dans un contexte de régulation administrée de l’activité hospitalière, avec des mécanismes de régulation macroéconomique et microéconomique qui s’apparentent à une forme de quasi-intégration régionale, à la fois pour contrôler l’activité globale du secteur hospitalier et pour atténuer la concurrence entre les secteurs publics et privés."

4. Comment et pourquoi la "filière" hospitalière peut déraper quand on laisse la main aux technostructures. Voir aussi cet article sur les filières de Frossard +++ et aussi cette page



"Finalement, l'ensemble de ces approches sont réunies au sein d'une problématique des réseaux publics. Le concept 
de réseau permet en effet de comprendre de façon transversale des activités aux problématiques 
économiques communes. Ceci permet d'aborder la question centrale de l'intégration verticale au niveau 
des filières de soins liées à l'hôpital. Les apports de la théorie des contrats et des organisations peuvent 
être mobilisés à cet égard."


Plus sur 
Yardstick competition

La concurrence régulée, la T2A et la construction de "l'entreprise fantôme"

La yardstick competition est un système de régulation destiné à réduire les coûts de production quand le régulateur, par exemple du système de santé, a une information limitée sur les agents.
Une description de la concurrence par comparaison, formulée par Lehman et Weisman (1996) est la suivante: «La concurrence par comparaison est un type de tournoi dans lequel les agents se livrent à un concours pour les coûts les plus bas» (Lehman et Weisman, 1996: 137).
La concurrence par comparaison est un instrument réglementaire qui peut être utilisé si la concurrence directe entre les agents n'existe pas ou ne conduit pas à des résultats souhaitables. Le régulateur récompense les agents sur la base de leur performance relative et génèrent donc des incitations pour leur efficience (rapport des résultats aux ressources consommées). Les agents sont en concurrence avec une «entreprise fantôme» ("shadow firm") dont la performance est déterminée par des pratiques moyennes ou considérée comme la "meilleure" de l'industrie.
Ainsi, la concurrence par comparaison implique que le principal rembourse les agents en fonction de leur rendement relatif. Cela signifie que leur efficience est comparée à celle d'autres agents qui offrent des services et des produits similaires. Leurs profits et les budgets dépendent de cela. La mise en œuvre de ce mécanisme induit un processus de concurrence entre les agents. En d'autres termes, la concurrence par comparaison est la façon de relier les conséquences financières des "résultats" à 'une procédure de benchmarking.
Extrait de (*)

1. Andrei Shleifer. A theory of yardstick competition. Rand Journal of Economics. Vol 16, n°3, Autumn 1985

 "La yardstick competition (YC) décrit la régulation simultanée d'entreprises identiques ou similaires. Selon ce schéma, la récompense d'une firme donnée dépend de sa position vis à vis d'une entreprise fantôme, construite comme moyenne d'entreprises convenablement choisies comme similaires. Chaque entreprise est alors contrainte d'entrer en compétition avec cette entreprise fantôme. Si les entreprises sont identiques ou si l'hétérogénéité est corrigée correctement et complètement, le résultat à l'équilibre est efficient."

Outre les effets pervers possibles de la YC auxquels le régulateur doit impérativement veiller par des contrôles et d'éventuelles sanctions, Shleifer pose clairement la question des accords collusifs  et verticalités de groupes que les entreprises peuvent tenter de constituer pour résister aux mécanismes de la YC.

Ces mécanismes peuvent à l'évidence conduire à un cost-killing hautement délétère pour la qualité des résultats, dès lors que ceux-ci sont mal définis ou difficiles à apprécier.
On comprend ici l'importance du type régulation par les tutelles et du type de gouvernance d'entreprise choisi quant à l’efficience et l'efficacité de la régulation ou au contraire l’inefficience et/ou la baisse de qualité des soins qu'elle est susceptible d'induire..
"... une analyse de la réponse par ententes collusives à la yardstick competition reste une part importante de l'évaluation." (entendre ici le trust ou quasi trust par regroupement de groupes hospitaliers et les "restrictions verticales", notamment centrées sur la production d'amont.
Bref si les effets vertueux de la YC restent à prouver, les effets délétères d'une YC dérégulée et laissant libres les technocraties intermédiaires de remodeler à leur guise le contour des "firmes" au mépris du principe de concurrence entre firmes "similaires", notion clé du modèle, nous conduit à la catastrophe!

2. Yardstick competition & managed competition






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