samedi 28 décembre 2013

Homo numericus, la santé "Bien-être" et le Nouveau Management Public


Les élites débordées par le numérique?
Le Monde.fr | 26.12.2013 à 16h05 • Mis à jour le 27.12.2013 à 10h09 | Par Laure Belot

Que faut-il penser des rapports entre les élites et les nouvelles représentations numériques? Sont-elles débordées ou les ont-elles déjà instrumentalisées pour la faisabilité politique de l'ajustement? Quels en sont les enjeux et opportunités? Le modèle promu par les politiques publiques de santé, loin d'être un modèle purement marchand, est avant tout un modèle systémique et managérialiste tel que décrit par Boulding en 1956 . La "biopolitique" de Foucault se réalise dans la santé définie comme "Bien-être", objet de "l'intégration" par l'action publique des divers niveaux de gouvernance; elle est asservie à une fonction de production gérée par "l'Etat entreprise".



Homo numericus et l'angélisme exterminateur

Le Management Public ne s'appuie plus sur le droit mais sur les sciences sociales. Si le management public a inventé la fonction de production de la santé "Bien-être", pour paraphraser Lénine, le Nouveau Management Public, c'est la technologie des sciences sociales plus les Big Data. Ses limites sont celles que la théorie des choix publics assigne aux choix politiques comme aux mécanismes de marchés: 
  • les "externalités", effets sur des personnes qui ne sont pas directement parties à la transaction, négatives comme la pollution ou positives,
  • y répondent les "internalités" des bureaucraties, gaspillages, contre-performance, sous-travail, "bureaucratie au service de ses agents", monopoles internes ..., 
  • les monopoles qui faussent les mécanismes de marché,
  • l'asymétrie d'information, tout particulièrement en santé,
  • insuffisance de production des biens publics par les externalités positives,
  • les limites de prévision inhérentes à la vision d'homo economicus en "idiot rationnel". 
Si la théorie de "l'idiot rationnel", égoïste et calculateur, est discutable, tant s'agissant des transactions privées que des marchés politiques, il n'est pas douteux que la pression des organismes internationaux dans le contexte actuel de mondialisation a des effets de prophétie auto-réalisatrice. En d'autres termes on ne naît pas "marchand" ou "technocrate" mais on peut le devenir.

N'oublions pas que l'action publique est aujourd'hui avant tout préoccupée de réduire les dépenses publiques de santé et et de rationaliser par tous les moyens un rationnement inavouable. En France l'idéologie jacobine ne peut faire le sacrifice du mythe du progrès humain par la science positive (lire Hayek sur l'Ecole Polytechnique), qui est le fondement de sa légitimité et de l'écrasement des corps intermédiaires (loi Le Chapelier) laissant seul le calcul de l'intérêt individuel face à celui de l'intérêt collectif. Le "rationnement" est tout simplement indicible en France puisque ce serait avouer les défaillances de la "Déesse raison" garante du progrès et du management public.

On sait au moins depuis Galbraith ("le Nouvel Etat industriel") que les technostructures privées et/ou publiques construisent des représentations des besoins, des "filières inversées" non à partir des besoins réels du "client" ou de "l'usager" même si l'on feint de le consulter pour définir le marché tout en maximisant l'asymétrie d'information par la propagande, mais en fonction de leurs propres besoins et de la maximisation de leur fonction d'utilité. Le premier ennemi de la gouvernance d'entreprise en privé ou public, c'est le manager dont il faut protégér le payeur, actionnaire ou gouvernement. Le professionnel "opérationnel expert" de Mintzberg, comme le médecin ou l'universitaire est la victime collatérale d'un modèle qui n'a pas été spécifiquement pensé pour les "bureaucraties professionnelles". L'exemple de la loi HPST tant voulue par les directeurs (pas tous) s'accompagne de leur désespoir d'être soumis aux injonctions des agences et d'être privés de leur autonomie de capitaine d'entreprise. Certains s'imaginaient enfin libres de déployer ce marketing de faux produits de santé "à portée des caniches" permis par l'explosion du reporting médico-économique (les GHM produits de l'hôpital selon le modèle promu par Fetter). Si l'arroseur est arrosé, il n'y a pas de quoi se réjouir, bien au contraire. Lire sous ce lien l'article sur les directeurs d'hôpital de François Xavier Schweyer: http://ress.revues.org/251

Le danger selon Hamel et Prahalad (Harvard Business School) est la destruction des compétences clés de l'organisation, l'amnésie organisationnelle, le contraire de la capitalisation des connaissances qui fait l'avantage compétitif de l'organisation. Nous autres, "rameurs" de santé toujours plus écartés de la conception des process industriels, le constatons au quotidien.

Le temps n'est plus à l'angélisme exterminateur qui laisse, en toute confiance et sans contre-pouvoirs démocratiques, des "experts" asservis aux arrières-pensées d'ajustement des politiques publiques créer ex nihilo de faux marchés de santé, qu'il s'agisse de nommer et définir les "besoins" des "clients" ou les "produits"(ouput myope vu d'un système de production imputable à court terme, outcome individuel du patient ou "impact" sur la santé Bien-être d'une population?).

Le besoin à flécher, à nommer et à compter c'est quoi? L'Accident Vasculaire Cérébral, le cérébro-lésé quelle qu'en soit la cause, les limitations fonctionnelles liés aux atteintes neurologiques lourdes, le handicap lourd quelle qu'en soit l'étiologie et à n'importe que âge,...? Qui définira avant les autres le bon sujet qui sera mis à "l'agenda politique"?

La T2A "à la française", peut-être la plus bête du monde, est un formidable ratage:
1/ à la fois par l'absence de régulation "garde-fou" qui ne laisse aux directions comme seules variables d'ajustement que la constitution de trusts hospitaliers, l'asservissement de l'aval rataché (SSR-SLD), l'effondrement des effectifs et/ou de la qualité des soins (Robert Holcman) et 
2/ par trop de régulation par des fléchages pilotés "d'en haut" qui en limitent toutes les vertus efficientes attendues par de ces pseudo-marchés les croyants dans la concurrence par comparaison ou la "yardstick competition".

Le marché des besoins de soins de santé, qu'il faut distinguer avec les Canadiens de la santé Bien-être, devenue objet de la politique et des choix utilitaristes en termes de coûts d'opportunité, est très largement construit à partir de catégories conçues ex cathedra et des données issues de ces catégories.
On a cru pendant les trente glorieuses à l'extinction du paupérisme et pensé qu'on pouvait assigner à l'hôpital public une fonction purement soignante, au sens bio-médico-technique du terme, reléguant le traitement social aux départements. Les catégories de la production hospitalière ont été construites sur ce postulat qui sépare soins et social, maladie et exclusion sociale et qui va à rebours de l'évidence de la transition socio-sanitaire. Le système est aujourd'hui verrouillé institutionnellement et financièrement et favorise la déconstruction la plus contre-performante qui soit de la solidarité entre l'assurantiel "de base", l'assurantiel à géométrie variable dépendant des complémentaires santé et l'assistantiel pour le pauvre, l'exclus, le vieux et le handicapé. Nous sommes à l'ère qui combine la médecine actuarielle à l'art d'ignorer l'assistance publique.

Une des parades à une maîtrise non démocratique des Big Data est "l'open data" , l'accès aux données qui permet d'en contester les modèles et interprétations dominantes. Mais il est probable que les inférences logiques tirées de ces données dont le support ontologique est douteux, auront toujours un tour d'avance sur des opérationnels de santé déjà à moitié résignés. L'inaccessibilité aux données est toujours plus marquée dans nos hôpitaux avec l'épaississement de la pyramide hiérarchique (7 niveaux à l'AP-HP de l'unité opérationelle à l'ARS).

L'hôpital public est enterré par le droit européen, mais comment le nouveau service public territorial d'intérêt collectif construira-t-il ses représentations numériques? Comment seront associées les parties prenantes, les shareholders face aux stakeholders dans ce que nous espérons être une démocratie non pas numérique mais malgré le numérique?

Méfions nous des anges numériques, même chargés de présents.

Community cleverness required
http://www.nature.com/nature/journal/v455/n7209/full/455001a.html

L'institution communicante
http://www.cairn.info/resume.php?ID_ARTICLE=COMOR_041_0027

Le dispositif rhétorique
http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=SOPR_010_0077&DocId=170640&Index=%2Fcairn2Idx%2Fcairn&TypeID=226&BAL=ancMLSzIlmhTA&HitCount=1&hits=11f2+0&fileext=html

Big data en santé: mythe ou réalité?
http://virchowvillerme.eu/big-data-en-sante-mythes-et-realites/

Big data défis et opportunités pour les assureurs
http://www.revue-banque.fr/banque-detail-assurance/article/big-data-defis-opportunites-pour-les-assureurs

Analyse des Big Data. Quels usages, quels défis ? (centre d'analyse stratégique)
http://www.strategie.gouv.fr/blog/wp-content/uploads/2013/11/2013-11-09-Bigdata-NA008.pdf

Le blog de Danah Boyd
http://www.zephoria.org/thoughts/?s=big+data


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