samedi 6 décembre 2014

De quoi le néolibéralisme est-il le nom? - Naissance de la 'Pataclinique


Hello, happy accountables!


« Les modèles économiques servent fréquemment à détourner des questions socialement pressantes. » John Kenneth Galbraith

«...le néo-libéralisme ne saurait en aucune façon être assimilé au moins d'Etat. Il est au contraire une rationalité politique originale qui confère à l'Etat la mission de généraliser les relations concurrentielles et la forme entrepreneuriale y compris et surtout au sein de la sphère publique.» Frédéric Pierru

« Au nom de ce programme scientifique de connaissance, converti en programme politique d’action, s’accomplit un immense travail politique (dénié puisque, en apparence, purement négatif) qui vise à créer les conditions de réalisation et de fonctionnement de la « théorie » ; un programme de destruction méthodique des collectifs.» Pierre Bourdieu


Avant tout, voici un dossier documentaire sur le site d'ubulogie clinique

Naissance de la 'Pataclinique




Pourquoi parler du néolibéralisme?


« Tout mécanisme de régulation est une théorie du changement social. » Jean de Kervasdoué

« La prévention devient, entre les mains de l’État, un outil de gestion des déficits budgétaires générés par les soins curatifs. » Raymond Massé

La sortie de mon état antérieur de "zombie politique" vient de ce que j'ai été stupéfait et horrifié par la submersion rapide de nos hôpitaux, je dirai aujourd'hui plus largement de notre "système de santé", par la iatrogenèse néo-managériale, par sa maltraitance masquée des malades et des soignants, médecins bien sûr, mais sans doute surtout des paramédicaux. Ce qui m'est apparu presque encore plus effroyable, c'est le découplage ubuesque, parce qu'ayant atteint le niveau d'une véritable révolution du sens du soin à l'hôpital, entre d'une part les théories professées par la rhétorique managériale dont la fonction est d'enfumer l'évidence de soins dégradés par un exécrable management low cost, et d'autre part les théories d'usage et méthodes de travail réelles mises en oeuvre par les opérationnels des services ("service" veut dire unité opérationnelle "au service du public"). 
Je déplore qu'entre complaisance résignée et complicité soumise, nous n'en parlions pratiquement plus, entre nous autres "soignants", sur nos lieux de travail, car d'autres en parlent, qui poussent trop souvent à nous transformer en "employés" du faux dialogue social à la française. Je ne reviens pas sur les critiques si pertinentes de Michel Crozier sur le faux dialogue social à la française.

Nos nouvelles Commissions Médicales d'Etablissement (CME), conformément à la prophétie auto-réalisatrice des "réformateurs", en particulier au modèle d'homo economicus, sont devenues des assemblées d'idiots aussi rationnels qu'égoïstes (rational fool d'Amartya Sen), mais aux rationalités plus limitées que jamais, avalant, certes avec quelques effets d'estrade pour se donner un supplément d'âme, la pensée Powerpoint programmés par le "nouveau patron" de l'hôpital et ses succubes. Comme disent les golfeurs, "on est toujours à la merci d'un bon coup". Une CME ou n'importe quelle structure de la nouvelle gouvernance est toujours à la merci d'une bonne analyse ou d'une bonne décision, quand elle participe encore un peu à la décision. Entendons nous bien, c'est le comportement collectif induit par une gouvernance managérialiste et infantilisante qui est ici critiqué et non le comportement individuel des acteurs qui relève de l'impotentia judicandi.

C'est qu'au classique management by decibels et by lobbying il faut ajouter aujourd'hui le management by bullying ou management par l'intimidation. Qui n'a pas à sauver un projet d'activité qui lui tient à cœur et ne va pas se résigner à "la fermer" pour ne pas sacrifier tout à la fois les soins auxquels il croit pour ses malades, le sens de son travail et son équipe de soins? Servitude volontaire ou servitude induite et bien induite?

Je propose plus bas une brève définition du néo-libéralisme inspirée de Pierre Bourdieu et Frédéric Pierru, peut-être aussi de Michel Foucault si je l'ai jamais compris, pour en finir avec les gogos de l'intégration industrielle de l’usine à soins. Je pense hélas aux nouvelles CME issues de la loi HPST, et tous ceux qui se cachent derrière la critique de la seule composante entrepreneuriale du grand "bordel" pour mieux masquer le "jacobinisme planificateur" inhérent à l'élite néo-mandarinale qui se constitue. « Corriger la lecture jacobine et planificatrice qui a été faite » du service territorial de santé au public, c'est la formulation utilisée par Marisol Touraine pour repousser les critiques de sa loi. Mais qui va se oser se déclarer "jacobin et planificateur" dans un pays ou pourtant la logique "étatique-corporatiste" bien décrite dans la société de défiance peut définir le mal français?
Trop de nos nouveaux médecins gestionnaires se réclament de la stratégie du glaive et du bouclier, proclamant que leur proximité du management officiel va mieux nous protéger de la bureaucratie sanitaire. Mais que vaut le prétendu bouclier quand le glaive de la raison clinique n'est plus qu'un couteau sans lame auquel il manque le manche? Triste sort du prisonnier-fonctionnaire.

Le néo-libéralisme est une idéologie idéaliste "armée", promue par des organisations internationales, au service de certains groupes d'intérêt. Il sert avant tout à la "faisabilité politique de l'ajustement", politique qui induit des comportements "d'Etat prédateur" selon James K. Galbraith. Celui-ci nous explique bien que ce néolibéralisme n'est plus qu'un discours idéologique tenu aussi bien par la droite et la gauche américaine, tout comme chez nous, alors que les universitaires des reaganomics sont aujourd'hui enfermés et oubliés dans leurs universités. Les reaganomics étaient plutôt opposés à la "régulation", mais furent qualifiées par George H. W. Bush "d'économie vaudou".

La régulation néo-libérale au service de la santé-bonheur a donc de beaux jours devant elle.

Proposition: néolibéralisme, néomanagérialisme et santé publique -  Page complémentaire

Le néo-libéralisme peut être défini comme une technique de gouvernement, historiquement située, qui fonde l'intégration de la société sur le postulat d’efficacité économique de la compétition régulée, dès lors généralisée à toutes les sphères de la vie publique et privée.

La société apparaît comme principe d'auto-limitation de l'Etat, en interface paradoxale entre l'Etat et l'individu, gouvernement et population, au nom à la fois de la liberté qui exclut toute forme de dirigisme et de la promotion de la "santé bonheur". Autrement dit, ce nouveau "Biopouvoir" ou "Biopolitique" prend en charge non les individus afin de les assujettir par des techniques disciplinaires, mais la population afin de réguler ses processus biologiques.

Le néo-managérialisme assure la régulation de la compétition, le managérialisme étant défini comme l'extension des techniques du management à toutes les sphères de la vie publique et privée.

Le Nouveau Management Public est un patchwork idéologique qui intègre, de façon très variable selon les pays, l'ensemble de ces mythes rationnels dans l'action publique. L'action publique est aujourd'hui sous contrainte internationale de la "faisabilité politique de l'ajustement". Les systèmes de santé sont une des variables d'ajustement essentielle des déficit publics. Force est de constater avec Raymond Massé que « La prévention devient, entre les mains de l’État, un outil de gestion des déficits budgétaires générés par les soins curatifs ».

Le "service territorial de santé au public " est bien l'autre nom d'une politique de santé qui sert de variable d'ajustement aux dépenses publiques

Cette idéologie vérificationniste et infalsifiable, fondée sur de fausses sciences sociales au service de Machiavel, explique tout, justifie tout, légitime tout, avale tout, à commencer par l'esprit critique des médecins, des managers, des usagers et des élus.

Le reste est anthropologique, captant la médecine dans l'effroyable re-division néo-managériale du travail, décrite par le sociologue américain Eliot Freidson, qui reproduit le triangle mythique de Dumézil: les élites de prêtres "sachants" qui se sont recomposées avec les sciences sociales servent de support légitimateur du management public, les guerriers-gardiens, en intégrateurs et capitaines d'entreprise à leur service, et enfin les producteurs. A propos de ce modèle anthropologique qui ne se résout jamais complètement en "lutte de classes", n'en déplaise à Marx, il faut lire Aristote (contre Platon et les néo-platoniciens) , Dumézil, Veblen, d'iribarne et Galbraith Jr.

Merde! Je ne suis pas un producteur dont le sens de l'action serait défini d'en haut!

Je ne crois pas à la "vue d'hélicoptère", genre De Gaulle survolant l'Île-de-France avec Delouvrier et lui disant, "Delouvrier, mettez moi un peu d'ordre dans ce bordel".
"Tous les chercheurs travaillant sur l’histoire des villes nouvelles connaissent la légende du « Delouvrier, mettez moi de l’ordre dans ce bordel » qu’aurait prononcé le général de Gaulle, au début des années 1960 lors d’un survol de la région parisienne en hélicoptère. Cette « petite phrase » est justement célèbre parce qu’elle résume à elle seule l’imaginaire des villes nouvelles. "
Et l'imaginaire du jacobinisme entrepreneurial à la française?

Tentative d'exploration du néo-libéralisme


Voilà, je répugne toujours a utiliser le mot "néolibéralisme" tout en ayant bien le sentiment qu'il est le nom de quelque chose. J'observe au quotidien et dans un désarroi croissant la conjonction des défaillances d'un régime de compétition régulée par une bureaucratie de plus en plus contre-productive au regard de ses objectifs affichés. Résumons le mal du pont de vue "clinique" d'où je l'observe, celui de la médecine de réadaptation: le mythe de la rationalisation comptable s'est accouplé à celui de la concurrence comme forme générale des activités humaines. Il a alors fallu construire un modèle comptable de production des services de santé qui puisse mettre les acteurs dans ce régime de compétition régulée. C'est ainsi modèle de production comptable par construction purement "cure" de la Tarification à l'Activité dans nos hôpitaux (T2A), a servi de modèle d'allocation des ressources en détruisant systématiquement cette part du care qui y était intimement associée pour tous les soignants, cette part d''intégration des soins en vue du résultat final pour le malade, bien différents des outputs de sortie de système autant que des "impacts" socio-économiques attendus du modèle d'intégration de la "fonction de production" par les experts de l'action publique.

Ce modèle de production fragmenté a été naturalisé par la séparation du sanitaire et du social qui a induit l'évaporation en France de la réadaptation comme problématique de l'action publique au profit du modèle exclusif de la participation, de l'activation qui est aussi l'idéologie du workfare. Le nouveau modèle du cure déconcentré pour les "Français de l'Etat" et du care décentralisé pour les "Français du département" excluait la possibilité de promouvoir tout dispositif intégrant les deux logiques autrefois étroitement intriquées. Après la grade fragmentation issue des lois de 1970 et 1975, séparant soins et social, penser la réadaptation comme stratégie nationale ou régionale de santé publique devenait tout simplement impensable, quand tous le pays associent naturellement réadaptation et prévention des situations de handicap, quel que soit l'âge.

En termes d'économie industrielle la supply chain s'est transformée sous l'action de nouveaux business models artificiellement construits par la bureaucratie sanitaire et des faux marchés imaginés par ses pompiers pyromanes. Nous souhaitons tous l'intégration réelle des parcours de soins, tant attendue des incantations réformatrices. Nous la souhaitons comme "centrage patient", et non comme "orientation client" cet acteur rationnel informé, responsabilisé et bien empouvoiré pour mieux répondre à toutes les incitations du marché. Bref avant tout imputable. Nous voulons bien sûr viser le résultat qui compte au terme de la chaîne de soins, l'outcome. Mais le système a évolué vers toujours plus de fragmentation institutionnelle, financière et culturelle en contexte de rationnement, vers des parcours de plus en plus chaotiques transformés en jungle pour des patients toujours plus complexes, toujours moins habiles à s'y mouvoir, vers toujours plus de flux poussés de l'amont vers l'aval et  de restrictions verticales de filières, bien loin de tout choix possible du "client" dès lors captif, quand la personnalisation des parcours impliquerait au contraire l'équilibre entre "flux tirés" et "flux poussés", entre standardisation et individualisation de la réponse la demande, entre "sur-mesure" et "prêt à porter". Comment pouvait-il en être autrement en organisant une guerre économique de survie ou d'expansion de tous les "idiots rationnels" entre eux, à un même moment ou à différents moments de la chaîne de soins.

L'intégration des soins, telle qu'observée par les acteurs

Cette "innovation destructrice" est-elle portée par des mythologies rationnelles dont personne ne sait maîtriser les conséquences ou par des stratégies politiques d'ajustement visant à rationner les soins et la protection sociale sous enveloppes fermées? Il est bien difficile de trancher. Comment ce nouveau paradigme de gouvernance qualifié de "néo-libéral", nous prive-t-il, nous autres soignants, de toute autonomie permettant de relier le cure du "traitement industrialisé de la nouvelle usine à guérir au care du prendre soin, du souci de l'autre humaniste? Comment et pourquoi tente-t-il de réaliser l'alignement de cette compétition régulée à travers ses multiples niveaux? Pourquoi la future loi de santé nous apparaît-elle de plus en plus comme la loi HPST II quand on en attendait une remise en cause?

  1. Au niveau "macro": cela peut peut-être se résumer aux principes issus du consensus de Washington: "gouverner pour le marché" considéré comme seule source du progrès, de la paix et de la démocratie, dans le cadre contraint d'un idéalisme libéral trop souvent "armé".
    Les programmes d'ajustement structurels et les problèmes liés à leur faisabilité en découlent... en contexte de rationnement.

  2. Au niveau "méso": se déploient des armes de destruction massive de tous les "collectifs" assimilés à "l'esprit de corporation" décrit par le Chapelier, dont le "service hospitalier". Le service hospitalier par exemple, n'apparaît plus que comme un avatar corporatiste nuisible, un "libéralisme médical à l'hôpital". Voici que la rationalité managériale pure et son innovation destructrice émergent de la "théorie pure" (texte sur l'essence du néolibéralisme de Bourdieu). Galbraith et Mintzberg sont parmi les auteurs qui ont le mieux décrit l'autonomie et les défaillances tragiques de ces technostructures intermédiaires. Notons qu'elles sont aussi la cible de la corporate governance qui vise à redonner le pouvoir aux actionnaires. Cette logique se généralise à l'Etat entreprise où le management intermédiaire, soumis au "contrôle de gestion", est sommé de rationaliser une fonction de production définie par l'action publique de ce corporate state. Dès lors le niveau "méso" n'a de cesse d'auto-définir les besoins qu'il est censé servir. Le "business model", la fonction de production imposée d'en haut avec ses objectifs sous enveloppes fermées, précède la définition des produits (résultats myopes comme outputs de sortie de système) et de la re-division du travail. Dès lors naît un cercle vicieux de la perte de sens, qui nie le "travail réel", roue de la perte de sens par laquelle le management n'a de cesse de tailler la réglementation à sa main (planification, définition des "activités de soins", gouvernance, ré-ingénierie des professions). Voilà la triste histoire de la loi HPST et des notes de bas de page que la future loi de santé va y inscrire.

  3. Au niveau "micro": il ne s'agit pas de "gouverner par le marché" mais plus exactement de "gouverner par les incitations", de généraliser une forme entrepreneuriale purement compétitive, dès lors nécessairement soutenue par un "business model" (un modèle rationalisé de profit, ne serait-ce que pour la survie d'une activité "non lucrative", dans une règle du jeu tarifaire imposée par un faux marché), dans les mécanismes les plus intimes de toute activité humaine. Il s'agit de la "transformation de la concurrence en forme générale des activités de production". Je ne reviens pas sur la "biopolitique" de Foucault ni sur le workfare ou "Etat social actif", où le travailleur devient entrepreneur de soi, dans l'idéal de devenir si possible un prédateur des autres. Voilà quel Brave new world  nos grands ingénieurs de la santé bonheur ont pensé pour nous!

Mais quel est le sens de la liberté individuelle dans ce paradigme, cette théorie pure du "divin marché"? La liberté individuelle et d'organisation d'activités collectives, qui ne sont pas toujours for profit, comme Adam Smith lui-même le savait, n'y est plus la condition de l'émergence de bonnes solutions pour la cité, elle devient l'objet d'un jeu d'incitations savantes qui doit permettre de ne laisser émerger dans la conscience individuelle et collective que des objectifs bien calibrés dans un cadre prédéfini par les théoriciens purs de l'Etat, leur "dictature du projet" et leurs "contrats" dont leurs agences pilotent les objectifs.

Poussant à l'extrême le pessimisme libéral sur la nature humaine, bien au delà d'Adam Smith et de la plupart des penseurs du libéralisme, la politique néo-libérale se réduit à cette quête de procédures et de principes objectifs, indépendants des motivations des hommes. Mais derrière cette apparente coalition moderne du droit et du marché, il s'agit bien d'une dépossession démocratique et d'un déni de citoyenneté qui n'ont vraiment rien de "libéral" au sens classique du terme. Chaque citoyen producteur y perd toute dignité humaine, n'étant plus convoqué que comme "idiot rationnel" réagissant aux incitations mécaniques prévues par la théorie pure.

Webographie


1. Le consensus de Washington (d'après wikipedia)

Le consensus de Washington, selon John Williamson, résume en 10 points les propositions qu'on qualifie de « néolibérales ».IL est ainsi nommé parce partagé que partagé par les organisations économiques basées dans cette ville (le FMI, la Banque mondiale…(Williamson, John (1990), « What Washington Means by Policy Reform » in John Williamson, ed. Latin American Adjustment: How Much Has Happened? (Washington : Institute for International Economics

  • Politique budgétaire : les déficits n'ont d'effets positifs qu'à court terme sur l'activité et le chômage, alors qu'ils seront à la charge des générations futures. À long terme, ils produisent inflation, baisse de productivité et d'activité. Il faut donc les proscrire, et n'y recourir qu'exceptionnellement lorsqu'une stabilisation l'exige ;
  • Les dépenses publiques doivent se limiter à des actions d'ampleur sur des éléments clefs pour la croissance et le soutien aux plus pauvres : éducation, santé publique, infrastructures… Les autres subventions(spécialement celles dans une logique de guichet) sont nuisibles ;
  • Politique fiscale : les impôts doivent avoir une assiette large et des taux marginaux faibles de manière à ne pas pénaliser l'innovation et l'efficacité ;
  • Politique monétaire : les taux d'intérêts doivent être fixés par le marché ; ils doivent être positifs mais modérés ;
  • Pas de taux de change fixe entre les monnaies ;
  • Promotion de la libéralisation du commerce national et international : cela encourage la compétition et la croissance à long terme. Il faut supprimer les quotas d'import ou export, abaisser et uniformiser les droits de douanes…
  • Libre circulation des capitaux pour favoriser l'investissement ;
  • Privatisation des entreprises publiques, démantèlement des monopoles publics pour améliorer l'efficacité du marché et les possibilités de choix offertes aux agents économiques ;
  • Déréglementation; à l'exception des règles de sécurité, de protection de l'environnement, de protection du consommateur ou de l'investisseur, toutes les règles qui entravent la concurrence, et empêchent les nouveaux compétiteurs d'entrer sur un marché doivent être éliminées ;
  • La propriété doit être légalement sécurisée ;
  • Financiarisation.

2. L’essence du néolibéralisme par Pierre Bourdieu, mars 1998
“Au nom de ce programme scientifique de connaissance, converti en programme politique d’action, s’accomplit un immense travail politique (dénié puisque, en apparence, purement négatif) qui vise à créer les conditions de réalisation et de fonctionnement de la « théorie » ; un programme de destruction méthodique des collectifs.” Pierre Bourdieu

3 . De quoi le libéralisme est-il le nom? Jean-Claude Michéa
Résumé dans la revue du Mauss:
Avec cet article, l’auteur prolonge et clarifie quelques-uns des points essentiels de son dernier ouvrage, L’Empire du moindre mal. Il rappelle notamment combien la conception pessimiste de la nature humaine au fondement du libéralisme l’a conduit à plaider pour une morale neutre en valeurs et pauvre en vertus. Et c’est là peut-être l’une des raisons pour laquelle la politique libérale se réduit à cette quête de procédures et de principes objectifs, indépendants des motivations, bonnes ou mauvaises, des hommes. Et l’une des raisons également de l’émergence de cet empire moderne du droit et du marché qui tend aujourd’hui à régner sur nos sociétés contemporaines.


4. Pierre Dardot et Christian Laval « Néolibéralisme et subjectivation capitaliste »

Ce texte me paraît expliquer pourquoi la liberté d'action des "professions libérales à l'hôpital" se trouve directement anéantie par la normalisation de la concurrence, qui vise à naturaliser la "transformation de la concurrence en forme générale des activités de production".
Le nouveau paradigme est présenté comme hybridation de deux modèle de création de valeur: la rationalisation managériale du profit de type taylorien et l'innovation destructrice de Schumpeter qui ne cesse de mettre cul par dessus tête les marchés soi-disant purs et parfaits des néoclassiques.


On comprend bien ici pourquoi l'action publique n'a pas besoin d'aller jusqu'à la "marchandisation" vraie pour répondre à ces exigences. Ce n'est pas une volonté consciente qui conduit le processus. Cependant de nouvelles coalitions émergent pour sur-légitimer cette nouvelle raison du monde, qui ont "intérêt" à ce nouvel universel néo-libéral, comme les juristes ont, en leur temps, légitimé l'Etat légal rationnel, rendant ainsi inutile et Dieu et le Roi.
L'effet est nécessairement différent entre pays qu ont développé la mythologie de l'autonomie par le "self" contre le vieux continent et le catholicisme et ceux qui avec Rousseau ont laissé l'individu seul face à l'Etat garant de l'autonomie des citoyens en les protégeant de tous les collectifs intermédiaires. le Veau d'or de l'entreprise de soi et des autres affronte toujours déjà la putain du diable, la Déesse Raison. L'individu, pris entre César et Mammon, n'a plus qu'à aller voir son psychothérapeute qui le protégera de la souffrance au travail en développant ses "habiletés sociales". Mais à quoi? A l'extension opérationnelle de la manipulation de soi et des autres?

Comme le dit Patrick Gibert, dans le Nouveau Management Public ce n'est plus tant le droit et les juristes que les sciences sociales qui dominent la technologie de gouvernement.
Ainsi faut-il voir l'invasion des "agences" par les professionnels patentés de cette nouvelle ingénierie sociale de marché, chargés de la création de l'homme nouveau, ce produit de la biopolitique, la plus parfaite des "ressources humaines", celle dont on se plait à croire qu'elle est née pour la compétition régulée.

Ainsi se déploie le triangle mythologique de Dumézil, explication possible de la transformation de "l'Etat social" en "Etat prédateur" (modèle anthropologique utilisé par Thornstein Veblen, d'Iribarne, Galbraith junior...). Ce triangle s'applique à la reconfiguration de la médecine dans le schéma n°3

Schéma n°1: les trois fonctions mythologiques face à "l'Etat prédateur"


5. La loi Le Chapelier et le rejet des corps intermédiaire. Aux sources du jacobinisme entrepreneurial à la française

Dans l’exposé des motifs de sa célèbre loi (14-17 juin 1791), Le Chapelier, rejetant les corps intermédiaires chers à Montesquieu affirme:
« Il n’y a plus de corporations dans l’Etat; il n’y a plus que l’intérêt particulier de chaque individu et l’intérêt général. Il n’est permis à personne d’inspirer aux citoyens un intérêt intermédiaire, de les séparer de la chose publique par un esprit de corporation »

Dans son discours du 29 septembre 1791:

"Il n’y a de pouvoir que ceux constitués par la volonté du peuple exprimée par les représentants ; il n’y a d’autorités que celles déléguées par lui ; il ne peut y avoir d’action que celle de ses mandataires revêtus de fonctions publiques."

C’est pour conserver ce principe dans toute sa pureté, que, d’un bout de l’empire
à l’autre, la Constitution a fait disparaître toutes les corporations, et qu’elle n’a plus reconnu que le corps social et des individus. […]

ARTICLE PREMIER

"L'anéantissement de toutes les espèces de Corporations d'un même état et profession étant une des bases fondamentales de la Constitution Française, il est défendu de les rétablir sous quelque prétexe et quelque forme que ce soit."

ARTICLE SECOND

"Les citoyens d'un même état ou profession, les entrepreneurs, ceux qui ont boutique ouverte ne pourront, lorsqu'ils se trouveront ensemble, se nommer ni présidents, ni secrétaires, ni syndics, tenir des registres, prendre des arrêtés ou délibération, former des règlements SUR LEURS PRÉTENDUS INTERÊTS COMMUNS."

« La Loi Le Chapelier, promulguée en France le 14 juin 1791, est une loi proscrivant les organisations ouvrières, notamment les corporations des métiers, mais également les rassemblements paysans et ouvriers ainsi que le compagnonnage.

La loi contribue, avec le décret du 18 août 1792, à la dissolution de l'Université et des facultés de médecine, au nom du libre exercice de la médecine, sans qu'il soit nécessaire d'avoir fait des études médicales ou d'avoir un diplôme, jusqu'à la création des écoles de santé de Paris, Montpellier et Strasbourg le 4 décembre 1794.

La Loi Le Chapelier a été abrogée en deux temps le 25 mai 1864 par la loi Ollivier, qui abolit le délit de coalition, et le 21 mars 1884 par la loi Waldeck-Rousseau, qui légalise les syndicats.

6. Huard P., Imbault-Huart Marie-José. Concepts et réalités de l'éducation et de la profession médico-chirurgicales pendant la Révolution. In: Journal des savants. 1973, N° pp. 126-150 .
« II vaut mieux manquer de praticiens que d'en avoir de mauvais ». Cabanis (rapport du 29 brumaire en VIII) (21 novembre 1799)

Voir l'opposition entre La Rochefoucauld-Liancourt ("physiocrate méconnu") et Guillotin, preuve que le débat entre la santé publique des "physiocrates" et la clinique, entre ces amoureux des modèles abstraits, ces théoriciens du Bien-être, fondateurs du premier modèle économique scientifique, et la médecine n'est pas nouveau :

7. Portrait de médecin: Joseph-Ignace GUILLOTIN - 1738-1814
"Il y a des hommes malheureux. Christophe Colomb ne peut attacher son nom à sa découverte; Guillotin ne peut détacher le sien de son invention". Victor Hugo

8. La Loi du 30 novembre 1892 par Bernard HŒRNI (suppression des officiers de santé)

9. La santé au régime néo-libéral par Frédéric Pierru.

10. Renouveau managérial dans le contexte des réformes des services de santé : mirage ou réalité ?


Figure 2: le pire ennemi du médecin, c'est le médecin




Inspiré de: Frédéric Pierru. Les mandarins à l’assaut de l’usine à soins. Bureaucratisation néolibérale de l’hôpital français et mobilisation de l’élite hospitalo-universitaire (dans la bureaucratisation néolibérale de Béatrice Hibou)

Figure 3: pour ceux qui croient encore à la grande intégration gestionnaire



Inspiré de: Frédéric Pierru LE MANDARIN, LE GESTIONNAIRE ET LE CONSULTANT Le tournant néolibéral de la politique hospitalière Le Seuil - Actes de la recherche en sciences sociales 2012/4 - n° 194

L'éthique de l'imputabilité ou le nouvel esprit de l'action publique - La santé publique comme business model de soi et des autres- L'imputabilité comme nouvelle raison du monde

A mon sens, une des sources de l'incompréhension mutuelle des libéraux et républicains face au Nouveau Management Public appliqué à la santé est lié à la place de "l'imputabilité" comme nouvelle religion du monde, et sa façon de détruire tout collectif intermédiaire entre l'individu imputable et la rationalité managériale publique. Bourdieu avait perçu le néolibéralisme avant tout comme une arme de destruction massive des "collectifs".

1. Reddition des comptes et santé mentale en France - L’impossible et irrésistible évaluation

2. Résister à l’emprise de la gestion : ce que l’armée du salut nous apprend
Resisting the domination of managerialism: lessons from the Salvation Army. Vassili Joannides et Stéphane Jaumier

3. Renouveau managérial dans le contexte des réformes des services de santé : mirage ou réalité ? (on copie le Canada pour la bureaucratisation et les USA pour la marchandisation des assurances)

4. La société du malaise


"La neurasthénie fait apparaître un nouveau type d'expertise que le sociologue Andrew Abbott a appelé "la juridiction des problèmes personnels". (...) ...au cours des années 1920, deux nouveaux personnages apparaissent de façon concomitante: le psychothérapeute et le manager." Ce dernier émerge de la nouvelle organisation du travail rationalisée, taylorienne puis fordienne (...). Le thérapeute, lui développe le type de capacité dont l'entreprise bureaucratique a besoin (...). les cures consistent à augmenter les capacités relationnelles permettant de répondre aux demandes multiples pouvant s'exercer sur le self sans qu'il soit débordé par elles." Alain Ehrenberg


On sait que le management public de nos systèmes de santé est tout sauf "performant", même dans un sens acceptable du terme. Allant à l'encontre de son projet affiché, de mauvaises lois en mauvaises lois, l'action publique détruit les compétences clés, paralyse la véritable création de valeur, l'accountability transforme la liberté d'entreprendre (individualisme politique) en obligation morale de compétition (individualisme moral), et réduit tragiquement le service rendu au public. La question que se posent sans cesse les soignants désenchantés est de savoir si cette destruction est volontaire et procède d'un volonté cachée de "marchandisation" ou si elle est le fruit d'un système de croyance, un ensemble de mythes rationnels ou rationalisant a posteriori des choix démunis de preuves, en pratique contre-productifs, et qui auraient pu être différents. Avec l'imputabilité, L'Ethos du profit de Max Weber, ou la conception moderne du self américain selon Alain Erhenberg ("la société du malaise") ne reviennent-ils pas à la charge dans nos vieux pays européens sous la forme terriblement insignifiante, pour nous autres latins, de civilisation méditerranéenne, d'un Ethos du business model, de la recherche laïcisée du salut par l'entreprise de soi et des autres?

Le salut par la santé Bien-être imposée par la biopolitique et par les modèles médico-économiques  qu'elle impose, sont alors pour nous autres médecins les deux visages de l'horreur d'une démédicalisation qui apparaît synergique de la dé-protection sociale.

Ce tableau ci-dessous, établi par Pierre Fraser, sociologue canadien qui a analysé l'ouvrage d'Ehrenberg, est intéressant pour guider "l'imputable" qui refuse d'être "neurasthénique".


"Le débat n’est pas : ou la protection ou l’opportunité, mais l’intégration des deux modèles en France. Ce qui suppose une réflexion sur leurs limites réciproques."
"Alain Erhenberg en réponse à Robert Castel (il fait référence au 2 modèles d'autonomie présentés dans cette page).


« L'économie est la science du raisonnement en termes de modèles et l'art de de choisir les modèles les plus pertinents pour le monde contemporain. » John Maynard Keynes

Esculape vous tienne en joie

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