vendredi 4 mai 2012

Health-Pride: les nouveaux métiers de la santé publique


"Le médecin n'est pas au service de la science, de la race ou de la vie. C'est un individu au service d'un autre individu, le patient. Ses décisions se fondent toujours sur l'intérêt individuel." Théodore Fox, ancien rédacteur en chef du Lancet

Petits détournements de textes...

Les nouveaux métiers de la santé publique

"Un bataillon d’agents de coordination des réseaux ouvre la marche, suivi presque aussitôt par un peloton d’accompagnateurs de personnes vulnérables, puis arrivent en rangs serrés les compagnies d'actuaires des risques financiers, de soignants polycompétents, d’agents d’ambiance, d’adjoints à la qualité, de coordinateurs de filières, de formateurs à l'éducation thérapeutique, de psycho-esthéticiens, d'agents de saisie médico-économique, d'agents d'éthiconomie appliquée, d’agents de médiation, de commissaires à la démocratie sanitaire , d’agents de promotion de la santé et j’en passe énormément. Ferme le cortège un petit groupe hilare d’accompagnateurs de personnes dépendantes placées en institution, talonné par des cadres experts en organisation des soins et des conseillers à la performance en direction des hôpitaux désorientés. Musique. 
Vers le ciel d’azur s’envolent des ballons, un camion-grue déguisé en sapin de Noël s’élance en grondant, la foule massée des deux côtés de l’avenue applaudit sauvagement, le monde retrouve enfin sa base. Le handicap est rassuré, la vieillesse respire. Le Tissu Social en cours de réparation frémit d’aise, les réjouissances ne font que commencer. Non non non, il ne s’agit pas d’une parade des arts de la rue, il s’agit des nouveaux métiers de la santé, réunis dans un rassemblement imaginaire tel qu’il pourrait se présenter à l’occasion d’une fête géante, une sorte de , je  sais pas moi, une sorte d’Halloween à l’échelle nationale, une Love-Parade en plein Paris, une Health-Pride mais oui pourquoi pas ?! Une Health-Pride. 
Quel besoin, dans ces conditions, pour l'énarchie de santé publique, de chercher à bricoler une nouvelle thématique, un projet, des propositions originales et crédibles ? Pour séduire qui ? Les médecins, les directeurs ou les élus d’avant ? Ceux qui auraient ricané à l’idée de se balader dans un concept soutenu par une idée, elle-même suspendue à une théorie ? Ils n’existent déjà presque plus. Le réaménagement abstrait du territoire est en train de forger son peuple ainsi que ses nouveaux matons de Panurge. "



Contre l’insurrection managériale de marché

"Un pouvoir insurrectionnel s'est établi en médecine par un pronunciamento gestionnaire.

Les coupables de l'usurpation ont exploité la passion des cadres de certains établissements, fédérations et associations, l'adhésion enflammée d'une partie de la population et de certains élus qu'égarent les craintes et les mythes, l'impuissance des médecins submergés par la conjuration.

Ce pouvoir a une apparence : un quarteron de ministres ayant pour doctrine gouvernance d'entreprise, gestion administrative des résultats, concurrence encadrée et privatisation. Il a une réalité : un groupe d'économistes et de grands commis de l'Etat, partisans, ambitieux et fanatiques, acquis aux principes de l'Ecole de Chicago. Ce groupe et ce quarteron possèdent un savoir-faire expéditif et limité. Mais ils ne voient et ne comprennent la médecine et la santé que déformées à travers leur frénésie de rationalisation managériale de marché. Leur entreprise conduit tout droit au rationnement des soins et à un désastre national.

Car l'immense effort de redressement de la santé et de l'hôpital public, entamé depuis le fond de l'abîme, affermi grâce aux acquis du Conseil national de la résistance en matière de santé et de protection sociale , mené ensuite jusqu'à ce qu'en dépit de tout la victoire sur de nombreuses maladies fût remportée, l'autonomie professionnelle garantie, la solidarité nationale instaurée, notre rang au dehors pour la reconnaissance de notre médecine renforcé, tout cela risque d'être rendu vain, par l'aventure odieuse et stupide des nouveaux ingénieurs de la santé. Voici le service public vaporisé, la solidarité défiée, l'efficacité de notre médecine ébranlée, notre prestige international abaissé, notre place dans l'organisation des soins, de l'enseignement et de la recherche compromis. Et par qui ? Hélas ! Hélas ! Par des hommes dont c'était le devoir, l'honneur, la raison d'être, de promouvoir un système de soins accessible, solidaire et fait de juste soin au juste coût"

Médecins, soignants, directeurs, usagers, élus ! Voyez où risque d'aller la santé en France, par rapport à ce qu'elle était en train de devenir.

Il est difficile hélas, de détourner un discours de Charles de Gaulle sans l'alourdir un peu... 

Commentaire: Machiavel est-il plus avisé qu'Hippocrate?


"La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité. Préambule de 1946 à la Constitution de l'organisation mondiale de la santé (OMS)."

Notons d'emblée, comme l'a si bien relevé Petr Skrabanek, brillant éditorialiste du Lancet et auteur de "La fin de la médecine à visage humain", que cette définition suppose l'identité de la santé publique et de la politique entendue comme "art de rendre les peuples heureux" depuis Aristote.

La santé publique est une noble science. Elle étudie l'épidémiologie, les déterminants de santé des populations et les méthodes permettant d'améliorer la santé des populations. Nul ne peut être contre la santé publique. Mais la santé publique est toujours en tension avec la clinique, en d'autres termes avec la médecine qui s'occupe avant tout de l'intérêt individuel du patient. L'objectif de la santé publique est le bien commun, celui du médecin est d'abord le bien du patient qui lui a fait confiance. La santé publique risque aussi un extrémisme scientiste et constructiviste, prompt à modeler et régenter les attitudes et les comportements, dès lors qu'elle tend à se définir comme « activité organisée de la société visant à promouvoir, à protéger, à améliorer et, le cas échéant, à rétablir la santé de personnes, de groupes ou de la population entière. » Cette tension irréductible entre Hippocrate et Machiavel, entre médecine et politique est une réalité internationale qui est souvent gommée par notre tradition jacobine. Les dernières décennies, la prise de contrôle politique de la maîtrise des dépenses de santé a entraîné l'accélération considérable, à des fins de propagande, de la confusion des concepts entre santé publique et politique (tarte à la crème d'une "démocratie sanitaire" et de "machins" d'agence qui n'ont jamais autant exclu les parties prenantes en prétendant les associer). Les liens entre clinique et santé publique sont aujourd'hui réglés par l'évolution des politiques publiques de santé, elles-mêmes très largement déterminées par l'analyse des risques financiers.

La médicalisation excessive de la société pour les uns (Jules Romain, Illitch, Foucault), la "fin de la médecine à visage humain" pour les autres (Petr Skrabanek et autres anti-Knock) sont les deux visages d'une même crainte, la prise de contrôle de la décision médicale sous couvert de la notion "d'imputabilité" envers les populations, mais avant tout des finances publiques et de la rationalité managériale pour l'orienter en fonction d'injonctions de nature gestionnaire.

Nul ne peut contester que le médecin, mais cela s'applique aux autres professionnels de santé, s'il reste avant tout au service du patient, doit aussi prendre en compte dans sa pratique un certain degré d’imputabilité des dépenses qu'il ordonne de fait, tout en gardant farouchement l'autonomie de sa décision médicale. Celle-ci doit rester, et c'est cela que les malades et les élus doivent comprendre de toute urgence, libre de la double "relation d'agence" (dans la théorie de l'agence il est à la fois l'agent du patient et en même temps celui soit du directeur de son établissement soit directement de l'organisme payeur pour les professionnels libéraux. Celles-ci l'obligent à intérioriser des choix tragiques faits au niveau politique et à trahir la confiance de son patient. C'est hélas l'effet de systèmes de paiements comme la T2A et il seront inévitablement aggravés par le P4P le pay for merformance dont on sait qu'il n'a nulle part fait ses preuves et qu'il ne peut qu'aller dans le sens de cette effroyable  prophétie auto-réalisatrice pour économistes de la santé semi-habiles qui est de transformer le médecin en idiot rationnel. 

Machiavel n'est pas plus avisé qu'Hippocrate. La science sur laquelle s'appuient les politique publiques de santé est trop humaine. Elle repose sur des modèles peu sûrs, sur des données bâties selon ces modèles, sur des statistiques et des interprétations dont les heuristiques sont celles de la disponibilité des données et des paradigmes du modèle même qui les a produites. Ainsi les boucles auto-référentielles sont-elles multiples, et la sagesse pratique d'Aristote s'impose plus que jamais pour justifier l'autonomie de décision des équipes cliniques au contact du public. Ces systèmes micro-économiques sont le lieu de la conciliation de la qualité des soins et de l'efficience, le seul qui peut combiner le sens de l'action, ce que sait la main, le souci de l'autre individu qui est là, qui est angoissé et qui souffre en même temps que celui du bien commun.

Cela dit, reste à organiser l'intelligence territoriale et collective entre les parties prenantes, qui dépend de la subtile synergie entre le "let it happen" et le "make it happen".

1 commentaire:

  1. Ily a plusieurs façons de faire bouger des choses, même aussi lourdes et en apparence inéluctables que cette vision managériale de la santé... Celle que j'ai utilisé durant 30 ans de ma vie professionnelle, utilise des thèmes peu contestables, même s'ils sont "marginaux" : Le soin palliatif,dans les années 1985/1990, pour moi bien sur, puis le SIDA en banlieue, à Saint Denis en l'occurence, avec les deux fonctionnements "performants et transversaux" que sont les réseaux de soins, puis les associations de malades médiatrices.... Mon "jeu" actuel, exploite prévention et soin de cette "maladie à dominante sociale" qu'est la tuberculose, et les consultations PASS, vues comme outil et "cheval de Troie" de ce qu'implique la prise en charge de patients précaires et/ou étrangers, et la relation de soin pluri disciplinaire : métiers soignants, anthropologues, juristes, philosophes (pour penser un peu une éthique du soin qui ne soit pas "éthique pour belles âmes", ou pas que..
    La précarité croissante (en sens large,1/4 à 1/3 de la population Française) donne un boulevard à ces conceptions en apparence marginalisées ou ringardes du soin !
    C'est mon utopie active actuelle !
    Denis Mechali

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