dimanche 26 février 2012

Les risques associés à la déstabilisation des systèmes complexes.


« Pourquoi au médecin comme au précepteur suis-je redevable d’un surplus, au lieu d’être quitte envers eux par un simple salaire ? Parce que de médecin ou de précepteur, ils sont transformés en amis, et nous obligent, non par leur art, qu’ils nous vendent, mais pour la bonté et le caractère affectueux des sentiments qu’ils nous témoignent. C’est pourquoi, avec le médecin, s’il ne fait que tâter mon pouls et s’il me compte parmi ceux qu’il voit dans sa tournée hâtive, sans éprouver le moindre sentiment lorsqu’il me prescrit ce qu’il faut faire ou éviter, je ne lui dois rien au-delà, parce qu’il me voit non comme un ami, mais comme un client. »
Sénèque, Traité des bienfaits

L'intégration des soins est un art difficile. N'est-ce qu'un concept bureaucratique derrière lequel se cache un futur "managed care" assuranciel ou bien est-ce la seule voie possible pour retrouver le sens des soins, un paradigme pour parvenir enfin à l'intelligence économique et territoriale entre clinique et santé publique?



Il ne peut y avoir de réseau ni de "chaîne de valeur" en vue d'un résultat de santé partagé si des incitatifs microéconomiques poussent les médecins à se comporter en calculateurs égoïstes et rationnels alors même qu'ils reçoivent des injonctions paradoxales à "coopérer" par d'autres  mécanismes technocratiques surimposés "d'en haut".
Le réseau idéal doit inciter à l'assemblage des compétences entre acteurs interdépendants. Cela ne peut se concevoir dans le cadre de la prophétie auto-réalisatrice du modèle actuel de Nouveau Management Public. Celui-ci est fondée sur l'hypothèse de "l'idiot rationnel" qui ne cherche qu'à maximiser son profit, selon la formule d'Amartya Sen.
Comment le patient pourrait-il avoir encore confiance en son médecin quand il sait que celui est soumis à une double relation d'agence avec deux principaux, le gestionnaire d'un coté et le patient de l'autre. Encore pourrait-il croire au "souci de l'autre" chez son médecin, tout comme Sénèque, mais que peut-il rester de ce souci sous les injonctions d'une rationalisation gestionnaire le nez dans le guidon d'objectifs comptables à courte vue?

Selon Glouberman et Zimerman la médecine n'est ni une activité simple comme de préparer un gâteau selon une recette éprouvée, ni une activité compliquée comme envoyer une fusée dans l'espace, c'est une activité complexe comme élever un enfant: pas de recettes, pas de méthodes d'organisation scientifique du travail a priori, de la prudence au sens d'Aristote, de l'expérience à la recherche de raison et de l'incertitude radicale, dont le caractère unique du patient et de ses réactions n'est pas le moindre des paramètres.

André Pierre Contandriopoulos a beaucoup écrit sur l'intégration des soins et Sholom Glouberman a signé de célèbres articles avec Henry Mintzberg sur la différenciation et l'intégration dans les systèmes de soins. Les voici réunis dans un débat que je vous conseille de lire car ils sont très proches de nos préoccupations actuelles en France.

" En ce qui concerne les projets complexes, ils peuvent englober des sous-projets simples et des sous projets compliqués mais ils ne peuvent être réduits à l'un ou l'autre de ces sous-projets car ils possèdent eux aussi des exigences particulières dont une compréhension de leurs conditions locales uniques, leur interdépendance, en plus des caractéristiques de non linéarité et un besoin d'adaptation aux changements de l'environnement." Glouberman.

Ajoutons qu'en fonction des activités de soins, des disciplines d'exercice et des organisations, la proportion des différents types de sous-projets est si variable que cela ne facilité pas la compréhension mutuelle entre les acteurs. Ainsi ce qui est court, technique, parfois compliqué mais en apparence facile à découper en "process", à codifier ou à tarifer en unité de paiement à court terme ne peut prendre le pas sur la recherche, certes plus incertaine du résultat de santé à long terme. C'est le risque majeur de déstabilisation des systèmes complexes par une rationalisation managériale à courte vue, celle qui entraîne partout l'inversion des fins et des moyens et aggrave inéluctablement la perte de sens.

Vous ne lirez ces articles qu'après avoir revu le film "les invasions barbares", afin de ne pas tomber niaiseux sur les réformes des hôpitaux du Québec ou d'ailleurs, tabernacle!

Vol.9, n°2, 2003. Changement dans les systèmes de santé: Débathttp://www.medsp.umontreal.ca/ruptures/vol2.asp?numtitre=17

• Inertie et changement Par:  André-Pierre Contandriopoulos;
http://www.medsp.umontreal.ca/ruptures/pdf/articles/rup092_004.pdf

• Commentaire : Inertie et changement… mais en contexte de rationnement. Par Yvon Brunelle
http://www.medsp.umontreal.ca/ruptures/pdf/articles/rup092_032.pdf    

• Commentaire : Les risques associés à la déstabilisation des systèmes complexes. Par:  Sholom Glouberman; 
http://www.medsp.umontreal.ca/ruptures/pdf/articles/rup092_037.pdf

• Commentaire :Réformer dans une société à tradition libérale : tenir compte des causes exogènes de l’inertie et du changement. Par:  Nicole F. Bernier;
http://www.medsp.umontreal.ca/ruptures/pdf/articles/rup092_042.pdf

• Réponse de l'auteur aux commentaires. Par:  André-Pierre Contandriopoulos;
    http://www.medsp.umontreal.ca/ruptures/pdf/articles/rup092_045.pdf

Webographie complémentaire

How to limit the overabondance of care administrators. The Hematology Journal (2001) 2, 213
http://online.haematologica.org/thj/2001/6200124a.pdf

Matrice de Stacey et Zimmerman:

Glouberman, S and Zimmerman, B. 2002. Complicated and Complex Systems: What Would Successful Reform of Medicare Look Like? Discussion paper n° 8, Commission on the Future of Health Care in Canada,

Simple, compliqué, complexe

Risques associés à la déstabilisation des systèmes complexes. Sholom Glouberman

Les réseaux : trop complexes pour être efficaces?

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