"Le troisième et dernier devoir du souverain est d’entretenir ces ouvrages ou ces établissements publics dont une grande société retire d’immenses avantages, mais sont néanmoins de nature à ne pouvoir être entrepris ou entretenus par un ou plusieurs particuliers, attendu que, pour ceux-ci, le profit ne saurait jamais leur en rembourser la dépense." Adam Smith
Les menaces qui planent sur l'autonomie des médecins nécessitent plus que jamais l'union nationale des médecins des hôpitaux pour préserver l'essentiel. Au delà de l'hôpital public, il s'agit de ne pas laisser s'effilocher dans le millefeuille européen et les nouveaux ESPIC (établissements de santé privés d'intérêt collectif) , les contours d'indispensables services non marchands d'intérêt général. Car de nombreux malades ne seront jamais "rentables", nul entrepreneur ne se verra jamais remboursé de la dépense engagée, et les cliniciens sont, encore sans doute pour longtemps, n'en déplaise au nouveau pouvoir épidémiologique et statistique, les mieux à même d'évaluer non seulement la réalité du service médical rendu, mais aussi le meilleur chemin vers l'efficacité au meilleur coût.
La province pense souvent que l'Assistance Publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP) est surdotée et n'a enfin que ce qu'elle mérite, sans voire l'extraordinaire hétérogénéité des dotations historiques entre établissements, problème majeur qu'on ne peut évacuer dans la question des restructurations.
La plupart des collègues médecins ne croient plus guère hélas aux CME/ CCM, aux "bureaux" auto-experts qui décident sur un coin de table, ayant montré tant de fois leur incapacité à articuler d'une part besoins d'expertise et de recours avec concentration de masses critiques et d'autre part activités de proximité indispensables à un accès gradué, efficace et équitable aux soins, en particulier dans les CHU où les logiques de lobbying sont si complexes.
Tout cela, toutes ces divisions sont habilement utilisées par nos ennemis qui veulent casser le professionnalisme médical pour imposer la rationalisation gestionnaire, avec son inévitable myopie comptable à court terme.
De nombreux médecins hospitaliers, de nombreux membres de ce qu'on apelle les PNM, personnels non médicaux, soignants ou non, des managers, des scientifiques, des élus, soutiennent le Mouvement de Défense de L'Hôpital Public. Ce mouvement cherche à redéfinir avec les parties prenantes un autre cadre de référence pour les politiques publiques de santé. Le MDPH joue aujourd'hui une partie serrée pour son avenir. A coté d'indispensables reconfigurations des divers syndicats de médecins , il lui faut aujourd'hui prendre garde à ne pas apparaître seulement comme une contre-CME parisienne de l'AP-HP, certes porteuse de valeurs médicales et humanistes que beaucoup soutiennent dans hésiter contre les hésitations de la CME officielle, mais.. avec le fonctionnement des CME, du moins celles d'avant les décrets HPST.
Il faut se garder des errances de l'anarchie spontanéiste et le MDHP a fichtrement raison de s'en méfier, mais il faut tout autant se garder d'une bureaucratie mandarinalisée qui tenterait de sauver le modèle de 1958 aujourd'hui obsolète. La question est celle de l'intégration des parties prenantes légitimes au processus de décision face au déploiement d'une gouvernance d'entreprise qui exclue toujours davantage les médecins tout comme l'ensemble professionnels de santé en dévoilant toute l'absurdité de la démédicalisation gestionnaire. Certes masquée derrière le plaisant buzzword de démocratie sanitaire.
La démédicalisation n'est pas celle du management, car on feindra de nous y associer. Voyez certains des nouveaux chefs de pôle jouant avec leur matrice du Boston Consulting Group et leurs portefeuilles d'activités cliniques, tout gonflés de l'enthousiasme du néophyte et de leur nouvel amour pour l'ingénierie industrielle. Non, au delà du formatage des esprits naïfs à la nouvelle "éthiconomie" officielle, il s'agit bien de la démédicalisation des stratégies d'organisation et de financement des soins, aux niveaux micro, méso et macro du système.
Brève généalogie:
1 1958 a été formidable un temps, pour ce que la réforme a apporté aux patients, à l'excellence de nos hôpitaux et à la recherche médicale. Mais avec les lois suivantes, dont celles de 1970 et 1975 qui ont séparé définitivement sanitaire et action sociale, son esprit initial s'est abîmé dans un bureaucratisme scientiste et jacobin qui a progressivement transformé l'hôpital en usine à gaz hospitalo-nombriliste, aveugle aux besoins de soins, atteint d'une véritable agnosie sanitaire, et incapable de s'adapter à la transition épidémiologique. Les pressions financières avec le budget global puis la T2A on fait éclater à nos yeux l'évidence de l'inadaptation du modèle, les bureaucrates l'achèvent en excluant l'hôpital des nouveaux besoins de continuité des soins, qu'il s'agisse du disease management à la française, de la nouvelle promotion de la santé incluant la patamédecine, des divers "machins" mis en place autour des coopérations interprofessionnelles. Jamais soins et social n'ont été si dramatiquement dissociés quand HPST prétend faire le contraire!
2 Hôpital 2007 présentait incontestablement des éléments possibles de débalkanisation du contre-pouvoir médical à condition de respecter les logiques métier des disciplines par une bonne configuration des pôles, de développer la gestion commune PM, PNM et investissements, bref le contraire de ce qu'a fait l'AP-HP où les directeurs n'ont rien lâché de la gestion, et où on a au contraire cloisonné encore plus PM, PNM et administration, à condition donc de jouer vraiment la carte de la décentralisation de la gestion, et de contrats d'objectifs qui ne soient pas comme nous l'avons trop souvent observé dépourvus de moyens, et de moyens réels de gérer les moyens.
L'erreur française tient sans doute dans la peur d'une direction médicale (co-direction avec le directeur administratif) indispensable pour éviter le nouvel effet balkanisant de pôles ayant obtenu un réel pouvoir et devenus de véritables cliniques autonomes dans l'hôpital.
3 La loi HPST est une dérive bureaucratique managérialiste qui repose sur le "tout incitatif" (1) et vend de l'intelligence territoriale alors qu'il ne s'agit que de vendre des pseudo-réseaux conçus "d'en haut" et formalisés par les logiques gestionnaires. Il faut arrêter de se laisser abuser, l'approche territoriale intégrée n'a rien à voir avec l'horreur que nous préparent ces petits technocrates bâtards d'une santé publique arrogante et devenant toute puissante, et des semi-habiles du "Big Data" informationnel, boule de cristal des nouveaux ingénieurs des soins et du social. Bien sûr, le monde marchand guette les dépouilles de cette "bureaucratie libérale".
Ce que je vois se mettre en place dans l'environnement de mon hôpital du 93 c'est une véritable horreur sanitaire et sociale dans laquelle l'hôpital public peut de moins en moins jouer son rôle de proximité, ni développer le moindre rôle sérieux dans un réseau ville hôpital médico-social pour les maladies chroniques / personnes âgées / à risque de handicap. Condamné qu'il est par les modèles de financement à se recentrer toujours plus sur le purement curatif, ce qui est technique, facilement visible à travers les lunettes tarifantes de la myopie gestionnaire, et à très court terme.
Les fléchages politico-médiatiques qui aboutissent à des réseaux thématiques, sont trop souvent des causes d'inégalités majeures d'accès aux soins pour ceux qui posent les mêmes problèmes de santé mais sans la bonne étiquette pathologique.
Ainsi l'AVC sévère, relevant d'une réadaptation lente et de longue durée, dont personne ne veut, exclu qu'il est par construction de tout "bon" portefeuille d'activités cliniques, trouvera-t'il parfois une équipe mobile, un réseau et / ou une filière s'il a la "chance" d'avoir l'étiquette VIH et/ ou "addict" (2)? De qui se moque-t'on? Ubuesque!
Confusion, concurrence, aléatoire et iniquité sont au rendez-vous.
L'hôpital public de demain devra disposer à la fois des expertises curatives et techniques les plus complexes (cure) et constituera aussi une pièce essentielle des continuums d'interventions et de services, des soins continus, complexes et coordonnées (care), entre soins et social, avec des réseaux beaucoup plus polyvalents de retour et maintien au domicile.
Répétons enfin que la "précarité" dont il faut certes s'occuper n'est aujourd'hui qu'un cache misère assez classique (filet de sécurité néo-libéral) de la complexité des déterminants de santé et de leur impact sur de que serait une organisation des soins à la mesure des besoins.
"Il y a trois sortes de mensonge, le mensonge, le fieffé mensonge et les statistiques." Mark Twain, cité par Disraeli, premier ministre de la Reine Victoria.
Notes:
CME: commision médicale d'établissement, représentation élue des médecins des établissements de santé, aujourd'hui dépourvue par les récents décrets de toute fonction garde-fou face aux logiques gestionnaires. Rappelons que sauf dans quelques rares domaines, il n'existe aucune recommandation opposable quant aux conditions techniques de fonctionnement des activités médicales en terme d'effectifs soignants, qui deviennent de ce fait la variable majeure d'ajustement des dépenses dans les mécanismes actuels de financement.
1. Elsa Boubert. L’entrée dans le paradigme du «tout-incitatif» en question n° 493 - février 2010 gestions hospitalières
http://www.gestions-hospitalieres.fr/dl/gratuit.php?ref_article=2919&data=2010_74.pdf
2. L’AVC sévère : une forme d’exclusion méconnue, Olivier Petitjean, Jean-Pascal Devailly
In Solidarités, précarité et handicap social. Sous la direction de Didier Castiel, Pierre henri bréchat. préface de Didier Tabuteau
Couverture - Commande - Plan de l'ouvrage
jeudi 17 juin 2010
De l'intelligence sanitaire et de l'intégration des parties prenantes
Libellés : HPST, SSR, PMSI, Réadaptation,
Gouvernance,
Loi HPST
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