« L’immobilisme est en marche et rien ne pourra l’arrêter. » Edgar Faure
Un système à bout de souffle
La crise sans précédent des urgences est le symptôme d’un système à bout de souffle et la partie émergée de la souffrance des professionnels de santé de tous les secteurs. Il est frappant d’entendre les mêmes incantations médico-gestionnaires, redondantes, itératives et monotones, prôner des remèdes qui ont échoué depuis des décennies. La France, dans son superbe isolement, persiste à ignorer les cadres conceptuels internationaux de santé publique. En période d’ajustement et de rationnement des soins il est pourtant essentiel de les appliquer aux pays à haut revenus.
Ces erreurs de gestion ne sont pas nouvelles. Galbraith dans "le nouvel état industriel" dénonçait les méfaits des technostructures et des filières inversées qui asservissent dans une chaîne de production les opérateurs d'aval à la fonction de production de l'amont au détriment des besoins des bénéficiaires. Pas de bonne standardisation sans personnalisation, encore faut-il se demander quels sont les nouveaux déterminants des soins urgents ou non et de l'hébergement hospitalier, voire de nos missions d'assistance publique.
Evolution de la demande et des besoins: fonctions et stratégies de santé
Le vieillissement de la population, les maladies chroniques, les polypathologies et les limitations multifonctionnelles à risque de handicap qui les accompagnent ont conduit l’organisation mondiale de la santé (OMS) à promouvoir cinq stratégies fondamentales de santé : la promotion de la santé, la prévention, le traitement des maladies, la réadaptation et les soins palliatifs. L’OMS définit en particulier la réadaptation dans le rapport mondial sur le handicap de 2011[1] comme « un ensemble de mesures qui aident des personnes présentant ou susceptibles de présenter un handicap à atteindre et maintenir un fonctionnement optimal en interaction avec leur environnement ».
En lien avec ces stratégies le système international des comptes de la santé (ICHA)[2] comporte une classification des prestataires (ICHA-HP), une classification des fonctions (ICHA-HC) et une classification des modèles de financement (ICHA-HF).
La nomenclature fonctionnelle du système international des comptes de la santé (ICHA.HC) définit les grands objectifs ou fonctions de production transversales aux secteurs institutionnels qui structurent les systèmes de comptabilité nationaux. Ces fonctions sont reliées aux stratégies de l’OMS dans le tableau ci-dessous
Nomenclature
fonctionnelle de l’ICHA-HC (OCDE)
|
Stratégies
de santé (OMS)
|
HC.1 : Services de soins
curatifs
Augmentation des maladies
chroniques, des patients polypathologiques et des maladies non transmissibles
|
Soins
curatifs
Stratégie curative |
HC.2 : Services de
soins de réadaptation
Augmentation des
limitations fonctionnelles et restrictions d’activités. Intention principale :
optimiser les fonctions organiques et les activités
|
Soins
de réadaptation
Stratégie de réadaptation |
HC.3 : Services de soins de longue durée
Augmentation des
besoins d’assistance dans les activités de vie quotidienne, élémentaires et
instrumentales (ADL et IADL)
Fragilisation des réseaux
familiaux et sociaux de soutien
Frontières complexes avec
l’action médico-sociale et sociale
|
Soins
d’assistance à la vie quotidienne
Stratégie de soutien |
HC.4 : Services de
support aux soins de santé
|
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HC.5 : Biens
médicaux délivrés à des patients ambulatoires
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HC.6 : Services de
prévention et de santé publique
Modification des
comportements et des facteurs de risques
|
Prévention
Stratégie préventive |
HC.7 : Administration
de la santé et assurances santé
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Fonction de production
composite
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Soins
palliatifs
Stratégie
palliative
|
Service est entendu au sens économique de production de biens et de services, non au sens institutionnel.
Les malades viennent aux urgences, comme vers les autres prestataires, avec des besoins intriqués au regard de ces finalités fondamentales, mais le modèle de production imposé aux hôpitaux fait d’une finalité curative principale la finalité unique de l’hôpital, incitant à externaliser les autres réponses. Il est source de perte de sens.
1. Les besoins et la demande des patients ont changé de même que les capacités de réponse d’un système de santé sous tension en période d’ajustement budgétaire
Vers des prestations mieux intégrées
Les malades viennent aux urgences, comme vers les autres prestataires, avec des besoins intriqués au regard de ces finalités fondamentales, mais le modèle de production imposé aux hôpitaux fait d’une finalité curative principale la finalité unique de l’hôpital, incitant à externaliser les autres réponses. Il est source de perte de sens.
1. Les besoins et la demande des patients ont changé de même que les capacités de réponse d’un système de santé sous tension en période d’ajustement budgétaire
- Les situations aiguës aboutissant à des guérisons sans séquelles après un traitement court sont plus rares (pneumopathie, appendicite, fracture simple...)
- Les événements aigus inaugurant des conditions chroniques handicapants sont plus fréquents, allongeant la durée des épisodes de soins (AVC, lésions médullaire, infarctus du myocarde, amputation, polytraumatismes …).
- Les événements aigus compliquant des états chroniques et /ou polypathologiques rendent inopérante une vision en filière hospitalo-centrée des parcours (conditions évolutives ou stabilisées liées à des affections du système nerveux, appareil locomoteur, cardiaques, respiratoires, en santé mentale etc.).
2. Les finalités de soins sont multiples. Les réponses aux besoins doivent être coordonnées et continues, ni cloisonnées en silos institutionnels, ni juxtaposées dans le temps : prévention, soins curatifs, réadaptation, assistance aux AVQ en lien avec le soutien social. Il faut mieux intégrer les dimensions synchroniques et diachroniques.
3. La rareté des ressources et les innovations technologiques imposent un système accessible et gradé. Les patients doivent avoir un accès égal aux soins dans tous les territoires et simultanément doivent pouvoir, dans une logique de pertinence, avoir accès au bon niveau de soins en temps opportun dans tous les secteurs : proximité, recours et référence. Il convient de sortir d’un modèle compassionnel d’accès à tous pour tous, incapable de répondre aux besoins. D'un autre coté il s’agit de s’affranchir d’un modèle de production exclusivement étio-pathogénique et curatif, laissant à la charge de l’aval les autres fonctions de production. La pertinence des prestations devra s’appuyer sur un système d’information identifiant les finalités fondamentales.
Finalité
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Système d’information
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Fragmentation entre secteur sanitaire et action sociale
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Prévention
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Facteurs
et comportements à risques
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Facteurs socio-environnementaux
Besoins de soutien social, d’accompagnement et de compensation
du handicap
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Soins curatifs (HC.1)
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Diagnostics
et sévérité, actes et procédures marqueurs
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Réadaptation (HC.2)
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Statut
fonctionnel : capacités selon la Classification internationale du fonctionnement
du handicap et de la santé (CIF), échelles de complexité des besoins ;
actes et programmes de soins marqueurs
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Assistance AVQ (HC.3)
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Statut
fonctionnel : capacités selon la CIF
|
Les finalités de soins aux patients se composent différemment selon les secteurs du système de santé. La planification et la gradation des soins n’épousent pas la même logique de spécialisation des fonctions de production en aigu, en SSR et dans les autres secteurs. En France, le secteur des soins aigus est assimilé à la fonction de production des soins curatifs, tandis que le champ institutionnel post aigu / subaigu des soins de suite de réadaptation (SSR) est confondu avec la fonction de réadaptation. L’intégration de l’aval par l’amont épouse le modèle industriel d’une chaîne de valeur linéaire et trop purement curative des parcours hospitaliers et ambulatoires. Elle conduit à la réduction de la qualité des soins pour les patients et à la destruction des compétences relatives aux autres finalités fondamentales.
Perspectives
Le cercle vicieux de nos politiques de santé peut être représenté par la figure présentée au début de cet article[3]. Le rationnement des soins, le modèle de l’usine à soins curatifs, le dogme de la réduction des lits, les difficultés d’adaptation de la médecine ambulatoire et l’abîme entre secteurs sanitaire et secteur de l’action sociale s’y conjuguent dans une synergie négative dont les mythes doivent être questionnés.
Le plan "ma santé 2022" et la loi de santé ont pris la mesure de la fragmentation des parcours et des méfaits d'une organisation en silos dont le financement redouble les incitations à la non coopération. Pour aboutir à une cohérence entre planification, budgétisation, allocation des ressources et contrôle de gestion, elle devra se résoudre à bien identifier les dimensions institutionnelles, fonctionnelles et financières d’un système qu’elle souhaite accessible, solidaire, soutenable, pertinent et adapté aux nouveaux besoins. Il lui faudra relier les finalités fondamentales des soins de santé à l'allocation des ressources tout en favorisant la continuité pour chacune d'entre elles.
S’il vous plait, encore un effort Madame la Ministre!
[1] Rapport mondial sur le Handicap.
URL : https://www.who.int/disabilities/world_report/2011/fr/ Site consulté le 9 mai 2019
[2] OECD, Eurostat, WHO. A System of Health Accounts, OECD Publishing. 2011.
URL: http://www.who.int/health-accounts/documentation/sha2011.pdf?ua=1
[3] Traduit et adapté de : The Coming of Age: Improving Care Services for Older People (National report) – 22 Oct 1997
URL: http://www.who.int/health-accounts/documentation/sha2011.pdf?ua=1
[3] Traduit et adapté de : The Coming of Age: Improving Care Services for Older People (National report) – 22 Oct 1997