samedi 27 septembre 2014

De l'agence tout risque au businhealth model

"Rien ne dessèche tant un esprit que sa répugnance à concevoir des idées obscures." Cioran

Il est stupéfiant que les réformateurs présentent toujours les choix politiques les plus discutables comme une incarnation de la raison dans l'Histoire, comme si nous étions en route vers un modèle unique connu des seuls oracles.
J'ai essayé de représenter les choix multiples pour échapper au "one best way" par lequel Ubu régulateur nous accable avec son redoutable "cheval à phynances".

Diapo extraite des systèmes de santé pour les nuls



La marchandisation de l'assurance maladie, combinée à l'hyper-technocratisation territorialisée sous contrôle des ARS ne cesse d'étonner en France. On ne peut comprendre cette évolution que dans le contexte du Nouveau Management Public et de la place qu'il donne à l'Etat disruptif, capable par ses experts d'anticiper la destruction créatrice de Schumpeter. Mais le doute est permis. S'ils se trompaient, s'il n'y a pas de modèle unique et s'ils choisissent le mauvais, et si ceux promus dans les universités américaines s'appliquaient mal dans notre cher et vieux pays, ce serait l'innovation destructrice qui prévaudrait.

C'est que 3 grands mythes nous accablent dans l'ingénierie du système de santé, au risque de la destruction de la solidarité, de la qualité des soins et des compétences: le mythe du marché efficient ou rationalité entrepreneuriale, celui de la rationalisation de l'action publique et enfin celui de l'Etat disruptif. Ce sont hélas les trois piliers qui fondent les politiques internationales d'ajustement des "systèmes de santé" et président à leur démédicalisation.

La prudence médicale doit rappeler à l'action publique l'évidence du "no best way" et l'absence de business modèle unique, l'absence de "businhealth model" en quelque sorte.

Textes en français

Réforme du système de santé : la prescription de l'innovateur

Réformer le secteur de la santé, l’apport indispensable des théories de l’innovation


"Facilitateur de réseau: A la base, un facilitateur de réseau organise l’échange entre participants en créant de la valeur à partir de la notion de mutualisation. Une assurance ou une mutuelle sont des exemples typique de ces acteurs (souligné par moi). Ils se rémunèrent sous forme de cotisation payées par les membres du réseau. On imagine que ce type d’acteur est particulièrement adapté au cas de ceux qui souffrent de maladie chronique, même s’ils ne sont pas encore développés actuellement. Au contraire des médecins qui gagnent de l’argent quand les gens sont malades, les réseaux peuvent être structurés de manière à avoir intérêt à ce que leurs membres soient en bonne santé. En échange d’une cotisation fixe, à charge des réseaux de faire en sorte d’atteindre cet objectif."

L’INNOVATION DISRUPTIVE DANS LES SYSTEMES DE SANTE

« La disruption est une transformation irréversible du capitalisme » (Clayton Christensen)


Diaporamas et vidéos de Christensen très éclairants sur le modèle

Evolution future des services de santé : analyse de quelques tendances plausibles Auteur : F. Paccaud

"Il faut noter qu'une partie des réformes des services de santé ne vise pas à sortir ces services du giron de l'Etat, mais plutôt à introduire des mécanismes qui miment une situation de marché à l'intérieur même de l'Etat."

"Mais le marché libre peut susciter des concentrations monopolistiques : c'est d'ailleurs ce que montrent les Etats-Unis où des groupes d'assureurs ont racheté des pans entiers du système de soins. Dans cette perspective, ces concentrations peuvent conduire à la mise sous tutelle des professionnels des soins dans le cadre de structures privées, achevant ainsi une longue transformation des professions soignantes."

Rationnement des soins Article de F. Paccaud (il faut appeler un chat un chat!)

Evolution future des services de santé : analyse de quelques tendances plausibles Auteur : F. Paccaud


DECLINAISON A LA SANTE DES PRINCIPES ASSURANTIELS

Technologies numériques et réenchantement du monde (Pierre Fraser)

dimanche 21 septembre 2014

Communiqué du Mouvement de Défense de l'Hôpital Public - 15/09/2014



COMMUNIQUE DU MDHP 15/09/2014

Cinq intersyndicales de praticiens hospitaliers appellent à un mouvement de grève le 14 octobre 2014

Le Mouvement de défense de l’hôpital public(MDHP) déplore comme les cinq intersyndicales de praticiens hospitaliers le statu quo prévu par la future loi de santé publique, concernant la gouvernance hospitalière mise en place par la loi HPST et inspirée par la gouvernance des entreprises marchandes. Il réclame comme ces syndicats une remédicalisation de la dite gouvernance. Cette remédicalisation n’a pas un objectif corporatiste. Elle vise à remplacer l’objectif commercial actuel de « rentabilité » et de « gains de parts de marché » par l’objectif éthique du « juste soin au moindre coût » pour répondre aux besoins de la population.

Cette remédicalisation de la gouvernance suppose que les structures de base de l’hôpital soient les structures de soins (au premier rang desquels les services) où travaillent des équipes de soins médicales et paramédicales, sous la responsabilité fonctionnelle d’un médecin et d’un cadre de santé. Les pôles, structures gestionnaires, devraient être facultatifs. Ils n’ont de sens que s’ils s’accompagnent de délégation de moyens

L’objectif de cette remédicalisation de la gouvernance doit être l’amélioration de la qualité des soins mise à mal depuis cinq ans par le tout T2A enserré dans un objectif national de dépenses de l’assurance maladie (ONDAM) de plus en plus contraint et qui le sera encore davantage demain. C’est ainsi que chaque année, chaque établissement est condamné à faire plus d’activités avec moins de moyens, et notamment moins de personnels paramédicaux. En augmentant la quantité des soins rentables mais inutiles, on dégrade la qualité des soins nécessaires. La qualité des soins suppose au contraire des équipes avec des personnels en nombre suffisant, formés et habitués à travailler ensemble. Des quotas minimum de personnels présents pour garantir la sécurité des patients doivent être définis pour chaque unité de soins et portés à la connaissance des professionnels et des patients. Il est également indispensable de reconnaître le statut d’infirmières cliniciennes hospitalières spécialisées et créer en conséquence les postes nécessaires. 

La réaffirmation du Service public hospitalier prévu par la loi suppose une définition claire reposant non seulement sur le recensement de ses missions spécifiques et de ses obligations globales (non sélection des patients, égalité d’accès à des soins de qualité, absence de reste à charge pour les patients) mais aussi et surtout sur le statut de l’établissement et des professionnels, assurant leur indépendance à l’égard des financeurs privés comme des industriels de la santé. L’hôpital public doit être au service du public. Les droits des agents du service public ont pour objectif premier de leur permettre d’assurer au mieux leurs devoirs au service des patients.

C’est pourquoi le MDHP se prononce contre le projet de loi de santé publique (malgré un certain nombre de mesures positives comme la possibilité d’action de groupes pour les patients). En l’état, ce projet, cherchant à plaire un peu à tout le monde en changeant les mots plus que les choses, risque de ne satisfaire personne. On est loin de la réforme profonde dont a besoin notre système de santé tiraillé entre santé publique et business. Malgré leurs intentions affichées et les différentes concertations menées, la ministre de la santé et le gouvernement ne semblent pas hélas en mesure aujourd’hui de mener à bien une telle réforme. Deux ans et demi ont été perdus !


Pour le MDHP André Baruchel, Nathalie De Castro, Alain Faye, Anne Gervais, Noël Garabédian, André Grimaldi, Bernard Granger, Julie Peltier


dimanche 14 septembre 2014

Petite revue de presse de rentrée par Bernard Granger


Nous publions ici avec son autorisation les "DNF"* du 7 et 8 septembre de Bernard Granger, co-fondateur avec André Grimaldi du Mouvement de Défense de l'Hôpital Public. Les documents présentés ici sont particulièrement riches d'enseignements sur l'évolution de nos systèmes de santé. Il est donc utile de les partager largement, au delà des destinataires habituels des DNF.

* Dernières nouvelles du front

Les "DNF" du 7 septembre 2014


POUR INFORMATION


Chers collègues,

Voici quelques lectures qui vous intéresseront peut-être.

- Comprendre la sérendipité, ou pourquoi, selon Balzac, « le hasard ne visite jamais les sots ».

- Pourquoi les employeurs financent-ils les assurances santé aux Etats-Unis ? Ce système paraît de plus en plus illogique selon U. W. Reinhardt, qui publie une tribune dans le NYT. C’est sans doute parce qu'il est illogique que ce système s’installe en France.

- Il faudrait donner aux brevets des nouvelles molécules une durée adaptée aux pathologies soignées, sinon les traitements dont les résultats ne peuvent s’évaluer qu’à long terme ne feront jamais l’objet de recherches pharmaceutiques (voir ici).

- Excellente tribune de J.-P. Vernant sur le prix des médicaments (voir ici pour les USA).

- Les données personnelles deviennent un marché en pleine expansion (voir ici ou ), y compris les données personnelles utilisées pour prévoir la consommation de soins (voir ici) ou les données de santé, avec la vogue du moi quantifié (voir ici).

- Les données de santé française visées par les « statactivistes », les industriels et assureurs : quelques éléments du débat, et une réforme en vue à travers la loi de santé, dangereuse pour la confidentialité et le secret médical (cf. texte joint). Aux Etats-Unis, certains s’y intéressent aussi, comme J. Bush, président d’Athenahealth, dans The Atlantic.

- Le fameux impact factor vit-il ses derniers moments et va-t-on s’intéresser au contenu des articles pour évaluer les chercheurs ? Dans son remarquable blog consacré à l’édition médicale et scientifique, Hervé Maisonneuve invite à signer la Declaration on Research Assessment, comme l’ont fait de nombreux chercheurs ainsi que l’INSERM et le CNRS.


- Une fois publiés, certains résultats sont (re)revus par les pairs, et les éventuelles erreurs rapidement débusquées et dénoncées sur Internet (voir ici).

- Pour The Lancet, le classement des meilleurs hôpitaux des USA nous interroge surtout sur les pires. Aux USA toujours, pays où on gagne plus à gérer les soins qu’à les dispenser (les médecins y ont des rémunérations inférieures à celles des « managers »), un étudiant en médecine veut s’attaquer à un médecin ultra-médiatique, le Dr Oz, dont les avis ne sont pas toujours très pertinents (voir ici). Il aurait de quoi faire ailleurs aussi.


- Obamacare : accusée d’être un « job killer », la réforme du système de santé américain a au contraire accéléré la création d’emplois dans le secteur de la santé, selon Forbes ; l’effet sur le pourcentage de non-assurés est déjà important, comme l’indique P. Krugman, qui, plus généralement, dans une tribune intitulée « Zéro sur six » constate que les prévisions des adversaires de l’Obamacare ne se réalisent pas.

- Les médecins évalués et étoilés comme les hôtels et les restaurants par des patients plus ou moins objectifs, voire rétribués : voir ici.

- L’atlas démographique 2014 du conseil de l’ordre des médecins donne notamment les effectifs de chaque spécialité, leur répartition géographique, par mode d’exercice, et la pyramide des âges.

- Le rapport intégral de l'Inspection générale des finances sur les professions réglementées mediapart.fr/files/RAPPORT_…

- Restons mesurés face aux promesses des Big Data, ou mégadonnées en bon français (ici pour la prévision pas toujours fiable des épidémies de grippe, ici pour les essais cliniques en Angleterre facilités par les données détenues par le NHS, pour aider les étudiants en difficulté), et face à celle de la e-santé (ici pour un panorama général, pour un exercice concret avec le m-patient hypertendu).

- Transparence et accès au dossier médical : attention à ce que vous écrivez, nous met en garde The Economist.

- Quelques réflexions éclairantes sur l’art de diriger (1, 2 et 3).

- Mauvais management : l'art de mal gérer son temps ou de compliquer ce qui est simple. Faut-il interdire les réunions et supprimer les niveaux intermédiaires inutiles ? The Economist redécouvre la lune. Bien payer ses employés et les laisser travailler tranquillement, sans les surveiller comme le lait sur le feu, reste ce qu’il y a de plus efficace, selon Le Monde.

- La coordination des soins réelle et efficace passe avant tout par la communication de médecin à médecin, et non par des usines à gaz technocratiques, comme le montre le cas décrit par le Dr M. J. Press dans le NEJM.

- Comment allouer les ressources en santé, entre décisions politiques et médecine fondée sur les preuves (voir ici) ?

- La rémunération à la performance ne fait pas la preuve de son utilité à long terme (42 mois) selon une étude menée en Angleterre sur 34 hôpitaux ayant participé au programme de rémunération sur indicateurs de qualité et 137 hôpitaux constituant le groupe contrôle (voir ici).

- Le retour à l’équilibre du CHU de Brest passe par le gel d’une vingtaine de postes de praticiens hospitaliers, selon le Quotidien du Médecin. Plus globalement, selon la FHF, en 2013 les comptes des hôpitaux publics vont encore se dégrader, et les suppressions d'emploi sont encore au programme pour 2015. Par ailleurs, l’ATIH vient de publier un rapport montrant le peu de fiabilité des états des prévisions des recettes et des dépenses (EPRD) et des plans globaux de financement pluriannuel (PGFP) des établissements publics de santé pour la période 2008-2012.

- La future loi de santé (loi Touraine) ne soulève aucun enthousiasme chez les représentants des médecins hospitaliers (voir ici et ). Le Mouvement de défense de l'hôpital public n'est pas en reste. Nous y reviendrons.

- Et toujours l’opposition entre la médecine de papier, celle des bureaucrates, et la médecine de terrain, celle des cliniciens, des soignants et des patients (voir le texte d’Elie Azria sur la standardisation du soin médical, et le formidable blog de notre consœur Armance sur l’évaluation standardisée).

Amitiés, bon courage et excellente rentrée !

Bernard Granger.

Nous ajoutons un lien vers le texte de la psychiatre Claire Gekière, texte qui était en pièce jointe des "DNF"

Nous ajoutons également un envoi du 8 septembre:
"la pensée d'Etat et l'intérêt général"



Chers collègues,

Une interview du consitutionnaliste Dominique Rousseau par Mediapart. Ses propos illustrent bien ce qui cloche avec les lois Bachelot et Touraine.

Extrait : " Un autre élément très important de cette crise de régime est que ceux qui nous gouvernent sont enfermés dans ce que j’appelle une « pensée d'État ». Ce sont des énarques très compétents, mais formatés à penser les choses de la société à partir d'un a priori sur ce qu'est l'intérêt général. Ils estiment que les citoyens sont incompétents pour définir ce qu'est l'intérêt général de la société et jugent donc normal de définir eux-mêmes ce qu’il est. C'est une pensée tragique pour la France qui a aujourd’hui besoin d'une « pensée de la société. »

Les « gens » sont capables, si on les laisse s’exprimer et délibérer, de produire des règles, de trouver l’intérêt général. Ce ne sera sans doute pas le même que celui produit par la promotion Voltaire, mais ce sera à hauteur des expériences vécues par les gens. La démocratie n'est pas une question d'arithmétique, mais une question d’expériences de vie. Or notre société raisonne à partir d'une pensée d'État abstraite, au moment où elle a besoin d'une pensée des expériences.

Dans les dernières années, toutes les questions importantes ont été sorties non par des députés, mais par les lanceurs d'alerte. La société est capable de mettre sur la place publique non seulement les questions qui font problème, comme la santé, l’alimentation, le logement, mais elle est aussi capable de produire des réponses, d’imaginer des règles nouvelles pour l’intérêt général."

Amitiés et bon courage.

Bernard Granger.

jeudi 4 septembre 2014

Communiqué du Mouvement de défense de l’hôpital public sur l’avant-projet de loi de santé



Le Mouvement de défense de l’hôpital public (MDHP) estime que l’avant-projet de loi de santé tel qu’il a été communiqué en juillet se situe dans la continuité de la loi Hôpital, Patients, Santé et Territoires (HPST), mise en place par le précédent gouvernement. Cet avant-projet ne prend pas en compte les nécessaires réformes préconisées par les rapports Couty et Cordier.


Le service public hospitalier ne retrouve pas sa place. L’article 25 du texte ne prévoit qu’un « bloc d’obligation » pour définir le service public hospitalier : accueil de tous, permanence des soins, sous réserve d’un délai de prise en charge raisonnable, et absence de facturation de dépassements. Ces termes indispensables mais insuffisants ne couvrent pas l’intégralité du service public : soins, enseignement, recherche, tel que le pacte de confiance le recommandait.


Le MDHP juge que la promotion d’une gestion guidée par la recherche de la rentabilité et non par l’application du principe éthique du juste soin au juste coût est délétère pour un fonctionnement de qualité de l’hôpital public. Il déplore :

- 1/ le maintien en l’état des pôles, structures de gestion médico-économique, regroupant plusieurs services et ayant pour objectif la mutualisation des personnels et des moyens, parfois au détriment de la compétence des équipes et de la qualité des soins ;

- 2/ la responsabilité nouvelle dévolue aux Agences Régionales de Santé d’œuvrer pour la maitrise des dépenses de santé et de réaliser des objectifs chiffrés d’économie (article 39) ; cette mission explicitée détourne les agences de leur rôle sanitaire premier : les business plans ne peuvent remplacer la santé publique;

- 3/ l’absence de réforme en profondeur de la gouvernance hospitalière : les conclusions du pacte de confiance soulignaient le malaise des personnels soignants et préconisaient la remédicalisation de l’exécutif hospitalier, l’instauration d’espace de dialogue et de concertation, l’instauration d'un conseil d’établissement ; le pacte de confiance proposait notamment de faire nommer les praticiens responsables des différentes structures conjointement par le directeur et le président de la CME sur une liste d’aptitude établie chaque année par la CME (aucune de ces propositions ne semble retenue) ;

- 4/ l’absence de mesures nouvelles pour assurer un financement équilibré à l’hôpital public.


Le MDHP demande que le texte de loi soit revu pour rester fidèle aux propositions des rapports élaborés après concertation de tous les acteurs du système de santé, personnels, comme usagers.


Paris, le 4 septembre 2014


André Baruchel, Catherine Boileau, Nathalie De Castro, Noël Garabédian, Anne Gervais, Bernard Granger, André Grimaldi, Julie Peltier, Jean-Paul Vernant