Joyeux Noël - Lettre au père Noël
"Les portes de la charité sont difficiles à ouvrir et dures à refermer"
Proverbe chinois cité dans "l'hôpital en sursis" (Bernard Granger et Frédéric Pierru)
Le financement des soins de santé doit assurer la congruence entre logiques médicales et gestionnaires. Les indicateurs de performance doivent venir après la définition des missions et des finalités
- Prévenir,
- Guérir (cure),
- Soigner, soutenir (care) et éventuellement "héberger", selon la vision qu'on a des déterminants réels de l'hospitalisation et de ce qu'il faut financer à l'hôpital.
Les stratégies verticales de l'action publique assignent en termes d'organisation et de financement:
- le traitement de la maladie à l'hôpital,
- les soins de longue durée (sauf USLD) et l’hébergement pour les personnes âgées et handicapées au secteur médico-social,
- et enfin la prise en charge sociale des indigents et des vagabonds au secteur social (vieille segmentation des "malheurs immérités" et des "infortunes que le vice a produit" selon Tocqueville?).
L'expérience quotidienne des dysfonctionnements et gaps induits par ce modèle montre qu'il est obsolète. La fragmentation institutionnelle est doublée d'une fragmentation des risques à financer (maladie, vieillesse, handicap...) à laquelle s'est ajoutée une séparation entre l'assurantiel déconcentré et l'assistantiel décentralisé. Trop de malades sont ainsi à la fois Français de l'Etat et Français du département. Impasse politique de notre Etat providence en crise!
Le problème de la T2A est d'abord son incapacité structurelle à capter des risques qui relèvent d'autres secteurs de financement, selon le modèle français.
Il est vrai que pour certains groupes de malades et dans certaines activités de soins cela ne pose guère de problème, ailleurs c'est une catastrophe et une suite de pertes de chances absurdes.
Notons au passage que l'impasse du financement des SSR vient de là. Ils ont été assemblés en un secteur très hétérogène (plus de 80 disciplines d'équipement lors de leur création en 1991 ) mélangeant sans aucun discernement. ("SSR "Pim Pam Poum", un secteur en quête de sens).
- des soins dits "de suite" créés par segmentation du séjour hospitalier aigu pour échapper au poids des déterminants non captés par le modèle d'usine à soins de Fetter (transfert de soins et de charges à un aval temporairement moins encadré)
- des soins spécifiques de durée plus prolongée qu'en aigu, comme la "rééducation fonctionnelle" (notamment médecine de réadaptation sous ses diverses disciplines et activités de soins...)
La solution en aigu ou en SSR n'est pas de dé-différencier les structures ni de détruire les compétences clés au non d'une "intégration" bureaucratique des soins, surtout pour que les pompiers pyromanes à court d'idées pour sauver la solidarité en viennent à marchandiser cette fausse intégration par les "réseaux mutualistes".
Iatrogenèse managériale
Il faut penser les dysfonctionnements de l'hôpital et leur iatrogenèse managériale comme résultat de l'hybridation ratée entre le nouveau modèle de management et de performance public selon l'OCDE et du système hyper-cloisonné et bonapartiste de l'administration française. Il vient de ce constat que tous les concepts clés du New Public Management appliqué à notre système socio-sanitaire se transforment en simulacres délétères:
- La planification à budget fermé n'est pas adaptée aux "besoins" territoriaux du fait de l'incapacité du modèle officiel à décrire les déterminants réels de l'accès aux soins avec les parties prenantes. Ce sont là les limites de la légitimité des sciences de l'action publique, surtout quand elles s'acharnent à justifier une corporate governance issue des entreprises privées, avant tout pour protéger les payeurs des managers. Les managers devenus "seuls patrons", se voient ainsi contraints par un pacte faustien qui en fait les fusibles et la cible de toutes les incitations des "agences" , d'écraser et d'asservir les parties prenantes (stakeholders value) au nom des ayants droit qui ont "risqué leur argent"(shareholder value).
- La gestion par les "résultats" définis essentiellement en termes de rentabilité et de risques financiers pour les payeurs n'a aucun sens pour les acteurs des services publics, sous cette forme là.
- La managed competition se fait d'après des leurres marchands et/ou des indicateurs qualité myopes, particulièrement incapables de capter tant les coûts réels que les risques cliniques qui comptent pour les professionnels et les usagers. Elle conduit à l'éviction rapide des mauvais risques et à la baisse tendancielle de la qualité des prestations.
- L'autonomie des acteurs et structures est une fausse autonomie sous injonctions paradoxales, la décentralisation une fausse décentralisation, de la DGOS jusqu'aux "structures internes", qui ne sert qu'à justifier leur imputabilité ("déconcentralisation"). La loi Evin Durieux de 1991 a séparé fonctionnement médical et organisation des soins, pour pouvoir déployer le modèle de production de Fetter.
- L'imputabilité ainsi fantasmée par la doxa réformatrice est donc particulièrement destructrice de sens au travail surtout quand elle s'accompagne d'une complète dérégulation des conditions techniques de fonctionnement, du cloisonnement en tuyau d'orgue des métiers PM et PNM et de l'inaccessibilité effective aux informations stratégiques, malgré les incantations officielles.
Des propositions pour la tarification? Hasardons nous à quelques réflexions
- Une T2A par "cas" intégrant des garde-fous et les déterminants réels d'hospitalisation? Mais comment, quand tous les acteurs sortent leurs griffes dès que ces déterminants relèvent de l'enveloppe financière de l'autre camp, de l'autre côté de l'abîme entre soins et social?
- En SSR il est peut-être intéressant de distinguer le "séjour" global en SSR et la "séquence", par exemple 1 mois de réadaptation post-AVC puis séquence de soins de suite pour préparation de la réinsertion sociale. Le modèle de groupes médico-économiques (GME) promus aujourd'hui par L'ATIH est épouvantablement démédicalisé (rôle des compétences structurantes?) dans la conception des groupes et "lissant" pour le financement des prises en charge. Il doit être combattu farouchement avec les fédérations.
- La journée pondérée par les actes quand les soins sont continus et complexes, les malades instables et d'évolution imprévisible, les durées de séjour incertaines (soins palliatifs, soins de suite et de réadaptation lourds et prolongés...)
- Des forfaits, (mais gérés par qui et pour quel définition de l'épisode de soins?), pour les malades chroniques, la réadaptation alors non limitée au seul champ des SSR, débutant dès le stade aigu.
- Surtout se méfier du managed care (managed competition appliquée aux payeurs) et de l'intégration des "parcours de soins"... par les réseaux d' assurances: alliance d'inspiration néo-libérale de l'Etat et du marché contre les professionnels et, de fait, les usagers sous prétexte de les protéger. Les parcours doivent certes être mieux intégrer mais en partant des réseaux réels déjà existants entre acteurs et structures, pas en plaquant de nouvelles structures bureaucratiques d'incitations à la coopération sur un système de concurrence généralisée qu'on a renoncé à changer.
- Revenir aujourd'hui à la DAF dans l'univers actuel de dérégulation à outrance, de promotion aussi incompétente qu'arrogante des soins low cost, d'opacité complète de la gestion, de tableaux de bords faits d'indicateurs de sortie de système à courte vue (output et non outcome) et de la toute-puissance des managers non médecins dans la gouvernance, serait une véritable catastrophe. L'exemple de la gestion des SSR de l'AP-HP devrait suffire à nous en convaincre.
On ne pourrait sortir du tout T2A qu'en remettant les acteurs à leur place. La lecture des tableaux de bord de résultats selon le modèle de reporting exponentiel et "tueur de cadres" de la gestion actuelle ne donne aucune clé d'amélioration possible dans un tel contexte.
Tableaux de bord pour une autre vision de la performance
Le bon tableau de bord d'indicateurs équilibrés, je rejoins Anne Gervais, devrait tenir compte de l'état d'esprit au travail, un des plus important facteurs de la véritable performance et de ce que pourraient être des avantages compétitifs à la recherche du meilleur soin au juste coût:
- Performance = produit des compétences par l'état d'esprit au travail (Anderson 2001)
- E = MC² - Efficience = produit des motivations par les compétences et la culture de l'organisation (Descarpentries)
- Assez de blues on veut du RAP (Reconnaissance au travail, Autonomie professionnelle, Participation aux processus de décision). Nous voulons des indicateurs de RAP, ils en diront plus sur ce qui peut s'améliorer loin du discours convenu des "chiens de garde" de l'éthiconomie sur les résistances au changement.
Sauver la clinique malgré elle?
Dernière erreur à ne pas commettre, je le dis surtout pour l'AP-HP: continuer à penser que la clinique et l'autonomie des pratiques professionnelles peuvent se réduire à l'enseignement et la recherche en acceptant d'abandonner l'organisation des soins aux seuls gestionnaires et aux prétendus ingénieurs des soins. Les effets de cet autre pacte faustien sont aujourd'hui bien connus de tous. Certains persistent à aimer s'aveugler. Le confort intellectuel n'a pas de prix.
"L'intellectuel (...) tend par nature se faire complice du pouvoir, donc à l'approuver. Il a tendance sur les traces de Hegel, à déifier l'Etat, n'importe quel Etat , son existence seul le justifie." Primo Levi ("Les naufragés et les rescapés")
En ce jour de Noël il n'est pas interdit de rêver, ni d'écrire une lettre au père Noël. Joyeux Noël à tous,