mercredi 26 décembre 2012

T2A et lettre au père Noël

Joyeux Noël - Lettre au père Noël 

"Les portes de la charité sont difficiles à ouvrir et dures à refermer"


Le financement des soins de santé doit assurer la congruence entre logiques médicales et gestionnaires. Les indicateurs de performance doivent venir après la définition des missions et des finalités
  • Prévenir,
  • Guérir (cure),
  • Soigner, soutenir (care) et éventuellement "héberger", selon la vision qu'on a des déterminants réels de l'hospitalisation et de ce qu'il faut financer à l'hôpital.
Les stratégies verticales de l'action publique assignent en termes d'organisation et de financement:
  • le traitement de la maladie à l'hôpital, 
  • les soins de longue durée (sauf USLD) et l’hébergement pour les personnes âgées et handicapées au secteur médico-social, 
  • et enfin la prise en charge sociale des indigents et des vagabonds au secteur social (vieille segmentation des "malheurs immérités" et des "infortunes que le vice a produit" selon Tocqueville?).
L'expérience quotidienne des dysfonctionnements et gaps induits par ce modèle montre qu'il est obsolète. La fragmentation institutionnelle est doublée d'une fragmentation des risques à financer (maladie, vieillesse, handicap...) à laquelle s'est ajoutée une séparation entre l'assurantiel déconcentré et l'assistantiel décentralisé. Trop de malades sont ainsi à la fois Français de l'Etat et Français du département. Impasse politique de notre Etat providence en crise!

Le problème de la T2A est d'abord son incapacité structurelle à capter des risques qui relèvent d'autres secteurs de financement, selon le modèle français.
Il est vrai que pour certains groupes de malades et dans certaines activités de soins cela ne pose guère de problème, ailleurs c'est une catastrophe et une suite de pertes de chances absurdes.

Notons au passage que l'impasse du financement des SSR vient de là. Ils ont été assemblés en un secteur très hétérogène (plus de 80 disciplines d'équipement lors de leur création en 1991 ) mélangeant sans aucun discernement. ("SSR "Pim Pam Poum", un secteur en quête de sens).
  • des soins dits "de suite" créés par segmentation du séjour hospitalier aigu pour échapper au poids des déterminants non captés par le modèle d'usine à soins de Fetter (transfert de soins et de charges à un aval temporairement moins encadré)
  • des soins spécifiques de durée plus prolongée qu'en aigu, comme la "rééducation fonctionnelle" (notamment médecine de réadaptation sous ses diverses disciplines et activités de soins...)
La solution en aigu ou en SSR n'est pas de dé-différencier les structures ni de détruire les compétences clés au non d'une "intégration" bureaucratique des soins, surtout pour que les pompiers pyromanes à court d'idées pour sauver la solidarité en viennent à marchandiser cette fausse intégration par les "réseaux mutualistes".

Iatrogenèse managériale


Il faut penser les dysfonctionnements de l'hôpital et leur iatrogenèse managériale comme résultat de l'hybridation ratée entre le nouveau modèle de management et de performance public selon l'OCDE et du système hyper-cloisonné et bonapartiste de l'administration française. Il vient de ce constat que tous les concepts clés du New Public Management appliqué à notre système socio-sanitaire se transforment en simulacres délétères:

  • La planification à budget fermé n'est pas adaptée aux "besoins" territoriaux du fait de l'incapacité du modèle officiel à décrire les déterminants réels de l'accès aux soins avec les parties prenantes. Ce sont là les limites de la légitimité des sciences de l'action publique, surtout quand elles s'acharnent à justifier une corporate governance issue des entreprises privées, avant tout pour protéger les payeurs des managers. Les managers devenus "seuls patrons", se voient ainsi contraints par un pacte faustien qui en fait les fusibles et la cible de toutes les incitations des "agences" , d'écraser et d'asservir les parties prenantes (stakeholders value) au nom des ayants droit qui ont "risqué leur argent"(shareholder value).
  • La gestion par les "résultats" définis essentiellement en termes de rentabilité et de risques financiers pour les payeurs n'a aucun sens pour les acteurs des services publics, sous cette forme là.
  • La managed competition se fait d'après des leurres marchands et/ou des indicateurs qualité myopes, particulièrement incapables de capter tant les coûts réels que les risques cliniques qui comptent pour les professionnels et les usagers. Elle conduit à l'éviction rapide des mauvais risques et à la baisse tendancielle de la qualité des prestations.
  • L'autonomie des acteurs et structures est une fausse autonomie sous injonctions paradoxales, la décentralisation une fausse décentralisation, de la DGOS jusqu'aux "structures internes", qui ne sert qu'à justifier leur imputabilité ("déconcentralisation"). La loi Evin Durieux de 1991 a séparé fonctionnement médical et organisation des soins, pour pouvoir déployer le modèle de production de Fetter.
  • L'imputabilité ainsi fantasmée par la doxa réformatrice est donc particulièrement destructrice de sens au travail surtout quand elle s'accompagne d'une complète dérégulation des conditions techniques de fonctionnement, du cloisonnement en tuyau d'orgue des métiers PM et PNM et de l'inaccessibilité effective aux informations stratégiques, malgré les incantations officielles.
Bref "tout est contrôlé et rien n'est sous contrôle" (François Dupuy, "Lost in management")

Des propositions pour la tarification? Hasardons nous à quelques réflexions


  • Une T2A par "cas" intégrant des garde-fous et les déterminants réels d'hospitalisation? Mais comment, quand tous les acteurs sortent leurs griffes dès que ces déterminants relèvent de l'enveloppe financière de l'autre camp, de l'autre côté de l'abîme entre soins et social?
  • En SSR il est peut-être intéressant de distinguer le "séjour" global en SSR et la "séquence", par exemple 1 mois de réadaptation post-AVC puis séquence de soins de suite pour préparation de la réinsertion sociale. Le modèle de groupes médico-économiques (GME) promus aujourd'hui par L'ATIH est épouvantablement démédicalisé (rôle des compétences structurantes?) dans la conception des groupes et "lissant" pour le financement des prises en charge. Il doit être combattu farouchement avec les fédérations.
  • La journée pondérée par les actes quand les soins sont continus et complexes, les malades instables et d'évolution imprévisible, les durées de séjour incertaines (soins palliatifs, soins de suite et de réadaptation lourds et prolongés...)
  • Des forfaits, (mais gérés par qui et pour quel définition de l'épisode de soins?), pour les malades chroniques, la réadaptation alors non limitée au seul champ des SSR, débutant dès le stade aigu.
  • Surtout se méfier du managed care (managed competition appliquée aux payeurs) et de l'intégration des "parcours de soins"... par les réseaux d' assurances: alliance d'inspiration néo-libérale de l'Etat et du marché contre les professionnels et, de fait, les usagers sous prétexte de les protéger. Les parcours doivent certes être mieux intégrer mais en partant des réseaux réels déjà existants entre acteurs et structures, pas en plaquant de nouvelles structures bureaucratiques d'incitations à la coopération sur un système de concurrence généralisée qu'on a renoncé à changer.
  • Revenir aujourd'hui à la DAF dans l'univers actuel de dérégulation à outrance, de promotion aussi incompétente qu'arrogante des soins low cost, d'opacité complète de la gestion, de tableaux de bords faits d'indicateurs de sortie de système à courte vue (output et non outcome) et de la toute-puissance des managers non médecins dans la gouvernance, serait une véritable catastrophe. L'exemple de la gestion des SSR de l'AP-HP devrait suffire à nous en convaincre.
On ne pourrait sortir du tout T2A qu'en remettant les acteurs à leur place. La lecture des tableaux de bord de résultats selon le modèle de reporting exponentiel et "tueur de cadres" de la gestion actuelle ne donne aucune clé d'amélioration possible dans un tel contexte.

Tableaux de bord pour une autre vision de la performance

Le bon tableau de bord d'indicateurs équilibrés, je rejoins Anne Gervais, devrait tenir compte de l'état d'esprit au travail, un des plus important facteurs de la véritable performance et de ce que pourraient être des avantages compétitifs à la recherche du meilleur soin au juste coût:
  • Performance = produit des compétences par l'état d'esprit au travail (Anderson 2001)
  • E = MC² - Efficience = produit des motivations par les compétences et la culture de l'organisation (Descarpentries)
  • Assez de blues on veut du RAP (Reconnaissance au travail, Autonomie professionnelle, Participation aux processus de décision). Nous voulons des indicateurs de RAP, ils en diront plus sur ce qui peut s'améliorer loin du discours convenu des "chiens de garde" de l'éthiconomie sur les résistances au changement.

Sauver la clinique malgré elle?

Dernière erreur à ne pas commettre, je le dis surtout pour l'AP-HP: continuer à penser que la clinique et l'autonomie des pratiques professionnelles peuvent se réduire à l'enseignement et la recherche en acceptant d'abandonner l'organisation des soins aux seuls gestionnaires et aux prétendus ingénieurs des soins. Les effets de cet autre pacte faustien sont aujourd'hui bien connus de tous. Certains persistent à aimer s'aveugler. Le confort intellectuel n'a pas de prix.

"L'intellectuel (...) tend par nature  se faire complice du pouvoir, donc à l'approuver. Il a tendance sur les traces de Hegel, à déifier l'Etat, n'importe quel Etat , son existence seul le justifie." Primo Levi ("Les naufragés et les rescapés")

En ce jour de Noël il n'est pas interdit de rêver, ni d'écrire une lettre au père Noël. Joyeux Noël à tous,



vendredi 21 décembre 2012

Voyage au cœur de la santé publique de marché - Pauvre Montaigne


Quand l’Institut Montaigne invente la conférence encadrée

Petit exercice de détection de balivernes en santé
Et de combien est le langage faux moins sociable que le silence. Essais, I, 9 ; Michel Eyquem de Montaigne

L’alliance entre des entreprises qui pensent avoir le droit moral de faire ce qu’elles veulent et une théorie économique qui les conforte en érigeant en dogme le mythe du marché efficient nous a conduits à la catastrophe" Henry Mintzberg


Le managed care et la nouvelle santé publique de marché
  • L'avis citoyen et les commentaires de l'Institut
  • Commentaire du commentaire
La méthode Montaigne
  • La "formation" des citoyens
  • Le dispositif
  • Le comité de pilotage


L'institut Montaigne * pousse à son comble la manipulation politico-médiatique. Comment faire énoncer par un panel de citoyens les vérités révélées au service des assurances privées et de la déconstruction de la sécurité sociale?
Découvrez les dessous de la "conférence de citoyens" et la coalition médico-gestionnaire qui a été chargée de ce simulacre de démocratie.


Mieux comprendre les enjeux avec André Grimaldi 

* créé par Claude Bébéar ,
avec Alain Mérieux et Henri Lachmann. Claude Bébéar est le créateur du groupe AXA - Assurances et ancien président de son directoire avant d'en devenir président du conseil de surveillance. Il est également membre de l'institut Turgot

Le managed care et la nouvelle santé publique de marché

Cet exercice de détection de balivernes en santé répond à une offensive de l'Institut Montaigne  qui peut être considérée comme un sommet de manipulation par la pensée unique réformatrice quand elle se pare des habits de l'expression démocratique. Voyage au coeur de la nouvelle santé publique de marché.
Commentaires de l'Institut Montaigne sur le rapport

Extraits choisis des commentaires


Le texte promeut un dénigrement systématique du dispositif de sécurité sociale solidaire  et proposition de prise de contrôle du management des soins par les payeurs:
"Les 25 rappellent dès l’introduction que le système de santé créé en 1945 ne « s’accorde plus au contexte actuel » : la crise économique, la montée du chômage, le vieillissement de la population et le passage de maladies aiguës à des pathologies chroniques au long court appellent à repenser toute l’organisation du système (p.5). Cette prise de position forte et résolument tournée vers l’avenir est étonnante. Loin du discours crispé sur le modèle d’organisation des soins mis en place en 1945, les citoyens en demandent la réorganisation profonde pour l’adapter aux évolutions actuelles.

Le managed care par les assurances s'avance sous le masque des "réseaux de soins cordonnées"
"Ainsi, la mise en place de parcours de soins coordonnés (NJPD voilà le managed care par les réseaux d'assurance qui pointe discrètement le bout de son nez) impliquant l’ensemble des professionnels de santé est avancée (p.6). La création pour chacun d’un dossier médical partagé leur semble un outil primordial pour permettre ces parcours de soins (p.9). Le DMP devra, selon eux, contenir la totalité des informations disponibles sur le patient. La question du masquage de certaines données par les usagers n’a pas été retenue par les citoyens qui ont jugé que l’outil ne pourrait être performant et utile que dans la mesure où l’ensemble des données y serait visible par les médecins 
Et elle y serait aussi visible par les assureurs et les calculs de leurs actuaires?


Suit l'inévitable antienne des assurances privées sur le "trou de la sécu",  et la "responsabilisation" des acteurs
"Conscients du déficit qui pèse sur le système de santé et remet en cause sa viabilité de long terme, les citoyens appellent également à une réforme globale de ses modalités de financement et à des économies(p.5). Ils considèrent que les ressources sont suffisantes et qu’il n’est aucunement nécessaire de les augmenter mais appellent à une plus grande modération dans l’utilisation de ces ressources ainsi qu’à leur meilleure gestion* (p.9)."

"En raison de la persistance du chômage et de la crise économique, ils jugent que l’allègement des charges pesant sur le travail est une nécessité."

Déplorant les gaspillages ainsi qu'un certaine forme de "surconsomation médicale" (p.12) il sappellent à une responsabilisation des usagres, tan sur leur consommation que sur certains comportements à risque.
Bref, selon les citoyens, courant malgré eux vers la servitude volontaire,  les "payeurs" doivent prendre le contrôle hiérarchique des réseaux parce que les médecins sont des calculateurs égoïstes et parce que les usagers sont des imbéciles irresponsables qu'il faudra dérembourser s'il sont déviants et non compliants à l'éducation thérapeutique. Enfin, les directeurs d'établissements actuels sont d'exécrables managers de santé qu'il conviendra de remplacer d'urgence par les vrais gestionnaires de mathématiques et de statistiques selon la vision des  risques financiers des assurances. Et voilà que les élus soit parce qu'ils promettent plus qu'il ne peuvent tenir, soit parce qu'ils soutiennent des réseaux de copains et de coquins,  s'y résignent! Et voilà que toute la meute des chiens de garde de "l'éthiconomie" orthodoxe les suivent, à commencer par des collègues complices dont ce serait l'honneur d'ouvrir enfin les yeux.

Page 7, le coeur de la rhétorique assurantielle promue par l'Institut: la rationnalisation de la gestion par des payeurs "responsables" en période crise mondiale
Si les pistes de réorganisation du système de soins qu’ils appellent de leurs vieux (parcours de soins et généralisation des réseaux de santé*) peuvent leur sembler réductrices de liberté, elles leur semblent acceptables dans la mesure où elles s’inscrivent dans une démarche d’amélioration de la qualité du système et des soins dispensés (p.8). Cette proposition audacieuse montre une forte prise de conscience de la nécessité pour chaque usager de changer son comportement et de faire des efforts dans un contexte économique tendu*."

"Après avoir suivi l’ensemble des formations et des débats, les 25 citoyens sont arrivés au constat qu’il existe une grande opacité et une certaine forme de confiscation de l’information sur le système de santé." 
Est-ce une opacité qui gêne les gestionnaires de risques en particulier pouir la sélection des mauvais risques?

Commentaire sur le commentaire: - Imputabilité et performance selon l'OCDE


L'institut Montaigne soutient par tous les moyens la promotion du managed care ou réseaux intégrés de soins. Le managed care consiste à rationaliser la gestion des systèmes socio-sanitaires, dans le contexte de crise mondiale que l'on connait. Personne ne peut être contre ce principe, c'est la la force de la propagande managériale de marché. Personne ne peut se faire le champion de l'inefficience du gaspillage et de la gestion irrationnelle. Mais voilà, ce beau principe est toujours promu en pratique par des payeurs qui tentent de prendre le contrôle de l'offre de soins. Cette régulation s'effectue de plus selon des principes de "performance publique" de l'OCDE, transcrits en France dans la LOLF et la RGPP, et sous la contrainte des nouvelles normes européennes. Il y a dès lors en permanence une tension masquée, voire totalement niée entre régulation managériale, marchande et professionnelle.

La chaîne de satisfaction en santé suppose que l'ensemble des parties prenantes, les usagers, professionnels et les payeurs soient satisfaits. En pratique, dans les modèles internationaux , le managed care est souvent soutenu et promu par des réseaux d'assurances privées à qui les Etats en confient la responsabilité, comme les HMO américains et ses dérivés (PPO etc.), bien que la sécurité sociale puisse également s'en inspirer comme en France dans l'exemple du PRADO, de la MSAP, de SOPHIA et diverse autres expérimentations bien peu convaincantes de disease management. Les professionnels, infantilisés et transformés en "techniciens de santé postés" par un management de plus en plus inapproprié à la santé, attendent avant tout le retour du sens, par la reconnaissance de la qualité de leur travail, la vraie pas celle qui n'est destinée qu'à masquer les effets de la T2A , par l'autonomie nécessaire des collectifs opérationnels de soins qui ont toujours été structurés autour du savoirs de disciplines d'exercice et enfin la participation effective au processus de décision dans l'organisation, le seul process que personne n'analyse sérieusement quant à ses défaillances
Les pompiers pyromanes ayant transformé l'hôpital en "machine à guérir" et mis tous les acteurs des "parcours de soins" en concurrence, il vont maintenant importer de l'extérieur des "machins" et incitations gestionnaires pour leur permettre, pense-t-on en haut lieu, de faire ce qu'on les empêche toujours davantage de faire depuis des décennies, s'occuper convenablement des maladies et états chroniques handicapants. Cet empêchement  se déploie notamment par la suppression, induite par ce modèle "d'usine à soins" standardisée par les Groupes Homogènes de Séjour, de la plupart des postes dédiés au soutien à l'autonomie et à l'accompagnement social précoce. 
Assez de ces balivernes liées une inextricable fragmentation institutionnelle et financière créée par un Etat-providence en crise qui ne sait plus que s'en dédouaner sur les usagers et les acteurs et qui ne trompent plus personne!

Voilà que l'Institut Montaigne a réuni une "conférence de citoyens". Ce simulacre de démocratie permet de faire parler un panel de citoyens, bien entendu "représentatif"; en lui faisant énoncer des vérités révélées qui vont systématiquement dans le sens de la propagande de l'Institut. Les formateurs et le comité de pilotage y veillent avec notamment Claude Le Pen, champion dans "les nouveaux habits d'Hippocrate" d'une médecine "prêt à porter", qui ferait des médecins des ingénieurs aux ordres des nouveaux managers de santé. Ceux-ci déploieraient enfin des process néo- tayloriens à partir d'une evidence based medecine qu'on a laissé se dévoyer en une simple standardisation normée et contrôlée des pratiques professionnelles. On y trouve aussi la Directrice Générale de l'AP-HP et son ancien président de CME, battu aux dernières élections pour la souplesse accommodante qu'il a manifesté face à la politique de rationnement ubuesque de cette grande maison. Il y a enfin l'infatigable défenseur de "l'hôpital entreprise" qu'est Guy Vallancien.

Les citoyens du panel sont donc bien encadrés. Ils sont "formés" (ou bien faut-il dire "formatés", comment l'éviter et qui ne le serait pas?) selon le programme décrit ci-dessous. Ensuite, ils sont appelés à proposer des réformes qu'on qualifiera de "citoyennes" bien sûr, dont on ne doute pas qu'elles témoigneront du courage étonnant du panel en faveur de la création des réseaux d'assurances et de la privatisation de la sécurité sociale. De qui se moque-t-on?
La formulation de l'avis du  panel guidé par les experts, est ainsi présenté comme un modèle "innovant et transparent " d'expression démocratique a été confié à des spécialistes de la concertation publique ("Res publica"). 
Il restitue comme attendu ce pour quoi il a été conditionné, l'éloge de la pensée unique de la régulation par les pseudo-marchés encadrés, des réseaux d'assurances privées déguisées en "mutuelles" et de la gestion industrialisée des soins. Après la concurrence encadrée voici le temps de la conférence encadrée. Brave new world.

Se rincer le cerveau:
Deux auteurs clés pour comprendre et se rincer le cerveau: André Grimaldi et Frédéric Pierru ("Hippocrate malade" de ses réformes, avec l'analyse de ce qui s'st passé aux USA). Voir aussi la page 
"parcours, intégration, territoires et coordination"

La méthode "Montaigne"


1. Mode de recrutement du panel de citoyens

2. Phase de "formatage" du public choisi avant élaboration de l'avis (voir les "formateurs", à commencer par Claude Le Pen)Voici les éléments de la doxa réformatrice:
  • La crise économique mondiale nous oblige à des choix tragiques. Ceux-ci doivent être intériorisés par les acteurs: notion d'imputabilité
  • Les dépenses sont trop élevées, il ne faut pas augmenter les recettes malgré les progrès technologiques et la transition épidémiologique
  • Les médecins sont responsables des inégalités de santé du fait des "dépassements d'honoraires" car ce ne sont que des calculateurs égoïstes, corporatistes comme tous les professionnels de santé
  • Les malades "surconsomment" et sont irresponsables
  • Le système socio-sanitaire est très mal organisé. Les hôpitaux sont mal géré par des directeurs incompétents, eux-même paralysés par ce qui reste de pouvoir aux "mandarins". Tous gaspillent l'argent public et une régulation par le marché serait plus efficace. La transparence des coûts et des dépenses réglerait bien de choses, avec de véritables professionnels de la gestion des risques et de la gouvernance de l'hôpital entreprise étendue à tout le système de soins.
  • Les parcours de soins sont incoordonnés, il faut des réseaux intégrés de soins gérés par des actuaires professionnels  pour protéger l'argent des payeurs, actionnaires ou gouvernement, mettre ces derniers aux commande de la régulation pour enfin responsabiliser tous les gaspilleurs
3. Production d'un avis conforme à ce qui a été enseigné selon la pensée unique de régulation et de gestion industrielle de la santé 
4. Rédaction de l'avis, sous contrôle du comité de pilotage (à regarder de très près): Guy Carcassonne, Pierre Coriat, Claude Le Pen, Guy Vallancien, Mireille Faugère...
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La "formation" des citoyens

Nous reproduisons ici la description du dispositif d'après la page:
« Renouveler le débat public grâce aux conférences de citoyens »

"Outil de démocratie participative, les conférences de citoyens permettent d’associer davantage et autrement les citoyens au débat public et à la prise de décision politique. Elles restent très peu utilisées en France alors même qu’elles ont prouvé leur efficacité dans d’autres pays.
Pour mener à bien cette démarche inédite, l’Institut Montaigne a réuni 25 citoyens venus de toute la France et représentant une grande diversité de profils afin de prendre leur avis sur notre système de santé. (...) Pour assurer la loyauté et la transparence de ce processus, l’intégralité de la conférence a été filmée et mise en ligne sur ce site."

1. Phase préparatoire
Juin à octobre 2012
25 citoyens ont été recrutés par Harris Interactive pour leur diversité de profils (âge, sexe, niveau de diplôme, région etc.). Un comité de pilotage indépendant et bénévole (médecins, économistes de la santé, politologues, etc.) a préparé le programme de formation et s’est assuré du bon déroulé de la conférence.
2 Phase de formation
13 et 14 octobre, 17 et 18 novembre 2012
Pendant deux week-ends, 9 experts se sont succédé pour présenter aux citoyens notre système de santé et leur donner des clés pour répondre à la question : « Quel système de santé voulons-nous et comment voulons-nous l’utiliser et le financer pour qu’il soit viable ? ».
Découvrez ici le programme de formation.
3. Phase de débat
8 décembre 2012
Les 25 citoyens ont débattu et confronté leurs idées avec des décideurs, des représentants d’associations et de professionnels de santé, des acteurs publics et des experts portant des regards différents et contradictoires sur notre système de santé. Découvrez ici le programme de la journée de débat
4. Phase de rédaction de l’avis citoyen
9 décembre 2012
Durant 15 heures, les citoyens se sont réunis entre eux pour débattre et rédiger un avis afin de répondre à la question qui leur a été posée. Ils ont rédigé eux-mêmes cet avis et l’ont discuté ensemble. A l’issue de la rédaction, un vote à bulletin secret a confirmé que les 25 citoyens étaient d’accord pour dire que l’avis final reflétait bien leurs échanges et leur position.

Le détail et les intervenants de la formation

Nous pouvons lire sur le site:
"Pendant deux week-ends, à l’automne 2012, neuf formateurs se sont succédé pour présenter aux citoyens le système de santé français, son organisation, son financement, et le comparer avec d’autres modèles. Ce programme de  formation  a été élaboré par un comité de pilotage reflétant une diversité de points de vue sur le système de santé français."

Week-end du 13-14 octobre 2012

•    Module d’introduction : de quoi parle-t-on ?
Claude Le Pen (Université Paris-Dauphine)
•    Module 1 – Le système de santé en France
Claude Le Pen (Université Paris-Dauphine)
•    Quizz : que savons-nous sur la santé ?
Daniel Laurent (Professeur émérite des universités, Institut Montaigne)
•    Module 2 – La France a-t-elle un « bon » système de santé ?
Catherine Le Galès (économiste de la santé; CERMES 3 – Centre de recherche en médecine, science, santé, santé mentale et société)
•    Module 3 – Les grandes évolutions et les grands défis de la santé publique
Marie-Aline Bloch (EHESP, Ecole des hautes études en santé publique)
•    Module 4 – Les problèmes économiques que suscite le financement de la santé dans le cadre de la zone euro
Formation dispensée par un haut fonctionnaire de la Cour des comptes
•    Module 5 – Qui paye quoi en matière de santé et comment se fait la prise en charge des soins ?
Florence Jusot (Université de Rouen)
Week-end du 17-18 novembre 2012
•    Module 6 – Les autres modalités possibles de financement de la santé : exemples internationaux
Julien Mousquès (IRDES, Institut de recherche et documentation en économie de la santé)
•    Module 7 – L’hôpital et les établissements de soins
Formation dispensée par un haut fonctionnaire de l’IGAS (Inspection générale des affaires sociales)
•    Module 8 – La médecine de ville et les médicaments
Martine Bungener (économiste, sociologue; CERMES 3 – Centre de recherche en médecine science, santé, santé mentale et société)
•    Module 9 – Les enjeux de moyen terme : que prend-on en charge, qui décide ?
Daniel Laurent (Professeur émérite des universités, Institut Montaigne)

Le comité de pilotage

Nous pouvons lire sur le site:
"Le comité de pilotage indépendant et bénévole est garant du bon déroulé de la conférence. C’est lui qui élabore le programme de formation. Les membres du comité de pilotage reflètent une diversité de points de vue sur le système de santé afin d’assurer la composition d’un programme de formation loyal et équilibré. Il est constitué également de connaisseurs de la méthode des conférences de citoyens."

  • Marianne Binst: directrice générale de Santéclair, entreprise d'aide au consommateur dans le domaine de la santé
  • Loïc Blondiaux: professeur des Universités au département de science politique de l'Université Paris 1-Panthéon Sorbonne
  • Guy Carcassonne: professeur de droit public, Université Paris-Ouest Nanterre-La Défense
  • Pierre Coriat: chef du département d’anesthésie réanimation du groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, ancien président de la Commission Médicale d’Etablissement de l’Assistance Publique–Hôpitaux de Paris (AP-HP)
  • Mireille Faugère: directrice générale de l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP)
  • Jean-Paul Gaudillère: historien, directeur du Cermes3, directeur de recherche à l'Inserm
  • Daniel Laurent: professeur émérite des universités
  • Pierre Emmanuel LecerfConseiller auprès de la directrice générale de l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP)
  • Arnaud Lechevalier: maître de conférences à l'Université de Paris 1-Panthéon Sorbonne et chercheur au centre Marc Bloch (Berlin)
  • Claude Le Pen : professeur de sciences économiques, Université Paris-Dauphine
  • Nathalie Rastouin: directrice générale Ogilvy France
  • Yves Sintomer: membre de l'Institut Universitaire de France. Professeur de science politique, chercheur au CSU-CRESPPA (CNRS/Université de Paris 8). Chercheur associé, Centre Marc Bloch (Berlin) et Institut de sociologie de l'Université de Neuchâtel
  • Lucie Taleysondirectrice technique et marketing,  AXA Life Solution
  • Guy Vallancien: professeur à l'Université paris Descartes et chirurgien urologue, chef de service à l'Institut Mutualiste Montsouris
Voir aussi en bas de la page, quelques experts intervenus pendant la conférence:

Reproduction en boucle auto-référentielle des idées des mêmes par les mêmes dans une chaîne permanente de consécrations mutuelles.  Vous avez dit démocratie sanitaire? 

"(...) l'adaptation des Etat à un ordre économique mondial implique la constitution de nouvelles castes réunissant gouvernants, hommes d'affaires, financiers, experts/. Cette oligarchie tend à considérer les expressions du peuple, y copris dans les formes institutionnelles du vote populaire, comme dangereuses."
Jacques Rancière,  La haine de la démocratie, 2005

"Le pouvoir étatique n'est jamais aussi habile à resserrer son étreinte sur la société civile que lorsque qu'il feint de l'émanciper des autorités qui font de l'ombre à la sienne" Bertand de Jouvenel "Du pouvoir"

dimanche 16 décembre 2012

Le pire ennemi du médecin est le médecin


Citoyenneté hospitalière: l'humanisme médical en sursis
Quelle place pour les disciplines d'exercice à l'hôpital face aux nouveaux chiens de garde?


Une réforme de la gouvernance qui ne viendra pas

Nous invitons tous les amateurs de ce blog à lire d'urgence le livre de Bernard Granger et Frédéric Pierru "l'hôpital en sursis", que nous avons promu au florilège des  ouvrages d'ubulogie clinique dans ce diaporama introductif.. Sans être une recension du livre, le texte suivant s'en inspire tant il peut  fournir l'explication qu'Edgar Faure aurait pu donner de l’évolution attendue de la gouvernance hospitalière:
"L'immobilisme est en marche et rien ne pourra l'arrêter"

Une réforme profonde de la gouvernance est-elle attendue des travaux de la mission Couty? Certainement pas! Après la dénonciation de toutes les limites de la loi HPST et de l'effroyable bureaucratisation pseudo-marchande du système de soins qu'elle déploie, voici que nos plus brillants médecins politico-médiatiques s’apprêtent à se soumette à la doxa réformatrice "avec la souplesse accommodante d'un majordome anglais apportant des toasts beurrés au Prince ce Galles" (Serge Halimi: "les nouveaux chiens de garde").

Il semble qu'une profonde léthargie accable en France le professionnalisme médical et que plus personne, en tout cas parmi les négociateurs, ne soit là pour réclamer la réforme pourtant tant attendue des professionnels hospitaliers. Je parle ici de l'ensemble des professionnels médico-soignants. En dehors de quelques organisations bien peu entendues, la tyrannie du consensus mou est en train de tuer l'espoir d'une véritable réforme de nos hôpitaux et au delà du système socio-sanitaire français. Qu'attendre de ces groupes chargés avant tout d'enterrer les problèmes, paralysés d'emblée par le poids des fédérations, de la DGOS, de la CNAM, de tous les autres "technos", des conférences de présidents de CME, des nouveaux médecins gestionnaires que sont les chefs de pôle, placés à un niveau imbécilement proclamé comme le plus bas niveau de gouvernance et de responsabilité médicale? 
Mais quelle sera la place des briques opérationnelles constitutives de l'activité hospitalière,k les unités productives en novlangue, que restent qu'on le veuille ou non dans la vraie vie hospitalière les disciplines d'exercice? 
Le rétablissement de prérogatives du président de CME et de la CME elle-même est bien entendu attendu du simple bon sens. Il s'agit de rééquilibrer des pouvoirs à l'hôpital en faveur de ceux qui connaissent les méthodes de soins et que viennent voir les malades. Mais comment penser dans le même mouvement les droits et devoirs de l'unité de "production"? Comment faire vivre concrètement  la "structure interne", puisque nous devons dans cette affaire nommer une entité indéfinie, quand le concept de "service" est diabolisé par la doxa réformatrice française, une entité qui devrait avoir une place bien identifiée dans l'organisation et la gouvernance entre le pôle, le service et l'unité fonctionnelle? La "structure interne" n'est qu'une coquille vide, vidée par la pensée dominante des process dont la ré-ingénierie aurait dû selon un pur fantasme émerger des nouveaux "bureau des méthodes" de l'organisation hospitalière. Mais l'échec de ce management stérilisant et infantilisant est patent, sur la qualité des soins, les motivations des professionnels et surtout le gain global d'efficience qui en était tout de même la justification princeps. Ainsi, à moins que "l'efficience" ne soit que l'autre nom de réduction des dépenses de santé en rationnant les soins. Une des plus grandes carences du management de nos établissements de soins est bien l'invisibilité même du périmètre et des prérogatives de ces centres de responsabilités médicales.

Voilà une incurie politique qui contribue à laisser vacants de plus en plus de postes de médecins des hôpitaux mais aussi de paramédicaux. Tous refusent de se voir jouer le rôle de simples techniciens supérieurs de santé. Toutes les disciplines structurantes ne meurent pas aussi vite, mais toutes sont frappées. Le "mépris injurieux" pour des salariés supposés a priori paresseux et qu'il faudrait fouetter par des incitatifs à la qualité, (mais laquelle?), n'a d'égal que celui tou aussi injurieux des médecins assoiffés d'or qui ont une activité libérale à l'hôpital ou en ville, jetés en pâture à 'l'opinion par les chiens de garde politico-médiatiques de tous bords pour quelques rares brebis galeuse aux pratiques extravagantes. Marisol Touraine se trouve bien l'arroseur arrosé par toutes les contrevérités démagogiques qu'on a laissé lancer contre les médecins pendant la phase euphorique des promesses irresponsables. La voilà obligée de calmer les jusqu'au-boutistes de l'anti-médecine que le pouvoir a lâché croyant faire là une bonne affaire politique. Les voici obligés de calmer leurs propres députés, comme l’inénarrable député Paul et tous ceux qui croient pouvoir se tailler un succès électoral sur le dos des médecins.

Ainsi le "marché" serait vertueux, mais pas pour les médecins de base. Eux devraient être fouettés par le bâton du reporting et incités par la carotte des indicateurs qualité et du P4P (paiement à la performance). La T2A ne leur suffit donc pas. Le pseudo-marché à l'activité lui, serai seulement vertueux pour les directeurs et les chefs de pôle incités par la T2A? On sait bien que ces tarifs sont souvent conçus comme une machine perdre qui ne reflètent plus en rien des moyennes de coûts réels de groupes supposés homogènes, à supposer qu'ils l'aient fait lors de la construction des échelles nationales de coûts (ENC) phase au terme de laquelle on prend une moyenne pour une norme (Jean de Kervasdoué, "Très cher santé"). En effet les tarifs diminuent dès lors qu'ils sont contraints dans une enveloppe globale fermée, l'Ondam, qui de surcroît, ampute les tarifs dès qu'elle abonde des compartiments annexes (médicaments onéreux, MIGAC MERRI , plateaux techniques etc.). Le postulat politique des défenseurs de cette folle politique est que cette puissance de restructuration, même et surtout sous enveloppes fermée. Elle doit forcer ce qu'on considère axiomatiquement comme une bureaucratie webérienne, rigide et mal organisés à un "assainissement", ou peut-être même selon le souhait de certains à l'extinction, par le biais de pseudo-marchés ayant pour seul but de "sidérer" toute résistance des professionnels (y compris des directeurs). Lire à ce sujet "l'hôpital en sursis".


Il est vrai, pour dédouaner le député Paul, qu'à l'assemblée, le pire ennemi du médecin reste toujours le médecin qui a de comptes à régler avec ses pairs. Hélas, hélas, hélas. Les pires anti-médecins sont toujours les députés médecins.

Citoyenneté hospitalière et partie prenantes légitimes


La citoyenneté est le fait pour une personne, pour une famille ou pour un groupe, d'être reconnu comme membre d'une cité (aujourd'hui d'un État) nourrissant un projet commun auquel ils souhaitent prendre une part active. La citoyenneté comporte des droits civils et politiques et des devoirs civiques définissant le rôle du citoyen dans la cité et face aux institutions.

Si nous appliquons cette notion à la santé et aux organisations du système de santé, la "démocratie sanitaire" supposerait en premier lieu le respect de la citoyenneté des soignants en tant que parties prenantes du système socio-sanitaire, au coté bien sûr des usagers et des élus.

De ce fait la loi HPST consacre une véritable dépossession démocratique qui se cristallise autour de la promotion de la vision industrielle et managérialiste de l'hôpital
Nous appelons "industrielle" la notion d'hôpital entreprise qui vise à y applique des méthodesde standardisation des processus selon des méthodes importées d'organisation scientifique du travail importées de l'industrie
Nous appelons "managérialisme" la prise de contrôle du management selon les principes de la corporate governance (défense prioritaire des intérêts de ayants droits ou payeurs, actionnaires privés ou  gouvernements, par rapport aux autres partie prenantes). 
Dans le secteur public, le Nouveau Management Public associe de façon variable selon les pays plusieurs éléments clés issus de la gouvernance d'entreprise:
Sur le plan théorique, législatif et réglementaire:
- théorie de l'agence (principal-agent, contrôle de l'asymétrie d'information) , théorie des choix publics, théorie des coûts de transaction, concurrence par comparaison (yardstick competition), modèle de performance publique et gestion axée sur les résultats promue par l'OCDE avec la LOLF et la RGPP en France. Imposition des modèles européens, directive services, notion de "services d'intérêt collectif" etc.
Sur le plan pratique, de l'organisation et du financement des soins: la théorie des choix publics entérine un système de défiance généralisée sur les motivations des acteurs supposés égoïstes et rationnels, maximisant leur utilité
- dissociation des droits de propriété et du management, dissociation de la conception et de l'exécution, dissociation, dissociation entre qualité et efficience, dissociation performance et niveau de ressources (Belorgey)


Ainsi la dépossession démocratique et la perte de la "citoyenneté soignante" passe de aux yeux des réformateurs par la vaporisation des "services" désigné comme lieu de résistance délétère des collectifs professionnels. De nombreuses études sociologiques ont d'ailleurs montré que les médico-soignants avaient davantage une culture de service, construite autour de leurs "coeurs de métier" qu'une culture institutionnelle, même s'ils sont très attachés aux valeurs et aux missions de leur établissement. Dès lors apparaît la logique implacable de la succession des réforme françaises:


- Loi Evin Durieux de 1991: importation du modèle de Fetter de production de l'hôpital, mise en place du PMSI MCO, segmentation des séjours entre MCO et SSR, dissociation "industrielle" de la clinique en "fonctionnement médical" et "organisation des soins" (modèle fonctionnel de Taylor) . C'est la première mort des services où tous les paramédicaux passent sous contrôle hiérarchique des directions d'hôpital.


- Vient ensuite la mise en place du PMSI, de la T2A en court séjour, qui par imposition de filières verticales qu'on a pensé comme structurées par l'amont (nouvelles "spécialités" administrativement définies des SSR) aboutiront à l'impasse actuelle de la tarification en SSR et psychiatrie, pour des secteurs dont le bon fonctionnement dépendent avant tout de l'organisation de l'amont et de l'aval ou plutôt, pour sortir de ce modèle "linéaire" des parcours de soins, d'un maillage territorial réel avec les soins de ville et le secteur médico-social (rapport de la cour des comptes sur les SSR septembre 2012).


- Hôpital 2007: mise ne place des pôles le plus souvent "Pim Pam Poum" c'est à dire sans cohérence médicale structurante, conçus davantage comme centres de coûts que de résultats. Cette restructuration en organisation divisionnelle au sens de Mintzberg parachève progressivement la disparition définitive du pouvoir d'organisation des soins des chefs de service.
A noter que dans les CHU, le rôle de la "clinique" devient synonyme d'organisation de la recherche et de l'enseignement et le rôle d'organisation n'est plus guère pensée qu'en termes de lien avec leurs applications sur des pratiques innovantes de soins. La "citoyenneté" hospitalière des disciplines médicales ne se conçoit plus que sous cet aspect. La citoyenneté d'une discipline structurante de l'organisation devient l'impensé majeur du modèle, hors universitarisation locale de l'activité d'exercice. Il y a là un risque majeur et hélas déjà avéré de clivage entre médecins HU et H dont les managers semblent avoir su largement tirer profit pour régner sur l'organisation des soins. ils n'auront de cesse de prendre la direction hiérarchique directe des médecins, en commençant par les non U.


- La loi HPST consacre pleinement la corporate governance dans le système socio-sanitaire en mettant encore davantage les chefs de pôle sous la coupe du directeur de l'établissement, tandis qu'elle a réduit ls pouvoirs de la CME à peau de chagrin. Le projet de "solides chaînes de commandement" prônées par Alain Minc pour casser les mandarinats est enfin achevé, souvent avec l'aide des nouveaux médecins gestionnaires acquis au modèle.


En quoi les connaissances sont-elles structurantes et génératrices de performance? Comment s'associent-elles en unités opérationnelles efficaces et au moindre coût hors les modèles industriels qui ont fait la preuve de leur échec? Comment éviter l'amnésie organisationnelle actuelle de nos hôpitaux? Comment s'effectue la combinaison systémique des connaissances qu'on sait dans toutes les organisations être à 80% implicites. Comment, en bon management et en capitalisant enfin les connaissances, en sachant les assembler au lieu de les détruire par une différenciation imbécile des hôpitaux, produire de l'innovation, des soins qui ont du sens pour les professionnels et les malades tout en développant des avantages compétitifs? 


Disserter sans fin sur la T2A, ses effets pervers comparés aux autres systèmes de financements, mais sans s'interroger sur un système de régulation qui interdit aujourd'hui toute promotion intelligente du juste soin au juste coût et toute véritable définition d'une qualité qui servirait avant tout de garde-fou à des modèles de financements tous imparfaits est un exercice bien inutile.
Que l'on veuille ajouter aux incitatifs de ces "leurres marchands" qui ont déjà mis l'ensemble des acteurs de la chaîne de soins en concurrence là où ils devaient collaborer à une chaîne de valeur, encore d'autres incitatifs fondés sur des indicateurs qualité qui ne font qu'épouser le modèle managérialiste sans disposer de la moindre preuve de leur capacité à favoriser l'économie, l'efficacité ou l’efficience, les 3 E de la performance ne cesse de me stupéfier. 


Que certaines organisations de "médecins se précipitent pour se prendre eux-mêmes pour des "idiots rationnels", des homo economicus hospitaliers ou libéraux, et demander au puvoirs publics des incitations qui ne manqueront pas de produire leurs effets de prophétie auto-réalisatrice en multipliant leurs comportements opportunistes, voilà qui me consterne et me désespère!

Devenus encore moins vertueux, les médecins ne s'étonneront pas de voir exploser le reporting, la défiance de contrôles toujours plus tatillons, chronophages et contre-productifs, les indicateurs toujours plus ubuesques faute d'oser prendre le risque de démasquer la baisse de qualité réelle et enfin les injonctions paradoxales qu'ils aurons eux-même réclamé dans leur course folle à la servitude volontaire.

J'avoue être fort étonné qu'un certain nombre d'organisation médicales semblent toujours s'empresser de courir après la dernière machine gouvernementale à détruire l'autonomie des médecins:
Voici que se sont succédé depuis les années soixante-dix de sinistres renoncements et résignations: l'abandon de l'organisation des soins aux directions d'hôpital, le renoncement des médecins à participer à la gestion et aux "centres de responsabilité" un moment promus par la loi , la tarification à l'activité à 100% sans aucun garde-fous robuste, à commencer par les conditions techniques de fonctionnement, abandon de toute citoyenneté des disciplines d'exercice et de leurs recommandations de bonnes pratiques et de bonne organisation, au profit des centres de coûts de pôles le plus souvent construits de façon autoritaire, en dépit du bon sens. Ceux-ci ont détérioré les organisations en contribuant à séparer toujours plus, en "boite à oeufs" qui ne doivent pas se toucher,  les lignes médicales et paramédicales. Cela allait comme toujours à rebours des objectifs affichés dans une délégation des gestion qui n'a jamais eu lieu. Surtout à l'AP-HP (Paris)
Mais le pire, c'est enfin l'abandon définitif décidé par d'autres qu'eux mêmes, pour les responsables médicaux d'activités hospitalières, au nom des vertus supposées du pilotage par les petits, moyens et grands experts "d'en haut", pire, au nom de l'espoir de je ne sais quel fantasme d'une nouvelle bureaucratie mandarinale de marché reconfigurée, de toute responsabilité d'organisation, de toute autonomie et de toute participation réelle aux processus de décision qui pourtant les concernent et sur lesquels leurs connaissances étaient indispensables, notamment pour l'efficacité des fameux maillages territoriaux nécessaire à l'intégration des parcours de soins.
Il faut que les usagers en prennent la mesure, hors les associations "chiennes de garde" du dispositif de rationnement comptable. Il faut qu'ils commencent à s'organiser pour vérifier les conditions de fonctionnement, les équipements , les effectifs soignants et les compétences réelles médicals ou paramédicales des structures où ils viendront se faire soigner. Qu'ils ne comptent pas sur les palmarès du Point, cette fausse transparence pour gogos organisée par l'establishment et son enfumage généralisé par la fausse qualité.

Nous voulions du "RAP" (responsabilité, autonomie et participation aux processus de décision dans  un  information loyale) pour chasser notre blues, et nous pleurerons comme des enfants ce que nous n'avons pas été capables de défendre comme des professionnels responsables.

Pour ceux qui ne sont pas encore déniaisés, voici l'antidote:
1. Regarder le diaporama d'introduction et visitez le site d'ubulogie clinique
2. Lire d'urgence l'hôpital en sursis
3. Lire ce formidable article sur les directions d'hôpital ++++
4. ET débrouillez vous pour trouver en complément indispensable cet article de Pierru pour expliquer certains des comportements médicaux de "chiens de garde" et de "trahison des clercs".
Frédéric Pierru - Le mandarinle gestionnaire et le consultant Le tournant néolibéral de la politique hospitalière. Actes de la recherche en sciences sociales 2012/4 (n° 194); 32-51



vendredi 7 décembre 2012

Dave Brubeck: unsquare music !


Dave Brubeck vient de mourir à 91 ans. Tout le monde connait Dave Brubeck, même sans le savoir. Il suffit d'écouter. En 1959 sort un album mythique, un des plus vendus et des plus connus de l'histoire du jazz:


Cet album comprend une série de tubes qui vont marquer l'histoire du jazz: Take FiveBlue Rondo a la TurkThree to Get Ready ...

Claude Nougaro reprendra le Blue Rondo dans "à bout de souffle" et Three to get ready dans "le jazz et la java"


Take five


La piano de Brubeck est servi par le son à nul autre pareil du saxophoniste Paul Demond le compositeur de "Take five", ce morceau à 5 temps sur lequel les débutants ont tant de mal à "chorusser".

Dave Brubeck n'était pas toujours très prisé par les snobs du jazz, notamment par Boris Vian pourtant un expert autoproclamé en snobisme. On peut pardonner cela à l'auteur du blues du dentiste. Dave était un pianiste d'une surprenante inventivité et un grand compositeur. Voici sous ce lien son interprétation d'un de ses thèmes devenu un standard du jazz "In your own sweet way"
suivi de l'interprétation de Keith Jarrett: "In your own sweet way", par Keith Jarrett.

Voici aussi Keith Jarrett, dans une remarquable interprétation, sur Late lament de Paul Desmond.

Le "Dave Brubeck quartet" gravera de nombreuses autres merveilles, dont un disque surprenant consacré aux thèmes de films de Walt Disney.

Voici heigh-ho, heigh-ho, on rentre du boulot!
(dans Blanche-Neige, pour les nuls!)


Un autre album sera consacré à West side story

Maria: merveilleux Paul Desmond


Un petit dernier: le célèbre "unsquare dance"



Quelques liens

Médiapart:
http://blogs.mediapart.fr/blog/jean-louis-legalery/071212/dave-brubeck-1920-2012

Time out Monsieur Brubeck
http://www.ledevoir.com/culture/musique/365723/time-out-monsieur-brubeck

Jazz et plus si affinités
https://sites.google.com/site/jazzetplussiaffinites/

dimanche 2 décembre 2012

La T2A, peut-être, mais pas à n'importe quel prix.


Iatrogénèse managériale et aveuglement collectif

"Les portes de la charité sont difficiles à ouvrir et dures à refermer." Proverbe chinois

Présentation - Les auteurs:  Bernard Granger - Frédéric Pierru


La sophistique managériale en action

"Je ne crois aux statistiques que lorsque je les ai falsifiées moi-même." Winston Churchill

D'après une dépêche APM du 30 novembre 2012, les conclusions de l'enquête menée pour la FHF par l'ancien Directeur de la Politique médicale de l'AP-HP, Jean-Yves Fagon, montreraient que "La mise en œuvre de la tarification à l'activité (T2A) n'aurait pas eu d'effets délétères sur la qualité des prises en charge". On sait que le FHF est très favorable à la T2A, parce que celle-ci a permis de renforcer le contrôle exercé par les "nouveaux patrons de l'hôpital" sur la profession médicale par l'intermédiaire des centres de coûts, les pôles. Il est vrai, à leur décharge, que ces nouveaux patrons sont aussi les nouveaux fusibles des "agences", à l'heure où les directions sont enjointes par la nouvelle chaîne de commandement des hôpitaux de faire tenir par tous les moyens les enveloppes dans le cadre contraint de l'Ondam. L'application actuelle de la T2A, sous une des formes les plus intégristes de la religion des pseudo-marchés et des incitations, associe ainsi un cost-killing irresponsable par des "restructurations" de plus en plus démédicalisées et déconnectées des besoins territoriaux, l'infantilisation managériale des soignants et l'explosion ubuesque du reporting de résultats aussi myopes qu'inutiles. Il faut bien sûr ds indicateurs mais construits sur une qualité qui a du sens pour les professionnels, pour les usagers et pour les payeurs, et pas seulement pour ces derniers. Mais hélas, il ne s'agit ici que de rationaliser le rationnement, selon les modèles de performance publique de l'OCDE et de la LOLF, en gardant la maîtrise du discours politico-médiatique. La construction de la réalité sanitaire et des inférences des disciplines qui la composent repose aujourd'hui sur la légitimité scientifique des grandes "orientations de santé publique". Qui peut être contre? Mais quels  niveaux de preuves, quel evidence based management, peuvent donc afficher ces grands programmes descendant de politiques publiques sans pilote, qui promettent plus qu'elles ne peuvent tenir. Tout se passe comme s'il s'agissait en fait d'une arène où les coalitions diverses se battent pour attirer les fonds. Aucune organisation humaine ne pourrait résister à une telle incurie bureaucratique, qui tente de se dissimuler derrière la vacuité de la propagande officielle et la multiplication des niveaux de la pyramide. Il a été abondamment dénoncé, notamment par Robert Holcman lui même directeur, que la seule variable d'ajustement qui reste est la qualité des soins et notamment par le biais des suppressions de postes permises par la dérégulation professionnelle. (son intervention au sénat en 2008).

Soulignons quelques passages de la dépêche APM reflétant la sophistique du salut par la T2A:
 "Le groupe a envoyé un questionnaire aux établissements de santé publics afin de mener une analyse "vue de l'intérieur" (une telle vision irénique de "l'auto-évaluation", cela ne s'invente pas NDLA) pour compléter les nombreuses évaluations plutôt financières déjà réalisées.

Il a conclu à une hausse du dynamisme des hôpitaux (cf. APM CBPKU002) et, sous réserve d'analyses plus précises, qu'il n'y avait pas eu d'effets négatifs sur la qualité des prises en charge, a rapporté Jean-Yves Fagon.

Il a écarté le risque d'un taux de réadmission plus élevé en se fondant sur des données allant de 2008 à 2010. "Toutes prises en charge confondues, il semble que le taux de réadmission dans les deux semaines suivant la première admission ait une légère tendance à la baisse entre 2008 et 2010", a-t-il montré."

Il est urgent de faire connaître aux usagers et aux élus que ces conclusions vont à rebours des constats quotidiens des cliniciens et des malades, même si à juste titre ils font encore confiance à leur hôpital. Elles témoignent d'un aveuglement coupable et prémédité de la part de nos gestionnaires. Leur persistance dans l'erreur la plus radicale est désarmante, à l'heure où les SSR, dans l'attente de leur propre modèle de tarification, voient s'effondrer la qualité des soins et le financement de la plupart de leurs prises en charges spécialisées et complexes sous la pression croissante des effets pervers d'une T2A en aigu non réellement régulée et d'une gouvernance hospitalière absurde.

Lost in management: quand l'hôpital se fout de la charité
(mais aussi de l'assistance)


La T2A peut peut-être être utilisée en l'absence de modèle parfait de financement des hôpitaux, mais en sortant de toute urgence de la politique de l'autruche liée à la fausse évaluation de la qualité. Le trio T2A sans limites, fausse qualité et gouvernance caporalisée, cette dernière déployant le cost killing le plus inapproprié à l’organisation soignantes assisté des millions d'euros inutilement dépensés pour les semi-habiles de l'ANAP, ne cesse d'effondrer la qualité des soins aux yeux des professionnels. Ils sont de plus en plus désenchantés et désespérés de ne plus rien pouvoir opposer à l’incurie en étant démunis de tout contre-pouvoir face à une iatrogenèse managériale toujours plus arrogante, sans doute parce toujours plus autoritairement dirigée d'en haut. Les cadres hospitaliers, médicaux ou non médicaux, ont aujourd'hui essentiellement pour fonction le contrôle de gestion et la rationalisation du rationnement aux yeux des agents alors que plus personne ne les croit.

« Tout le monde ment et tout le monde sait que tout le monde ment». «Tout est contrôlé et rien n'est sous contrôle. » La maladie du management de l'hôpital français, peut se lire selon Crozier, Dupuy, Pierru, Belorgey, Kervasdoué ou selon Mintzberg. C'est un grand corps malade avant tout de son management, lui-même dénaturé par sa régulation macro-économique. Voilà que se déploie une improbable gestion néo-taylorienne des plus simplistes de la santé par les "process", qui séparent toujours plus le cure et le care, la différenciation et l’intégration des soins, quand les malades sont de plus en plus chroniques et en nécessitent l'intrication de plus en plus étroite. Les malades ignorés par le système d'information induisent inévitablement une loi de Pareto où 20% des cas complexes induisent 80% des dysfonctionnements du système, à la fois en termes de qualité des soins et d'efficience. Les tuyaux d'orgue de la bureaucratie "brejnévienne" du siège de l'AP-HP multiplient l'aveuglement sur un sujet qui est souvent beaucoup mieux appréhendé dans des hôpitaux à taille humaine. Cela explique qu'un ancien directeur de la politique médicale puisse prolonger une vision aussi étriquée de la question dans un sens souhaité par la FHF.

Didier Castiel a bien montré la multiplication rapide des "sorties sauvages", c'est à dire organisées sans pérennité des systèmes de soins et d'aides, depuis la mise en place de la T2A en aigu. Cela est mis en évidence par la forte tendance à l'égalisation des durées de séjour entre malades "simples" et "complexes" à classification T2A égale. Les malades "complexes" sont définis par des éléments d'autonomie fonctionnelle, psycho-sociaux et environnementaux précis, éléments qui ne sont jamais captés par le système d'information. Les conséquences de ces sorties mal préparées, bien connues des cliniciens de ville comme des hospitaliers qui suivent les patients à long terme, sont catastrophiques notamment pour les maladies chroniques, les personnes âgées et handicapées. L'aveuglement des intégristes de la T2A sans garde-fous en France, en particulier de ceux qui se prétendent "solidaires" et défenseurs de l'hôpital public, tient essentiellement à cette dissimulation permanente que ne doit pas occulter les "gesticulations" cache-misère sur la seule "précarité", la participation très encadrée des usagers et l'accès à des droits qui restent purement formels. 

Voilà en quelque sorte comment "l'hôpital se fout de la charité" en se prétendant toujours le haut lieu de "l'assistance" républicaine censée s'y substituer. Le problème, dit la doxa gestionnaire, doit être externalisé vers les soins de ville et vers le secteur de l'action sociale sans que personne ne se soucie du réalisme de ces externalisations, ou encore vers les impayables "coordinateurs de filière" ou autres professionnels du nouveau « PRADO » et de SOPHIA. Les professionnels et les patients devraient bien se méfier "du nouveau visage de la sécu" tant il témoigne d'une vision déformée et idéologique du comportements des acteurs. Ces nouveaux professionnels, ces incitateurs plus ou moins coercitifs à la coopération imaginés par les actuaires et statisticiens de la "sécu", viendraient des agences pour nous aider à orienter les patients, ce qui nous ne sommes pas censés savoir-faire, après il est vrai nous en avoir supprimé de plus en plus les moyens pour mieux nous reprocher de ne pas savoir le faire! De qui se moque-t-on? Il est aisé alors d'accuser l'hôpital d'un centrage trop bio-médico-technique pas assez "holistique" comme le martèle l'antienne de formation des cadres hospitaliers. Les pompiers pyromanes du système de soins sont en train de nous bâtir à grande vitesse un système de régulation soviétique qui va totalement à rebours des objectifs affichés (Kervasdoué).

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Parcours de soins, SSR et vision urgento-centrée des filières


Les SSR sont donc aujourd'hui restructurés principalement du fait du poids écrasant sur l'aigu des malades pour lesquelles ces sorties "à la hussarde", liées à la l’impossibilité croissante d'assembler les savoir-faire de coordination médico-sociale précoce que l'hôpital a pensé à tort pouvoir externaliser, restent humainement et/ou juridiquement impossibles. Les sorties et orientations en SSR sont de fait de plus en plus dépendantes de l'autorité des directeurs financiers, par devers les médecins et travailleurs sociaux, qui n'ont plus guère la main, surtout que de nouveaux logiciels permettent d'imposer les malades en repérant les places disponibles en aval, sans toutefois s'appuyer sur une classification robuste d'orientation des patients en fonction de leurs besoins. La fluidité prend donc inévitablement  le pas sur la pertinence des orientations et des soins, avec pertes de chances et dysfonctionnements en cascades.

Quoiqu'en disent les agences, l'asymétrie d'information qui permet la sélection des malades rentables par le privé est incontrôlable, même par les nouveaux "machins" logiciels type Trajectoire, du fait du PMSI lui-même, la seule classification des patients aujourd'hui vraiment "utilisable". Hélas, construite sur le modèle de "l'usine à soins" elle reste donc aveugle aux déterminants non purement médicaux des séjours longs (Castiel, Escaffre, Odier, Devailly, Josse...)

Cet effondrement des SSR, confrontés à l'abîme créé par les dispositifs législatifs et réglementaires successifs entre sanitaire et médico-social, personne ne veut le voir. Pourtant, les gaps et étapes limitantes critiques qu’il induit, les transforme de plus en plus en une nouvelle "défectologie" qu’on croyait pourtant définitivement disparue, avec des lits de « médico-social » déguisés. Cette double fonction de soins spécifiques et d'hébergement avec poursuite de soins en attente d'insertion sociale n'est pas étrangère à l’impasse actuelle du futur modèle de T2A en SSR. Il se produit sous l'action conjuguée:

1. De l'asservissement mont-aval en filières poussées des urgences (ou "filières inversées" selon la production de l'amont dans une vision urgento-centrée) par segmentation des séjours. 

2. Exclusion concomitante dans le nouveau modèle SSR des compétences médicale spécifiques du champ en 2008, favorisée à l'époque par la FHF déjà sous la contrainte de l'asphyxie de l'aigu,

3. Captation de la DAF SSR de façon totalement opaque par les directions comme variable d'ajustement de l'aigu, régulation tout aussi opaque par les ARS

4. Dérégulation folle des ratios, voir les "ratios SSR" de l'AP-HP!

Bien entendu l’explosion de venues aux urgences par effondrement de soins de premier recours et le fait que l’hôpital soit souvent devenu le généraliste des pauvres (Kervasdoué) et plus largement des personnes en perte d’autonomie est la première leçon à tirer pour ne plus concevoir des parcours de soins et la pertinence des soins selon un modèle linéaire commençant aux urgences.

Toute personne qui s’intéresse un peu au financement des hôpitaux et qui n'est pas un adversaire absolu d'une T2A qu'on pourrait toujours imaginer comme plus "intelligente", sait les risque d'une T2A à 100%, sous enveloppe fermée et sans aucun garde-fou étaient déjà parfaitement connus dans la littérature internationale avant l'implantation en France

De plus, la fracture socio-sanitaire entre "déconcentration" des soins relevant de l'Assurance-Maladie et "décentralisation" du secteur de l'action sociale interdit par construction au système français d'analyser convenablement les déterminants de l'hospitalisation pour cause de guerre permanente et bureaucratiquement induite à la fois entre enveloppes financières, entre institutions mises en concurrence et entre prérogatives des services déconcentrés et des collectivités locales (personnes âgées et handicap) . Ce point clé du rapport Larcher n'est évidemment pas réglé par les ARS.

La T2A ainsi dérégulée, démédicalisée et sous Ondam fermée est en l'état actuel une machine à détruire l'hôpital public. Elle met en péril un système de soins accessibles et solidaires


Le dernier livre de Bernard Granger et Frédéric Pierru (l'hôpital en sursis") montre parfaitement comment et pourquoi quelques intégristes de la ré-ingénierie de la santé, nommés les "réformateurs", ont inventé la T2A la plus bête du monde et aussi la plus "dérégulée" en terme de conditions techniques de fonctionnement, ceci bien entendu dans l’idolâtrie béate de la puissance de restructuration qu'on lui suppose.

Cela a conduit très directement à l'exclusion des médecins de la gestion (au nom de la "résistance au changement") et à la fausse autonomie des "pôles". Ceux-ci sont considérés comme "centres de coût" dans une perspective essentiellement comptable, excluant tout management médical au sens noble du terme, avec l'objectif de casser les services comme collectifs de soins, et non comme des "centres de résultats". Ceux-ci auraient eu une véritable délégation de gestion, peut-être réellement utile, hors les pôles PIM PAM POUM montés de force dans une logique militaire et sans aucune cohérence médicale. Cette acception du pôle aurait été tout de même plus cohérente au moins avec les effets bénéfiques attendus d'un modèle de concurrence par comparaison. Qui peut être contre une comparaison intelligente et stimulante dès lors qu’elle est maniée par des professionnels qui en connaissent les limites?

Voici que quelques apparatchiks acquis à l'idéologie des semi-habiles de « l'éthiconomie » réformatrice nous accablent à nouveau de leur naïveté gestionnaire. Ubuesque cécité et iatrogenèse managériale assurée.

De trop nombreux collègues, brillantissimes dans leurs spécialités, croient avoir une vision d'ensemble, par ignorance de ce qu'ils ne voient pas. Ils ne comprendront pas, face aux alternatives illusoires par lesquelles gestionnaires savent trop bien les piéger, entre la peste et le choléra, que si l’on veut faire entrer les déterminants de l'hospitalisation dans les catégories purement médicales du modèle de Fetter (DRG) et de notre PMSI français, on ne peut sortir que du grand chapeau des data ce qu'on y a mis. Signalons que le PMSI-SSR, modèle exclusivement français, très critiqué à l’étranger pour son incohérence, est une usine à gaz bien pire que le PMSI de l'aigu. Mais le paquebot est bien lancé sur son erre, comme sans doute le système de la psychiatrie. "Hôpital Titanic"?
Comme dit Einstein, ceux qui ont créé les problèmes ne peuvent pas les résoudre, et, pire il y a irréversibilité de certaines configurations de pouvoirs gestionnaires et d’agence sans pilotes que ces problèmes ont créé.
Ces heuristiques de disponibilité et leurs boucles auto-référentielles "bien huilées" dans l'arrogance de leur cohérence interne ne peuvent produire que des pertes de chances en terme "d'outcome". Celles-ci ne sont bien entendu pas évaluées quand notre système "qualité" se contente de misérables indicateurs de processus et de quelques de résultats myopes de "sortie de système" (output). Il faut croire que selon nos grands ingénieurs de la réforme, une véritable mesure de résultats selon les cliniciens limiterait trop la puissance des systèmes de paiement, de même qu'une approche de la performance en terme d'état d'esprit au travail*.

Zeynep Or est beaucoup plus critique que les conclusions de l'enquête qui semble ignorer la littérature française et internatinale sur le sujet.

"Zeynep Or, directrice de recherche à l'Institut de recherche et de documentation en économie de la santé (Irdes), a par ailleurs fait part de son analyse de la littérature sur l'impact de la T2A sur la qualité aux Etats-Unis et en Europe et déploré qu'il n'y ait toujours pas d'étude d'impact en France.

En se fondant sur des données de la période 2002-09, elle a relevé une baisse de la durée moyenne de séjour et une tendance à l'augmentation des réadmissions à 30 jours pour plusieurs pathologies, contrairement à ce qui ressort globalement de l'étude de la FHF à deux semaines entre 2008 et 2010."

Les taux de réadmissions des malades, un des garde-fous les plus évidents hors du monde des "bisounours" ne sont qu'un des multiples moyens de mesurer l'impact des sorties sauvages et de penser une T2A qui pourrait être à visage humain. En dehors de ces réadmissions, personne ne mesure non plus l'impact désastreux en terme d'outcome d'une sortie mal préparée qu'il s'agisse de soins au domicile ou de réinsertion dans une structure médico-sociale. Zeynep Or est une spécialiste de la T2A, mais comme tous les "experts" elle se doit de pratiquer ce que Bourdieu nomme "la transgression contrôlée". Comme un cardinal peut s'autoriser à rire d'un bon mot contre l'église, l'expert sait critiquer un modèle pour mieux le faire adopter à la demande de l'establishment qui l'emploie. Si brillants soient-ils, ces experts ne sont jamais réellement indépendants. Retenons toutefois du message de Zeynep Or que continuer en France avec un tout T2A sans aucune étude d'impact réel serait la porte ouverte à une chute catastrophique de l'accessibilité et de la qualité des soins.

Petit rappel élémentaire des effets pervers d'un T2A trop dérégulée (Robert Holcman citant les fondamentaux de la littérature internationale)
  • Déformation du case-mix par amélioration du codage (gain en exhaustivité) ou par surcodage (pratiques déviantes)
  • Segmentation des séjours
  • Réduction des durées de séjour, sortie précoce des patients vers le domicile, transfert rapide vers l’aval (SSR, RF, HAD)
  • Sélection des patients pour écarter les cas les plus lourds
  • Sur-fourniture ou sous-fourniture de soins
Source : RobertHolcman: la tarification dans les établissements de santé

Reprenons notre place de professionnels dans la gestion du système de santé. Le modèle du jacobinisme par comparaison d’indicateurs a montré son inefficacité dramatique.

La T2A, pourquoi pas, en considérant pour chaque activité la durée adéquate de "l'unité de paiement", l'acte parfois, la journée pondérée par les ressources consommées ou le séjour (choix difficile en SSR pour les raison évoquées plus haut et psychiatrie, deux secteurs qui sont très hétérogènes), un épisode de soins plus long peut-être, mais qui gérerait alors l'enveloppe forfaitaire, le gate-keeping et le case management échappant alors aux cliniciens opérationnels ? Les assurances privées? Quelles preuves dans la littérature de ce managed care et de ces bundled payments par épisodes de soins qui protègent avant tout les payeurs, quand on voit que les Américains sont parfois soignés par tirage au sort par des médecins bénévoles et que les Pays Bas ont sorti la réadaptation de la base des soins remboursés?

Dans le cadre contraint de la tarification actuelle par paiements prospectifs et du "modèle de production" de l’hôpital imaginé par Robert Fetter, c'est la typologie des problèmes cliniques et des profils de patients pris en charge du point de vue des médecins qui doit guider le choix de l'unité de paiement pertinente pour les groupes iso-coûts. Ceci se conçoit en termes de la prévisibilité que l’on peut avoir ou non de la consommation de ressources dans le cadre de programmes cliniques qui dépendent dans leur définition des compétences médicales qui les organisent. D'où l'impossibilité radicale d'exclure les médecins cliniciens et leurs disciplines d'un modèle d'ingénierie scientifique du travail de soins. Même le modèle de Fetter recherche au moins en principe la congruence des logique médicales et gestionnaires et non des groupes homogènes purement gestionnaires construit sur des échelles de coûts mélangeant des prunes et des mirabelles comme en SSR, sans logiques cliniques, bannies a priori parce que d’emblée jugées inutiles et corporatistes. La France est bien capable de faire pire que la Rand Corporation qui a conçu la yardstick competition.

L'invisibilité du travail réel


Le travail de soins n'a de sens pour les professionnels qu'en fonction de l'intérêt individuel du patient et du résultat à long terme de leurs intervention. Nous avons évoqué le besoin de garde-fous aux sorties sauvages potentiellement induites par la T2A, mais il faut aussi se soucier des pertes de chance liées  aux malades en perte d'autonomie qu'on ne sort plus des lits faute d'aides soignants dans nos établissements, à l'oubli stupéfiant des savoirs soignants par la désorganisation tragique des équipes de soins. La flexibilité, la mutualisation et la polyvalence sont souvent utiles pour peu qu'on ne détruise pas les compétences clés. Mais elles sont déployées ici dans une vision industrielle simpliste qui fait fi de tous les coeurs de compétences, ceux qui différencient les savoirs collectifs construit entre "praticiens réflexifs". Ces compétences collectives construites en équipes sont autant d'avantages compétitifs aujourd'hui en perdition. Au lieu d'intégrer ces savoirs professionnels précieux, mais ignorés par nos nouveaux bureaux des méthodes, car au moins à 80 % implicites, on dé-professionnalise à outrance tout ce qui ne peut être formulé sous forme de procédures mécaniques et explicites. Les dégâts de ce pauvre management sont incalculables. Ainsi en est-il entre autres domaines de tout ce qui concerne la prévention des complications de l'alitement prolongé. Où trouve t-on encore des arceaux de pied de lit, des malades paralysés qui ont les pieds calés à angle droit ne serait-ce que par un traversin, des sondes urinaires fixées dans les règles enseignées aux infirmières, qui n’entraînent pas de tractions délétères sur l’urètre à la moindre fausse manœuvre  Où peut encore être organisée la lutte systématique contre la perte d'autonomie de malades quand la sortie quotidienne de leur lits est primordiale? Que dire de la lutte contre les rétractions musculaires, si handicapantes, par les mobilisations qui s'imposent alors que le méthodes de lissage des ressources humaines par suppression des postes vacants suppriment les postes de masseurs-kinésithérapeutes des établissements?

Effectifs suffisants dans des équipes stables, formées et motivées = vies sauvées et handicap évité.

Et que dire des malades peu habiles pour se mouvoir dans un système de soins de plus en plus hostile dès qu'il y a une anicroche, que personne n'accompagne plus quand ils sont perdu dans une jungle socio-sanitaire inextricable. "C'est pas moi c'est l'autre dit l'hôpital public". Entendre "cela ne dépend pas de mon enveloppe financière". Voilà comment se délite la médecine à visage humain quand on abandonne toute régulation professionnelle. Qui s'en soucie dans le court-termisme ambiant? Les cancérologues d'Avicenne savent qu'il faut souvent hospitaliser pour bilan certains malades qui, sans cela, ne pourraient gérer seuls leur parcours de soins ni bénéficier des examens et traitements  nécessaires. Voilà qui n'est pas pris en compte quand on regarde le monde de trop haut. La carte n'est pas le territoire.

Loi de Goodhart: "Toute mesure qui devient un objectif n'est plus un mesure"

Il est plus que temps, pour nous autres médecins, non de "s'indigner" mais de "'s'ingérer" dans cette gestion délétère, pour que l'organisation des soins reprenne une direction qui ait un sens.

*Pour Anderson (2004), la performance est le produit des compétences par l'état d'esprit au travail. Modèle beaucoup plus efficace pour gérer le "changement" dans les entreprises


"Il y a trois sortes de mensonges, le mensonge, le sacré mensonge et les statistiques."
Benjamin Disraeli cité par Mark Twain.