samedi 23 mai 2020

"Le jour d'après": pour un système de santé plus inclusif grace à la protection sociale universelle et à l'autonomie des soignants


"Il y a plusieurs modèles de rémunération des médecins; certains sont bons et d'autres mauvais. Les trois pires sont le paiement à l'acte, la capitation et le salaire."
James C. Robinson 

L’hôpital, le jour d’après. André Grimaldi & Frédéric Pierru

André Grimaldi : "Il est temps de s'apercevoir que la santé doit échapper à la loi du marché !"

Frédéric Pierru : "Dans l'après-Covid, on jugera la gestion de l'hôpital comme une vraie folie"



Je partage à 99% les analyses de Frédéric Pierru et celles d'André Grimaldi. Je ne manque pas de les diffuser tant elles me semblent éclairantes. Toutefois, je me dois de discuter certaines affirmations relatives au secteur libéral, à la fois par conviction profonde et par responsabilité pour les collègues que je représente. Bien résolu donc à diffuser Pierru, il faut bien que je commente cette affirmation de son interview par Julien Collinet:
"La médecine libérale a profité d’un incroyable laxisme de la part des pouvoirs publics. Je pense notamment à la liberté de fixer le montant des honoraires ou d’avoir la certitude d’être pris en charge par la Sécurité sociale quel que soit son lieu d’installation." ITW de Pierru.

La liberté tarifaire est un des sept principes de la charte de la médecine de 1927 qui a perdu toute effectivité en 2020. 
Rappelons que cette charte professionnelle, loin de faire l'apologie du libéralisme économique, s'est construite à la fois contre l'emprise du marché et l'emprise des assurances sociales. Il s'agissait de définir l'autonomie nécessaire d'une profession à pratiques prudentielles, qui applique des savoirs abstraits à des cas concrets. La question de l'autonomie des médecins, plus largement des cliniciens, est tout aussi fondamentale sinon encore davantage à l'hôpital. Mais leur représentation est faible, parcellaire, divisée, morcelée entre syndicats, sociétés savantes, ordres, conseils nationaux professionnels.
Machiavel régulateur sait admirablement jouer de cette division dans sa stratégie d'ajustement.
Un des plus grands défauts de notre système de santé, c'est qu'on réduit les syndicats professionnels français au rôle de gestionnaire de conflit à chaque projet de loi préparé sans eux, bien loin d'une participation permanente aux processus de construction de l'action publique. 

L'enlisement du secteur 1 est organisé par les politiques de droite comme de gauche depuis des décennies. Les inégalités d'accès aux soins ont été crées par les pompiers pyromanes. Ils les dénoncent au nom de la solidarité alors qu’ils ont soigneusement organisé le rationnement inégal des soins par la compression budgétaire au mépris du bien commun, les déserts médicaux et paramédicaux, la désintégration des liens entre soins et action sociale, à rebours des objectifs affichés lors de la création des ARS. 

Depuis l'importation des méthodes de gestion des entreprises privées dans le secteur de la santé, et pas les meilleures si l'on en croit François Dupuy ("Lost in management - La faillite de la pensée managériale"), les professionnels salariés sont soumis à des incitations économiques aussi perverses que celles qu'on attribue au secteur libéral. C'est particulièrement frappant depuis que la T2A, utilisée dans la logique économique de l'agence, les a transformé en "agent double", celui du directeur soumis à des impératifs de résultats et celui du patient qui lui a fait confiance. Cette logique est celle du "pseudo-marché administré" qui désespère soignants et directeurs par l'effroyable synergie négative conjuguant défaillances du marché et défaillances de la bureaucratie.

Ainsi que le disent très justement Frédéric Pierru et André Grimaldi à propos de la T2A , les différents mode de rémunération des soins ou des médecins, le paiement à l'acte, la dotation historique, le paiement à l'épisode, la capitation ne peuvent être considérés dans leurs avantages et inconvénients qu'au regard de la fermeture des budgets, mais tout autant au regard de leur usage dans les mécanismes de régulation des dépenses de santé.

La prétendue gestion de la performance publique en santé repose sur la compression budgétaire et comptable déguisée en gestion par objectifs abstraits et par des résultats à courte vue, insignifiants pour les acteurs. Il faut changer le mode de pilotage de la performance. Le juste soin doit venir d'abord et les modes de financement au juste coût viennent ensuite, sans qu'il existe de modèle unique, sans idolâtrie pour le paiement à l'épisode ou à la capitation simplement parce qu'on ne les a pas encore essayés en France!

En secteur libéral, le paiement à l'acte est sans doute préférable en période de pénurie de médecins et la capitation en période de pléthore. le P4P n'a jamais fait ses preuves.

C'est donc avant tout le modèle de performance publique, avant celui de la rémunération des soins et des praticiens qui doit être remis en question, comme politique de compression budgétaire et de rationnement alors qu'il devrait faire la promotion de la santé comme bien commun. L'économie de la santé est au volant de notre système de santé et c'est une économie du rationnement (Kervasdoué) qui sert à le rationaliser. Selon les prescriptions de Keynes, on devrait remettre l'économie de la santé sur la banquette arrière.

Cela suppose une économie du bien commun,  le décloisonnement ville-hôpital, pour une coopération entre professionnels non empêchée par les incitatifs destructeurs des valeurs du soin, pour des programmes de soins mieux coordonnés, pour des parcours de santé mieux intégrés dans une société plus inclusive. 

Courte bibliographie sur la charte médicale de 1927 et la défense de la médecine libérale


Les syndicats de médecins contre l’organisation de la protection sociale, tout contre. Marc Brémond

La défense de la médecine libérale Patrick HASSENTEUFEL

Le corps médical français face au développement des assurances sociales dans l'entre-deux-guerres Étude des archives syndicales de la CSMF de 1919 à 1930

1 commentaire:

  1. Bonjour,
    Votre billet me laisse perplexe.
    Vous illustrez à merveille le carré de White.
    Vous êtes à 99 % d'accord avec des auteurs qui parlent du 1 % du carré de White.
    Rationaliser le système de santé signifie repenser les soins dans une perspective qui n'est pas celle du zéro défaut ou de l'immortalité.
    Les hospitaliers comme Grimaldi pensent que la médecine peut venir à bout de tout. Ils se trompent. Et ils croient surtout que l'hôpital est seul capable de le faire. Ils se trompent.
    Quant aux libéraux, je parle des MG, on pourrait leur appliquer le carré de White sur les soins communs.
    La structure médico-industrielle (je n'ai pas dit le complexe pour ne pas fâcher) a besoin de "tout" médicaliser pour vendre et pour garder ses privilèges... L'économie de la santé n'est pas une économie de rationnement, c'est une économie ouverte en expansion, si on inclut le médico-social, avec des poches de rationnement.
    Vous savez combien j'apprécie votre blog et combien cette discussion devrait se poursuivre.
    Bien à vous.

    RépondreSupprimer