"La gouvernementalité désigne l'activité qui permet de gouverner par la liberté, de manière à ce que les individus "en viennent à se conformer d'eux-mêmes à certaines normes" Michel Foucault
Que l'on lise le rapport de la Cour des Comptes sur la situation des finances publiques , ou que l'on écoute les "chiens de garde" politico-médiatiques qui veulent nous faire passer d'un modèle solidaire de protection sociale à un modèle de "vente de soins et de services" dans l'objectif de mieux nous soumettre aux règles de la concurrence européenne, l'hôpital est un nid de feignants, de sous-efficience mécaniquement dysorganisée, par le pouvoir médical, par l'incompétence de directeurs encore insuffisamment soumis aux agences, par l'inconséquence des patients gaspilleurs et des élus locaux avides d'hôpitaux inutiles ...
Le discours est bien huilé. Il apporte un soutien indéfectible aux programmes d'ajustement structurels. Mais la vérité est que la réduction des dépenses publiques qui dépend de l'Etat ne peut aisément taper que sur les fonctionnaires qui dépendent de l'Etat et non sur les collectivités locales. L'hôpital, exsangue et désespéré de passer de réforme non évaluée en réforme non évaluée, est donc toujours une cible de choix pour le rationnement, la réduction des masses salariales, les restructurations à la serpe et la réorganisation low cost par des MBA qu'on a le plus possible éloignés du soin. Ils ont parfaitement appris d'ailleurs à ne jamais répondre à nos courriers. Haro!
"Chiens de garde" et matons de Panurge - La stratégie des insiders et le mystère du mutisme des outsiders.
Télés, presse et radios, asservies au modèle du marché efficient en santé et aux promoteurs du "parcours intégré" comme idéologie armée des assurances privées, ne cessent de laisser entendre qu'il y a trop de gras à l'hôpital. Des cabinet d'audit sont d'ailleurs très grassement rémunérés pour démontrer ce résultat attendu au détriment du financement de postes soignants. L'imposture, scientifique ou non, ne gêne plus personne en la matière. De même il n'y aurait en France que surconsommation de soins (overuse) mais jamais de sous consommation (underuse) à rebours des constats quotidiens des soignants. Mais qui les écoute encore quand les experts et les Big Data disent les "besoins de soins"?
Prenons garde que le concept de médecine intégrée d'André Grimaldi, personne ne peut évidemment être contre face aux nouveaux besoins de soins et au constat des parcours cloisonnés, ne devienne le prétexte d'une intégration verticale de l'offre par les business models, comme c'est le cas avec les verticalités de groupes. Les trusts de survie aux pseudo-marchés de la T2A du type des méga-Groupes Hospitaliers de l'AP-HP, dotés de surcroît de pôles monstrueux multi-sites et ingérables, en sont l'exemple le plus ubuesque. Ils asservissent leur aval en "flux poussés" et restrictions internes de filières , souvent à rebours complet des besoins territoriaux, notamment en SSR. Ces "trusts", dérives non régulées voire encouragées par les tutelles seraient le début d'une intégration par les agences qui prétexteront les parcours chaotiques et la non-qualité ainsi induits pour les patients par ces filières industrielles inversées. Toutes ces errances préludent à l'objectif final d'intégration par les payeurs dont chacun peut constater que ce ne sera plus un "payeur unique" de type "sécurité sociale". Rendons encore hommage à Grimaldi, Granger et Pierru entre autres qui font partie des trop rares dénonciateurs de cette incroyable trahison des politiques publiques. Bébéar (AXA et Institut Montaigne) et les lobbys des assurances déguisées en mutuelles, les think tank de santé en faveur de la marchandisation des soins de santé come l'IFRAP et le MEDEF sont en train de gagner!
Intégration, parcours, filières, réseaux, coordination, complexité, qualité, risques, production, efficience, performance, sont des mots sérieux, mais aussi des mots "valise", de simples outils qu'il faut définir, en analysant quelles coalitions les manipulent et pour créer quelles enceintes mentales.
"Bientraitance", "démocratie sanitaire" (c'est l'an II !), "holistique" et autres variantes de la "globalité" sont évidemment des mots "terroristes", de la pure "novlangue" au service d'appareils idéologiques de santé. Ils ne servent qu'à la propagande néo-managériale destinée à mettre au pas les soignants en les divisant. Selon le "schéma tensif" des sémiologues, les "insiders" sont toujours trop "bio-médico-techniques", le modèle imposé de production de la "machine à guérir" les poussant vers un fonctionnement trop exclusivement cure. Les "outsiders" sont eux toujours plus "holistiques", entendre plus "intégrateurs". Ils se présentent toujours comme à la fois cure et care même si le cure laisse alors trop souvent à désirer par les cloisonnements induits. Ce schéma tensif existe entre spécialités médicales et bien sûr aussi entre managers, médecins, paramédicaux travailleurs sociaux, système sanitaire et médico-social, séparant Français de l'Etat et Français du département...
Maintenant que nous constatons l'échec cuisant de la loi HPST, pour certains trop soviétique, pour d'autres ultralibérale, mais les deux, en fait, dès lors que l'on a compris la "déconcentralisation" inhérente au modèle du NMP, pensons à ce que le rapport Larcher nommait "fragmentation culturelle", s'ajoutant à la fragmentation institutionnelle et financière entre soins et social.
Des preuves?
Ecoutez le "C dans l'air" : des trous dans les comptes de l'Etat - Haro!
Ecoutez aussi "le téléphone sonne": toutes les facettes de l'AP-HP - Haro!
Dans cette dernière émission, voici qu'hélas, alors que le Directeur Général venait de contredire un auditeur curieusement choisi et donnant la vision la plus caricaturale qui soit d'une réadaptation hospitalière pourtant en voie de destruction systématique - toutes disciplines et métiers concernés, je ne parle pas que de ma seule spécialité de MPR - le président de la CME de l'AP-HP lui a donné raison. Pris d'un accès de zèle éthiconomique il appelle à "faire des analyses d’organisation lucides et honnêtes et remettre les gens en répartition équitable de travail". En réalité, le "truc" cache-misère des incroyables satrapes du siège de l'AP-HP, c'est de réduire toute stratégie de réadaptation aux concepts ultra-réducteurs du "polyhandicap" et du "multihandicap" (dernière trouvaille idéologique) , de même qu'on réduit par ailleurs toute complexité des cas et déterminants de l'hospitalisation à la seule "précarité", ce qui permet une politique de filet de sécurité en pied de coupe à champagne. Je vous ai déjà fait le schéma ci-dessous. C'est André Grimaldi qui avait attiré notre attention sur cette métaphore critique de politiques de santé conduisant à la destruction de la solidarité et à l'explosion des inégalités face aux soins de santé. Est-ce ce que nous voulons?
Nos présidents de CME parleront-ils bientôt comme Pauline Joncas-Pelletier ("Les Invasions barbares"). C'est hélas déjà si souvent le cas de nos directeurs.
Nos présidents de CME parleront-ils bientôt comme Pauline Joncas-Pelletier ("Les Invasions barbares"). C'est hélas déjà si souvent le cas de nos directeurs.
Pierru nous enseigne pourquoi les insiders médicaux suivent aujourd'hui comme un seul homme le modèle de l'usine à soins normalisée par l'EBM, la comptabilité à l'activité, la fausse qualité et aujourd'hui la "bientraitance". Mais les outsiders qui devraient se révolter au nom de l'humanisme médical et leur dépossession de toute participation aux processus de décision et d'information qui les concernent, pourquoi suivent-ils?
Si Gramsci donne la réponse à Marx, Nicolas Belorgey donne aussi des réponses dans "l'hôpital sous pression, enquête sur le Nouveau Management Public", complémentaires de celles de Pierru.
La lecture conjointe des deux sociologues est indispensable pour comprendre comment le niveau de "l'activité de soin", aujourd'hui reconstruit artificiellement sur des modèles comptables, est écrasé entre la médecine gestionnaire/ normalisée dans laquelle les insiders reconfigurent leur pouvoir, et des outsiders médecins et cadres dont la stratégie est de soutenir les réformes managériales. Au milieu, c'est la figure du médecin en organisateur de soins qui disparaît du fait de la dissociation entre conception normalisée et exécution procédurière inhérente au modèle du NMP.
Comment réduire les budgets sans en avoir l'air… au détriment des patients et de la Sécu (Blog de Nicolas Belorgey)
Je ne reviens pas ici sur l'asphyxie programmée des effectifs soignants de l'AP-HP par l'intermédiaire de la chaîne [contrôle de gestion - DRH - hiérarchie soignante]. Cette dernière a été dissociée à dessin en 1991 de l'organisation médicale. Je ne reviens pas non plus sur le malaise croissant des cadres, surtout "de pôles" sommés de mentir au médecins et de promouvoir les plans de fausse efficience et les ratios indigents de la hiérarchie, descendant du siège, sous peine de voir leur carrière brisée. Nous avons déjà dit tout cela, nous avons insisté sur les exemples étrangers canadiens, américains, anglais, d'ailleurs, qui montrent qu'on va droit dans le mur, toujours en vain.
On ne donne pas à boire à un âne avant qu'il n'ait soif. Et les ânes français qui font la ré-ingénierie du système de santé se piquent de savoir mieux concevoir la médecine que les médecins. Mais qu'est-ce que le savoir?
N'est-il que déclaratif, accessible aux savants-philosophes de Platon qui doivent gouverner la cité, ou est-il plus largement non déclaratif et relié à l'action sur le mode des pratiques prudentielles d'Aristote s'agissant en particulier de la santé?
Pauvre hôpital public!
Pauvre hôpital public!
"Entre l'opinion et la connaissance scientifique on peut reconnaître l'existence d'un niveau particulier qu'on propose d'appeler celui du savoir (...); il comporte (...) des règles qui lui appartiennent en propre." Michel Foucault.
Adaptation d'un modèle anglais de cercle vicieux:
Brève webographie
La Cour des comptes préconise de s'attaquer à l'hôpital
Comment réduire les budgets sans en avoir l'air… au détriment des patients et de la Sécu (Blog de Nicolas Belorgey)
LE MANDARIN, LE GESTIONNAIRE ET LE CONSULTANT (Frédéric Pierru)
Le tournant néolibéral de la politique hospitalière Frédéric Pierru - Le Seuil | Actes de la recherche en sciences sociales 2012/4 - n° 194 pages 32 à 51
Frédéric Pierru - Réforme du financement de la santé: la raison politique prime sur la raison économique
La réforme du système de santé vise avant tout à préserver des équilibres politiques qui s'inscrivent dans la longue durée
Santé : "La protection est d’autant moins coûteuse qu’elle est universelle" Didier Tabuteau sur lemonde.fr
La privatisation rampante du système de santé. 2013 (André Grimaldi)
Les réseaux de soins mutualistes en débat. André Grimaldi
Solidarité ou business: lettre ouverte au mouvement mutualiste. André Grimaldi et Frédéric Pierru
Pour le Pr Granger, mutuelles et assurances sont « dangereuses pour la santé »
Une santé moins solidaire. Didier Tabuteau (la politique du salami)
La réforme de l’Etat contre la démocratie locale L’exemple de la « déconcentralisation » de la politique de santé Frédéric Pierru Paru dans Savoir/Agir, n° 11, 2010
L’humain face à la standardisation du soin médical par Élie Azria , le 26 juin 2012
Philippe Svandra. LE SOIN EST-IL SOLUBLE DANS LA BIENTRAITANCE ? Gérontologie et société 2010/2 (n°133)
"Comment être contre la bientraitance ! Pourtant, de la même manière que l’enfer est pavé de bonnes intentions, la bientraitance, sous prétexte de lutter contre la maltraitance, peut nous entraîner vers une normalisation excessive de la relation de soin. La vigilance est donc, ici comme ailleurs, salutaire."Faut-il avoir peur de la bientraitance ? Retour sur une notion ambiguë. Philippe Svandra et al.
"Cherchant à dépasser les discours convenus, les auteurs de cet ouvrage proposent une analyse critique de la bientraitance qui éclaire le lecteur sur les enjeux éthiques et les conséquences pratiques de la diffusion de cette notion ambiguë."
Esculape vous tienne en joie