samedi 21 juin 2014

Haro sur l'hôpital public! La Cour des comptes préconise de s'attaquer à l'hôpital

"La gouvernementalité désigne l'activité qui permet de gouverner par la liberté, de manière à ce que les individus "en viennent à se conformer d'eux-mêmes à certaines normes" Michel Foucault


Que l'on lise le rapport de la Cour des Comptes sur la situation des finances publiques , ou que l'on écoute les "chiens de garde" politico-médiatiques qui veulent nous faire passer d'un modèle solidaire de protection sociale à un modèle de "vente de soins et de services" dans l'objectif de mieux nous soumettre aux règles de la concurrence européenne, l'hôpital est un nid de feignants, de sous-efficience mécaniquement dysorganisée, par le pouvoir médical, par l'incompétence de directeurs encore insuffisamment soumis aux agences, par l'inconséquence des patients gaspilleurs et des élus locaux avides d'hôpitaux inutiles ...

Le discours est bien huilé. Il apporte un soutien indéfectible aux programmes d'ajustement structurels. Mais la vérité est que la réduction des dépenses publiques qui dépend de l'Etat ne peut aisément taper que sur les fonctionnaires qui dépendent de l'Etat et non sur les collectivités locales. L'hôpital, exsangue et désespéré de passer de réforme non évaluée en réforme non évaluée, est donc toujours une cible de choix pour le rationnement, la réduction des masses salariales, les restructurations à la serpe et la réorganisation low cost par des MBA qu'on a le plus possible éloignés du soin. Ils ont parfaitement appris d'ailleurs à ne jamais répondre à nos courriers. Haro!

"Chiens de garde" et matons de Panurge - La stratégie des insiders et le mystère du mutisme des outsiders.


Télés, presse et radios, asservies au modèle du marché efficient en santé et aux promoteurs du "parcours intégré" comme idéologie armée des assurances privées, ne cessent de laisser entendre qu'il y a trop de gras à l'hôpital. Des cabinet d'audit sont d'ailleurs très grassement rémunérés pour démontrer ce résultat attendu au détriment du financement de postes soignants. L'imposture, scientifique ou non, ne gêne plus personne en la matière. De même il n'y aurait en France que surconsommation de soins (overuse) mais jamais de sous consommation (underuse) à rebours des constats quotidiens des soignants. Mais qui les écoute encore quand les experts et les Big Data disent les "besoins de soins"?

Prenons garde que le concept de médecine intégrée d'André Grimaldi, personne ne peut évidemment être contre face aux nouveaux besoins de soins et au constat des parcours cloisonnés, ne devienne le prétexte d'une intégration verticale de l'offre par les business models, comme c'est le cas avec les verticalités de groupes. Les trusts de survie aux pseudo-marchés de la T2A du type des méga-Groupes Hospitaliers de l'AP-HP, dotés de surcroît de pôles monstrueux multi-sites et ingérables, en sont l'exemple le plus ubuesque. Ils asservissent leur aval en "flux poussés" et restrictions internes de filières , souvent à rebours complet des besoins territoriaux, notamment en SSR. Ces "trusts", dérives non régulées voire encouragées par les tutelles seraient le début d'une intégration par les agences qui prétexteront les parcours chaotiques et la non-qualité ainsi induits pour les patients par ces filières industrielles inversées. Toutes ces errances préludent à l'objectif final d'intégration par les payeurs dont chacun peut constater que ce ne sera plus un "payeur unique" de type "sécurité sociale". Rendons encore hommage à Grimaldi, Granger et Pierru entre autres qui font partie des trop rares dénonciateurs de cette incroyable trahison des politiques publiques. Bébéar (AXA et Institut Montaigne) et les lobbys des assurances déguisées en mutuelles, les think tank de santé en faveur de la marchandisation des soins de santé come l'IFRAP et le MEDEF sont en train de gagner!

Intégration, parcours, filières, réseaux, coordination, complexité, qualité, risques, production, efficience, performance, sont des mots sérieux, mais aussi des mots "valise", de simples outils qu'il faut définir, en analysant quelles coalitions les manipulent et pour créer quelles enceintes mentales. 
"Bientraitance", "démocratie sanitaire" (c'est l'an II !), "holistique" et autres variantes de la "globalité" sont évidemment des mots "terroristes", de la pure "novlangue" au service d'appareils idéologiques de santé. Ils ne servent qu'à la propagande néo-managériale destinée à mettre au pas les soignants en les divisant. Selon le "schéma tensif" des sémiologues, les "insiders" sont toujours trop "bio-médico-techniques", le modèle imposé de production de la "machine à guérir" les poussant vers un fonctionnement trop exclusivement cure. Les "outsiders" sont eux toujours plus "holistiques", entendre plus "intégrateurs". Ils se présentent toujours comme à la fois cure et care même si le cure laisse alors trop souvent à désirer par les cloisonnements induits. Ce schéma tensif existe entre spécialités médicales et bien sûr aussi entre managers, médecins, paramédicaux travailleurs sociaux, système sanitaire et médico-social, séparant Français de l'Etat et Français du département... 
Maintenant que nous constatons l'échec cuisant de la loi HPST, pour certains trop soviétique, pour d'autres ultralibérale, mais les deux, en fait, dès lors que l'on a compris la "déconcentralisation" inhérente au modèle du NMP, pensons à ce que le rapport Larcher nommait "fragmentation culturelle", s'ajoutant à la fragmentation institutionnelle et financière entre soins et social.


Des preuves?


Ecoutez le "C dans l'air" : des trous dans les comptes de l'Etat - Haro!

Ecoutez aussi "le téléphone sonne": toutes les facettes de l'AP-HP - Haro!

Dans cette dernière émission, voici qu'hélas, alors que le Directeur Général venait de contredire un auditeur curieusement choisi et donnant la vision la plus caricaturale qui soit d'une réadaptation hospitalière pourtant en voie de destruction systématique - toutes disciplines et métiers concernés, je ne parle pas que de ma seule spécialité de MPR - le président de la CME de l'AP-HP lui a donné raison. Pris d'un accès de zèle éthiconomique il appelle à "faire des analyses d’organisation lucides et honnêtes et remettre les gens en répartition équitable de travail". En réalité, le "truc" cache-misère des incroyables satrapes du siège de l'AP-HP, c'est de réduire toute stratégie de réadaptation aux concepts ultra-réducteurs du "polyhandicap" et du "multihandicap" (dernière trouvaille idéologique) , de même qu'on réduit par ailleurs toute complexité des cas et déterminants de l'hospitalisation à la seule "précarité", ce qui permet une politique de filet de sécurité en pied de coupe à champagne. Je vous ai déjà fait le schéma ci-dessous. C'est André Grimaldi qui avait attiré notre attention sur cette métaphore critique de politiques de santé conduisant à la destruction de la solidarité et à l'explosion des inégalités face aux soins de santé. Est-ce ce que nous voulons?

Nos présidents de CME parleront-ils bientôt comme Pauline Joncas-Pelletier ("Les Invasions barbares"). C'est hélas déjà si souvent le cas de nos directeurs.

Pierru nous enseigne pourquoi les insiders médicaux suivent aujourd'hui comme un seul homme le modèle de l'usine à soins normalisée par l'EBM, la comptabilité à l'activité, la fausse qualité et aujourd'hui la "bientraitance". Mais les outsiders qui devraient se révolter au nom de l'humanisme médical et leur dépossession de toute participation aux processus de décision et d'information qui les concernent, pourquoi suivent-ils? 

Si Gramsci donne la réponse à Marx, Nicolas Belorgey donne aussi des réponses dans "l'hôpital sous pression, enquête sur le Nouveau Management Public", complémentaires de celles de Pierru.
La lecture conjointe des deux sociologues est indispensable pour comprendre comment le niveau de "l'activité de soin", aujourd'hui reconstruit artificiellement sur des modèles comptables, est écrasé entre la médecine gestionnaire/ normalisée dans laquelle les insiders reconfigurent leur pouvoir, et des outsiders médecins et cadres dont la stratégie est de soutenir les réformes managériales. Au milieu, c'est la figure du médecin en organisateur de soins qui disparaît du fait de la dissociation entre conception normalisée et exécution procédurière inhérente au modèle du NMP.

Comment réduire les budgets sans en avoir l'air… au détriment des patients et de la Sécu (Blog de Nicolas Belorgey)


Je ne reviens pas ici sur l'asphyxie programmée des effectifs soignants de l'AP-HP par l'intermédiaire de la chaîne [contrôle de gestion - DRH - hiérarchie soignante]. Cette dernière a été dissociée à dessin en 1991 de l'organisation médicale. Je ne reviens pas non plus sur le malaise croissant des cadres, surtout "de pôles" sommés de mentir au médecins et de promouvoir les plans de fausse efficience et les ratios indigents de la hiérarchie, descendant du siège, sous peine de voir leur carrière brisée. Nous avons déjà dit tout cela, nous avons insisté sur les exemples étrangers canadiens, américains, anglais, d'ailleurs, qui montrent qu'on va droit dans le mur, toujours en vain.


On ne donne pas à boire à un âne avant qu'il n'ait soif. Et les ânes français qui font la ré-ingénierie du système de santé se piquent de savoir mieux concevoir la médecine que les médecins. Mais qu'est-ce que le savoir?
N'est-il que déclaratif, accessible aux savants-philosophes de Platon qui doivent gouverner la cité, ou est-il plus largement non déclaratif et relié à l'action sur le mode des pratiques prudentielles d'Aristote s'agissant en particulier de la santé?

Pauvre hôpital public!

"Entre l'opinion et la connaissance scientifique on peut reconnaître l'existence d'un niveau particulier qu'on propose d'appeler celui du savoir (...); il comporte (...) des règles qui lui appartiennent en propre." Michel Foucault.







Adaptation d'un modèle anglais de cercle vicieux: 




Brève webographie

La Cour des comptes préconise de s'attaquer à l'hôpital

Comment réduire les budgets sans en avoir l'air… au détriment des patients et de la Sécu (Blog de Nicolas Belorgey)

LE MANDARIN, LE GESTIONNAIRE ET LE CONSULTANT (Frédéric Pierru)
Le tournant néolibéral de la politique hospitalière Frédéric Pierru - Le Seuil | Actes de la recherche en sciences sociales 2012/4 - n° 194 pages 32 à 51

Frédéric Pierru - Réforme du financement de la santé: la raison politique prime sur la raison économique

La réforme du système de santé vise avant tout à préserver des équilibres politiques qui s'inscrivent dans la longue durée

Santé : "La protection est d’autant moins coûteuse qu’elle est universelle" Didier Tabuteau sur lemonde.fr

La privatisation rampante du système de santé. 2013 (André Grimaldi)

Les réseaux de soins mutualistes en débat. André Grimaldi

Solidarité ou business: lettre ouverte au mouvement mutualiste. André Grimaldi et Frédéric Pierru

Pour le Pr Granger, mutuelles et assurances sont « dangereuses pour la santé »

Une santé moins solidaire. Didier Tabuteau (la politique du salami)

La réforme de l’Etat contre la démocratie locale L’exemple de la « déconcentralisation » de la politique de santé Frédéric Pierru Paru dans Savoir/Agir, n° 11, 2010

L’humain face à la standardisation du soin médical par Élie Azria , le 26 juin 2012

Philippe Svandra. LE SOIN EST-IL SOLUBLE DANS LA BIENTRAITANCE ? Gérontologie et société 2010/2 (n°133)

"Comment être contre la bientraitance ! Pourtant, de la même manière que l’enfer est pavé de bonnes intentions, la bientraitance, sous prétexte de lutter contre la maltraitance, peut nous entraîner vers une normalisation excessive de la relation de soin. La vigilance est donc, ici comme ailleurs, salutaire."

Faut-il avoir peur de la bientraitance ? Retour sur une notion ambiguë. Philippe Svandra et al.

"Cherchant à dépasser les discours convenus, les auteurs de cet ouvrage proposent une analyse critique de la bientraitance qui éclaire le lecteur sur les enjeux éthiques et les conséquences pratiques de la diffusion de cette notion ambiguë."

Esculape vous tienne en joie

dimanche 15 juin 2014

Petit lexique de la marchandisation - Recherche solidarité désespérément


L'Europe, l'Europe, l'Europe et la santé: qui veut encore défendre un modèle solidaire en France?


"Je n'aime pas les socialistes parce qu'ils ne sont pas socialistes. 
Je n'aime pas les communistes parce qu'il sont communistes. 
Je n'aime pas les miens parce qu'ils pensent trop à l'argent." De Gaulle

"Ne confondons pas «patient centred» avec «client oriented». Etre centré sur le malade, pour la médecine, n’est pas une stratégie. C’est la condition de son existence, la démarche d’où elle émerge : son origine." Bertrand Kiefer. Les dessous de la révolution du patient. Rev Med Suisse 2013;9:1656.

La communauté européenne distingue au sein des services d'intérêt général (SIG) des service économiques d'intérêt général (SEIG) et des services non économiques d'intérêt général (SNEIG) (1) selon un certain nombre de critères, définis dans le texte sous ce lien, un modèle de santé "solidaire" et un modèle "économique" fondé sur la "vente de biens et de services" (2). Dès lors il est salutaire de constituer un petit lexique de vigilance critique articulé à ces nouvelles catégories.

Petit lexique de la marchandisation


La novlangue du Nouveau Management Public repose sur des mots terroristes, parfois appelés buzzwords. Conformément aux principes définis par Orwell, la novlangue doit opérer une réduction du vocabulaire pour limiter le développement de la pensée critique. Se déclarer méfiant face à un buzzword est extrêmement dangereux et la novlangue piège ceux à qui elle s'impose. Ainsi, nul ne peut vouloir mal entreprendre. Personne ne chantera les louanges de parcours de soins chaotiques. Qui rêve de désintégrer les trajectoires de soins? Celles-ci sont décrites a priori ou a posteriori en filières qui ne peuvent être pensées que comme fluides. Qui veut lutter contre l'efficience? Qui se fera le chantre de l'incoordination entre acteurs? Enfin personne ne portera aux nues le refus de la démocratie sanitaire. Voilà la force de la novlangue, l'absence de contraire! On sait, en bon management, qu'un concept qui n'a pas de contraire est soit inutile soit idéologique au service de coalitions d'intérêts dont le caractère collectif est rien moins qu'assuré.  Pire, il ne peut provoquer chez ses destinataires que perte de sens, injonctions paradoxales, cynisme et désarroi. (François Dupuy: "la fatigue des élites")
Un concept managérial est utile si l'on perçoit simultanément son opposé dialogique, celui avec lequel il forme le plus souvent un paradoxe: la connaissance et l'action se trouvent alors mieux éclairées par deux concepts en apparence inconciliables, comme la théorie ondulatoire et la théorie corpusculaire de la lumière.
Ainsi, l'intégration des soins a un opposé dialogique, la différenciation des activités à la mesure des besoins, la centralisation s'oppose à la décentralisation, les motivations extrinsèques s'opposent aux motivations intrinsèques, l'internalisation s'oppose à l'externalisation, les connaissances tacites, implicites et procédurales, s'opposent aux connaissances déclaratives, enfin, la marchandisation des soins s'oppose à la solidarité.

La véritable gouvernance ne peut être faite que de choix entre grands inconvénients, discutés entre parties prenantes. Dans un paradoxe, les réalités opposées ne sont pas vues comme exclusives mais comme hybridées, dans une relation dialectique. Qu'on le veuille ou non, les soins de santé sont une forêt de paradoxes. Ils ne peuvent se satisfaire de l'infantilisation managériale.
  • L'usage du mot "entreprise" dans le texte européen, bien qu'une entreprise puisse être publique, renvoie au modèle dit "économique" des systèmes de santé. La notion "d'hôpital entreprise" ne signifie pas la recherche partagée d'une organisation économe, efficace et efficiente répondant aux besoins de la population servie, mais bien la transformation de l'établissement délivrant des soins de santé en une organisation dédiée à la "vente de biens et de services".
  • La "marchandisation", parfois nommée "commercialisation", peut être définie comme une dynamique qui fait passer les soins de santé d'un pays du modèle "solidaire" vers le modèle "économique". Il peut s'agir de l'offre de soins ou des payeurs (assurances). Les motivations des politiques publiques ne seront pas abordées ici.
  • Le rappel de ces définition peut permettre aux libéraux et aux républicains, au sens français, de s'entendre. Mais n'oublions pas que le mot "libéral" est un mot piégé et ô combien polysémique.
  • la "filière" est un concept d'économie industrielle (chaîne de valeur ou filière intégrée de Porter, mais aussi supply chain ou chaîne d'approvisionnement). Il favorise l'intégration verticale de l'offre,   mais permet aussi d'externaliser ce qui n'est pas considéré comme avantage compétitif. L'environnement conduit l'intégration verticale à s'accélérer au détriment de l'indispensable différentiation horizontale des activités, sous les contraintes de survie à la T2A et la formation des grandes verticalités de groupes. L'intégration verticale suit les contraintes de la planification et des business models imposés par l'Etat (définition des "résultats" de la production des soins, planification des autorisations, gouvernance, modèles comptables et systèmes de paiement) et l'amont prend le contrôle de l'aval sous forme de "filières inversées".
  • La "coordination" est un mot valise synonyme de contrôle et d'intégration. L'évolution de la demande de soins et l'incapacité des soins extra-hospitaliers à réagir à une variation brutale d'autonomie, quelle qu'en soit la cause, entraîne un afflux croissant de patients aux urgences d'un hôpital dont le modèle reste purement "curatif". Cette "machine à guérir" s'interdit d'analyser les déterminants des hospitalisations ne relevant pas des process comptables de "l'usine à soins", cure,  mais de ceux du care (secteur social et médico-social, séparé du sanitaire par les lois successives à l'origine de la fragmentation institutionnelle et financière à la française). Ses flux sont alors "poussés" par les besoins de la chaîne de production (push), et non "tirés" selon le résultat attendu par le malade au terme de la chaîne de valeur (pull, visant l'outcome).
  • Bed et buffer management paralysent et dénaturent un hôpital qui ignore par construction la lutte contre le handicap évitable et les déterminants socio-environnementaux de la santé. Survie économique oblige et la formation de collusions et de trusts sous contrôle des payeurs est partout favorisée, au nom de la défragmentation du système, sous l'habillage rhétorique de la "coordination" (accountable care organizations aux USA et ailleurs). Les pompiers pyromanes alimentent encore et encore le cercle vicieux de la dépendance évitable et de l'institutionnalisation au détriment du financement des soins extra-hospitaliers.
  • Entre le marché et la hiérarchie il y a le "réseau", plus souple que la bureaucratie mais minimisant les coûts de transaction. Les réseaux "d'en haut" ne marchent pas, les réseaux d'en bas si, pour peu qu'on ne les détruise pas par des machins de coordination bureaucratique, car ils dépendent d'équipes socio-sanitaires et de liens d'autant plus fragiles qu'elles sont instables.
  • Le "parcours" est un concept assurantiel qui vise par le managed care, à prendre le contrôle de l'offre et mettre en place des casemix de type "groupes homogènes de parcours" définis à partir de processus standardisés, pour des "épisodes de soins" artificiellement délimités, a fortiori pour les maladies chroniques. Ces parcours seront mis en concurrence dans une value based competition (Porter) nouveau modèle d'assainissement asphyxiant des faux marchés ainsi créés au profit de la véritable marchandisation. Cette managed competition sera supportée par les paiements prospectifs par épisode de type bundled payments, maintenant que la T2A est usée, n'a pas fait ses preuves et montré ses effets pervers surtout quand elle n'est pas régulée par des garde-fous. Plus l'unité de paiement couvre un épisode long, plus le risque est supporté par l'offreur au profit du payeur. Voilà le cœur du modèle invisible auquel nos élus semblent s'être résignés.
  • La démocratie sanitaire est la transposition rhétorique de la gouvernance d'entreprise (corporate governance) où le patient devient le bras armé des ayant-droit, les shareholders ou "payeurs", qui ont tous les droits et doivent être protégés en priorité selon Milton Friedman.
  • Le dialogue social et la responsabilité sociale des organisations, associés à la démocratie sanitaire, sont la transposition rhétorique de la réingénierie générale des emplois et compétences par un Etat stratège qui s'arroge au nom des nouvelles expertises de santé tout le contrôle du modèle de production de l'action publique. Le principe de cette innovation disruptive (Christensen) est de substituer les motivations intrinsèques et le "tout incitatif" aux motivations intrinsèques des acteurs du soin à commencer par les médecins dont il faut sidérer par tous les moyens la revendication d'autonomie professionnelle.
  • Plus que jamais la sophistique du Nouveau Management Public confond "orientation client" et "centrage patient", dans sa prétendue "révolution du patient", enfin placé, dit-on, "au cœur du processus de soins" (Bertrand Kiefer).

Entre libéraux, républicains et néo-cons: l'art d'ignorer la solidarité

Attention aux "faux amis".

Ne confondons pas secteur libéral en médecine et secteur commercial: pour un médecin libéral dont les honoraires sont remboursés selon des tarifs conventionnels, le caractère variable de sa rémunération selon l'activité  ne suffit pas à classer son activité dans un système commercial.

Il ne faut pas non plus confondre comptabilité basée sur l'activité selon les nouveaux modèles hospitaliers, même en cas de pseudo-marchés avec des tarifs (T2A), et "modèle économique" au sens de l'Europe. 
Mais dès lors qu'on parle de "tarifs", il faut être très vigilant sur les interprétations européennes qui viseraient à ne plus y voir que du "tout lucratif". Pensons ici aux attaques régulières de la FHP au sujet de la convergence tarifaire et la prétendue concurrence déloyale du secteur public, en feignant d'oublier que justement il n'est pas (encore) dans un secteur concurrentiel. Ces prétendues atteintes à la libre concurrence s'inscrivent dans les modèles promus par le consensus de Washington, appliqués au sein de l'ALENA et des programmes d'ajustements structurels. Mais les "tarifs" de la T2A, tout comme les "actes" en libéral, ne sont que de clés de répartition comptables d'enveloppes désormais fermées, elle ne reflètent rien d'un véritable marché qui n'existe pas en l’occurrence et en aucun cas ne peuvent être assimilés au prix de la vente de biens et de service.

L'absence de revalorisation des honoraires en secteur 1 pousse évidemment le secteur libéral à évoluer vers un système plus commercial avec augmentation du reste à charge, remboursement variable selon des assurances privées déguisées en mutuelles au prix d'une inégalité croissante d'accès aux soins. De même la multiplication de produits marchands comme la vente des chambres seules, même rémunérées par les assurances privées, dans les hôpitaux publics ou PSPH est inquiétante. Peut-on encore parler de mutuelles quand, "soumises à la concurrence des assureurs privés, les mutuelles sont contraintes à des regroupements/restructurations et à mimer le fonctionnement des compagnies d’assurance privées qui gagnent des parts de marché. "(Grimaldi)



La marchandisation de la santé, dans une recherche google rapide ne semble pas être un problème pour les partis politiques français, en dehors du PCF et du parti de gauche.
Mais enfin, cela signifie-t-il qu'il n'y a plus en France ni droite sociale ni gauche de gouvernement attachée aux principes de solidarité et d'universalité de 1945 ?
Comment en sommes nous arrivés là dans ce pays qui se pique de "droits de l'homme" et ne semble plus capable que d'accorder de pseudo-droits formels sous forme de cache-misère?

Tous ces partis dits "de gouvernement" semblent acquis au mythe du marché efficient en santé. Marché efficient, incitatifs pour calculateurs égoïstes, mais bien entendu régulés par "l'Etat stratège" qui dresse son portrait en despote éclairé par les nouvelles sciences et techniques de gouvernance. Assurément un nid de sages philosophes éclairés par la raison selon le vœu de Platon. C'est la définition du néo-libéralisme! Il y a véritablement une maladie de la pensée politique de gauche comme de droite au sujet du marché, comme l'a montré James K. Galbraith dans l'Etat prédateur.

Nos socialistes ont tellement peur d'être les derniers marxistes qu'ils seront les derniers néo-cons.

Et si on cessait de nous sur-administrer tout en nous accablant de leurres marchands, en nous faisant un peu plus confiance, à nous autres médecins, comme aux autres parties prenantes?

Webographie


1. Contre la marchandisation des soins de santé: où l'on voit qu'il y a en France un complot du silence qui cache les assurances privés derrière les "mutuelles"

Marchandisation et mondialisation des soins de santé: Les leçons des recherches de l’UNRISD

Frédéric Pierru - Réforme du financement de la santé: la raison politique prime sur la raison économique

La réforme du système de santé vise avant tout à préserver des équilibres politiques qui s'inscrivent dans la longue durée

La privatisation rampante du système de santé. André Grimaldi

Comment financer la croissance des dépenses de santé ? Brigitte Dormont
Voir aussi les dépenses de santé un augmentation salutaire (Cepremap)

La santé n'est pas à vendre Bruxelles Santé n°68 - octobre 2012

Le 25 mai, défendons la santé !

Manifeste du « Réseau européen contre la privatisation et la commercialisation de la santé et de la protection sociale » Bruxelles, le 07 février 2014

Fédération des maisons médicales et des collectifs de santé francophone

2. Rappel des textes européens

2.1. Les services d'intérêt économique général: SIG, SEIG et SNEIG

Les SIEG sont une partie des SIG

"Parmi eux (les SIG) figurent les SIEG, qui, comme leur nom l'indique, comprennent uniquement aux services économiques, c'est-à-dire correspondant à la vente de biens ou de services. Le Livre blanc de la Commission en donne quelques exemples : "les services fournis par les grandes entreprises de réseaux, comme les transports, les services postaux, l'énergie et la communication". Ces services-ci restent soumis aux lois du marché et de la concurrence, dans une certaine mesure seulement. Ils peuvent y déroger si cela est nécessaire à l'accomplissement de leur mission d'intérêt général."

2.2. Des compensations octroyées pour la prestation de services d'intérêt économique général

"Dans certains États membres, les hôpitaux publics font partie intégrante d'un service de santé national et leur fonc­tionnement repose presque intégralement sur le principe de solidarité ( 10 ). Ces hôpitaux sont financés directement par les cotisations de sécurité sociale et d'autres ressources d'État et fournissent leurs services gratuitement à leurs affi­liés sur la base d'une couverture universelle ( 11). La Cour de justice et le Tribunal ont confirmé que lorsqu'une telle structure existe, les organismes en question n'agissent pas en qualité d'entreprises ( 12 )."

2.3 La sécurité sociale: un modèle solidaire, compatible avec les règles européennes de la concurrence, car celles-ci ne lui sont pas applicables

3. Une explication? L'état prédateur James K. Galbraith, Seuil, 2009

Comment la droite a renoncé au marché libre et pourquoi la gauche devrait en faire autant, Paris, Seuil, coll. « Économie humaine », 2009, 311 p. 
« Galbraith montre comment briser l’emprise magique des conservateurs sur les esprits de gauche. » Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie.

5. Portrait du MEDEF en appareil idéologique de santé - La déconstruction de la solidarité

La médecine de parcours? Ce n'est pas la médecine intégrée et centrée patient à laquelle nous aspirons tous mais l'autre nom du managed care, ici le plus injuste et le plus créateur d'inégalités inacceptables d'accès aux soins. Voilà en clair ce beau modèle:
"Nous avons le souci de préserver le modèle de la sécurité sociale basé sur une prise en charge collective, tout en proposant des pistes d’évolution. Notre modèle réaliste met l’accent sur un premier pilier, qui est le panier de soins financé par le régime général de sécurité sociale, recentré sur les soins et services essentiels, qui pourrait être allégé d’une dizaine de milliards d’euros pour faire rentrer davantage les complémentaires dans le système, puisqu’elles sont revenues obligatoires pour les salariés, dans le cadre de l’accord ANI. Le tout sans fermer la porte à une option de sur-complémentaire d’assurance, individuelle, qui pourrait être encouragée par l’Etat."
Le MEDEF a de la suite dans les idées.

Concluons comme nous avons commencé

"Il faut prendre les choses comme elles sont car on ne fait pas de politique autrement que sur des réalités.
Bien entendu on peut sauter sur sa chaise comme un cabri en criant, l'Europe, l'Europe, l'Europe, mais cela n'aboutit à rien et ne signifie rien.
Je le répète il faut prendre les choses comme elles sont. Comment sont-elles...?" De Gaulle



Le cercle vicieux (adapté de: the coming of age - Website: www.audit-commission.gov.uk)



Esculape vous tienne en joie.

samedi 7 juin 2014

Intégration par les payeurs: la sophistique de l'Etat prédateur


Le parcours de vie, le territoire et la démocratie sanitaire ou la construction politique de l'insignifiance

« Qu'aucune chose ne soit, là ou le mot faillit. » Stefan George (Das Wort)

« Il n'y a rien de si difficile à distinguer que les nuances qui séparent un malheur immérité d'une infortune que le vice a produit.» Tocqueville

Un commentaire des deux monuments de novlangue accessibles plus bas


Cela devait arriver. A force d'utiliser les nouvelles techniques de propagande et de marketing social, les politiques publiques de santé publique en viennent à produire des rapports inconsistants, filandreux, écrits sur du vent théorique, articulant des concepts si ambigus et si instables que les professionnels, les managers, les élus et les usagers ne peuvent plus y trouver que la perte du sens du soin et l'imminence de nouvelles catastrophes gestionnaires. Hélas, trop peu d'entre eux oseront le dire. Voici pourquoi:

L'intégration de la médecine, oui, mais par qui?


Chacun ne peut que souhaiter que les parcours soient intégrés autour des patients et cela dans un cadre territorial. Qui se ferait le chantre de la fragmentation ou le champion de filières surréalistes déconnectées des territoires comme celles qui traversent l'Île-de-France, concentrant tous les gros équipements dans Paris? L'intégration est un buzzword , un mot-valise, potentiel support de toutes les balivernes. Il s'agit avant tout de savoir qui est l'intégrateur et quels sont ses motivations.

Il est plus que probable que la configuration décrite par Frédéric Pierru dans son article intitulé "le Mandarin, le gestionnaire et le consultant" va continuer à se mettre en place, avec ce que cela implique de complaisance résignée et de complicité soumise pour les médecins. Les médecins français resteront trop divisés pour affronter le double rouleau compresseur du Nouveau Management Public et d'une déprotection sociale déployée par un Etat prédateur qui avance masqué pour ne pas avouer le rationnement des soins. Trop de collègues se prosternent déjà ou feront allégeance au modèle dans la vénération du discours ambiant sur l'intégration des "parcours de soins" et "l'intégration territoriale" par les agences promotrices de la "démocratie sanitaire". 
La belle affaire! Personne n'y avait pensé avant, à cette révolution du patient qui le met, avec ses nouveaux besoins au cœur des processus de soins. Nos révolutionnaires de santé, avec leurs promesses de lendemains qui chantent, nous rejouent la scène primitive de l'anti-médecine à la fois utilitariste et hyper-libérale, au nom de l'intérêt collectif face auquel l'intérêt individuel doit rester seul (Le Chapelier) et au nom de l'extermination des savoirs intermédiaires, toujours d'emblée disqualifiés par le positivisme scientiste.

Une intégration excessive, idéologique et surtout guidée par la prétendue connaissance des coûts d'opportunité d'une politique de plus en plus utilitariste, va hélas produire son pendant, bien connu en management. Plus elle est pétrie de l'arrogance et de la toute puissance planificatrice issue des Big Data, plus elle reste ignorante des finalités cliniques individuelles pour le patient et du fonctionnement intime des systèmes cliniques. C'est le chemin de la dédifférenciation des structures, de la destruction des compétences, des cautères gestionnaires mis sur les jambes de bois qu'ils ont amputé eux-mêmes, de la perte de sens de la motivation et de l'attractivité face au management low cost déguisé en lean. C'est aussi la voie toute tracée de la contre-performance à moyen terme qui peut conduire à l'extinction totale ou partielle de l'organisation, qu'elle soit voulue et organisée par des managers de transition ou non. 

Une typologie inspirée de Philip Muray


Parmi les médecins, les managers, les cadres et autres professionnels confrontés à la "ré-ingénierie disruptive", on distinguera suivant la terminologie inspirée de Philip Muray:

  • Les "moutons de Panurge": ils sont par nature confiants vis à vis des politiques publiques et s'émerveillent de toute nouveauté portée par la sophistique managériale au nom de l'Etat social qu'ils croient encore en progrès et/ou au nom du "changement disruptif" qui apportera enfin le marché en santé, sans doute rendu efficient par le reporting.
  • Les "matons de Panurge": ils savent de quoi il retourne, mais ils le cachent car ils ont besoin de nouer des alliances avec le nouveau management ou risquent simplement la porte et/ou la maltraitance, notamment pour les cadres de santé. En cas d’intolérance trop forte à l’ambiguïté les matons de Panurge rejoindront le premier groupe par le phénomène de rationalisation des motivations et des souricières cognitives.
  • Les "mutins de Panurge" sont chargés du rôle des "transgresseurs contrôlés", garant d'un faux débat démocratique, pour mieux valider le modèle hégémonique. Ils sont partout, en indispensables "chiens de garde".
  • Les "autres", les résistants, au changement bien sûr, et tous les petits techniciens de santé de base sont privés de parole, sinon de cadres de pensée par absence d'accès aux données, sur le sens de leur action dans des "activités" désormais conçues ailleurs notamment par le marketing social. Ils n'ont qu'à bien se tenir entre "exit, loyalty or voice", si donner de la voix reste encore possible face aux petits tyranneaux du New Public Management. En bons petits exécutants ils doivent être tolérants aux injonctions paradoxales et leurs compétences seront évaluées sur leur "savoir-être" face à ces injonctions par leurs employeurs managers de santé. Il ne leur reste qu'à entrer dans le jeu des pseudo-marchés et de la concurrence régulée par des résultats myopes, à renoncer à leurs motivations intrinsèques pour ne plus suivre que les carottes motivationnelles extrinsèques pour "idiots rationnels" (l'acteur théorique de l'économie orthodoxe selon Amartya Sen). 

L'organisation malade du management: un système ultrapyramidal

Nous ne reviendrons pas ici sur la question de la fixation de l'Ondam et du budget des services sociaux, ni sur la définition nécessaire d'un panier de protection sociale universel, ni sur les multiples pertes de chances induites par une hyper-rationalisation technocratique du système de soins qui n'a jamais fait ses preuves.  Nous ne reviendrons pas non plus sur les moyens possibles d'améliorer la performance en s'appuyant sur les partie prenantes alliées, motivées, loyalement informées, impliquées dans les processus de décision qui les concernent et reconnues plutôt qu'engagées dans une guerre de tous contre tous, à l'opposé de leurs valeurs, pour la production de résultats à courte vue. Sous enveloppe financière trop contrainte tous les systèmes de paiement sont mauvais, conduisant à l'inflation de actes,  à la sélection des malades "rentables", aux sorties d'hôpital ne visant que le "déstockage" le plus rapide permettant la valorisation d'un nouveau séjour. Le bed management, les ubuesques PRADO organisés par les payeurs en lieu et place d'équipes de soins désintégrées, qu'on a rendues exsangues et dépourvues de moyens pour optimiser les parcours hospitaliers complexes et les sorties difficiles, voire le buffer management ou déstockage en unités de soins de suite "tampons" parachèvent le placage de machins gestionnaires sur un système qu'on n'a eu de cesse de détériorer en ne le considérant que comme une pure "usine à soins".

Il nous aujourd'hui que non seulement on interdit aux cliniciens de se soucier du résultat clinique à long terme (outcome) mais que de plus, on leur en ôte les moyens, prétendant sans la moindre preuve y pallier autrement. La fragmentation institutionnelle et financière, en particulier celle des soins et du social, ne sait produire que son auto-aggravation.

Insistons seulement sur la métaphore organique de l'entreprise, celle du management et d'une planification stratégique qui sait tout, voit tout, peut tout, détermine d'en haut les objectifs et les exécute en les contrôlant. Elle permet d'entrevoir les causes du mal qui ronge l'organisation de notre système de santé: une conception managérialiste et mortifère de l'exécution des politique de santé, descendant dans un "système pyramidal" dont on multiplie les couches pendant qu'il est privé de toutes ses boucles de régulation, de leurs afférences et de leurs efférences vitales. C'est une organisation rendue volontairement "parkinsonnienne" en quelque sorte, qui va perdre l'équilibre en courant après son modèle comptable. Une véritable euthanasie bureaucratique des services publics et de la protection sociale solidaire, pour reprendre l'expression de Claude Rochet.

"O vous qui avez l'entendement sain
Voyez la doctrine qui se cache
Sous le voile des vers étranges
Dante, L'enfer, chant IX, 61-63.

Essai de modélisation du New public Management comme résultant de l'alliance de la technocratie industrielle et du marché contre les professionnels. L'alliance de l'Etat industriel et du marché assure le contrôle de l'offre par les payeurs, les "shareholders", de la corporate governance de santé. Exit l'intérêt des partie prenantes (stakeholders)



Quand les politiques publiques confondent la santé avec le bonheur et prennent le contrôle de la médecine, c'est alors "l'hôpital se fout de la charité"!

Les documents

Florilège de novlangue n°1

PARCOURS DE SOINS PARCOURS DE SANTE PARCOURS DE VIE


Exercice: citez les think tanks de santé repérables dans le document, comme l'Institut Montaigne (Claude Bébéar, promotion du managed care par les assurances, mises en concurrence...)

"La notion de parcours répond à la nécessaire évolution de notre système de santé afin de répondre notamment à la progression des maladies chroniques qui sont responsables de la majorité des dépenses et de leur progression. Leur prise en charge transversale implique de multiples intervenants et réduit la place historiquement majeure des soins aigus curatifs au profit des autres prises en charge. La spécialisation croissante des professionnels de santé amplifie le phénomène. L’optimisation des parcours des patients et des usagers s’impose ainsi progressivement comme un axe transversal structurant des systèmes de santé. (...) Les parcours ont une notion temporelle (organiser une prise en charge coordonnée et organisée tout au long de la maladie du patient) et spatiale (organiser cette prise en charge sur un territoire, dans la proximité de son domicile)."


Florilège de novlangue n°2

Stratégie nationale de santé : Marisol Touraine reçoit le rapport Devictor sur le service public territorial de santé 23 avril 2014


et quelques autres illustrations du problème...

L'ennemi interne par Jean-Claude Desforges sur le site "Hôpital et Territoires"


Le retour raté du service public territorial de santé dans la Lettre de Galilée Les perles de la sophistique managériale y sont surlignées en jaune


"La coopération se construit dans l’amont de la rencontre avec le patient".
"Il s’agit de mettre au travail des soignants rompus à l’exercice singulier, sur un amont de cet exercice qui est de niveau organisationnel et de les amener à questionner leurs pratiques en se confrontant à d’autres modes d’exercice que le leur et à d’autres façons de répondre que la leur"



LE MANDARIN, LE GESTIONNAIRE ET LE CONSULTANT (en ligne!)


Le tournant néolibéral de la politique hospitalière Frédéric Pierru - Le Seuil | Actes de la recherche en sciences sociales 2012/4 - n° 194 pages 32 à 51


"La rhétorique managériale finit même par adopter des formulations à ce point vide de contenu qu'elles n'ont pas de contraire. Avoir l'ambition d'être un leader est engageant, mais qui souhaite adopter la posture du suiveur? Etre le champion de l'excellence est sans doute motivant mais qui rêve d'être celui de la médiocité? Non seulement les mots mais aussi la parole perdent leur sens, générant chez ceux qui écoutent cynisme et désarroi." François Dupuy "La fatigue des élites"


Esculape vous tienne en joie.

dimanche 1 juin 2014

La réingénierie disruptive des professions de santé


"Rien n'est permanent sauf le changement." Héraclite

Documents: innovation disruptive et stratégie du choc


1. Infirmière clinicienne spécialisée : éléments de cadrage pour les missions, la formation et l’emploi (ARS-IDF 2013)


2. Nurse Practitioners and Primary Care. Federal and state laws and other policies limit how these professionals can help meet the growing need for primary care. 

(“Health Policy Brief: Nurse Practitioners and Primary Care,” Health Affairs, October 25, 2012.)

3. L'infirmière clinicienne en bonne voie d'être reconnue... (Infirmiers.com 13.11.13) 


4. Vers une pratique avancée pour les professions paramédicales (Infirmiers.com, 31 mars 2014)


5. Débat autour du futur métier d’infirmière clinicienne (Actusoins, 28 mai 2014)

voir aussi Future Loi de Santé : l’UNOF­CSMF dit NON aux infirmières cliniciennes

6. Nurses Are Not Doctors Dans le New York Times du 29 avril.

"Nurse practitioners have been promoted as a cost-effective way to meet this need. Medicare currently reimburses nursepractitioners only 85 percent of the amount that it reimburses primary-care physicians. Paying less for the same work would appear to be a way to save health care dollars."
"But are nurse practitioners actually more cost-effective? There is a dearth of good recent empirical research on this question, but some studies have suggested that the answer is no."




Harv Bus Rev. 2000 Sep-Oct;78(5):102-12, 199. Christensen CM, Bohmer R, Kenagy J.



Traduction d'un extrait de l'article de Christensen et al.
Will disruptive Innovation cure Healthcare? Harv Bus Rev. 2000 Sep-Oct;78(5):102-12, 199. Christensen et al.

Le commentaire: Quand la Harvard Business School réinvente les officiers de santé


"Rien n'est permanent sauf le changement" nous enseigne Héraclite. Les professions ne sauraient échapper à cette loi, certaines disparaissent et d'autres naissent, en santé comme ailleurs. Si Schumpeter a décrit la "destruction créatrice", les écoles de management tentent de l'apprivoiser avec le concept d''innovation disruptive, en prétendant imprimer au devenir le caractère de l'être. Mais la prévision reste un art difficile, surtout quand elle concerne l'avenir.

Dans leurs efforts pour prétendre maîtriser l'entropie du monde, il est stupéfiant de voir à quel point les grands architectes de la santé nous prennent pour des ânes! C'est encore plus évident lorsque les réformateurs importent sans le dire des modèles de management et d'économie industrielle des universités américaines ou canadiennes. Nous avions eu droit à la "chaîne de valeur" de Michaël Porter, à sa "filière intégrée" transformée en "filière de soins". Le terme de "filière" qui assimile les patients aux produits d'un chaîne de production, est exceptionnellement utilisé à l'étranger tant il fait penser à la filière bovine où l'usager a tout sauf son mot à dire. C'est notamment le cas quand la qualité de la chaîne d'aval se détériore sous l'action d'une stratégie poussée de déstockage des hospitalisés et d'une intégration verticale guidée avant tout par l'efficience comptable. L'élasticité à la qualité de l'aval n'est pas la même après AVC et prothèse totale de hanche. Le lieu de rééducation après prothèse se négocie à l'avance, mais pas celui qui suit un AVC.

Les mots s'usent et dès lors qu'ils ne trompent plus grand monde ils ne sont plus guère opérationnels. Place donc, aujourd'hui, au "réseau facilitateur" de Clayton Christensen, le salut des malades perdus dans des "parcours de soins", trop fragmentés par les pompiers pyromanes qui prétendent résoudre les problèmes avec les modèles qui les ont créés, viendra des nouveaux réseaux en ligne type Google et Youtube. Ces nouveaux réseau sociaux créeront, dit-on, de l'intelligence collective, supportée par le futur customer empowerment
Tout ce beau "knowledge marketing", ces Marketing & information and communication technologies (MICT) qui s'inscrivent dans la perpective  de "Transformative Consumer Research", prétendent mieux valoriser les "expertises d'usages" pour intégrer les consommateurs dans la création de valeur au sein d'un marché. Pourquoi pas? Mais cela suppose pour avoir un minimum de sens:

  1. que le produit ne soit pas défini artificiellement et à court terme à partir des données du reporting par une économie industrielle en "filières inversées", poussée à partir de l'amont,
  2. qu'il réponde, dans une contexte d'asymétrie d'information aux vrais besoins des malades en termes d'outcome, en tenant compte de leur complexité réelle, celle qui n'est pas justement pas captée par le système d'information, et en tenant compte des déterminants réels de l'hébergement hospitalier.
  3. que si l'outcome individuel du patient ne se dilue pas dans la guimauve de "l'impact" décrit en termes de santé Bien-être. Ce modèle de fonction de production utilitariste de l'action publique, qui confond santé et bonheur des peuples, asservit inéluctablement la médecine à la politique, comme il asservit l'intérêt individuel à l'intérêt collectif. 
La sophistique managériale avec ses mots-valises, déploie ce changement disruptif dans une atmosphère de crise. La stratégie du choc sidère les acteurs par des indicateurs aussi myopes que ce que le système est fragmenté. Cela se traduit par une complaisance résignée à une prochaine déshospitalisation foudroyante, par la complicité soumise à un virage ambulatoire qui risque de singer la version canadienne des "Invasions barbares" laissant bien des malades sans système de soins ni d'accompagnement pérenne. Si un virage ambulatoire est possible, il ne peut se réduire à des soins low cost, particulièrement au regard d'une réadaptation dont la couverture sociale est menacée.

Quelle evidence based policy supporte ces décisions? Il ne s'agit encore une fois que de mythes rationnels, au service de la rationalisation d'un rationnement des soins encore couverts par la solidarité nationale, rationnement dont la nécessité économique n'est même pas prouvée.

Voici que la Harvard Business School a réinventé les "officiers de santé", et nos politiques publiques trouvent cela bien séduisant, bien propre à enfumer usagers professionnels et élus, en dépit des prévisions relatives à la démographie médicale. Que feront tous ces médecins rendus inutiles? L'auto-soin, guidé par le consumer empowerment et par la ré-ingénierie des attitudes et des comportements de santé, permettra des économies substantielles, l'infirmière clinicienne guidée par les process industriels remplacera les généralistes qui, éclairés par l'EBM, remplaceront les spécialistes. Ceux-ci rejoindront sans doute alors un hôpital transformé en grand plateau ambulatoire où l'on gardera quelques lits pour les malades qu'on ne peut pas ne pas coucher et pour les incurables, les inéducables, et n'en doutons pas, considérés comme inrééducables.

Plus que jamais le patient, promu en "client" "empouvoiré", sommé de faire des choix de consommateur averti face à d'ubuesques palmarès produits à cet effet, sera le bras armé du payeur, mais n'en sera pas moins laissé pour compte.
Les parcours ne seront pas moins chaotiques dans un système toujours plus fragmenté, entre universel et assistantiel ou soins et social, entre santé physique et mentale, entre premier, second et énième recours, entre aigu et SSR etc. quand on les aura accablés de nouvelles et coûteuses coordinations bureaucratiques, de reporting exponentiel et de nouveaux trusts sanitaires de survie à la T2A (les "coordinations obligatoires") plaqués au-dessus du mille-feuille et des tuyaux d'orgue actuels.

Michaël Porter, avec son modèle de "value based competition", viendra compléter la légitimité de la prise de pouvoir des payeurs, puisqu'il s'agit d'étendre le modèle de la T2A à l'échelle des parcours, des "groupes homogènes de filières" en quelque sorte. Ce sont les bundled payments par épisodes de soins (aigu post-aigu et ambulatoire), qui minimise le risque pour les payeurs, et dont la gestion ne pourra plus se faire à l'échelle d'un établissement à taille humaine mais seulement à celle d'une grande organisation imputable (Accountable Care Organizations ou ACO) comme dans l'Obamacare. Inutile de préciser que les assureurs vont proposer de larges regroupement d'offreurs intégrés avec les acheteurs de soins. (A Working ACO Model: Integrate Health Care Purchasers and Providers to Lower Costs)

Médecine intégrée, oui, mais par qui?

"Ne confondons pas «patient centred» avec «client oriented». Etre centré sur le malade, pour la médecine, n’est pas une stratégie. C’est la condition de son existence, la démarche d’où elle émerge : son origine."


Esculape vous tienne en joie,

Source: Healthcare System Overview (Khan Academy)