lundi 4 octobre 2010

Machines à guérir et police médicale: brève histoire du mal


« Les faits ne pénètrent pas dans le monde où vivent nos croyances, ils n'ont pas fait naître celles-ci, ils ne les détruisent pas. Ils peuvent leur infliger les plus constants démentis sans les affaiblir. »Marcel Proust

Avec les lois de 1970 et 1975, l'hôpital veut se débarasser du social, et le nouveau secteur de l'action sociale poursuit le projet de se "démédicaliser": ces évènements marquent la fin du paradigme de "réadaptation" en France et il semble lié à la fin de celui de solidarité d'après Didier Castiel. Certes on crée imédiatement le secteur médico-social, avec une présence médicale qu'on juge indispensable, mais sous tutelle. L'Etat n'en finira pas ensuite de tenter en vain de revenir sur l'effroyable cloisonnement qu'il avait favorisé.

L'hôpital devient de fait et bien malgré lui une véritable "machine à guérir" centrée sur les soins curatifs, handicapé par l'impossibilité pratique d'articuler aigu et chronique (et donc le social qui s'y intrique). Le social et médico-social s'isolent superbement dans la lutte contre la discrimination, l'accès aux droits, le design universel pour supprimer tout handicap, surfant sur un discours générique post-soixante-huitard sur l'empowerment et l'autodétermination, auquels on ne peut qu'adhérer mais qui paradoxalement, dans une injonction néo-libérale aux plus vulnérables à se gouverner soi-même, laisse les moins habiles de plus en plus isolés pour s'orienter dans un environnement socio-sanitaire de plus en plus hostile, tandis qu'ils sont jugés responsables de leurs attitudes et de leurs comportements et donc en quelque sorte de leur destin.
Fragmentation des structures, segmentation des prises en charge , incoordination de acteurs ne cesseront de s'aggraver avec la rationalisation managériale et financière, malgré les incantations officielles.

La santé publique se confond avec la politique depuis la définition de l'OMS de la santé qui la confond quasiment avec le bonheur des peuples, but de la politique selon Bossuet et Fleury. Aussi les politiques publiques de santé se confondent-elles avec un constructivisme sanitaire, social et éducatif qui ne peut évoquer que le déploiement tranquille de la rationalité formelle de Max Weber dans nouvelle vague de "police médicale" néo-hygiéniste entamant une guerre absurde avec l'hôpital curatif, come dans le déploiement à la française du "disease management".
L'évolution parallèle du système français vers un système de protection sociale de type "libéral-résiduel" américain selon le modèle dEsping-Andersen ne doit pas faire négliger cette formidable dégénerescence bureaucratique de la santé publique.

"Voilà que le vocabulaire marchand gagne ce qu'il y a en nous de plus intime." JB Pontalis Fenêtres (cité par André Grimaldi dans "l'hôpital malade de la rentabilité")

Entre ces deux formules (ou prophéties auto-réalisatrices?) de Michel Foucault, toute médecine sociale disparaît, médecine sociale dont sans doute l'erreur de Foucault, ce grand généalogiste dont la vision systémique a été si pénétrante sur la clinique et la micro-organisation, est de l'avoir trop confondue avec la biopolitique. Elle s'évanouit avec des pans entiers des médecines intégratrices, de la psychiatrie, de la médecine de réadaptation, de la médecine interne aussi sans doute et de la médecine dite de premier recours, entre d'une part un champ médical qui, a juste titre, a peur d'être avalé par ce nouveau "grand tout" social et holistique, dont le dernier avatar est la version bureaucratissime de l'éducation thérapeutique et d'autre part un secteur social et médico-social qui n'en finit pas d'avoir peur d'être avalé par une médicalisation excessive, mais qui va être accablé par la "tarification à la ressource" et un managérialisme qui a si bien su instrumentaliser la spirale de la défiance.

Sanitaire et social seront ainsi soumis aux mêmes incitatifs à la restructuration par le financement prospectif, aux même modèles industriels et marchands de standardisation, et aux mêmes indicateurs myopes. C'est, dans une mauvaise co-production franco-américaine ultra-jacobine et ultra-libérale le déploiement de la Nouvelle Gestion Publique et son improbable "bureaucratie libérale" (David Giauque). Celle-ci a partout montré ses limites en santé et conduit à une inéluctable baisse tendancielle de la qualité, de la sécurité des soins et du taux de motivation.

Nietzsche disait que le libre arbitre est la métaphysique du bourreau, prenons garde à ce que l'autonomie ne devienne pas dans le système de soins celle du marché et de l'économie "mainstream".

"Les économistes sont présentement au volant de notre société, alors qu'ils devraient être sur la banquette arrière."John Maynard Keynes

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire