vendredi 28 janvier 2011

Big data, son clergé, les médecins, les malades et les autres – Rhétorique et statistique

"Il y a trois sortes de mensonges, le mensonge, le fieffé mensonge et les statistiques." Mark Twain.

"Tout mécanisme de régulation est une théorie du changement social." Jean de Kervasdoué.

Les débats actuels sur le Mediator sont bien ennuyeux pour la crédibilité de la médecine. Que voulez vous que le citoyen moyen y comprenne en écoutant et lisant les divers combats d'experts?

Que la médecine soit à la recherche de preuves, de raison, de science, que l'industrie soit corruptrice , qu'il y ait des conflits d'intérêt, que l'EBM soit une idéologie au service du rationnement public sous le prétexte entrepreneurial, que le marché profite des dépouilles de la protection sociale solidaire, que la vieille garde hospitalo-universitaire s'accroche au modèle entrepreneurial et sa vision de l'EBM* pour survivre en légitimant la bureaucratie sanitaire sans vouloir se réformer, paralysée qu'elle est par la peur comme la médecine libérale, de cela nul ne doute. Et pourtant la médecine a plus que jamais besoin d'une université forte face au retour des pires errances jacobines, de même qu'il faut se garder de jeter trop vite aux poubelles de l'Histoire tous les principes d'autonomie de la médecine libérale.

Mais qui peut, dans le public ou même les médecins peu experts de ces sujets, répondre aux questions débattues publiquement par les experts? Quelle est la part de l'incompétence, de la corruption, voire de la bêtise dans ce résultat invariable qu'est l'incurie?

Faut-il se faire vacciner contre la grippe? Les opinions de Marc Girard omniprésent dans les médias et la toile en font parfois douter.

Peut-on faire confiance à une hiérarchie du système de soin qui a militarisé le vaccin contre la grippe H1N1, tout comme il tente de militariser l'hôpital public (la pétition du MDHP dépasse le million!) et de transformer les soignants en tâcherons dépourvus de la moindre autonomie au service de leurs patients, au prix de pertes de chances, de maltraitances et de handicaps administrativement produits que l'absence d'introduction d'une telle désorganisation rationnante et stupide aurait pu éviter, et cela tout en dépensant des fortunes extravagantes pour des stocks inutiles de vaccins et de Tamiflu? Dès lors à qui faire confiance? Les usagers, avec raison, se sont tournés, pour la grippe, vers la médecine de proximité, une leçon a méditer pour les technocrates. Les usagers ont encore confiance dans leur hôpital public, mais sont de plus en plus inquiets. Et il y a de quoi s'inquiéter. La confiance ne se décrète pas. Et si elle se gagne par gouttes, elle se perd, hélas, par litres.

Le vaccin contre l'hépatite B entraîne-t-il des scléroses en plaques, quand son absence entraîne des cancers du foie? Que faire?

A-t-on cédé aux excès du "principe de précaution" dénoncés par Kervasdoué (la peur est au dessus de nos moyens), Attali et bien d'autres?

Finalement le Mediator a-t-il une toxicité si nette? Et si tous les médicaments sont dangereux, et que l'industrie pharmaceutique contrôle, même partiellement, les agences, ne faut-il pas se soigner à l'homéopathie et à l'ostéopathie pour ne rien risquer? Faut-il promouvoir pour autant toutes les patamédecines comme l'Etat semble le faire aujourd'hui, avec des arrière-pensées d'économies évidentes?

Et ne parlons pas des questions sur l'effet des téléphones portables sur les tumeurs cérébrales et des antennes, des OGM, des nuages toxiques dotés de freins intégrés et de système de reconnaissance des frontières. Etc.

Non seulement les jeunes Français et les jeunes médecins doivent réapprendre la rhétorique, stupidement écartée de l'enseignement car considérée comme "jésuite" par des crétins sphériques, car les médecins, aujourd'hui comme au temps du Gorgias** de Platon doivent être aussi forts que les nouveaux sophistes et les charlatans, et le public comme nos élus doivent être capables de vigilance critique, d'ingérence organisationnelle. Mais ils doivent aussi apprendre très tôt la statistique, ses heuristiques et ses leurres, s'agissant notamment des futurs élus avant d'aller siéger dans nos assemblées et de voter les PLFSS.

La statistique est certes une véritable science, mais elle est devenue l'arme suprême des sophistes-managers et de Machiavel qui les met à son service et se croit plus avisé qu'Hippocrate depuis qu'il s'intéresse à la "santé publique" tout en cherchant à budgétiser l'assurance-maladie.

C'est encore Aristote qui définit la politique comme la tekné qui sait rendre le peuple heureux, une teknè qui voit le corps de la cité comme le médecin voit son malade. C'est l'OMS qui fonde officiellement la biopolitique et son envers hélas pour nous la 'pataclinique, cet envahissement constant de la clinique par la santé publique numérique d'Etat*** avec sa justification des choix tragiques, dont nous voyons au quotidien l'expansion destructrice sur nos équipes de soins, en définissant la santé comme le bonheur.

http://www.canal-u.tv/smilesearch/search?r=statistique+en+m%C3%A9decine&t=&st=&n=

Mais voici venu le temps de "Big Data", le veau d'or des entrepôts de données interconnectés qu'on nous demande d'adorer sans réfléchir (data, data everywhere), voici le temps de la nouvelle couche des analystes médico-économiques de la technostructure qui s'approprient les données, leur accessibilité et le droit de les interpréter comme un nouveau clergé du constructivisme socio-sanitaire. Nous voyons avec effroi se déployer "l'ingénierie financière" par le PMSI et le doigt mouillé cherchant à capter les modifications de règles du jeu tarifaires de l'année qui vient, combinée à quelques autres données fort peu consistantes de par les modèles cloisonnés qui les sous-tendent et qui épousent la fragmentation financière du système socio-sanitaire: avant tout l'absence critique de prise en compte et de compréhension des données sociales dans les causes d'hospitalisation (Castiel), quand l'afflux aux urgences des vulnérabilités et de la "dépendance" à des prestations professionnelles et monétarisées ne cesse de croître (Escaffre).

Martin Luther qui était fort irrité dans un autre contexte et une autre époque par ce type de comportement de rétention d'information par la bureaucratie religieuse, est l'auteur de cette phrase très célèbre: "la raison est la putain du diable"

Ignace de Loyola, conscient du gigantesque problème bureaucratique de l'église, voulut, lui, réformer de l'intérieur, éternel débat, et c'est ainsi que les jésuites redécouvrirent l'art de la rhétorique qu'on leur a à tort assimilé. Si le terme de "démocratie sanitaire" n'est pas qu'un attrape-gogo de la propagande officielle, c'est d'abord pour la démocratisation de l'accès aux données qu'il faut se battre. Les limites de la raison sanitaire et de son clergé arrogant, à la fois si suffisant et si insuffisant, sont aujourd'hui évidentes, et il nous faut une autre "réforme".

"Je ne crois qu'aux statistiques que j'ai falsifiées moi-même." Churchill

Notes

*EBM: evidence based medicine ou médecine fondée sur les preuves, les données factuelles. Le modèle est critiquable et ne peut être le "one best way". Tout comme le modèle de production de l'hôpital qui sert de base à l'actuelle tarification, il suppose une consistance souvent très excessive à la notion de "groupe homogène de malade".

**"Gorgias parle : "Il m'est arrivé maintes fois d'accompagner mon frère ou d'autres médecins chez quelque malade qui refusait une drogue ou ne voulait pas se faire opérer par le fer et le feu, et là où les exhortations du médecin restaient vaines, moi je persuadais le malade, par le seul art de la rhétorique. Qu'un orateur et un médecin aillent ensemble dans la ville que tu voudras : si une discussion doit s'engager à l'assemblée du peuple ou dans une réunion quelconque pour décider lequel des deux sera élu comme médecin, j'affirme que le médecin n'existera pas et que l'orateur sera préféré si cela lui plaît.

Il en sera de même en face de tout autre artisan : c'est l'orateur qui se ferait choisir plutôt que n'importe quel compétiteur; car il n'est poins de sujet sur lequel un homme qui sait la rhétorique ne puisse parler devant la foule d'une manière plus persuasive que l'homme de métier quel qu'il soit. Voilà ce qu'est la rhétorique et ce qu'elle peut." Platon

***LES SERVICES INDIVIDUELS ET COLLECTIFS : DEUX DOMAINES DE PRESTATIONS DANS LE SECTEUR DE LA SANTÉ

"L’Organisation mondiale de la santé distingue deux domaines de prestation permettant aux systèmes de santé de répondre aux besoins de services des populations : la prestation de services personnels, comprenant un ensemble de services de prévention, de dépistage, de diagnostic, de traitement, de réadaptation, de soins palliatifs fournis sur une base individuelle et la prestation de services collectifs, comprenant des activités de promotion de la santé et de prévention de la maladie, fournis sur une base collective . Selon cette perspective, la santé publique et le système de soins cohabitent dans le système de santé. Mais l’interaction fonctionnelle entre ces deux secteurs peut varier selon les pays." (Source)

Clinique et santé publique: webographie

Le concept d'intégration des soins - Intégration des soins concepts et mise en oeuvre: André Pierre Contandriopoulos, Jean-Louis denis, Nassera Touati, Rosario Rodriguez.Université de Montréal Cliquer ici (Des définitions et points de vue rarement utilisés en France Diaporama des schémas

Gérer la singularité à grande échelle - De l’usage de concepts gestionnaires dans le champ de la santé Le cas de la qualité hospitalière Étienne Minvielle Cliquer ici
Réconcilier standardisation et singularité: les enjeux de la prise en charge des malades. Etienne Minvielle Une remarquable introduction aux processus cliniques +++ Cliquer ici

L’intégration de la santé publique à la gouverne locale des soins de santé au Québec :
enjeux de la rencontre des missions populationnelle et organisationnelle

http://www.ameli.fr/fileadmin/user_upload/documents/Sante_publique_et_soins_au_Quebec_01.pdf

Comment réconcilier médecine clinique et santé publique (pp. 5-8) OMS Conseil exécutif
http://apps.who.int/gb/archive/pdf_files/EB107/fe35.pdf

L'intégration: dimensions et mise en oeuvre (Contandriopoulos, Deny, Touati)
http://sites.google.com/site/systemedesoinsethandicap/filieres-reseaux-et-coordination/integrationcontandriopoulos.pdf?attredirects=0&d=1

Données probantes et politiques
publiques favorables à la santé :
pistes fournies par les sciences de
la santé et la science politique Patrick Fafard
  • Proposition Un: Les données probantes scientifiques ont peut-être une plus grande influence sur des choix de programmes distincts
  • Proposition Deux: Les transferts de recherches et de connaissances sont critiques mais ne constituent pas toute l’histoire.
  • Proposition Trois: Le rôle des données probantes scientifiques est variable, selon le stage du processus d’élaboration au cours duquel elles sont introduites.
  • Proposition Quatre : La relation entre tout ensemble de données probantes et une
    politique publique dépend de la position de dominance de la
    coalition d’acteurs qui s’en est approprié.
  • Proposition Cinq : L’élaboration d’une politique publique est un processus social et
    les données probantes sont socialement construites. L’analyse et
    la promotion de certaines options de politiques consistent à
    encourager les communications et le dialogue entre les divers
    participants au processus d’élaboration des politiques publiques.
  • Proposition Six: Les partisans d’une politique publique favorable à la santé doivent
    analyser le discours, identifier les schémas conceptuels divers et
    concurrents de cette politique et promouvoir le dialogue entre les
    membres des nombreuses communautés qui seront touchées par
    des changements dans la politique et dans les programmes
    d’intervention.


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