dimanche 29 avril 2012

Le dilemme des Soins de Suite et de Réadaptation: des parcours semés d'embûches


Pas de réadaptation sans solidarité.





Dans tous les pays du monde les hôpitaux tendent à se structurer et se financer en séparant un secteur aigu et un secteur post-aigu. 

Cette restructuration est partout confrontée au même paradoxe de la fragmentation, avec une acuité particulière en France du fait de la fragmentation entre soin et social.
La structuration des SSR obéit à la double contrainte de fournir des soins de qualité répondant aux besoins de patients en phase post-aigue et de résoudre simultanément les apories du financement des soins hospitaliers aigus en particulier au regard de problématiques médico-sociales non captées par le système d'information. 
Les SSR français tendent, du fait des méthodes de cost-killing appliquées par les nouveaux managers de santé, à devenir des structures médico-sociales déguisées. Cette situation est aggravée par la paralysie croissante du réseau réel entre établissements de soins, soins de ville, secteur de l'action sociale et médico-sociale. Les nouveaux produits managériaux de la loi HPST n'y peuvent rien: ils ignorent de façon aussi dogmatique que systématique les contraintes de la micro-économie, le niveau clinique de l'organisation des soins au contact du public. Ils ignorent tout autant, de ce fait, les réseaux réels.

Les SSR sont ainsi confrontés à une injonction paradoxale:

Segmenter les séjours après un évènement aigu selon une logique économique. Lorsque les soins deviennent moins intensifs mais nécessitent la poursuite de l'hospitalisation par défaut des réseaux sanitaires, familiaux et et sociaux de soutien, la filière, la trajectoire, le parcours sont alors appréhendés dans la durée d'un épisode de soins déclenché par un évènement aigu. Cette logique conduit à la vision en "filière inversée" (formule de John K. Galbraith), en flux poussés, en chaîne de production structurée selon un modèle amont-aval ou prime la production et le dé stockage de l'amont.
La T2A y surajoute un comportement d'aléa moral, le transfert de soins et de charge, qui augmente la productivité et la "rentabilité" au regard des indicateurs mis sous concurrence encadrée.

Assurer de soins spécifiques de qualité quand il sont prolongés, qu'ils soient curatifs, palliatifs, de réadaptation et/ou préventifs. Ces soins nécessitent des compétences, installations et des équipements spécifiques, organisées en structures intégrées et en réseau.

Organiser des soins "centrés sur le patient", ce n'est pas étiqueter le patient dans une "filière" décrivant a priori son parcours, souvent ségrégative, l'enfermant dans une "clientèle" dont il aura bien du mal à sortir, quand ses besoins sont imprévisibles et vont évoluer. C'est au contraire le mettre au coeur d'un réseau d'acteurs, qui sont autant de noeuds d'un réseau social entre lesquels circulent des biens et des services et dont il est lui-même acteur, partie prenante plus que légitime.

Il faut donc penser parcours et réseau à la fois, gérer le paradoxe entre contraintes économiques liées à un système d'organisation et de financement imposé et réponse aux besoins des patients par des soins de qualité. Celle ci suppose une réponse structurée à chaque étape de la chaîne de soins, selon les besoins de patients, les procédés de travail, les technologique requises, et l'état de l'art fondée sur les preuves.

Le parcours de soins: nouveau buzzword ou novlangue?

Une définition hospitalo-centrée des parcours?

"Ensemble d'étapes que le patient va suivre tout au long de la trajectoire déterminée par sa maladie et par la spécificité de la situation, depuis son admission à l'hôpital jusqu'à la sortie en passant par les différentes structures et professionnels qui assurent sa prise en charge." Viviane Caillavet-Bachellez. Mémoire EHESP 2010

Notons que dans la phrase suivante de JP Claverane il est aisé de substituer "au sein du système hospitalier" par "au sein du système de soins de santé" pour passer d'une logique de parcours hospitalo-centré à une logique de parcours au sein d'un réseau centré sur le lieu de vie des patients, dans une perspective plus systémique que linéaire et trop restreinte dans le temps, et donnant sa juste place aux soins de première ligne.
"Chaque patient suit au sein du système hospitalier une trajectoire propre qui ne se réduit pas au cours naturel de la maladie mais qui est la résultante complexe des interactions des différents acteurs participant à la prise en charge de cette maladie, des actions qu'ils entreprennent pour tenter de maîtriser le déroulement et l'évolution naturelle de la maladie." Jean-Pierre Claveranne

Le mémoire sous ce lien  (Viviane Caillavet-Bachellez. Mémoire EHESP 2010) est un portrait du directeur de soins en intégrateur. Il mérite d'être parcouru car il est instructif dans son analyse d'une notion très à la mode, le "parcours de soins". Il est confronté aux concepts de filières, de réseaux, de chemin clinique, de "parcours de soins coordonné". Il faut toutefois signaler quelles croyances sous-jacentes il recèle ainsi que son peu de recul critique vis à vis du modèle managérial dominant. Le mémoire évoque très peu les modalités de financement des parcours, par exemple des sommes forfaitaires pour certains groupes de patients en complément d'un financement à l'acte, au séjour etc. 
S'il évoque les tendances actuelles à mettre en place des gate-keeper et les restrictions de remboursement de certains soins, comme il est proposé aujourd'hui pour les diabétiques "indisciplinés" en Hongrie,  les modèles du  managed care dans leur version assurancielle ne sont guère évoqués. Ces omissions systématiques, maladie bien française de la formation des cadres hospitaliers, ne peuvent manquer de faire évoquer une idéologie  gestionnaire déconnecté de toute considération économique et internationale. Exercice oblige.

Exploration de quelques croyances inhérentes à ce discours:

Illusion micro: le mythe du "processus": la qualité ne dépendrait pas des méthodes de l'équipe de soins (considérées comme contre-productives , liées aux silos disciplinaires) mais de l'organisation scientifique du travail, la nouvelle approche processus qui confère "l'expertise en organisation d'activités". L'intégration descendante des sachants des écoles dites de "santé publique" est censée substituer une transversalité aux  actuels "silos" paralysés par leur résistance au changement. Hors cet étage micro-économique du système clinique, le micro-système intelligent et apprenant qui fonctionne au contact du public, certes au sein d'un réseau apprenant plus vaste, est le grand oublié depuis bien longtemps dans notre gouvernance, bien avant  la loi HPST. C'est pourtant la clé de la qualité et de l'efficacité économique pour peu que le management ne sombre pas dans les recettes les plus grossières de cost-killing  sous le masque fumeux de la recherche de performance (Mintzberg: "structure et dynamique des organisations" et François Dupuy: "lost in management"). L'intégration suppose d'abord l'intelligence des silos même s'ils ne sont jamais, pas plus que le professions, des essences éternelles. L'approche processus est utile mais ce ne peut être le couteau suisse de la ré ingénierie générale des soins.
Illusion méso : le mythe du management - Rationalité formelle et système d'information. Les décisions peuvent être prises sur des bases calculables et prévisibles selon la rationalité formelle élaborée par les bureaux de méthodes, le système d'information et les statistiques sont la clé de cette organisation numérique qui doit guider le management stratégique. Le mythe de l'information et de la gestion explicite des risques permet aux rationalités substantives de prétendre se substituer aux rationalités procédurales (Herbert Simon).

Illusion macro : le mythe de l'idiot rationnel. Les acteurs, usagers, médecins, élus, managers, se comportent comme des idiots rationnel (Amartya Sen) à la recherche de la maximisation de leur utilité et de leur intérêt (théorie des choix publics, une des sources du Nouveau Management Public et de la concurrence encadrée par des indicateurs)

Ainsi se referme la célèbre cage d'acier de Max Weber.

Avons nous besoin des parcours de soins?

Le parcours de soins est donc un buzzword, un mot valise, un mot qui impressionne et dont peu osent demander le sens, mais ce n'est pas un mot de novlangue. Il n'en demeure pas moins que l'approche par les parcours de soins, dans un système semé d'obstacles à la continuité de toute nature, peut permettre de réduire ces gaps désastreux avec les pertes de chance et handicaps qui en résultent. Ils doivent être organisés et financés sous la double contrainte de la qualité et de la maîtrise des dépense de santé, mais avec l'ensemble des parties prenantes légitimes et en articulant enfin les différents niveaux de gouvernance, clinique, managériale et politique.

1. Le parcours de soins du patient: un dispositif fédérateur pour les CHT. Viviane Caillavet-Bachellez. Mémoire EHESP 2010
2. Le lexique du parcours de soins
3. Les parcours de soins coordonnés
4. Les parcours de soins en MPR sur le site de la FHF: "une nouvelle approche, une piste pour une autre tarification en SSR"

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