dimanche 24 mars 2013

Brève histoire du pacte de défiance

Comment cela a-t-il été possible? Quel aveuglement général peut masquer une telle destruction de la qualité des soins sous l'effet de l'action publique en France?
C'est pourtant simple, mais il faut la décrire comme le résultat de l'affrontement de deux principes radicalement inconciliables.

« On dit qu’une action est conforme au principe d’utilité, quand la tendance qu’elle a d’augmenter le bonheur de la communauté l’emporte sur celle qu’elle a de le diminuer » Jeremy Bentham

« Agis de telle sorte que tu traites l’humanité aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre, toujours comme une fin, et jamais simplement comme un moyen » Kant




1. La Pression macro économique majeure sur les lits d'hôpital est aujourd'hui légitimée par une fausse qualité et une fausse "santé publique". Cette qualité définie d'en haut par des "agences" faussement indépendantes de l'Etat et cette santé publique assimilée au bonheur qui est, rappelons-le, le but de la politique selon Aristote mais non celui de la Médecine, ont érigé le veau d'or de la "santé numérique" par le reporting. L'enfumage sur la destruction des soins de santé solidaires est bien organisé par la clique des intellectuels organiques, leurs "chiens de garde" médiatiques et par la promotion des modèles de performance publique de l'OCDE.
Je ne nie pas qu'une véritable performance soit possible, mais elle ne peut être fondée que sur une vision décloisonnée de la pertinence des soins, qui commencerait par analyser les déterminants réels de l’hospitalisation, en lien avec l'affaiblissement des réseaux familiaux et socio-sanitaires de soins et de soutien! L'hôpital "machine à guérir" et contraint malgré lui à produire des Groupes Homogènes de Malades (GHM), une réalité toute virtuelle mais étroitement normée, conditionnant sa survie financière, au mépris le plus complet de la réalité de la transition socio-sanitaire, va à rebours de la place qu'il doit avoir dans la nouvelle territorialité.
Nous ne pouvons rester dupes de programmes d'ajustement structurels (SAP) dignes de ce qui est imposé aux pays du tiers-monde dans leur stupéfiante injonction à sacrifier à une gestion financière court-termiste les soins de santé, l'éducation, la recherche et les service sociaux pour les populations servies. César et Mammon, ces nouvelles idoles de la santé publique,  celle du "divin marché" avec les mythes du marché efficient et celle la Déesse Raison d'où émane le mythe de la rationalisation managériale, ne sont là que pour masquer la destruction systématique des hôpitaux publics. La main invisible du marché et la main visible des managers y sont devenu à dessin des tueur redoutables, par l'effroyable jeu de leur dyssynergie quotidienne. Jeux de mains jeux de vilains.

2. La Technocratie intermédiaire déploie les injonctions paradoxales venues "d'en haut" avec tous les effets pervers connus, mais d'autant plus mutuellement paralysants qu'ils sont sans garde-fous, de la rationalisation managériale et de la managed competition. La rationalisation néo-managériale est le produit appliqué à la santé de la corporate governance dont l'objectif premier est de protéger les ayants-droit (Etat ou actionnaires; pour Milton Friedman et l'Ecole de Chicago, l'intérêt de l'actionnaire passe avant toutes les parties prenante et nous sommes bien au coeur de "l'Etat prédateur" néo-libéral chargé de généraliser la forme entrepreneuriale).
Tous les garde-fous indispensables à un minimum d'efficacité espérée sont pourtant largement décrits dans la littérature managériale et dans celle qui porte sur les conditions du déploiement de la yardstick competition importée des USA*. De plus en France nous avons abandonné l'organisation médicale des soins et créé une couche managériale hospitalière qui ne connaît rien au méthodes de travail réelles. Elle ne sait que fermer maladroitement les robinets financiers, face aux arguments médicaux qui oscillent aujourd'hui entre "management by decibels" et "management by lobbying". De raison médicale, il n'y en a plus guère quand il s'agit simplement de stratégies de survie pour nos activités cliniques. C'est la guerre hobbesienne de tous contre tous et le Léviathan-providence est bien fatigué.

3. Le grand désenchantement des rameurs, au premier niveau de gouvernance, est toujours superbement ignoré par le "pacte de défiance". C'est celui de l'équipe ou structure interne, unité clinique, ou de soins comme vous voulez la nommer, ou encore le service au sens premier de service organisé rendu au patients. C'est celui où s’effectue la prise en charge opérationnelle au contact du public qu'il faut vaporiser, puisque la doxa managérialiste vise avant tout à laisser un ensemble de "techniciens supérieurs" de santé face au directeurs, impuissants vers le haut mais tout-puissants vers le bas depuis la loi HPST. C'est le niveau que les ingénieurs de santé veulent réduire à néant , celui ou se conjugue le leadership médical tant honni et le lien intangible entre le médecin, l'équipe et le patient. Ce niveau est essentiel pour la qualité et la sécurité des soins puisqu'il conditionne l'a possibilité d'équipes stables, formées et motivées. Il est donc impératif qu'il émerge dans la représentativité des médecins hospitaliers, à l'échelon local des établissements, territorial de santé et régional au niveau des ARS. Ni la Commission médicale d'Etablissement (CME), ni des pôles qu'on pourrait imaginer comme n'étant pas "PIM PAM POUM", c'est à dire construits autoritairement et sans cohérence en termes d'élaboration de leur politique médicale, n'auront de légitimité réelle de gouvernance sans cet étage là qui n'est autre que celui de la clinique.

*dont la lutte contre les grands trusts hospitaliers et leurs accord collusifs, qui peuvent tout à la fois mieux sélectionner les patients, mieux réduire la qualité des soins non évaluée et sans risques juridiques faute de pouvoir augmenter les prix, mieux segmenter les séjours à leur guise, mieux organiser les "restrictions verticales" de leurs nouvelles filières internes, mieux pomper sans vergogne certains secteurs hospitaliers encore sous Dotation Globale pour en faire des variables d'ajustement (Soins de Suite et de Réadaptation et psychiatrie). L'AP-HP n'a rien de spécifique. Comme toutes les grosses machines trop gigantesques pour être efficientes elle accélère seulement la gidouille par l'opacité de sa pyramide hiérarchique et une CME hélas captive du système. La CME est tristement réduite au rôle de "mutin de Panurge" d'un cost-killing conduit de façon ubuesque dans le sillage des gestionnaires de risques financiers.

Ami patient, malade, simple usager, membre ou non d'une association de malades, de personnes handicapées ou d'une autre nature, sache que s'il n'est qu'un simple être humain, le médecin n'est pas l'ennemi que tu crois et que désignent à ta vindicte tous les ajusteurs de dépenses publiques. Médite ces deux pensées de Kant et de Bentham citées au début de ce message. Dis-toi bien que le médecin est fondamentalement du coté de l'humaniste qui vise avant tout l'intérêt de son patient et non de l'utilitariste qui ne sait que calculer l'intérêt général. Du moins prétend-il savoir le faire.

«Le médecin n'est pas au service de la science, de la race ou de la vie. C'est un individu au service d'un autre individu, le patient. Ses décisions se fondent toujours sur l'intérêt individuel.»  Théodore Fox, ancien rédacteur en chef du Lancet

«L'homme purement économique est à vrai dire un vrai demeuré social. La théorie économique s'est beaucoup occupée de cet idiot rationnel, drapé dans la gloire de son classement unique et multifonctionnel de préférences. » Amartya Sen


Webographie

Le premier schéma en haut du message est adapté de:
A rapprocher de Redefining Healcare (MIchael Porter, de la Harvard Businesse School, critique les formes actuelles de la managed competition, mais il propose hélas d'en sortir par la value-based competition)



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