mercredi 23 juillet 2014

Rationnement et triage en médecine

Rationnement et triage appliqués aux AVC


« Votre doute peut devenir une qualité si vous l’éduquez. Il doit se faire connaissance, il doit devenir critique. (…) Exigez des arguments ; attentif, conséquent, agissez de la sorte dans chaque cas en particulier ; et le jour viendra où il cessera d’être destructeur pour devenir l’un de vos meilleurs travailleurs – peut-être le plus intelligent de tous ceux qui travaillent à bâtir votre vie ».  Rainer Maria Rilke (cité par Sophie Crozier)

La question est traitée par Sophie Crozier dans cette belle thèse que je me permets de qualifier d'ubulogique dès lors qu'elle contribue à la généalogie de la gidouille managérialiste en santé. On note en effet 61 occurrences du mot "rationnement" et 46 du mot "triage". Vous qui entrez ici, préparez vous à quitter le pays des bisounours de la santé publique.


"Mais l’implication des citoyens dans les choix faits et le souci de transparence a ses limites, car en réalité, les micro et macro-rationnement sont choisis pour qu’ils soient acceptés par la population. Ils sont fondés sur des valeurs non controversées (mais pas toujours justifiées en terme d’utilité) avec le souci que les contraintes soient le moins visibles possible et perçues comme limitées et rares par les citoyens. "

Cette réflexion doit être  étendue aux SSR et à l'ensemble des "parcours". La question est traitée par Sophie à partir de la typologie des patients  de la conférence de 2008 sur l'orientation des AVC. Conférence d’experts avec audition publique.(1)
Cette typologie, calquée sur les autorisations de 2008, ne pose pas la question essentielle du rationnement de la réadaptation (2), ni celle de la pertinence des paramètres d'orientation. Ces questions sont étroitement liées à la segmentation des soins post-aigus en France marquée par l'occultation des logiques de réadaptation face à la logique de fluidité des filières. 

La fin ou à tout le moins le recul majeur du paradigme de réadaptation apparaît intimement liée en France à la mise en cause du modèle national de la solidarité qui se traduit par une fragmentation croissante entre soins et social, entre cure (méthodes de diagnostic et de traitement des maladies) et care (continuité des soins adaptée aux nouveaux déterminants de santé), entre différentiation technique et intégration des "parcours". Cette dernière étant de plus en plus orientée, sous couvert de défragmentation, vers une marchandisation au profit des assureurs privés par la "politique du salami" qui détruit lentement la "sécu" en augmentant inégalités d'accès aux soins et reste à charge (Tabuteau). Malheureusement le monde du handicap, acquis aux modèles anglo-saxons de l'autonomie, a contribué à ce recul en opposant le concept de "réadaptation" jugé obsolète et fleurant trop la "bienfaisance" à celui de "participation" inspiré du modèle du self anglo-saxon. Nous avons évoqué cette question et les répercussions en matière d'accès aux soins dans l'article sous ce lien.

Pourtant les organisation internationales plaident, contre cette vision dichotomique, pour un modèle paradoxal à la fois intégratif et participatif de la santé, le seul moyen de ne pas tomber dans les travers du workfare (opposé du welfare), de ce "consumer empowerment" qui devient illusoire pour ceux qui n'ont pas les capabilités (Amartya Sen) pour s'insérer dans le grand terrain de jeu de l'entreprise de soi et des autres et qu'on promet, après les avoir culpabilisés et rendus responsables de des "infortunes que leurs vices ont produit" (Tocqueville) au filets de sécurités ordo-libéraux.

Partout à l'étranger où l'on cherche à rendre ces critères plus robustes se pose la question du conflit entre "medical necessity" (indications selon les assureurs, règles du contrôle externe, logique des payeurs) et "medical appropriateness" (logique des cliniciens) 

La question éthique du rationnement et du triage, si elle est pertinente en réanimation et en UNV, ne l'est pas moins en aval, comme le souligne fort bien Sophie Crozier.
  • Qui bénéficiera d'interventions dédiées à l'amélioration fonctionnelle en situation de ressources rares et de redéfinition des contours de la protection sociale? Comment gérer la difficulté d'évaluer le potentiel d'amélioration fonctionnelle ou pronostic fonctionnel? Qui bénéficiera plutôt de soins et d'accompagnement dédiés essentiellement à la "dépendance"? L'organisation et le financement des soins sont alors bien différents.
  • En quoi la prévision des séjours longs, l'évitement des "impasses hospitalières" et les nouvelles pratiques de bed management  industriel dans un système hyper-fragmenté modifie les décisions d'orientation et l'organisation des soins?
  • Comment les business models ont entraîné la reconfiguration des filières de soins post-aigus (diaporama CALASS Rennes 2013)
  • La plupart des pays étrangers (3) ont segmenté leurs soins post-aigu selon les finalités médicales principales de prise en charge, la France les a segmenté selon les catégories médicales de l'aigu, la distinction entre polyvalent et spécialisé, mal définie, ne repose pas sur cette clé de spécification des activités. Réforme du PMSI SSR et poursuite de la spécification des activités restent essentielles.
  • Je joins un diaporama sur le potentiel d'amélioration fonctionnelle (4); la réflexion peut s'appliquer à toutes les disciplines intervenant en SSR et pas seulement à la mienne.

1. Situation cliniques selon la conférence de 2008 sur l'orientation des AVC.

 Cinq situations cliniques sont décrites et des critères et propositions formulés pour :
− Les AVC sévères (hématome ou infarctus massif avec ou sans craniectomie, accident 
du tronc cérébral et « locked-in syndrom », malformation vasculaire compliquée) ;
− Les patients à orienter vers le SSR spécialisé en affections neurologiques ;
− Les patients à orienter vers les SSR non spécialisés ou spécialisés en affections de la 
personne âgée polypathologique dépendante ou à risque de dépendance ;
− Les patients à orienter vers le domicile ;
− Les patients à orienter vers un EHPAD

On voit dans cette conférence, comme souvent en France, que les textes définissent les concepts dès lors hypostasiés, et que le raisonnement fonctionne en boucle auto-référentielles autour des autorisations SSR. les enceintes mentales construites au niveau "macro" semblent infranchissables.

2. Définition internationale de la réadaptation (OMS - banque mondiale)
« un ensemble de mesures qui aident des personnes présentant ou susceptibles de présenter un handicap à atteindre et maintenir un fonctionnement optimal en interaction avec leur environnement .»

3. Système étrangers (raccrochons notre pays au monde!)

International casemix and funding models: lessons for rehabilitationTurner-Stokes et al. Clin Rehabil 2012 26: 195   -   Télécharger en pdf

Modèle de détermination des coûts de revient des usagers (patients) référés dans un programme de réadaptation en déficiences physiques (Coulmont, Roy, Fougeyrollas) 2004

USA

Quality and Outcome Measures for Rehabilitation Programs Carl V Granger, MD; Chief Editor: Rene Cailliet, MD (en pdf )

Development of Function-Related Groups Version 2.0: A Classification System for Medical Rehabilitation - Stineman et al. Health Serv Res. Oct 1997; 32(4): 529–548.

Canada

Méthodologie de regroupement des patients en réadaptation

Institut canadien d'information sur la santé - Rehabilitation Patient Group (RPG) Grouping Methodology and Weights

Méthodologie de regroupement GPR et pondérations des coûts en réadaptation

4. Quelle place pour le potentiel d’amélioration fonctionnelle ?

Esculape vous tienne en joie

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