dimanche 16 décembre 2012

Le pire ennemi du médecin est le médecin


Citoyenneté hospitalière: l'humanisme médical en sursis
Quelle place pour les disciplines d'exercice à l'hôpital face aux nouveaux chiens de garde?


Une réforme de la gouvernance qui ne viendra pas

Nous invitons tous les amateurs de ce blog à lire d'urgence le livre de Bernard Granger et Frédéric Pierru "l'hôpital en sursis", que nous avons promu au florilège des  ouvrages d'ubulogie clinique dans ce diaporama introductif.. Sans être une recension du livre, le texte suivant s'en inspire tant il peut  fournir l'explication qu'Edgar Faure aurait pu donner de l’évolution attendue de la gouvernance hospitalière:
"L'immobilisme est en marche et rien ne pourra l'arrêter"

Une réforme profonde de la gouvernance est-elle attendue des travaux de la mission Couty? Certainement pas! Après la dénonciation de toutes les limites de la loi HPST et de l'effroyable bureaucratisation pseudo-marchande du système de soins qu'elle déploie, voici que nos plus brillants médecins politico-médiatiques s’apprêtent à se soumette à la doxa réformatrice "avec la souplesse accommodante d'un majordome anglais apportant des toasts beurrés au Prince ce Galles" (Serge Halimi: "les nouveaux chiens de garde").

Il semble qu'une profonde léthargie accable en France le professionnalisme médical et que plus personne, en tout cas parmi les négociateurs, ne soit là pour réclamer la réforme pourtant tant attendue des professionnels hospitaliers. Je parle ici de l'ensemble des professionnels médico-soignants. En dehors de quelques organisations bien peu entendues, la tyrannie du consensus mou est en train de tuer l'espoir d'une véritable réforme de nos hôpitaux et au delà du système socio-sanitaire français. Qu'attendre de ces groupes chargés avant tout d'enterrer les problèmes, paralysés d'emblée par le poids des fédérations, de la DGOS, de la CNAM, de tous les autres "technos", des conférences de présidents de CME, des nouveaux médecins gestionnaires que sont les chefs de pôle, placés à un niveau imbécilement proclamé comme le plus bas niveau de gouvernance et de responsabilité médicale? 
Mais quelle sera la place des briques opérationnelles constitutives de l'activité hospitalière,k les unités productives en novlangue, que restent qu'on le veuille ou non dans la vraie vie hospitalière les disciplines d'exercice? 
Le rétablissement de prérogatives du président de CME et de la CME elle-même est bien entendu attendu du simple bon sens. Il s'agit de rééquilibrer des pouvoirs à l'hôpital en faveur de ceux qui connaissent les méthodes de soins et que viennent voir les malades. Mais comment penser dans le même mouvement les droits et devoirs de l'unité de "production"? Comment faire vivre concrètement  la "structure interne", puisque nous devons dans cette affaire nommer une entité indéfinie, quand le concept de "service" est diabolisé par la doxa réformatrice française, une entité qui devrait avoir une place bien identifiée dans l'organisation et la gouvernance entre le pôle, le service et l'unité fonctionnelle? La "structure interne" n'est qu'une coquille vide, vidée par la pensée dominante des process dont la ré-ingénierie aurait dû selon un pur fantasme émerger des nouveaux "bureau des méthodes" de l'organisation hospitalière. Mais l'échec de ce management stérilisant et infantilisant est patent, sur la qualité des soins, les motivations des professionnels et surtout le gain global d'efficience qui en était tout de même la justification princeps. Ainsi, à moins que "l'efficience" ne soit que l'autre nom de réduction des dépenses de santé en rationnant les soins. Une des plus grandes carences du management de nos établissements de soins est bien l'invisibilité même du périmètre et des prérogatives de ces centres de responsabilités médicales.

Voilà une incurie politique qui contribue à laisser vacants de plus en plus de postes de médecins des hôpitaux mais aussi de paramédicaux. Tous refusent de se voir jouer le rôle de simples techniciens supérieurs de santé. Toutes les disciplines structurantes ne meurent pas aussi vite, mais toutes sont frappées. Le "mépris injurieux" pour des salariés supposés a priori paresseux et qu'il faudrait fouetter par des incitatifs à la qualité, (mais laquelle?), n'a d'égal que celui tou aussi injurieux des médecins assoiffés d'or qui ont une activité libérale à l'hôpital ou en ville, jetés en pâture à 'l'opinion par les chiens de garde politico-médiatiques de tous bords pour quelques rares brebis galeuse aux pratiques extravagantes. Marisol Touraine se trouve bien l'arroseur arrosé par toutes les contrevérités démagogiques qu'on a laissé lancer contre les médecins pendant la phase euphorique des promesses irresponsables. La voilà obligée de calmer les jusqu'au-boutistes de l'anti-médecine que le pouvoir a lâché croyant faire là une bonne affaire politique. Les voici obligés de calmer leurs propres députés, comme l’inénarrable député Paul et tous ceux qui croient pouvoir se tailler un succès électoral sur le dos des médecins.

Ainsi le "marché" serait vertueux, mais pas pour les médecins de base. Eux devraient être fouettés par le bâton du reporting et incités par la carotte des indicateurs qualité et du P4P (paiement à la performance). La T2A ne leur suffit donc pas. Le pseudo-marché à l'activité lui, serai seulement vertueux pour les directeurs et les chefs de pôle incités par la T2A? On sait bien que ces tarifs sont souvent conçus comme une machine perdre qui ne reflètent plus en rien des moyennes de coûts réels de groupes supposés homogènes, à supposer qu'ils l'aient fait lors de la construction des échelles nationales de coûts (ENC) phase au terme de laquelle on prend une moyenne pour une norme (Jean de Kervasdoué, "Très cher santé"). En effet les tarifs diminuent dès lors qu'ils sont contraints dans une enveloppe globale fermée, l'Ondam, qui de surcroît, ampute les tarifs dès qu'elle abonde des compartiments annexes (médicaments onéreux, MIGAC MERRI , plateaux techniques etc.). Le postulat politique des défenseurs de cette folle politique est que cette puissance de restructuration, même et surtout sous enveloppes fermée. Elle doit forcer ce qu'on considère axiomatiquement comme une bureaucratie webérienne, rigide et mal organisés à un "assainissement", ou peut-être même selon le souhait de certains à l'extinction, par le biais de pseudo-marchés ayant pour seul but de "sidérer" toute résistance des professionnels (y compris des directeurs). Lire à ce sujet "l'hôpital en sursis".


Il est vrai, pour dédouaner le député Paul, qu'à l'assemblée, le pire ennemi du médecin reste toujours le médecin qui a de comptes à régler avec ses pairs. Hélas, hélas, hélas. Les pires anti-médecins sont toujours les députés médecins.

Citoyenneté hospitalière et partie prenantes légitimes


La citoyenneté est le fait pour une personne, pour une famille ou pour un groupe, d'être reconnu comme membre d'une cité (aujourd'hui d'un État) nourrissant un projet commun auquel ils souhaitent prendre une part active. La citoyenneté comporte des droits civils et politiques et des devoirs civiques définissant le rôle du citoyen dans la cité et face aux institutions.

Si nous appliquons cette notion à la santé et aux organisations du système de santé, la "démocratie sanitaire" supposerait en premier lieu le respect de la citoyenneté des soignants en tant que parties prenantes du système socio-sanitaire, au coté bien sûr des usagers et des élus.

De ce fait la loi HPST consacre une véritable dépossession démocratique qui se cristallise autour de la promotion de la vision industrielle et managérialiste de l'hôpital
Nous appelons "industrielle" la notion d'hôpital entreprise qui vise à y applique des méthodesde standardisation des processus selon des méthodes importées d'organisation scientifique du travail importées de l'industrie
Nous appelons "managérialisme" la prise de contrôle du management selon les principes de la corporate governance (défense prioritaire des intérêts de ayants droits ou payeurs, actionnaires privés ou  gouvernements, par rapport aux autres partie prenantes). 
Dans le secteur public, le Nouveau Management Public associe de façon variable selon les pays plusieurs éléments clés issus de la gouvernance d'entreprise:
Sur le plan théorique, législatif et réglementaire:
- théorie de l'agence (principal-agent, contrôle de l'asymétrie d'information) , théorie des choix publics, théorie des coûts de transaction, concurrence par comparaison (yardstick competition), modèle de performance publique et gestion axée sur les résultats promue par l'OCDE avec la LOLF et la RGPP en France. Imposition des modèles européens, directive services, notion de "services d'intérêt collectif" etc.
Sur le plan pratique, de l'organisation et du financement des soins: la théorie des choix publics entérine un système de défiance généralisée sur les motivations des acteurs supposés égoïstes et rationnels, maximisant leur utilité
- dissociation des droits de propriété et du management, dissociation de la conception et de l'exécution, dissociation, dissociation entre qualité et efficience, dissociation performance et niveau de ressources (Belorgey)


Ainsi la dépossession démocratique et la perte de la "citoyenneté soignante" passe de aux yeux des réformateurs par la vaporisation des "services" désigné comme lieu de résistance délétère des collectifs professionnels. De nombreuses études sociologiques ont d'ailleurs montré que les médico-soignants avaient davantage une culture de service, construite autour de leurs "coeurs de métier" qu'une culture institutionnelle, même s'ils sont très attachés aux valeurs et aux missions de leur établissement. Dès lors apparaît la logique implacable de la succession des réforme françaises:


- Loi Evin Durieux de 1991: importation du modèle de Fetter de production de l'hôpital, mise en place du PMSI MCO, segmentation des séjours entre MCO et SSR, dissociation "industrielle" de la clinique en "fonctionnement médical" et "organisation des soins" (modèle fonctionnel de Taylor) . C'est la première mort des services où tous les paramédicaux passent sous contrôle hiérarchique des directions d'hôpital.


- Vient ensuite la mise en place du PMSI, de la T2A en court séjour, qui par imposition de filières verticales qu'on a pensé comme structurées par l'amont (nouvelles "spécialités" administrativement définies des SSR) aboutiront à l'impasse actuelle de la tarification en SSR et psychiatrie, pour des secteurs dont le bon fonctionnement dépendent avant tout de l'organisation de l'amont et de l'aval ou plutôt, pour sortir de ce modèle "linéaire" des parcours de soins, d'un maillage territorial réel avec les soins de ville et le secteur médico-social (rapport de la cour des comptes sur les SSR septembre 2012).


- Hôpital 2007: mise ne place des pôles le plus souvent "Pim Pam Poum" c'est à dire sans cohérence médicale structurante, conçus davantage comme centres de coûts que de résultats. Cette restructuration en organisation divisionnelle au sens de Mintzberg parachève progressivement la disparition définitive du pouvoir d'organisation des soins des chefs de service.
A noter que dans les CHU, le rôle de la "clinique" devient synonyme d'organisation de la recherche et de l'enseignement et le rôle d'organisation n'est plus guère pensée qu'en termes de lien avec leurs applications sur des pratiques innovantes de soins. La "citoyenneté" hospitalière des disciplines médicales ne se conçoit plus que sous cet aspect. La citoyenneté d'une discipline structurante de l'organisation devient l'impensé majeur du modèle, hors universitarisation locale de l'activité d'exercice. Il y a là un risque majeur et hélas déjà avéré de clivage entre médecins HU et H dont les managers semblent avoir su largement tirer profit pour régner sur l'organisation des soins. ils n'auront de cesse de prendre la direction hiérarchique directe des médecins, en commençant par les non U.


- La loi HPST consacre pleinement la corporate governance dans le système socio-sanitaire en mettant encore davantage les chefs de pôle sous la coupe du directeur de l'établissement, tandis qu'elle a réduit ls pouvoirs de la CME à peau de chagrin. Le projet de "solides chaînes de commandement" prônées par Alain Minc pour casser les mandarinats est enfin achevé, souvent avec l'aide des nouveaux médecins gestionnaires acquis au modèle.


En quoi les connaissances sont-elles structurantes et génératrices de performance? Comment s'associent-elles en unités opérationnelles efficaces et au moindre coût hors les modèles industriels qui ont fait la preuve de leur échec? Comment éviter l'amnésie organisationnelle actuelle de nos hôpitaux? Comment s'effectue la combinaison systémique des connaissances qu'on sait dans toutes les organisations être à 80% implicites. Comment, en bon management et en capitalisant enfin les connaissances, en sachant les assembler au lieu de les détruire par une différenciation imbécile des hôpitaux, produire de l'innovation, des soins qui ont du sens pour les professionnels et les malades tout en développant des avantages compétitifs? 


Disserter sans fin sur la T2A, ses effets pervers comparés aux autres systèmes de financements, mais sans s'interroger sur un système de régulation qui interdit aujourd'hui toute promotion intelligente du juste soin au juste coût et toute véritable définition d'une qualité qui servirait avant tout de garde-fou à des modèles de financements tous imparfaits est un exercice bien inutile.
Que l'on veuille ajouter aux incitatifs de ces "leurres marchands" qui ont déjà mis l'ensemble des acteurs de la chaîne de soins en concurrence là où ils devaient collaborer à une chaîne de valeur, encore d'autres incitatifs fondés sur des indicateurs qualité qui ne font qu'épouser le modèle managérialiste sans disposer de la moindre preuve de leur capacité à favoriser l'économie, l'efficacité ou l’efficience, les 3 E de la performance ne cesse de me stupéfier. 


Que certaines organisations de "médecins se précipitent pour se prendre eux-mêmes pour des "idiots rationnels", des homo economicus hospitaliers ou libéraux, et demander au puvoirs publics des incitations qui ne manqueront pas de produire leurs effets de prophétie auto-réalisatrice en multipliant leurs comportements opportunistes, voilà qui me consterne et me désespère!

Devenus encore moins vertueux, les médecins ne s'étonneront pas de voir exploser le reporting, la défiance de contrôles toujours plus tatillons, chronophages et contre-productifs, les indicateurs toujours plus ubuesques faute d'oser prendre le risque de démasquer la baisse de qualité réelle et enfin les injonctions paradoxales qu'ils aurons eux-même réclamé dans leur course folle à la servitude volontaire.

J'avoue être fort étonné qu'un certain nombre d'organisation médicales semblent toujours s'empresser de courir après la dernière machine gouvernementale à détruire l'autonomie des médecins:
Voici que se sont succédé depuis les années soixante-dix de sinistres renoncements et résignations: l'abandon de l'organisation des soins aux directions d'hôpital, le renoncement des médecins à participer à la gestion et aux "centres de responsabilité" un moment promus par la loi , la tarification à l'activité à 100% sans aucun garde-fous robuste, à commencer par les conditions techniques de fonctionnement, abandon de toute citoyenneté des disciplines d'exercice et de leurs recommandations de bonnes pratiques et de bonne organisation, au profit des centres de coûts de pôles le plus souvent construits de façon autoritaire, en dépit du bon sens. Ceux-ci ont détérioré les organisations en contribuant à séparer toujours plus, en "boite à oeufs" qui ne doivent pas se toucher,  les lignes médicales et paramédicales. Cela allait comme toujours à rebours des objectifs affichés dans une délégation des gestion qui n'a jamais eu lieu. Surtout à l'AP-HP (Paris)
Mais le pire, c'est enfin l'abandon définitif décidé par d'autres qu'eux mêmes, pour les responsables médicaux d'activités hospitalières, au nom des vertus supposées du pilotage par les petits, moyens et grands experts "d'en haut", pire, au nom de l'espoir de je ne sais quel fantasme d'une nouvelle bureaucratie mandarinale de marché reconfigurée, de toute responsabilité d'organisation, de toute autonomie et de toute participation réelle aux processus de décision qui pourtant les concernent et sur lesquels leurs connaissances étaient indispensables, notamment pour l'efficacité des fameux maillages territoriaux nécessaire à l'intégration des parcours de soins.
Il faut que les usagers en prennent la mesure, hors les associations "chiennes de garde" du dispositif de rationnement comptable. Il faut qu'ils commencent à s'organiser pour vérifier les conditions de fonctionnement, les équipements , les effectifs soignants et les compétences réelles médicals ou paramédicales des structures où ils viendront se faire soigner. Qu'ils ne comptent pas sur les palmarès du Point, cette fausse transparence pour gogos organisée par l'establishment et son enfumage généralisé par la fausse qualité.

Nous voulions du "RAP" (responsabilité, autonomie et participation aux processus de décision dans  un  information loyale) pour chasser notre blues, et nous pleurerons comme des enfants ce que nous n'avons pas été capables de défendre comme des professionnels responsables.

Pour ceux qui ne sont pas encore déniaisés, voici l'antidote:
1. Regarder le diaporama d'introduction et visitez le site d'ubulogie clinique
2. Lire d'urgence l'hôpital en sursis
3. Lire ce formidable article sur les directions d'hôpital ++++
4. ET débrouillez vous pour trouver en complément indispensable cet article de Pierru pour expliquer certains des comportements médicaux de "chiens de garde" et de "trahison des clercs".
Frédéric Pierru - Le mandarinle gestionnaire et le consultant Le tournant néolibéral de la politique hospitalière. Actes de la recherche en sciences sociales 2012/4 (n° 194); 32-51



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