dimanche 2 décembre 2012

La T2A, peut-être, mais pas à n'importe quel prix.


Iatrogénèse managériale et aveuglement collectif

"Les portes de la charité sont difficiles à ouvrir et dures à refermer." Proverbe chinois

Présentation - Les auteurs:  Bernard Granger - Frédéric Pierru


La sophistique managériale en action

"Je ne crois aux statistiques que lorsque je les ai falsifiées moi-même." Winston Churchill

D'après une dépêche APM du 30 novembre 2012, les conclusions de l'enquête menée pour la FHF par l'ancien Directeur de la Politique médicale de l'AP-HP, Jean-Yves Fagon, montreraient que "La mise en œuvre de la tarification à l'activité (T2A) n'aurait pas eu d'effets délétères sur la qualité des prises en charge". On sait que le FHF est très favorable à la T2A, parce que celle-ci a permis de renforcer le contrôle exercé par les "nouveaux patrons de l'hôpital" sur la profession médicale par l'intermédiaire des centres de coûts, les pôles. Il est vrai, à leur décharge, que ces nouveaux patrons sont aussi les nouveaux fusibles des "agences", à l'heure où les directions sont enjointes par la nouvelle chaîne de commandement des hôpitaux de faire tenir par tous les moyens les enveloppes dans le cadre contraint de l'Ondam. L'application actuelle de la T2A, sous une des formes les plus intégristes de la religion des pseudo-marchés et des incitations, associe ainsi un cost-killing irresponsable par des "restructurations" de plus en plus démédicalisées et déconnectées des besoins territoriaux, l'infantilisation managériale des soignants et l'explosion ubuesque du reporting de résultats aussi myopes qu'inutiles. Il faut bien sûr ds indicateurs mais construits sur une qualité qui a du sens pour les professionnels, pour les usagers et pour les payeurs, et pas seulement pour ces derniers. Mais hélas, il ne s'agit ici que de rationaliser le rationnement, selon les modèles de performance publique de l'OCDE et de la LOLF, en gardant la maîtrise du discours politico-médiatique. La construction de la réalité sanitaire et des inférences des disciplines qui la composent repose aujourd'hui sur la légitimité scientifique des grandes "orientations de santé publique". Qui peut être contre? Mais quels  niveaux de preuves, quel evidence based management, peuvent donc afficher ces grands programmes descendant de politiques publiques sans pilote, qui promettent plus qu'elles ne peuvent tenir. Tout se passe comme s'il s'agissait en fait d'une arène où les coalitions diverses se battent pour attirer les fonds. Aucune organisation humaine ne pourrait résister à une telle incurie bureaucratique, qui tente de se dissimuler derrière la vacuité de la propagande officielle et la multiplication des niveaux de la pyramide. Il a été abondamment dénoncé, notamment par Robert Holcman lui même directeur, que la seule variable d'ajustement qui reste est la qualité des soins et notamment par le biais des suppressions de postes permises par la dérégulation professionnelle. (son intervention au sénat en 2008).

Soulignons quelques passages de la dépêche APM reflétant la sophistique du salut par la T2A:
 "Le groupe a envoyé un questionnaire aux établissements de santé publics afin de mener une analyse "vue de l'intérieur" (une telle vision irénique de "l'auto-évaluation", cela ne s'invente pas NDLA) pour compléter les nombreuses évaluations plutôt financières déjà réalisées.

Il a conclu à une hausse du dynamisme des hôpitaux (cf. APM CBPKU002) et, sous réserve d'analyses plus précises, qu'il n'y avait pas eu d'effets négatifs sur la qualité des prises en charge, a rapporté Jean-Yves Fagon.

Il a écarté le risque d'un taux de réadmission plus élevé en se fondant sur des données allant de 2008 à 2010. "Toutes prises en charge confondues, il semble que le taux de réadmission dans les deux semaines suivant la première admission ait une légère tendance à la baisse entre 2008 et 2010", a-t-il montré."

Il est urgent de faire connaître aux usagers et aux élus que ces conclusions vont à rebours des constats quotidiens des cliniciens et des malades, même si à juste titre ils font encore confiance à leur hôpital. Elles témoignent d'un aveuglement coupable et prémédité de la part de nos gestionnaires. Leur persistance dans l'erreur la plus radicale est désarmante, à l'heure où les SSR, dans l'attente de leur propre modèle de tarification, voient s'effondrer la qualité des soins et le financement de la plupart de leurs prises en charges spécialisées et complexes sous la pression croissante des effets pervers d'une T2A en aigu non réellement régulée et d'une gouvernance hospitalière absurde.

Lost in management: quand l'hôpital se fout de la charité
(mais aussi de l'assistance)


La T2A peut peut-être être utilisée en l'absence de modèle parfait de financement des hôpitaux, mais en sortant de toute urgence de la politique de l'autruche liée à la fausse évaluation de la qualité. Le trio T2A sans limites, fausse qualité et gouvernance caporalisée, cette dernière déployant le cost killing le plus inapproprié à l’organisation soignantes assisté des millions d'euros inutilement dépensés pour les semi-habiles de l'ANAP, ne cesse d'effondrer la qualité des soins aux yeux des professionnels. Ils sont de plus en plus désenchantés et désespérés de ne plus rien pouvoir opposer à l’incurie en étant démunis de tout contre-pouvoir face à une iatrogenèse managériale toujours plus arrogante, sans doute parce toujours plus autoritairement dirigée d'en haut. Les cadres hospitaliers, médicaux ou non médicaux, ont aujourd'hui essentiellement pour fonction le contrôle de gestion et la rationalisation du rationnement aux yeux des agents alors que plus personne ne les croit.

« Tout le monde ment et tout le monde sait que tout le monde ment». «Tout est contrôlé et rien n'est sous contrôle. » La maladie du management de l'hôpital français, peut se lire selon Crozier, Dupuy, Pierru, Belorgey, Kervasdoué ou selon Mintzberg. C'est un grand corps malade avant tout de son management, lui-même dénaturé par sa régulation macro-économique. Voilà que se déploie une improbable gestion néo-taylorienne des plus simplistes de la santé par les "process", qui séparent toujours plus le cure et le care, la différenciation et l’intégration des soins, quand les malades sont de plus en plus chroniques et en nécessitent l'intrication de plus en plus étroite. Les malades ignorés par le système d'information induisent inévitablement une loi de Pareto où 20% des cas complexes induisent 80% des dysfonctionnements du système, à la fois en termes de qualité des soins et d'efficience. Les tuyaux d'orgue de la bureaucratie "brejnévienne" du siège de l'AP-HP multiplient l'aveuglement sur un sujet qui est souvent beaucoup mieux appréhendé dans des hôpitaux à taille humaine. Cela explique qu'un ancien directeur de la politique médicale puisse prolonger une vision aussi étriquée de la question dans un sens souhaité par la FHF.

Didier Castiel a bien montré la multiplication rapide des "sorties sauvages", c'est à dire organisées sans pérennité des systèmes de soins et d'aides, depuis la mise en place de la T2A en aigu. Cela est mis en évidence par la forte tendance à l'égalisation des durées de séjour entre malades "simples" et "complexes" à classification T2A égale. Les malades "complexes" sont définis par des éléments d'autonomie fonctionnelle, psycho-sociaux et environnementaux précis, éléments qui ne sont jamais captés par le système d'information. Les conséquences de ces sorties mal préparées, bien connues des cliniciens de ville comme des hospitaliers qui suivent les patients à long terme, sont catastrophiques notamment pour les maladies chroniques, les personnes âgées et handicapées. L'aveuglement des intégristes de la T2A sans garde-fous en France, en particulier de ceux qui se prétendent "solidaires" et défenseurs de l'hôpital public, tient essentiellement à cette dissimulation permanente que ne doit pas occulter les "gesticulations" cache-misère sur la seule "précarité", la participation très encadrée des usagers et l'accès à des droits qui restent purement formels. 

Voilà en quelque sorte comment "l'hôpital se fout de la charité" en se prétendant toujours le haut lieu de "l'assistance" républicaine censée s'y substituer. Le problème, dit la doxa gestionnaire, doit être externalisé vers les soins de ville et vers le secteur de l'action sociale sans que personne ne se soucie du réalisme de ces externalisations, ou encore vers les impayables "coordinateurs de filière" ou autres professionnels du nouveau « PRADO » et de SOPHIA. Les professionnels et les patients devraient bien se méfier "du nouveau visage de la sécu" tant il témoigne d'une vision déformée et idéologique du comportements des acteurs. Ces nouveaux professionnels, ces incitateurs plus ou moins coercitifs à la coopération imaginés par les actuaires et statisticiens de la "sécu", viendraient des agences pour nous aider à orienter les patients, ce qui nous ne sommes pas censés savoir-faire, après il est vrai nous en avoir supprimé de plus en plus les moyens pour mieux nous reprocher de ne pas savoir le faire! De qui se moque-t-on? Il est aisé alors d'accuser l'hôpital d'un centrage trop bio-médico-technique pas assez "holistique" comme le martèle l'antienne de formation des cadres hospitaliers. Les pompiers pyromanes du système de soins sont en train de nous bâtir à grande vitesse un système de régulation soviétique qui va totalement à rebours des objectifs affichés (Kervasdoué).

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Parcours de soins, SSR et vision urgento-centrée des filières


Les SSR sont donc aujourd'hui restructurés principalement du fait du poids écrasant sur l'aigu des malades pour lesquelles ces sorties "à la hussarde", liées à la l’impossibilité croissante d'assembler les savoir-faire de coordination médico-sociale précoce que l'hôpital a pensé à tort pouvoir externaliser, restent humainement et/ou juridiquement impossibles. Les sorties et orientations en SSR sont de fait de plus en plus dépendantes de l'autorité des directeurs financiers, par devers les médecins et travailleurs sociaux, qui n'ont plus guère la main, surtout que de nouveaux logiciels permettent d'imposer les malades en repérant les places disponibles en aval, sans toutefois s'appuyer sur une classification robuste d'orientation des patients en fonction de leurs besoins. La fluidité prend donc inévitablement  le pas sur la pertinence des orientations et des soins, avec pertes de chances et dysfonctionnements en cascades.

Quoiqu'en disent les agences, l'asymétrie d'information qui permet la sélection des malades rentables par le privé est incontrôlable, même par les nouveaux "machins" logiciels type Trajectoire, du fait du PMSI lui-même, la seule classification des patients aujourd'hui vraiment "utilisable". Hélas, construite sur le modèle de "l'usine à soins" elle reste donc aveugle aux déterminants non purement médicaux des séjours longs (Castiel, Escaffre, Odier, Devailly, Josse...)

Cet effondrement des SSR, confrontés à l'abîme créé par les dispositifs législatifs et réglementaires successifs entre sanitaire et médico-social, personne ne veut le voir. Pourtant, les gaps et étapes limitantes critiques qu’il induit, les transforme de plus en plus en une nouvelle "défectologie" qu’on croyait pourtant définitivement disparue, avec des lits de « médico-social » déguisés. Cette double fonction de soins spécifiques et d'hébergement avec poursuite de soins en attente d'insertion sociale n'est pas étrangère à l’impasse actuelle du futur modèle de T2A en SSR. Il se produit sous l'action conjuguée:

1. De l'asservissement mont-aval en filières poussées des urgences (ou "filières inversées" selon la production de l'amont dans une vision urgento-centrée) par segmentation des séjours. 

2. Exclusion concomitante dans le nouveau modèle SSR des compétences médicale spécifiques du champ en 2008, favorisée à l'époque par la FHF déjà sous la contrainte de l'asphyxie de l'aigu,

3. Captation de la DAF SSR de façon totalement opaque par les directions comme variable d'ajustement de l'aigu, régulation tout aussi opaque par les ARS

4. Dérégulation folle des ratios, voir les "ratios SSR" de l'AP-HP!

Bien entendu l’explosion de venues aux urgences par effondrement de soins de premier recours et le fait que l’hôpital soit souvent devenu le généraliste des pauvres (Kervasdoué) et plus largement des personnes en perte d’autonomie est la première leçon à tirer pour ne plus concevoir des parcours de soins et la pertinence des soins selon un modèle linéaire commençant aux urgences.

Toute personne qui s’intéresse un peu au financement des hôpitaux et qui n'est pas un adversaire absolu d'une T2A qu'on pourrait toujours imaginer comme plus "intelligente", sait les risque d'une T2A à 100%, sous enveloppe fermée et sans aucun garde-fou étaient déjà parfaitement connus dans la littérature internationale avant l'implantation en France

De plus, la fracture socio-sanitaire entre "déconcentration" des soins relevant de l'Assurance-Maladie et "décentralisation" du secteur de l'action sociale interdit par construction au système français d'analyser convenablement les déterminants de l'hospitalisation pour cause de guerre permanente et bureaucratiquement induite à la fois entre enveloppes financières, entre institutions mises en concurrence et entre prérogatives des services déconcentrés et des collectivités locales (personnes âgées et handicap) . Ce point clé du rapport Larcher n'est évidemment pas réglé par les ARS.

La T2A ainsi dérégulée, démédicalisée et sous Ondam fermée est en l'état actuel une machine à détruire l'hôpital public. Elle met en péril un système de soins accessibles et solidaires


Le dernier livre de Bernard Granger et Frédéric Pierru (l'hôpital en sursis") montre parfaitement comment et pourquoi quelques intégristes de la ré-ingénierie de la santé, nommés les "réformateurs", ont inventé la T2A la plus bête du monde et aussi la plus "dérégulée" en terme de conditions techniques de fonctionnement, ceci bien entendu dans l’idolâtrie béate de la puissance de restructuration qu'on lui suppose.

Cela a conduit très directement à l'exclusion des médecins de la gestion (au nom de la "résistance au changement") et à la fausse autonomie des "pôles". Ceux-ci sont considérés comme "centres de coût" dans une perspective essentiellement comptable, excluant tout management médical au sens noble du terme, avec l'objectif de casser les services comme collectifs de soins, et non comme des "centres de résultats". Ceux-ci auraient eu une véritable délégation de gestion, peut-être réellement utile, hors les pôles PIM PAM POUM montés de force dans une logique militaire et sans aucune cohérence médicale. Cette acception du pôle aurait été tout de même plus cohérente au moins avec les effets bénéfiques attendus d'un modèle de concurrence par comparaison. Qui peut être contre une comparaison intelligente et stimulante dès lors qu’elle est maniée par des professionnels qui en connaissent les limites?

Voici que quelques apparatchiks acquis à l'idéologie des semi-habiles de « l'éthiconomie » réformatrice nous accablent à nouveau de leur naïveté gestionnaire. Ubuesque cécité et iatrogenèse managériale assurée.

De trop nombreux collègues, brillantissimes dans leurs spécialités, croient avoir une vision d'ensemble, par ignorance de ce qu'ils ne voient pas. Ils ne comprendront pas, face aux alternatives illusoires par lesquelles gestionnaires savent trop bien les piéger, entre la peste et le choléra, que si l’on veut faire entrer les déterminants de l'hospitalisation dans les catégories purement médicales du modèle de Fetter (DRG) et de notre PMSI français, on ne peut sortir que du grand chapeau des data ce qu'on y a mis. Signalons que le PMSI-SSR, modèle exclusivement français, très critiqué à l’étranger pour son incohérence, est une usine à gaz bien pire que le PMSI de l'aigu. Mais le paquebot est bien lancé sur son erre, comme sans doute le système de la psychiatrie. "Hôpital Titanic"?
Comme dit Einstein, ceux qui ont créé les problèmes ne peuvent pas les résoudre, et, pire il y a irréversibilité de certaines configurations de pouvoirs gestionnaires et d’agence sans pilotes que ces problèmes ont créé.
Ces heuristiques de disponibilité et leurs boucles auto-référentielles "bien huilées" dans l'arrogance de leur cohérence interne ne peuvent produire que des pertes de chances en terme "d'outcome". Celles-ci ne sont bien entendu pas évaluées quand notre système "qualité" se contente de misérables indicateurs de processus et de quelques de résultats myopes de "sortie de système" (output). Il faut croire que selon nos grands ingénieurs de la réforme, une véritable mesure de résultats selon les cliniciens limiterait trop la puissance des systèmes de paiement, de même qu'une approche de la performance en terme d'état d'esprit au travail*.

Zeynep Or est beaucoup plus critique que les conclusions de l'enquête qui semble ignorer la littérature française et internatinale sur le sujet.

"Zeynep Or, directrice de recherche à l'Institut de recherche et de documentation en économie de la santé (Irdes), a par ailleurs fait part de son analyse de la littérature sur l'impact de la T2A sur la qualité aux Etats-Unis et en Europe et déploré qu'il n'y ait toujours pas d'étude d'impact en France.

En se fondant sur des données de la période 2002-09, elle a relevé une baisse de la durée moyenne de séjour et une tendance à l'augmentation des réadmissions à 30 jours pour plusieurs pathologies, contrairement à ce qui ressort globalement de l'étude de la FHF à deux semaines entre 2008 et 2010."

Les taux de réadmissions des malades, un des garde-fous les plus évidents hors du monde des "bisounours" ne sont qu'un des multiples moyens de mesurer l'impact des sorties sauvages et de penser une T2A qui pourrait être à visage humain. En dehors de ces réadmissions, personne ne mesure non plus l'impact désastreux en terme d'outcome d'une sortie mal préparée qu'il s'agisse de soins au domicile ou de réinsertion dans une structure médico-sociale. Zeynep Or est une spécialiste de la T2A, mais comme tous les "experts" elle se doit de pratiquer ce que Bourdieu nomme "la transgression contrôlée". Comme un cardinal peut s'autoriser à rire d'un bon mot contre l'église, l'expert sait critiquer un modèle pour mieux le faire adopter à la demande de l'establishment qui l'emploie. Si brillants soient-ils, ces experts ne sont jamais réellement indépendants. Retenons toutefois du message de Zeynep Or que continuer en France avec un tout T2A sans aucune étude d'impact réel serait la porte ouverte à une chute catastrophique de l'accessibilité et de la qualité des soins.

Petit rappel élémentaire des effets pervers d'un T2A trop dérégulée (Robert Holcman citant les fondamentaux de la littérature internationale)
  • Déformation du case-mix par amélioration du codage (gain en exhaustivité) ou par surcodage (pratiques déviantes)
  • Segmentation des séjours
  • Réduction des durées de séjour, sortie précoce des patients vers le domicile, transfert rapide vers l’aval (SSR, RF, HAD)
  • Sélection des patients pour écarter les cas les plus lourds
  • Sur-fourniture ou sous-fourniture de soins
Source : RobertHolcman: la tarification dans les établissements de santé

Reprenons notre place de professionnels dans la gestion du système de santé. Le modèle du jacobinisme par comparaison d’indicateurs a montré son inefficacité dramatique.

La T2A, pourquoi pas, en considérant pour chaque activité la durée adéquate de "l'unité de paiement", l'acte parfois, la journée pondérée par les ressources consommées ou le séjour (choix difficile en SSR pour les raison évoquées plus haut et psychiatrie, deux secteurs qui sont très hétérogènes), un épisode de soins plus long peut-être, mais qui gérerait alors l'enveloppe forfaitaire, le gate-keeping et le case management échappant alors aux cliniciens opérationnels ? Les assurances privées? Quelles preuves dans la littérature de ce managed care et de ces bundled payments par épisodes de soins qui protègent avant tout les payeurs, quand on voit que les Américains sont parfois soignés par tirage au sort par des médecins bénévoles et que les Pays Bas ont sorti la réadaptation de la base des soins remboursés?

Dans le cadre contraint de la tarification actuelle par paiements prospectifs et du "modèle de production" de l’hôpital imaginé par Robert Fetter, c'est la typologie des problèmes cliniques et des profils de patients pris en charge du point de vue des médecins qui doit guider le choix de l'unité de paiement pertinente pour les groupes iso-coûts. Ceci se conçoit en termes de la prévisibilité que l’on peut avoir ou non de la consommation de ressources dans le cadre de programmes cliniques qui dépendent dans leur définition des compétences médicales qui les organisent. D'où l'impossibilité radicale d'exclure les médecins cliniciens et leurs disciplines d'un modèle d'ingénierie scientifique du travail de soins. Même le modèle de Fetter recherche au moins en principe la congruence des logique médicales et gestionnaires et non des groupes homogènes purement gestionnaires construit sur des échelles de coûts mélangeant des prunes et des mirabelles comme en SSR, sans logiques cliniques, bannies a priori parce que d’emblée jugées inutiles et corporatistes. La France est bien capable de faire pire que la Rand Corporation qui a conçu la yardstick competition.

L'invisibilité du travail réel


Le travail de soins n'a de sens pour les professionnels qu'en fonction de l'intérêt individuel du patient et du résultat à long terme de leurs intervention. Nous avons évoqué le besoin de garde-fous aux sorties sauvages potentiellement induites par la T2A, mais il faut aussi se soucier des pertes de chance liées  aux malades en perte d'autonomie qu'on ne sort plus des lits faute d'aides soignants dans nos établissements, à l'oubli stupéfiant des savoirs soignants par la désorganisation tragique des équipes de soins. La flexibilité, la mutualisation et la polyvalence sont souvent utiles pour peu qu'on ne détruise pas les compétences clés. Mais elles sont déployées ici dans une vision industrielle simpliste qui fait fi de tous les coeurs de compétences, ceux qui différencient les savoirs collectifs construit entre "praticiens réflexifs". Ces compétences collectives construites en équipes sont autant d'avantages compétitifs aujourd'hui en perdition. Au lieu d'intégrer ces savoirs professionnels précieux, mais ignorés par nos nouveaux bureaux des méthodes, car au moins à 80 % implicites, on dé-professionnalise à outrance tout ce qui ne peut être formulé sous forme de procédures mécaniques et explicites. Les dégâts de ce pauvre management sont incalculables. Ainsi en est-il entre autres domaines de tout ce qui concerne la prévention des complications de l'alitement prolongé. Où trouve t-on encore des arceaux de pied de lit, des malades paralysés qui ont les pieds calés à angle droit ne serait-ce que par un traversin, des sondes urinaires fixées dans les règles enseignées aux infirmières, qui n’entraînent pas de tractions délétères sur l’urètre à la moindre fausse manœuvre  Où peut encore être organisée la lutte systématique contre la perte d'autonomie de malades quand la sortie quotidienne de leur lits est primordiale? Que dire de la lutte contre les rétractions musculaires, si handicapantes, par les mobilisations qui s'imposent alors que le méthodes de lissage des ressources humaines par suppression des postes vacants suppriment les postes de masseurs-kinésithérapeutes des établissements?

Effectifs suffisants dans des équipes stables, formées et motivées = vies sauvées et handicap évité.

Et que dire des malades peu habiles pour se mouvoir dans un système de soins de plus en plus hostile dès qu'il y a une anicroche, que personne n'accompagne plus quand ils sont perdu dans une jungle socio-sanitaire inextricable. "C'est pas moi c'est l'autre dit l'hôpital public". Entendre "cela ne dépend pas de mon enveloppe financière". Voilà comment se délite la médecine à visage humain quand on abandonne toute régulation professionnelle. Qui s'en soucie dans le court-termisme ambiant? Les cancérologues d'Avicenne savent qu'il faut souvent hospitaliser pour bilan certains malades qui, sans cela, ne pourraient gérer seuls leur parcours de soins ni bénéficier des examens et traitements  nécessaires. Voilà qui n'est pas pris en compte quand on regarde le monde de trop haut. La carte n'est pas le territoire.

Loi de Goodhart: "Toute mesure qui devient un objectif n'est plus un mesure"

Il est plus que temps, pour nous autres médecins, non de "s'indigner" mais de "'s'ingérer" dans cette gestion délétère, pour que l'organisation des soins reprenne une direction qui ait un sens.

*Pour Anderson (2004), la performance est le produit des compétences par l'état d'esprit au travail. Modèle beaucoup plus efficace pour gérer le "changement" dans les entreprises


"Il y a trois sortes de mensonges, le mensonge, le sacré mensonge et les statistiques."
Benjamin Disraeli cité par Mark Twain.



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